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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


Un conte pour la Saint-Valentin ...

La cime dissimulée dans les nuages, le Mont-Olympe, se dresse majestueusement.  Un étroit sentier sinueux serpente à flanc de montagne et grimpe au-delà des nuages.  Une jolie forêt de bouleaux blancs se dresse au bout du sentier.  Au milieu de cette forêt se blottit une charmante maison de cristal. Cupidon, confortablement assis dans cette demeure de cristal, contemple pensivement le paysage enneigé.   Les bouleaux blancs recouverts de givres scintillent au soleil.  Cupidon est triste.  Les nouvelles qui lui parviennent le chagrinent.  Disputes et chicanes sont-elles donc l'unique réalité? Et les bonnes nouvelles, font-elles partie de ce monde?  Amitié,bienveillance et générosité existent-elles encore? Cupidon doit savoir!  Il veut en avoir le coeur net.  Il prend avec lui son arc, sa flèche et son carquois magiques, puis s'envole au loin. Il voit deux fillettes en grande discussion. Il atterrit sans faire de bruit et,dissimulé derrière un buisson, tend l'oreille. -Ma meilleure amie m'a dit que je suis stupide, sanglote la fillette blonde. - Toi, stupide! s'exclame la fillette rousse.  Moi, je te trouve intelligente! -Vraiment? s'étonne la fillette blonde, tu trouves? -Je ne te l'ai peut-être jamais dit avant, mais oui!

Cupidon sourit.  Il est content. Ici fleurit l'amitié.  Il récolte les fleurs du mimosa et les met dans son carquois. Il s'envole plus loin, puis aperçoit un garçonnet en sanglots. Un autre garçonnet s'approche.  Cupidon atterrit doucement et écoute, dissimulé derrière la clôture. -Pourquoi tu pleures? -J'ai faim!  pleure le petit. -Tu sais quoi! s'écrie le premier,  j'ai justement une bonne collation! Viens! on va la partager! -Oh! merci!  Comme tu es gentil, dit le garçonnet en séchant ses larmes. Cupidon est tout heureux!  Vraiment, il se passe de belles choses!  Ici encore fleurit l'amitié.  Cupidon récolte les fleurs du mimosa, les met dansson carquois et continue son chemin. Par une fenêtre, il  entrevoit une soeur et son petit frère.  Le petit frère al'air terrorisé.  Cupidon atterrit et se cache sous la fenêtre. -Maman! crie le petit frère où es-tu?  Je t'ai perdue! -Mais non! dit la grande soeur, Maman arrive bientôt. Je suis là. Tu peux compter sur moi. -Ne t'en vas pas!  supplie le petit frère, ne me laisse pas tout seul! -Je reste avec toi, répond doucement la grande soeur.  Allons nous amuser avec nos jouets! Cupidon est content de voir qu'ici aussi fleurit l'amitié.  Il récolte les fleurs du mimosa et les met dans son carquois. Cupidon continue de récolter les bonnes nouvelles partout où il va. Cependant il doit aller les cueillir car elles sont discrètes et timides.  Il recueille tellement de mimosa que son carquois est maintenant plein à craquer. Il retourne donc à sa maison de cristal. Il vide son carquois et contemple sa récolte. Elle est très abondante. Cupidon est satisfait car il a pu constater que l'amitié occupe une place importante dans ce monde. Mais que faire avec toutes ces belles fleurs?  Cupidon ne va quand même pas garder toutes ces fleurs de mimosa pour lui tout seul, il n'est pas un égoïste!  Il désire partager sa récolte de bonne nouvelles.  Mais comment? Tiens!  C'est bientôt la Saint-Valentin, fête de l'amitié. S'il donnait ces fleurs aux enfants?  Non, impossible!  Car les fleurs fanent très rapidement.  Oui, mais avec un peu de magie il pourrait transformer ces fleurs en des cadeaux plus durables! Cupidon, tout heureux de son idée géniale, tend son arc magique et une flèche tout aussi magique fonce à toute allure dans les mimosa.  Une pluie d'étincelles multicolores surgit, un brouillard pastel enveloppe les fleurs, et lorsque le tout se dissipe, les mimosa ont fait place à de nombreux jouets! Cupidon met tous les jouets dans son carquois magique puis s'envole. À la demeure de chaque enfant, il se glisse par l'entretoit, et, se faufilant par le grenier, se dirige vers la trappe.  Cupidon ouvre la trappe, et très doucement, vole vers le salon.  Là, sous un joli bouleau blanc tout décoré de coeurs rouges et de rubans dorés, il dépose un cadeau.

Ainsi, recommence Cupidon, jusqu'à ce que tous les enfants aient reçu leur jouet. Finalement, sa mission accomplie, Cupidon, retourne au Mont-Olympe, le carquois vidé et le coeur léger.  Les enfants pourront toujours compter sur lui pour passer une belle Saint-Valentin.

Cupidon Mont-Olympe

bunni


Un conte de Carnaval ...Lo minjachepics

Quand vient le soir, l'hiver, j'ai un grand travail : faire cuire les bûches. Je les dispose chacune bien à sa place dans la cheminée, et j'allume... Alors, alors seulement commence la cuisson... Oh ! bien sûr, il faut qu'elles brûlent... mais pas trop vite tranquillement... il faut surveiller, souffler, mouiller... En fait il faut s'asseoir devant l'âtre et attendre, attendre qu'elles soient cuites.C'était l'un de ces soirs, l'un de ces soirs d'hiver que l'on passe à faire cuire les bûches. J'étais tranquillement installé devant la cheminée, quand un bruit soudain monta de la rue, un bruit d'abord lointain mais qui se rapprochait. Je reconnus des chants tous différents... des chants pour chanter, des chants pour danser, des chants pour faire la fête, des chants qui, finalement, se rapprochaient jusqu'à venir frapper à ma porte.
J'allais ouvrir... Il y avait là une foule de gens déguisés... de très beaux, très élégants, mais aussi des laids, vraiment très laids... C'était Carnaval et je l'avais oublié, occupé que j'étais à faire cuire les bûches.
Vite, je courus à l'armoire de Mémé pour y prendre sa vieille robe bleue, celle avec les petites fleurs blanches, des bas, une perruque, un foulard... Pour les pantoufles, j'allai à l'armoire de Pépé.
J'étais jolie comme tout...
Alors commença la fête... d'abord dans les rues puis chez Antoinette, le café du village. Là, on a bu, chanté et mangé, encore et encore... Vers deux heures du matin, Antoinette nous demanda de bien vouloir partir, elle avait sommeil. Alors nous sommes sortis, il faisait froid et nous étions un peu perdus. Dans la nuit, tout était calme.
C'est en passant devant l'église, que l'un de nous eut l'idée d'aller sonner la cloche. La chose nous amusa beaucoup car dès que la cloche sonnait, les lumières des maisons s'allumaient... C'est la soif qui nous arrêta.
On alla chez Bertrand, il avait toujours du bon vin. Sous ses fenêtres, on chanta d'abord doucement, puis de plus en plus fort sans parvenir à le réveiller. Alors nous avons chanté qu'autrefois, Bertrand allait derrière l'église et que... là il ouvrit... et nous en sortîmes à quatre heures du matin.
Un peu plus tard, on se retrouva sous les fenêtres de Gaston, il avait tué le cochon. On chanta d'abord doucement, puis de plus en plus fort sans parvenir à le réveiller. Alors nous avons chanté qu'autrefois, dans le champ de Gaston, la borne n'était pas à l'endroit où elle se trouve aujourd'hui et que... là il ouvrit... et nous en sortîmes à six heures après avoir goûté les miques, les chichons, les saucisses ...
Le froid mordait toujours, le soleil ne voulait pas se lever, c'était l'hiver. On décida d'aller chez Denise pour manger des crêpes... Sous ses fenêtres, on chanta d'abord doucement puis de plus en plus fort sans parvenir à la réveiller. Alors nous avons chanté qu'autrefois, Denise allait derrière l'église et que... là elle ouvrit... et nous en sortîmes fatigués à sept heures pour rentrer à la maison.
Sur le coup de midi, nous nous sommes réveillés les uns après les autres. En ouvrant les volets, je vis des gens qui faisaient la tête :  » le mus « , mais  » un mus  » terrible. Peut-être avaient-ils mal dormi ? Je téléphonai à mes amis, ils me dirent que tout le village faisait le  » mus « .
Mais c'est de la faute à Carnaval ! S'il n'y avait pas eu Carnaval nous serions restés chez nous à faire cuire les bûches et heureusement que nous y étions pour le fêter sans quoi : pas de Carnaval et donc pas de printemps !
Nous décidâmes, alors, de fabriquer un bonhomme de papier. Nous l'appellerions Sent Pançard et, le mardi gras, nous le promènerions dans les rues du village avant de l'amener sur la place pour l'accuser de nos bêtises et le brûler !
Nous le fabriquâmes et arriva le Mardi Gras.
Sent Pançard posé au beau milieu de la place, le jugement put commencer. Il fut d'abord accusé de toutes les folies des jours passés... puis de tous les petits soucis de la vie quotidienne : la vache malade, la télévision en panne, le tonnerre trop fort, la neige trop froide, le soleil trop chaud... avant que n'arrivent les soucis plus importants : les disputes, le chagrin quand les gens s'en vont...
C'est alors que s'approcha la petite Léa. Le petit chat que lui avait donné son pépé était parti. Elle était triste et voulait que la faute en incombe à quelqu'un. Elle accusa Sent Pançard.
Soudain, le silence... Maria de Hauria, celle qui est vieille depuis toujours, avec le bleu profond de ses yeux et la neige de ses cheveux traversa la foule, sérieuse et fière, un petit papier à la main. Arrivée à côté de Sent Pançard, elle se retourna et dit :
» – Ici dessus, j'ai écrit mon souci le plus secret et le plus pesant, le plus vieux aussi. Je ne veux pas le dire devant tout le monde mais je veux qu'il s'en aille avec le brasier de Carnaval !  » Et elle colla son souci sur le dos du pantin.
Puis, les uns après les autres, dans un grand silence, les gens du village allèrent coller leur souci de papier sur le dos de Sent Pançard. Il y en avait des rouges, des verts, des bleus, des violets, mais aussi des blancs et des noirs... Pauvre Sent Pançard, il était chargé de soucis de toutes les couleurs...
Le Sent Pançard fut condamné à être brûlé immédiatement sur la place du village... Les bûches furent empilées, Carnaval posé dessus... Et,  » haut « , le feu fut allumé... QUEL BRASIER !
Les flammes commencèrent à manger les souliers de Sent Pançard parce que Carnaval avait des souliers de papier, des souliers de papier pour danser  » léger « ...
Puis elles montèrent pour manger le pantalon parce que Carnaval avait un pantalon de papier, un pantalon de papier pour danser  » léger « .
Puis la chemise parce que Carnaval avait une chemise de papier, une chemise de papier pour danser  » léger « ...
Puis le tricot parce que Carnaval avait un tricot de papier, un tricot de papier pour danser  » léger « ...
Et pour finir les soucis parce que Carnaval avait des soucis de papier pour danser  » léger « ...
C'est alors que Jan s'écria :
» – Regardez, les soucis s'en vont ! «
Au-dessus du brasier, au beau milieu de la fumée, des petits bouts de papier rouges de feu s'éparpillaient, c'étaient les soucis qui montaient, montaient, montaient dans le ciel. Au bout d'un moment, le vent du sud se leva, sûrement grâce au printemps, délivré de la tanière de l'ours. Il amena les soucis.
Nous les suivîmes !... Nous les suivîmes en traversant les prés, les buissons, les bois et arrivâmes au gave.
Là, le vent du sud les déposa un à un, tout doucement, dans l'eau verte de neige.
» – Où vont-ils ? Où vont-ils ?  » cria Sylvain.
Au bord du gave, il y avait un vieil homme que personne ne connaissait et qui regardait l'eau s'en aller. Il portait un pantalon bleu, une veste bleue, une casquette bleue avec une ancre dessus. En fait, il me rappelait quelqu'un, mais je ne savais pas qui. Il avait les yeux étranges, les yeux de quelqu'un qui a longtemps cherché... au fond de ses yeux, il y avait le bleu de l'océan... Il se leva, le doigt tendu vers la plaine et répondit :
» – A l'embouchure, petit... Ils s'en vont à la bouche de l'océan qui mange le gave. Ils s'en vont au Boucau. Tu sais, petit, le gave dévale la montagne mais il finit par se calmer et se promène tranquillement entre les champs comme s'il devenait vieux... il finit par arriver dans la gueule de l'océan, cette gueule qui mange le gave. Là, il essaie de reculer mais ne peut pas... un gave ne recule jamais... et les soucis non plus. Alors, ils s'en vont loin, loin dans l'océan et là, vont descendre jusqu'au plus profond, l'un après l'autre, tout doucement.
– Alors, au fond de l'océan, se trouvent tous les soucis du monde ?  » lui demanda Sylvain.
» – Non, lui répondit le vieil homme, parce qu'il y a le Minjachepics !
– Qui est-ce ?  » lui demanda-t-il
» – Un poisson. Un poisson que personne n'a jamais vu. On ne sait pas s'il est grand ou petit, rouge, vert, bleu, violet, blanc ou noir mais il est au fond de l'océan et mange les soucis du monde. C'est pour cette raison que les gens oublient vite les leçons de la vie. «
Le vieil homme abaissa son doigt. Au fond des yeux, il avait tous les soucis du monde. Avant de partir, il dit encore :
» – Prenez garde à ne pas marcher sur les braises, peut-être s'y trouve-t-il encore des soucis. Si vous marchiez dessus, vous pourriez les coller à vos semelles et les ramener chez vous... De plus, ils pourraient être les soucis de quelqu'un d'autre... Le vent du sud ou le vent de l'océan viendront bientôt les chercher. «
Le vieil homme partit comme Carnaval... Au village, personne ne l'a jamais revu, mais tous savent maintenant où partent les soucis, le dernier jour de Carnaval.
E cric e crac, lo Carnaval qu'ei cremat
E crac e cric, lo Carnaval qu'ei partit.

bunni


Plume de nuage

Il y a bien longtemps, quand le monde n'était pas encore tout à fait le monde, vivait sur la plus haute montagne de notre terre, le premier flocon tombé du ciel.

Ce premier flocon du monde, s'appelait Plume de nuage.

Et du haut de son perchoir, entre ciel et terre, il passait son temps à contempler la vie en la remerciant de l'avoir fait flocon de neige. Il était flocon de neige et se sentait merveilleusement bien dans ce corps de flocon.

Aujourd'hui encore, Plume de nuage se considère comme quelqu'un d'heureux. Seulement, aujourd'hui c'est un peu différent, car en vérité il aimerait en savoir un peu plus ;

Par exemple, depuis quelque temps, il se demande : "D'où vient réellement le soleil quand le matin il se lève derrière le glacier ?

Et où va-t-il lorsqu'il disparaît là-bas, tout au loin, derrière la ligne d'horizon ? ".

Non content de cela, actuellement se pose-t-il aussi des questions quant à sa propre existence.

"D'où est-ce que je viens ? Dois-je aller quelque part ?" Mais, faute de ne point trouver de réponses satisfaisantes, il se met à douter et prend conscience de son ignorance. Alors, pour tant de questions sans réponse, Plume de nuage devient triste, si triste qu'il se met à pleurer.

La seule larme qu'il verse, doucement se change en un glaçon. Plume de nuage quitte ainsi sa vie de flocon de neige au travers une larme pour renaître en un petit morceau de glace.

"Quelle étrange sensation, se dit-il. Mon corps est devenu aussi transparent que du verre !

... Mais que se passe-t-il ? Je sens que je glisse. Mon être entier se laisse glisser et descendre le versant de la montagne.

"Et plus il descend, plus il sourit. C'est alors que la glissade qu'il fait le prend d'une ivresse si débordante que Plume de nuage en vient à se tordre littéralement de rire. Il se tord tant et si bien que du glaçon fraîchement conçu, devient-il une petite flaque.

Très étrange, se dit-il, je sens mon corps d'une fluidité prodigieuse, je peux, comme je le désire, épouser chaque forme que je rencontre, la contourner ou entrer dans ses moindres recoins.

Et mon corps, bien que transparent, n'est plus dur comme la glace, mais aussi liquide que... de l'eau ! ?".

Plume de nuage comprend ! Il est devenu une goutte d'eau.

Une goutte d'eau pure, limpide et si fraîche qu'il sent monter en lui une nouvelle vigueur pour continuer sa route. Plume de nuage quitte sa montagne, au profit d'un petit ruisseau.

Là, il se fait porter par le courant à la rencontre de nouveaux paysages.

Mais après plusieurs kilomètres de tranquille traversée, la petite rivière se met à rejoindre une autre rivière, puis une autre... encore une autre.

A chaque nouvelle rencontre le courant s'accélère rapidement.

Plume de nuage n'en croit pas ses yeux. Devant lui maintenant la rivière de part se vitesse et son débit, devient un véritable torrent.

"Ou là ! comme je regrette le petit courant de tout à l'heure... mais impossible de revenir en arrière ! J'ai choisi d'aller visiter le monde et rien ne doit m'arrêter.

Gardons confiance ! A quoi bon résister ou se crisper. C'est en prenant le contre sens du courant que je risque de me faire mal".

Réflexion faite, Plume de nuage plonge sous l'eau et se fond littéralement au reste de l'eau.

IL s'y fond tellement bien, qu'il acquiert toutes les qualités du torrent : rapidité, puissance et bonne santé. Plume de nuage n'a plus rien à craindre. Il a compris qu'au lieu de combattre les forces de la nature il est préférable de les épouser... et de faire confiance.

Faire confiance ! ? oui... mais jusqu'où ?

Car là-bas, un peu plus loin une cascade gigantesque dans un brouhaha effroyable chavire toute l'eau du torrent qui arrive à vive allure. Aucune goutte d'eau ne peut y échapper.

"Ai-je vraiment raison de faire confiance, se dit Plume de nuage ? Qu'est-ce qui m'attend?

"A peine a-t-il posé cette question, qu'un courant d'une force prodigieuse le catapulte en plein cœur de la cascade.

Plume de nuage n'a pas la force de regarder, et ferme les yeux. Seulement il répète. Faire confiance ! Faire confiance - comme pour mieux s'en persuader - suivre le courant de la vie... et faire confiance.

Il se sent ballotté à droite, à gauche, sous l'eau, puis encore sous l'eau, de nouveau à droite de nouveau à gauche, encore sous l'eau, puis encore à droite... et...

Contre toute attente, il éprouve alors une bien étrange sensation.

Son corps est devenu fluide et léger. Puis il se sent pris d'un curieux bercement. IL ouvre les yeux... la cascade, maintenant, se trouvent au-dessus de lui à plus de cinquante mètres.

Il ouvre mieux les yeux et comprend qu'il est, grâce au vent léger, tombé sur la feuille d'un arbre qui tendait quelques unes de ses branches à proximité de l'eau.

La feuille qui l'a reçu, maintenant le berce gentiment.

Plume de nuage s'y repose un instant et la remercie en lui donnant un peu de son eau.

Encore une fois, il comprend que la nature fait bien les choses.

"Dorénavant, je n'ai plus à avoir peur, faire confiance aux forces de la vie ! voilà qui me mènera loin !
Allez, en route vers de nouvelles aventures ! s'exclame-t-il !".

Plume de nuage se laisse alors glisser jusqu'à la bordure de la feuille, puis s'étire, et tombe dans une eau devenue plus calme.

Tranquillement, Plume de nuage se laisse porter au fil de l'eau.

Au détour d'un courant il ose même aller caresser les mollets d'un Monsieur en train de tremper ses pieds au bord de la rivière.

Un peu plus en aval, il se blottit dans le creux d'une main d'un enfant qui éclabousse au autre enfant.. puis dégouline sur son visage avant de rejoindre sa rivière.

Maintenant la rivière s'élargit et repose majestueusement dans son lit. Plume de nuage s'y endort quelque temps... et rêve. Son rêve l'emporte loin... très loin...

Mais brassé ici et là par quelques remous et courants sous-marins, le rêve qu'il fait lui laisse dans la bouche, une certaine amertume qui finit par le réveiller.

Tout en ouvrant les yeux, il oublie le songe qu'il vient de faire. Seul dans la bouche, lui reste ce petit goût d'Amertume. Durant son sommeil, la rivière a quitté son lit. Maintenant elle est devenue un fleuve qui s'écoule paisiblement. Sur son dos passent de temps à autres des bateaux. Des petits, des gros...

Plume de nuage regarde autour de lui. Le paysage a bien changé. Seul demeure ce goût amer qui persiste dans sa bouche.

Le relief est plat et les arbres rares. Une nouvelle végétation d'herbes fines et élancées se courbent docilement, caressées qu'elles sont par le vent. Ce vent à quelque chose de bien particulier. Un parfum de sel semble s'y dégager. Ce même parfum que Plume de nuage sent non plus seulement dans sa bouche, mais dans la totalité de son corps.

Plume de nuage porte en lui le goût de ce sel. IL est devenu une goutte d'eau salée.

IL comprend alors que le fleuve a terminé son cours. Maintenant c'est un estuaire qui dans le crépuscule s'offre à lui.

Bientôt le soleil aura disparu.

Déjà le ciel prend son costume de nuit. Un croissant de lune laisse passer devant sa lumière quelques nuages effilochés. Une première étoile s'allume.

Mais ce qui retient l'attention de Plume de nuage ne se trouve pas dans le ciel. Non ! ce qui retient son attention, c'est le bruit qu'il entend.

Ce bruit n'a rien de comparable avec le brouhaha de la chute d'eau de tout à l'heure. Non ! le bruit que Plume de nuage entend parait venir d'un tout autre monde... et en même temps ce bruit lui semble si familier.

Alors, Plume de nuage comprend que ce qu'il entend, ce qui l'appelle... c'est la mer. La mer dans toute sa splendeur.

Une petite vague vient le chercher et se retire d'elle-même dans l'immensité océane. Le soleil au bout de l'horizon a disparu.

Une lueur mauve persiste encore quelques instants. Puis c'est la nuit. Et seul dans la nuit, un petit flocon de neige devenu goutte d'eau se laisse porter au rythme des vagues.

Plume de nuage se sent bien. Un sentiment de liberté coule dans ses veines. Chaque seconde devient éternellement sereine.

Puis doucement, dans le clair-obscur des étoiles et la lune, plume de nuage descend à l'intérieur de l'océan.

Et là, se repose entre une coquille Saint-Jacques et une anémone.

Lorsque Plume de nuage rouvre les yeux, un rayon de soleil lui tend la main et l'invite à remonter à la surface.

La mer est belle, le soleil miroite chaque vague qui s'élance. Et l'écume resplendit comme mille diamants. Plume de nuage se laisse emporter par une vague. Au sommet de celle-ci une telle ivresse monte en lui qu'un sentiment de force s'empare de ses pensées, lui donnant la brève illusion que lui, Plume de nuage, infime petite goutte d'eau est devenu plus grand que la vague, plus grand même que l'océan.

Mais lorsque la vague redescend et disparaît au sein même de cette mer qui venait tout juste de la créer, Plume de nuage reçoit une véritable douche froide. Dès lors, il comprend une nouvelle chose. IL comprend que son existence n'est qu'une vague de la vie, et qu'un jour cette même vie qui l'avait fait naître, le rappellerait.

Les jours, les années s'écoulent paisiblement.

Puis, alors que Plume de nuage, sur le dos d'un dauphin se dore au soleil, il sent dans son corps une nouvelle sensation. Quelque chose de chaud monte en lui.

Son enveloppe de goutte d'eau disparaît. Un filet de vapeur l'étire vers le haut.

Maintenant il voit le dauphin à plusieurs mètres sous lui.

Tout doucement Plume de nuage sent qu'il monte dans le ciel. Il n'a plus de corps. Même la vapeur a disparu. Simplement, lui reste la conscience d'exister.

Sans peine ni remords, Plume de nuage laisse ce qu'il quitte.

De sa hauteur, il admire la mer dans son entier. Puis l'ascension s'accélère. Plume de Nuage contemple une dernière fois sa planète. Elle est devenue un tout petit point bleu qui tourne autour du soleil.

Enfin, regardant le ciel, il ouvre son cœur en toute confiance puis s'écrie "J 'ARRIVE !"'... Et du ciel d'où il était venu, Plume de nuage disparaît.

Mais qui sait ?

Peut-être un jour reviendra-t-il en un nouveau flocon de neige ou pourquoi pas en un arbre de la forêt amazonienne ou simplement en petit garçon.

Peut-être aussi, ne reviendra-t-il pas ? Mais chut ! cela est une autre histoire...

D.T.L

bunni

#693

Le petit garçon à la rose

C'est l'histoire d'un petit garçon qui trouva un jour sur son chemin une rose.

Il en caressa les pétales, et la rose que l'on avait coupée se dit: " je n'ai jamais eu autant de vie, depuis que ce petit garçon m'a cueillie".

Mais, il ne l'avait pas cueillie, il l'avait trouvée sans vie sur le chemin de sa vie. Il en est ainsi des choses : où certains pensent qu'on les fit, le hasard fit qu'on les trouva.

Et depuis, il aimait sa rose et en rêvait souvent la nuit.

Elle était toute rose -sa rose; il l'avait mise dans un grand verre d'eau, parce que la tige n'était pas longue et qu'elle n'aurait pas aimé la terre où l'on cachait les êtres et les choses.

C'était une belle rose d'été.

Le petit garçon s'est dit : " ce sera bien pendant l'hiver : quand je regarderai ma rose, je ne verrai plus que l'été et je n'aurai plus de pluie, ni d'hiver".

Il ignorait que les petits garçons grandissent après l'été et oublient toutes choses -même les roses qui se fanent quand vient l'hiver.

Le petit garçon s'est endormi -rêvant d'une rose perdue dans un grand verre  de cristal transparent.

Au matin, le soleil brillait: il regardait sa rose dormir, dolente -comme le font toutes les roses quand le jour se lève.

Il avait tant de choses à lui dire qu'il gardait en lui. Il l'aimait, mais il voulait tout faire très vite : arroser sa rose, écrire des lettres sur une ardoise, calculer et dessiner tous ces panneaux qu'il avait appris dans le livre du code de la route. Il avait envie de lui dire aussi qu'il courait après le vent -parce que le vent courait très vite et qu'on avait le temps de rien faire si on ne le rattrapait pas.

C'est qu'il voulait aller très vite le petit garçon à la rose -parce qu'il savait en son coeur qu'il fallait voler l'ombre des choses, avant que le jour nous les vole.

Parfois il restait silencieux à contempler sa rose -à poser son regard sur l'herbe d'un jardin, sur un oiseau qui vole; le petit garçon à la rose était très curieux, mais il restait souvent silencieux -parce que quand on aime, on n'a pas toujours besoin de parler.

A le regarder -ce petit garçon à la rose -on se trompait souvent , on pensait qu'il ne voyait pas, qu'il ne rêvait pas. On s'étonnait de son rire et des ses mouvements de bras qu'il faisait parfois en ivresse, comme un moulin à vent -sans savoir que c'était pour mieux sentir les vents d'été.

On s'étonnait de cette rose qui restait à le contempler, comme lui l'admirait.

A poser le regard sur la tête aux boucles blondes, à se perdre dans les yeux aussi clairs qu'un des plus beaux ciels de l'été, le temps semblait s'être arrêté.

Quand vient la fin de l'automne et que la nature s'endormit, un grand rire raisonna. L'enfant, comme chaque jour de l'été -avait  couru du jardin de l'ouie où les oiseaux s'étaient tu  jusqu'au jardin des odeurs où vivait sa fleur : il ne semblait rester personne -ni des oiseaux, ni des fleurs.

Pourtant, au bout de l'allée du jardin où il avait couru, il s'arrêta émerveillé devant la rose qu'il avait plantée  : la rose vivait, éclatante sous les nuages amoncelés d'un automne frileux. Elle offrait à son regard la roseur  de ses pétales, la douceur des parfums d'étés : l'amour qu'il lui avait donné.

L'enfant émerveillé et muet posa son visage sur les pétales de sa belle amie de l'été.

Ce fut la première fois je crois qu'une rose pleura à l'automne des perles de rosée, parce qu'elle se sentait aimée d'un petit garçon à la rose.

R.C.D

bunni


Les pattes palmées du lion

Dans la savane africaine vivait un lion qui n'était jamais content. Il se plaignait sans cesse, et les animaux l'entendaient râler durant toute la journée, sans jamais s'arrêter.
Le lion n'était pas méchant, mais c'était un éternel insatisfait. "Le soleil est trop chaud !" l'entendait-on dire. "L'herbe est trop haute !", "Les singes sont trop bruyants !", "L'eau de la marre a mauvais goût !". Et comme cela pendant des heures et des heures.
Il lui arrivait même de se réveiller la nuit pour se plaindre d'un rêve qu'il venait de faire, ou de n'importe quelle autre chose pour laquelle il trouvait immédiatement un prétexte pour râler.
Cependant, même s'il grognait beaucoup, il avait pour habitude de très vite oublier les choses qui ne lui plaisaient pas. C'est pourquoi les autres animaux ne s'inquiètaient pas plus que cela de la mauvaise humeur du lion.
Un beau jour, alors que la chaleur était difficilement supportable, le lion était allongé sur un rocher non loin de la marre, observant les animaux en train de boire et se plaignant comme à son habitude.
C'est alors qu'arriva un éléphant. Il s'approcha lentement de la marre et rentra dans l'eau, éclaboussant tout le monde autour de lui. "Tsss, ce gros lourdeau éclabousse tout le monde !" pesta le lion. Mais il continua à regarder la scène.
L'éléphant fut bientôt rejoint dans la marre par un hippopotame, puis un phacochère, puis un petit singe. Et tous était bien heureux de venir se rafraîchir un moment et beaucoup d'autres animaux entrèrent dans l'eau à leur tour. Les zèbres et les alligators jouaient même ensemble dans l'eau.
Le lion en aurait bien fait de même mais il avait un secret, il avait très peur de l'eau ! Alors il resta à regarder les animaux dans la marre pendant que lui suait à grosses gouttes sur son rocher.
"Je suis le roi des animaux, et je ne sais même pas nager, quelle honte !" se dit-il. Et il était très triste. Alors il eut une idée.

À la nuit tombée, le lion alla voir le pélican. Le pélican fut très surpris de recevoir le lion à une heure si tardive mais l'invita à entrer. C'était le roi après tout.
- Hum, les journées sont chaudes en ce moment, commença le lion, et peut-être pourrais-tu me rendre un petit service.
- Mais bien sûr, répondit le pélican, que faut-il que je fasse ?
- Voilà, expliqua le lion, j'ai un petit problème, il ne faudra pas que tu le répètes aux autres animaux. Je n'ai jamais appris à nager, j'ai bien essayé une ou deux fois, mais avec mes grosses pattes je coule comme une pierre.
J'ai un marché à te proposer, si tu me prêtes tes pattes le temps de la saison chaude je te prêterai les miennes. Comme ça, avec tes pattes palmées, je pourrai aller me baigner et nager sans problème et toi avec mes pattes munies de griffes, tu pourras te défendre contre les prédateurs.
Le pélican accepta le marché, et le lion rentra chez lui, impatient d'essayer ses nouvelles pattes une fois le soleil levé.
Le lendemain, le lion marcha lentement jusqu'à la marre. Ce n'est pas vraiment facile pour un lion de marcher avec des pattes de pélican ! Il arriva tout essouflé à la marre, il faisait encore plus chaud que le jour précédent.
Et pour la première fois, il put entrer dans l'eau et nager avec une facilité qui étonna tous les autres animaux. Il passa la journée à nager, et y resta aussi la nuit, puis le jour suivant.
Mais il commençait à avoir faim, il fallait qu'il parte chasser. Mais hélas, des pattes de pélican, ce n'est pas très pratique pour chasser le zèbre ou la gazelle ! Il trébuchait sans cesse, se prenait les pattes dans les branches mortes, et ses pieds palmés faisaient "Flotch ! Flotch !" sur le sol sec et dur de la savane. Ce n'était vraiment pas discret pour chasser.
Très vite, il eut des ampoules aux pattes, sans compter qu'il s'était tordu le petit orteil plusieurs fois. En plus, il avait pris des coups de soleil sur les mollets .

Alors, il recommença à se plaindre, tout en se disant quand même que ça irait mieux demain. Mais le lendemain, ce fut pareil. Et le jour d'après aussi. Et chaque soir, il revenait de la chasse épuisé et le ventre vide.

Au bout de 5 jours, il retourna chez le pélican.

Comme le premier soir, le pélican le fit entrer. Il avait toujours les pattes du lion mais ses plumes étaient terriblement sales, gluantes et toutes collées et il avait des griffures plein la tête.

- Mais que s'est-il passé ?? demanda le lion.

- Oh, répondit le pélican, je ne sais pas me servir de tes pattes, je ne peux même plus entrer dans l'eau pour me laver car je n'arrive pas du tout à nager avec ! En plus, à chaque fois que je veux me gratter, j'oublie que j'ai des griffes acérées au bout des doigts et je me blesse !

Le lion raconta alors à son tour au pélican qu'il n'arrivait pas non plus à se servir de ses pattes palmées, et qu'il n'avait pas mangé depuis des jours.

Alors, il décidèrent chacun de reprendre leurs pattes d'origine. Et le pélican put à nouveau aller dans l'eau, et le lion recommença à chasser comme avant.

Une chose avait changé cependant. On n'entendit plus jamais le lion se plaindre. Il avait compris qu'on ne peut pas être bon en tout. Lui ne savait pas nager, mais il était l'animal le plus silencieux et le plus respecté de la savane et il n'aurait changé cela pour rien au monde.

bunni

#695

Le chat qui voulait aller au ciel

Il était une fois un peintre japonais très, très pauvre... Le plus pauvre parmi les démunis dont les ressources n'allaient qu'en s'amenuisant et qui perdait peu à peu courage malgré toute la sagesse que sa foi lui conférait.

Un jour, il dit à sa vieille tante qui logeait avec lui n'ayant guère les moyens de se subvenir plus que lui :
"Ma tante, prenez cette dernière pièce d'argent que nous avons, et allez nous acheter encore le peu de nourriture qu'elle nous vaudra, nous n'en avons presque plus... Et, après, cela eh bien... nous nous coucherons et le destin décidera de ce qu'il adviendra..."

Et la vieille s'incline et s'exécute. Elle s'en revient un peu plus tard, mais au lieu d'avoir rempli son cabas de riz et d'autres nourritures, elle porte dans son kimono un tout petit chat.

Le peintre s'étonne, consterné et la vieille gênée lui explique que sortie pour leur offrir un dernier repas, elle n'a pu faire quelques pas avant d'arriver à une petite échoppe qui exposait le chaton.
" O mon neveu, je sais que je n'ai pas suivi vos ordres, et je sais aussi que cela ne semble pas raisonnable, mais j'ai plutôt acheté ce petit chat car il y a, dans le premier regard que nous avons échangé la promesse d'un heureux avenir...".

Le peintre hoche la tête désespéré mais calme, il quitte la pièce, remplit une écuelle et la porte au chat. Ce dernier prend poliment possession des lieux mais, pendant une grosse semaine, il ne touche pas à la nourriture. Comme s'il avait compris qu'il n'en restait plus beaucoup dans cette maison et que chaque bouchée doit y être mesurée.
Le peintre, d'ailleurs, le remarque, s'étonne et se sent touché par l'attitude du chat. Mais il ne reste quand même presque plus rien à manger dans la pauvre demeure...

Le matin suivant, on frappe à la porte. C'est le prêtre du grand temple de la ville qui vient proposer au pauvre peintre de réaliser une fresque de la mort du Bouddha dans le plus grand temple de la ville... Le peintre croit rêver car le voilà lui et sa maisonnée sauvée de la misère et de la mort. Cette œuvre devait lui apporter plus que jamais, il n'avait rêvé avoir : la richesse bien sur mais de plus la gloire et le respect de tous.

Le peintre jette un œil au petit chat, puis à la vielle bonne, esquisse un sourire et... bien entendu, il accepte. Le petit chat, en faisant un petit miaou timide, commence enfin à lécher un peu de son écuelle...

Et le peintre se met au travail... or selon la légende, lorsque le Bouddha a été à l'article de la mort, toutes les créatures de la terre, humains et animaux, ont dépêché des représentants pour lui rendre un ultime hommage. Toutes, sauf les chats... trop paresseux, trop orgueilleux, trop indépendants, ceux-ci ne se mêlèrent pas à l'hommage et auraient été maudits par le dogme de la légende bouddhiste et exclus du paradis à tout jamais. Alors le peintre commence sa fresque ... Il dessine le Bouddha, allongé sur le flanc, couché sur un lit de pétales de roses ... Tous les animaux et toutes les créatures en hommage prêt de lui ... et les mois courent sur un titanesque travail de précision et de respect des textes. Le petit chat, toujours à ses côtés, sans faire de bruit ni bouger d'une vibrisse, le regarde, intensément ...

Puis, le peintre se met à peindre l'éléphant qui, toujours selon la légende, est le premier à être venu rendre au Bouddha son dernier hommage. Et le petit chat est toujours là, comme absorbé par le travail du peintre...

Puis, c'est le tigre, puis le rat musclé, puis le serpent à lunettes, la gélinotte huppée, l'ibis de Nubie, le harfang des neiges, la tortue des Galapagos, le chameau à deux bosses de Bactriane, l'agouti mundi, l'escargot géant du Centre-Sud, le marabout ... Et le petit chat est toujours là, intensément là, sans bouger, mais tout vibrant de ce qui doit arriver malgré tout ...

Et le peintre poursuit sa toile en dessinant le cheval, la girafe, le hérisson, le chat sauvage hottentot, le rat géant de Sumatra, l'ornithorynque nain, le toucan commun, la gazelle de Kruger, le lépidoptère de Nouvelle-Guinée...

La complicité entre l'artiste et le félin est à son comble et pourtant quelque chose y manque ... Le peintre se met à lui parler un peu, puis plus, puis enfin tout le temps.

Un jour, n'y tenant plus, ayant il s'adresse au petit chat :
"Écoute... tu sais que... je ne peux pas te peindre dans la fresque parce que..."
Et le petit chat baisse les oreilles, lance un " hwmrmw " un peu triste, et va se rouler en boule au fond de la pièce, brisant le cœur du peintre attaché plus qu'il ne l'aurait du à l'animal qui s'est confié à lui avec toute la candeur d'un enfant.

Le dilemme est terrible pour notre peintre, il hésite, doute, conscient de lutter contre une hérésie qui lui coûterait tant mais donnerait au compagnon de son âme le seul bonheur qu'il n'ait jamais réclamé. Mais finalement, priant que nul ne l'aperçoive, il dessine en toute fin de sa fresque, à l'ultime angle de toile, si petit qu'on oublierait aisément de le remarquer, un petit chat tout à fait conforme à celui que la folie d'un jour de désespoir lui a offert.

Le lendemain matin, en voyant ça, le petit chat est transporté d'un tel bonheur qu'il meurt de joie. Désemparé et éprouvant pourtant une énorme satisfaction, le peintre présente enfin la fresque qui est exposée dans le grand temple.

La première réaction voit l'ensemble de la communauté exprimé le plus pur ravissement et le respect le plus profond pour l'œuvre magnifique réalisée par le peintre mais un curé un peu plus attentif que les autres remarque la minuscule forme tout à l'extrémité du tableau et s'indigne de l'hérétique présence d'un chat :
"Profanation! Sacrilège! Péché mortel !"

Le peintre s'attrista d'être même trop pauvre pour avoir un sabre pour convenablement mettre fin à sa vie. La vieille tante se mis à douter d'avoir vraiment eu une si bonne idée et l'écuelle du petit chat restait inutilement posée à terre.

Puis la nuit vint et le lendemain, le petit prêtre qui allait ouvrir les stores du grand temple, se frotta les yeux quand il jeta un œil sur la fresque promise au bûcher et en resta bouche bée. Enfin il se précipita pour réveiller le grand-prêtre, lequel accourut pour voir l'œuvre qu'il avait violemment condamné la veille.

Et là, le grand-prêtre n'en cru pas ses yeux. Sur la toile, en effet, il y avait toujours le Bouddha étendu sur le flanc, prêt à partir en aller simple pour le nirvana, les traits rayonnant d'une béatitude profonde... à son chevet l'hommage ultime de toutes les créatures de la terre, sauf qu'à l'ultime extrémité, il n'y avait plus de petit chat.

Quelqu'un, se dit le grand-prêtre en lui-même, les dieux eux-mêmes peut-être, a du vouloir réparer le blasphème pendant la nuit, et a coupé la bordure de la fresque. Pourtant rien n'avait été enlevé, sinon cette silhouette qui avait disparue et le prêtre regardait la toile comme troublé par un détail qu'il ne pouvait plus voir. On aurait dit qu'il y avait quelque chose de changé dans la représentation même du Bouddha, dans son sourire... Oh, pas grand chose, en fait, presque rien... Excepté que ses mains n'étaient plus jointes, mais un peu entrouvertes, et, entre elles, ronronnait un tout petit chat.

bunni


La petite couturière

Près de la source d'une petite rivière habite dans une jolie maisonnette une petite couturière.  Sous la magie de ses dix doigts, coupons de tissus, rubans et fils de soie deviennent tutus, jupons et pantalons.  « Turlututu, voilà qui est cousu ! » a-t-elle coutume de dire dans un éclat de rire, avant de reprendre mesure.

Depuis la mort de sa maman, la petite couturière habite chez Babouchka, sa grand-mère.  Coussins cerise, tentures coquelicot et couvertures rouges groseille, tout chez elles, est cousu, brodé et tricoté.  Pas un carré de tissus qui échappe à l'aiguille frénétique de la petite ! Du sol au plafond, s'empilent pelotes, bobines, épingles et boîtes à boutons.

Derrière les rideaux qui chatoient, la campagne s'est revêtue de blanc.  L'hiver est rude cette année.  Sous la chaleur du feu de bois qui crépite dans la cheminée, babouchka et la petite couturière se pelotonnent sous les édredons, et babouchka raconte...  Elle conte des histoires horrifiques et magiques.  A moitié endormie, la petite couturière oublie un instant la dureté des temps : en pensée, elle affronte dragons, ogres et sorcières et rêve qu'elle aussi épousera un prince...

Hélas ! Trois fois hélas !  Lorsqu'on est couturière de mère en fille, on n'échappe pas à son destin !  Par ces temps de froidure, il y a bien peu de travail.  Pour occuper ses mains, la petite couturière brode un châle écarlate, qu'elle orne de roses rouges, fines et délicates.

Mais bientôt, l'argent vient à manquer.  « Je vais chercher du travail en ville, Babouchka », soupire la petite couturière.
« Va te présenter chez Mademoiselle Bagatelle. Ta mère y a travaillé autrefois ». Et Babouchka sort de sous son matelas une petite poupée. C'est une poupée de chiffons, cousue sans doute par une lointaine ancêtre. « Prends cette poupée, mon enfant ! C'est ma mère qui me l'a donnée.». Puis Babouchka, d'une voix enrouée, abrège les adieux. « File, à présent ! ».

Et la petite couturière, sa poupée en poche, emmitouflée de son châle finement brodé, arrive dans la grande ville. La ville est grise et cendreuse, les gens semblent si tristes. Mais en pénétrant dans l'atelier de Mlle Bagatelle, elle n'en croit pas ses yeux. Jamais elle n'a vu tant de splendeurs ! Les brocarts, les soieries, les velours s'étagent dans un chatoiement de couleurs mordorées.

L'œil de lynx de Mlle Bagatelle se fixe sur la petite couturière – « Qui a brodé ce châle ? », demande-t-elle. « C'est moi, Mademoiselle » « Vous êtes engagée, fillette ! Mais ne me décevez pas ! »

Hélas ! La vie dans l'atelier de Mlle Bagatelle est épuisante. Car cette virtuose de la couture a un caractère exécrable ! Plus méchante qu'une guêpe à la fin août !
Dans le cliquetis des machines à coudre, le regard de notre petite couturière par moment s'égare et caresse les nuages. Elle pense à Babouchka, rêve de feu de bois et d'édredon moelleux. « A l'ouvrage, fainéante ! » retentit la voix de crécelle de Mlle Bagatelle. Notre petite couturière pousse un léger soupir, enfile le chas de l'aiguille et reprend son ouvrage.

Quand vient la nuit, quand, enfin, son ouvrage est fini, elle s'effondre, épuisée, à bout de forces, dans sa chambrette. Sa seule amie est la petite poupée, à qui elle raconte ses petits secrets, ses chagrins et ses espoirs.
Dans son immense palais doré, le tsar se désespère. Il a un fils. Un fils unique. La prunelle de ses yeux. Mais nul, jamais, ne l'a vu sourire. Une idée lui vient, un soir de mélancolie : il donnera un bal ! Il invitera les plus jolies jeunes filles : à celle qui déridera le prince bougon, il promet le royaume. En ville, c'est l'effervescence ! Les créations de Mlle Bagatelle sont les plus prisées des élégantes et des coquettes, et toutes veulent une robe à froufrous et un nœud sur le pète ! Les petites mains de l'atelier se mettent à l'ouvrage.

La petite couturière s'épuise à la tâche, jusqu'à verser des pleurs d'épuisement. Bientôt, l'ardeur de la petite couturière est récompensée : nœuds sur le pète et culottes en dentelles n'ont plus de secrets pour elle ! Mlle Bagatelle, exceptionnellement satisfaite, lui offre une invitation au bal. Les autres apprenties, jalouses, se moquent d'elles : « Tu seras ridicule, petite souillon parmi les élégantes ! ». « Veux-tu séduire le prince avec ces haillons ? ».
« Que vais-je faire, petite poupée ? » murmure-t-elle, désespérée, à sa poupée de chiffons. Le regard de la petite poupée se dirige vers les coupons de soieries et de taffetas, les bouts de dentelles et de rubans, qui s'empilent dans un fouillis indescriptible au fond de l'atelier. « Oui, oui, c'est une bonne idée !» La petite couturière rassemble, puis elle trie ceux avec lesquels elle pourra se coudre une jupe. Mais elle est épuisée, ses doigts sont gourds et ses yeux brûlants. « Je n'en puis plus ! », et elle s'endort d'un sommeil bien mérité, le nez dans les épingles. En sursaut, elle se réveille, affolée, et, à sa grande surprise, le jupon est cousu. Les yeux de la poupée semblent briller de satisfaction !
Oh, bien sûr, c'est un jupon de bric et de broc, mais jamais la petite couturière n'a porté de si jolies étoffes !

Sa petite poupée en poche, elle pénètre émerveillée dans le palais doré du tsar.
La fête est somptueuse, un feu d'artifice illumine le ciel, un orchestre emplit la nuit de notes endiablées. La petite couturière vit un rêve éveillé devant toutes les dames élégamment parées, à qui elle voudrait tant ressembler. Le bal commence, la nuit est féérique. Le prince danse avec les plus belles. La petite couturière, délaissée, se sent devenir transparente.
Elle cherche un peu de fraîcheur dans le jardin. A l'ombre d'une charmille, un montreur d'ours côtoie un théâtre de marionnettes. Notre petite couturière s'y attarde un instant, se laisse prendre par la magie des histoires et ne voit plus le temps passer.
« Et, maintenant, Mesdames et Messieurs, vous n'allez pas en croire vos yeux ! ». C'est un petit magicien. Ses yeux sont malicieux, deux fossettes rieuses rident ses joues rondes. « Devinez ce qui se cache dans mon chapeau ? » « Mais c'est ma poupée ! » s'exclame la jeune fille, « Venez donc la chercher ! » et le petit magicien, malicieux, lui vole ... un baiser. Un baiser ... sur le nez ! Devant tant de facéties, le rire cristallin de la petite couturière résonne dans la nuit.

Le prince, en entendant ce rire qui tinte dans la nuit comme un petit grelot, lève son doigt et arrête les musiciens. Il cherche d'où vient ce son charmant qui a ravi ses oreilles, et son regard s'arrête sur la petite couturière, rouge de confusion. Il l'invite à danser et en tombe éperdument amoureux.
« Voulez-vous m'épouser ? »
La petite couturière, éblouie, s'empresse d'accepter.
Tapi dans l'ombre, le petit magicien ne la quitte pas des yeux.
Après le bal, une nuée de servantes entourent l'heureuse élue, l'emmènent au château, la coiffent, la parfument, la parent des plus beaux vêtements.
La tsarine arrive, chausse ses lorgnons, soupire devant le choix incompréhensible de son fils, s'empare d'un air dégoûté du jupon de bric et de broc.
« Qu'est-ce que cette horreur ? » s'exclame-t-elle, dégoûtée, en découvrant la poupée, qu'elle jette par la fenêtre. La petite couturière n'ose rien dire. Le lendemain matin, quand le palais dort encore, elle descend dans le jardin mais elle a beau chercher partout, la petite poupée a disparu.

Elle en est inconsolable...
Commence pour la petite couturière une vie d'un ennui mortel. La reine la déteste ! La petite couturière essaie de lui plaire. Mais tétanisée par son regard sévère, elle multiplie les maladresses. Elle renverse sa bisque de homards sur son corsage de satin. S'emberlificote et fait la révérence aux servantes. Chancelle dans ses souliers vernis et s'affale sur les parquets luisants. Elle appelle les ambassadeurs « Madame la duchesse », et les archiduchesses « Monsieur l'ambassadeur ». La tsarine, perfide, susurre à ses dames de compagnie : « quelle désastre ! Jamais nous n'en ferons une « princesse-à-marier » digne de ce nom ! ». Le prince est décidément un bien triste sire, toujours grognon. « C'est ainsi que sont tous les maris ! » affirme la tsarine.

Souvent, notre petite couturière pense avec nostalgie à sa petite poupée, à sa vie chez Babouchka, aux tissus, aux fils de soies et aux rubans qu'elle aimait tant tisser et broder.

Le grand jour est arrivé : c'est le matin des noces ! Les cloches volent à toute volée dans l'air froid du matin. La petite couturière caresse de la main les dentelles qui ornent sa robe de mariée. Sa décision est prise ! Elle enfile son jupon de bric et de broc, s'échappe du palais et court chez sa grand-mère.
- « Aide-moi, Babouchka, je ne veux plus l'épouser ! »
- « Malheureuse enfant ! Tu ne peux y échapper ! »
- « Fuyons, Babouchka ! »
Et la grand-mère s'adoucit devant la détresse de la petite. Camouflées sous leurs châles brodés, elles s'enfoncent dans la campagne blanche. La neige s'enfonce sous leurs pas.
Le soir, pour ne pas sentir le froid, Babouchka lui raconte une histoire. Ravie, la petite couturière s'endort dans ses bras...
« J'ai fait un rêve étrange », murmure-t-elle à son réveil. « Ma petite poupée réapparaissait comme par magie ... magie ... Le petit magicien ! Babouchka, je sais où est ma poupée ! »

Babouchka et la petite couturière ont marché longtemps, dans les étendues infinies de la steppe. Un jour, au détour du chemin, elles ont entendu ... « Et, maintenant, Mesdames et Messieurs, vous n'allez pas en croire vos yeux ! Devinez ce qui se cache dans mon chapeau ? »
« As-tu emporté ma petite poupée, magicien ? » « Oui, et je te l'échange contre un baiser ! ». La petite couturière a donné un baiser au petit magicien. Mais un baiser ... sur la bouche !

Si vous vous promenez un jour dans les étendues infinies de la steppe, vous reconnaîtrez sans peine la roulotte de Babouchka et de la petite couturière. Coussins cerise, tentures coquelicot et couvertures rouges groseille, tout y est cousu, brodé et tricoté. Du sol au plafond, s'empilent pelotes, bobines, épingles et boîtes à boutons. C'est que la petite couturière ne manque pas d'ouvrage : elle fabrique désormais les marionnettes du théâtre, dont Babouchka invente les histoires.
L'on raconte que le prince, dans son palais doré, ne se console pas d'avoir perdu celle qui l'avait charmé de sa si jolie voix. Mais cela, c'est une autre histoire et peut-être, un jour, vous la raconterai-je ...

bunni

#697

Vassilisa La Belle


II était une fois un marchand qui avait une fille unique, Vassilisa la Belle. Sa femme mourut alors que la petite allait sur ses huit ans. Sentant approcher sa fin, la mère l'appela, prit une petite poupée cachée sous ses draps et dit à Vassilisa :
- Écoute mes dernières paroles, obéis à mes dernières volontés. Je te donne cette poupée avec ma bénédiction maternelle. Garde-la, ne la montre à personne. Si tu es dans la peine, si quelque mal t'advient, offre à manger à ta poupée et demande-lui conseil. Elle t'aidera dans le malheur.
La femme du marchand embrassa sa fille et mourut. Le veuf se désola comme il convient, puis songea à se remarier. Il choisit une femme plus très jeune, veuve comme lui, avec deux filles de l'âge de la sienne: une bonne ménagère, s'est-il dit, et mère de famille avisée. Il l'épousa donc. Mais la femme et ses filles étaient jalouses de Vassilisa. Elles la tourmentaient, de besogne l'accablaient, pour que le vent et le soleil la fassent noircir, que le travail la fasse dépérir. Mais Vassilisa supportait tout sans se plaindre et devenait chaque jour plus belle, chaque jour plus blanche et rosé, alors que la marâtre et ses filles qui ne bougeaient pas, ne faisaient rien de leurs dix doigts, maigrissaient de dépit, jaunissaient d'envie.
   Ce qu'elles ne savaient pas, c'est que sa poupée aidait Vassilisa. Le soir, quand tout le monde s'endormait, la jeune fille s'enfermait dans son appentis, servait à manger à sa poupée et lui racontait ses malheurs : - Petite poupée, mange à ta faim, écoute mes peines-chagrins! Triste est la maison de mon père, la méchante marâtre veut ma perte.

La poupée mangeait, puis elle consolait Vassilisa, la conseillait et, au matin, faisait tout le travail à sa place. Vassilisa se repose à la fraîcheur, cueille des fleurs et, pendant ce temps, l'eau est puisée, les choux arrosés, le potager sarclé, le feu allumé. Et la jeune fille choyait sa poupée, lui gardait les meilleurs morceaux. Plus Vassilisa grandissait, plus elle embellissait et plus sa marâtre la haïssait. Un jour le marchand dut partir en voyage pour longtemps. La marâtre s'en alla habiter une maison à l'orée de la forêt. Dans cette forêt vivait Baba-Yaga, la vieille sorcière. Elle ne laissait personne approcher de son domaine et croquait les gens comme des poulets. Pour se débarasser de Vassilisa, sa marâtre l'envoyait tout le temps dans la forêt - chercher ceci, apporter cela. Mais la jeune fille revenait saine et sauve, sa poupée la guidait, l'éloignait de la maison de Baba-Yaga.
   L'automne vint.. Dehors, il faisait sombre, il pleuvait, le vent hurlait, c'était déjà la fin de l'automne. Durant les longues soirées les filles travaillaient : l'une à faire de la dentelle, l'autre à tricoter des bas et Vassilisa à filer le lin. La marâtre leur donna la tâche pour la nuit et se coucha, ne laissant qu'une chandelle allumée pour les travailleuses. L'une de ses filles fit mine de moucher la chandelle et l'éteignit, comme sans faire exprès. Et de s'exclamer :
- Quel malheur ! L'ouvrage n'est pas terminé et il n'y a pas un tison dans la maison. Il faut aller demander du feu à Baba-Yaga ! Qui va y aller ?
- Pas moi, dit la dentellière. Avec mes épingles, j'y vois clair !
- Ni moi, dit la tricoteuse. Mes aiguilles brillent, j'y vois bien. Et toutes les deux s'en prirent à Vassilisa : - C'est à toi d'aller chercher du feu chez Baba-Yaga !
Et elles la poussèrent hors de la pièce. Vassilisa courut à son appentis, servit le souper à la poupée, lui dit en pleurant :
- Petite poupée, mange à ta faim, écoute ma peine-chagrin ! On me dit d'aller chez Baba-Yaga. Elle va me dévorer !
- Ne crains rien, lui répondit la poupée. Prends-moi avec toi et va tranquillement où l'on t'envoie. Tant que je suis là, nul mal ne peut t'arriver.
   Vassilisa mit sa poupée dans sa poche et s'en alla dans la forêt obscure, sur des sentes inconnues, sur des chemins perdus. La forêt était épaisse, aucune étoile ne brillait dans les cieux, la lune était cachée. Vassilisa cheminait depuis quelque temps quand un cavalier la dépassa: tout blanc, de blanc vêtu et monté sur un cheval blanc, harnaché de blanc. Aussitôt le ciel devint plus clair. Elle poursuivit son chemin et vit un autre cavalier : tout rouge, vêtu de rouge et monté sur un cheval rouge de rouge harnaché. Et le soleil se leva. Ce n'est qu'au soir tombant que Vassilisa atteignit la clairière où vivait Baba-Yaga. Sa maison d'ossements était faite, des crânes avec des yeux ornaient le faîte, pour montants de portail des tibias humains, pour loquets-ferrures des bras avec des mains, et en guise de cadenas verrouillant la porte, une bouche avec des dents prêtes à mordre.
   La pauvre jeune fille tremblait comme une feuille en voyant ça, quand un cavalier arriva : tout noir, de noir vêtu et monté sur un cheval noir au noir harnais. Aussitôt la nuit tomba et s'allumèrent les yeux des crânes, si bien qu'on y voyait comme en plein jour. Vassilisa aurait bien voulu se sauver, mais la peur la clouait sur place. Tout à coup il se fit grand bruit dans la forêt. Les branches craquaient, les feuilles crissaient. Et déboucha dans la clairière Baba-Yaga, vieille sorcière. Dans un mortier elle voyage, du pilon l'encourage, du balai efface sa trace. Le mortier s'arrêta devant le portail, Baba-Yaga huma l'air et s'écria :
- Ça sent la chair humaine par ici ! Montre-toi, qui que tu sois ! Toute tremblante, Vassilisa s'approcha en saluant bas :
- C'est moi, grand-mère. Les filles de ma marâtre m'ont envoyée chez toi, te demander du feu.
- Oh, je les connais, dit Baba-Yaga. C'est bon, tu vas rester ici et me servir. Si le travail est bien fait, je te donnerai du feu, autrement, je te mangerai !

Baba-Yaga se tourna vers le portail et cria :
- Déverrouillez-vous, cadenas résistants ! Large portail, ouvre-toi à deux battants ! Le portail s'ouvrit et Baba-Yaga roula dans la cour en sifflotant. Vassilisa la suivit. Et le portail se referma. Une fois dans la maison, Baba-Yaga s'affala sur un banc et ordonna à Vassilisa :
- Que tout ce qui est au four et dans le garde-manger devant moi vienne se ranger ! Et dépêche-toi, j'ai faim !
Vassilisa se mit à la servir. Pâtés et rôtis, salmis et confits, tartes et tourtes, jambons et soupes. Elle tira du cellier piquette et eau-de-vie, bières et vins à l'envies - de quoi boire-manger pour dix ! Baba-Yaga nettoya tous les plats, vida brocs et bouteilles jusqu'à la dernière goutte. Elle ne laissa pour Vassilisa qu'un quignon de pain, un peu de soupe et un bout de cochon rôti. Puis elle dit :
- Demain, après mon départ, tu balayeras la cour, nettoieras la maison, prépareras le dîner, rangeras le linge. Après ça, tu prendras dans la huche un boisseau de blé que tu vas trier grain par grain. Et tâche que tout soit bien fait, sinon je te mange ! Elle se coucha et se mit à ronfler. Vassilisa servit à sa poupée les restes du souper de Baba-Yaga et lui dit en pleurant :
- Petite poupée, mange à ta faim, écoute ma peine-chagrin ! Si je ne fais pas tout ce travail, Baba-Yaga va me manger !
- Ne crains rien, lui répondit la poupée. Va dormir tranquille, le soir voit tout en noir, mais le matin est plus malin !
   Vassilisa se leva avant l'aube, mais Baba-Yaga était déjà debout. Bientôt les yeux des crânes s'éteignirent. Passa le cavalier blanc et le jour se leva. Baba-Yaga sortit dans la cour et siffla, aussitôt le mortier vint se ranger devant elle, avec le pilon et le balai. Le cavalier rouge passa et le soleil apparut. Baba-Yaga monta dans son équipage et fila bon train. Dans un mortier voyage, du pilon l'encourage, du balai efface sa trace!... Restée seule, Vassilisa fit le tour de la maison en se demandant par quel bout commencer l'ouvrage, quand elle vit que tout était déjà fait, la poupée triait les derniers grains de blé. Vassilisa l'embrassa :
- Comment te remercier, ma poupée chérie ! Tu m'a sauvé la vie. La poupée grimpa dans sa poche en disant: - Tu n'as plus que le dîner à préparer. Puis repose-toi.
   Au soir tombant, Vassilisa mit la table. Bientôt le cavalier noir passa et la nuit tor Les yeux des crânes s'étaient allumés, on entendit les branches craquer, les feuilles cri: c'est Baba-Yaga qui arrivait. Vassilisa sortit à sa rencontre.
- Le travail est-il fait, l'ouvrage bien terminé ? demanda Baba-Yaga. Vois par toi-même, grand-mère, répondit la jeune fille. Baba-Yaga inspecta tout, regarda partout sans trouver rien à redire. Elle grogi « Bon, ça peut aller...» puis appela :
- Fidèles serviteurs, mes amis de cœur, venez moudre mon blé !
Alors trois paires de bras ont apparu, ont emporté le grain hors de la vue. Baba-Y dîna et se coucha en disant :
- Demain, en plus de tout ce que tu as fait aujourd'hui, tu vas trier un boisseau graines de pavot. De la terre s'y est mêlée, tâche qu'il n'en reste pas trace, sinon je mange ! Elle se mit vite à ronfler. Vassilisa servit sa poupée qui mangea et lui dit comme la veille : - Va dormir tranquillement, tout sera fait. Le matin est le plus malin !
   Le lendemain, l'ouvrage fait en un tournemain, Vassilisa se reposa tranquillement. A son retour, Baba-Yaga inspecta tout, regarda dans tous les recoins, ne trouva rien redire. Elle appela :
- Fidèles serviteurs, mes amis de cœur, venez presser l'huile de mes graines de pavot ! Trois paires de bras ont apparu, ont emporté les graines hors de la vue. Baba-Yaga s'attabla pour dîner. Vassilisa la servait en silence et la sorcière grommela :
- Pourquoi ne dis-tu rien ? Tu es là, comme une muette !
- C'est que je n'osais pas, grand-mère ! Mais si tu le permets, je voudrais bien demander quelque chose.
- Demande ! Mais toute question n'est pas bonne à poser. D'en savoir trop long, on vieillit trop vite !
Je voudrais que tu m'expliques ce que j'ai vu, grand-mère. En venant chez toi un cavalier blanc m'a croisée. Qui est-il ?
- C'est mon jour clair, répondit Baba-Yaga.
- Après ça j'ai vu un cavalier tout rouge, qui est-ce ?
- C'est mon soleil ardent.
- Et puis j'ai vu un cavalier tout noir, qui est-ce ?
- C'est ma sombre nuit, répondit Baba-Yaga. Tous trois sont mes serviteur fidèles ! Tu veux savoir autre chose ?
Vassilisa pensait aux trois paires de bras, mais n'en souffla mot. Baba-Yaga lui dit - Eh bien, tu ne me poses plus de questions ?
- J'en sais bien suffisamment pour moi, grand-mère ! Tu l'as dit toi-même - à trop savoir, on vieillit vite.
- C'est bien, - approuva Baba-Yaga. - Tu interroges sur ce que tu as vu dehors, pas sur ce qui se passe dedans. J'entends laver mon linge en famille, et les trop curieux, je les mange ! Et maintenant c'est mon tour de te poser une question: comment arrives-tu à faire tout le travail que je te donne ?
- La bénédiction maternelle me vient en aide, grand-mère.
- C'est donc ça ? Eh bien, fille bénie, tu vas prendre la porte, et tout de suite encore ! Je n'en veux pas, de bénis, chez moi !
Baba-Yaga poussa la jeune fille dehors, mais avant de refermer le portail, elle prit un crâne aux yeux ardents, le mit au bout d'un bâton qu'elle fourra dans la main de Vassilisa : Voilà du feu pour les filles de ta marâtre ! Après tout, c'est pour ça qu'elles t'avaient envoyée chez moi.
   Vassilisa partit en courant dans la forêt. Les yeux du crâne éclairaient son chemin et ne s'éteignirent qu'à l'aube. Elle chemina toute la journée et, vers le soir, comme elle approchait de sa maison, elle se dit : « Depuis le temps, elles ont sûrement trouvé du feu...» et voulut jeter le crâne. Mais une voix en sortit :
- Ne me jette pas, porte-moi chez ta marâtre !
Vassilisa obéit. En arrivant, elle fut bien étonnée de ne pas voir de lumière dans la maison, plus étonnée encore de voir la marâtre et ses filles l'accueillir avec grande joie. Depuis son départ, lui dit-on, pas moyen d'avoir du feu dans la maison. Celui qu'on allume ne prend pas, celui qu'on amène de chez les voisins s'éteint.
- Le tien se gardera mieux, peut-être, dit la marâtre.
Vassilisa apporta le crâne dans la chambre. Aussitôt les yeux brûlants se sont fixés sur la marâtre et ses filles, les suivant partout, les consumant. En vain tentaient-elles de fuir ou de se cacher, les yeux les poursuivaient et avant l'aube il n'en resta que cendres. Seule Vassilisa n'avait aucun mal.
   Au matin, Vassilisa enterra le crâne, ferma la maison et s'en alla en ville où une vieille femme la recueillit en attendant le retour de son père. Un jour, Vassilisa dit à la vieille : - Je m'ennuie à ne rien faire. Achète-moi du beau lin, je vais le filer, le temps me durera moins. La vieille lui apporta du lin et Vassilisa se mit au travail. Entre ses doigts le fuseau danse-vire, le fil s'étire, plus fin qu'un cheveu, plus solide qu'acier. Elle eut vite fini de filer, voulut se mettre à tisser, mais aucun métier n'était assez fin pour son fil. C'est encore sa poupée qui l'aida, qui lui fabriqua un métier tel qu'on aurait pu tisser des toiles d'araignée avec ! Vassilisa se remit à l'ouvrage et à la fin de l'hiver la toile était tissée, si mince, si fine qu'on aurait pu la faire passer par le chas d'une aiguille ! Au printemps on fit blanchir la toile sur le pré, au chaud soleil, au vent frais. Et Vassilisa dit à la vieille femme : Va au marché, grand-mère. Vends cette toile et garde l'argent. Mais la vieille se récria :
- Tu n'y songes pas ! Une telle marchandise à la foire ne traîne, au marché ne se promène. Je vais la porter chez le tsar.
   Devant le palais elle s'installait, sous les fenêtres allait-venait, tant que le tsar s'étor de la croisée l'appela :
- Que fais-tu là, bonne vieille ? Que veux-tu ?
- Je t'apporte une denrée rare, comme Votre Majesté n'est pas près d'en voir ! beau, du précieux à n'en pas croire les yeux !
Le tsar fit entrer la vieille et s'émerveilla de la toile : - Combien en demandes-tu, bonne vieille ?
- Une toile pareille n'a pas de prix ! Nul ne peut l'acheter, le tsar seul peut la porter. Alors, si Votre Majesté y consent, je te l'offre en joli présent !
Le tsar remercia la vieille qui partit, chargée de cadeaux. Le tsar donna la toile à ses tailleurs pour qu'ils lui en fassent des chemises. Ces chemises, ils les coupèrent, mais pour ce qui est de les coudre - rien à faire ! Ni taille ni lingères n'osaient ouvrer une toile aussi fine. Le tsar, impatienté, envoya chercha vieille femme :
- Puisque tu as su tisser la toile, tu sauras coudre mes chemises !
- Cette toile ne sort pas de mes mains. Ma fille adoptive l'a filée-tissée, tout y est passé. C'est son travail, son bel ouvrage!
- Eh bien, elle n'a qu'à coudre mes chemises ! Quand la vieille lui rapporta l'affaire, Vassilisa sourit :
Je me doutais bien que c'était travail pour mes mains !
Et elle se mit à coudre. Dans ses doigts l'aiguille vole, un point à l'autre se colle, la douzaine de chemises est prête en un rien de temps. La vieille les emporta chez le tsar et Vassilisa qui avait son idée, se baigna, se peigna, richement s'habilla, devant la fenêtre s'installa. Peu après elle vit arriver un envoyé du tsar qui dit à la vieille :
- Où est cette habile ouvrière-couturière ? Sa Majesté le tsar de ses yeux veut la voir, de ses mains veut la récompenser.
Vassilisa se rendit au palais. Et quand elle entra, quand le tsar la regarda il en tomba amoureux sur le champ :
- Je ne te laisserai pas partir, ma douce beauté ! Sois ma femme !
Le tsar prit par la main Vassilisa la ravissante beauté, la fit asseoir à ses côtés et on célébra leurs noces sans plus tarder.
Bientôt le père de Vassilisa revint de voyage, il fut tout heureux du bonheur de sa fille et resta vivre près d'elle. La vieille femme demeura aussi avec eux. Et toute sa vie la tsarine Vassilisa porta sa poupée sur elle, dans sa poche.

bunni


Une histoire de fleurs

L'histoire que je vous raconte s'est passé dans un parc fleuri, vous savez, un de ces endroits que bien des gens aiment visiter pour admirer la beauté des fleurs.

Dans ce genre de parc, les visiteurs marchent dans les sentiers et, d'un côté comme de l'autre, voient toutes sortes de variétés de fleurs : des bégonias, des pétunias, des marguerites, des roses et bien d'autres encore.

Ce que les visiteurs ne savaient pas, cependant, c'est que le soir venu, lorsque tout le monde était parti, lorsqu'il n'y avait vraiment plus personne dans le parc, les fleurs se mettaient à communiquer entre elles. Eh oui !

De même, une gentille et merveilleuse fée venait les rencontrer chaque nuit pour vérifier si tout allait bien pour elles.
Le lendemain matin, lorsque les jardiniers arrivaient en premier, tout était redevenu calme, silencieux.

Or, une nuit, pendant sa visite, la bonne fée trouvait les fleurs plus agitées que d'habitude. C'était la première fois qu'elle ressentait du mécontentement parmi elles.

Les fleurs avaient remarqué, depuis plusieurs jours, que les touristes, lorsqu'ils se promenaient dans le parc, avaient l'habitude de s'attarder plus longuement dans l'allée des rosiers ; ils prenaient le temps d'admirer les superbes roses rouges qui s'épanouissaient là, et qui, oui, étaient particulièrement belles.

Les fleurs ont alors fait une demande bien surprenante à la bonne fée ; toutes, elles la supplièrent de les transformer en ces merveilleuses roses rouges que les touristes aimaient tant admirer.

La fée était capable de répondre à cette demande, mais avant, elle voulait s'assurer que c'était vraiment le désir de toutes les fleurs de ce parc, et que ce désir était profond. Or, c'était bel et bien le cas.

Alors, elle leur dit : « Cette nuit, après votre sommeil, votre désir sera exaucé. »

Le lendemain matin, lorsque les jardiniers arrivèrent en premier, ils sursautèrent et n'en revenaient pas : partout, partout dans ce parc, dans chacune des allées, il n'y avait que des roses rouges... De magnifiques roses rouges, bien sûr, mais il n'y avait que ça.

Lorsque les touristes ont commencé à arriver, eux aussi étaient très surpris de voir ces innombrables roses rouges partout dans le parc. Elles étaient belles, très belles même, mais il n'y avait que ça. Pendant qu'ils marchaient dans les allées, plusieurs de ces gens étaient un peu déçus, car ils s'attendaient à observer ici des variétés de fleurs. C'était, en tout cas, ce à quoi ils s'attendaient et c'était ce qui leur avait donné le goût de venir.

Leur visite fut de courte durée. Que voulez-vous ! Ce parc était beau, c'est sûr, mais d'une allée à l'autre, ils voyaient sans cesse et sans cesse la même sorte de fleurs : des roses rouges !

Les jours suivants, de moins en moins de gens visitaient ce parc pour y admirer les fleurs. Puis, plus tard encore, au fil des jours, quelques personnes seulement — toujours les mêmes — venaient marcher dans le parc, conversaient entre elles et ne portaient pas vraiment attention à leur entourage ; c'en était devenu triste !

Une nuit, les fleurs ont supplié la bonne fée – qu'ils n'avaient pas vue depuis longtemps – de revenir les voir, car elles avaient une autre demande à lui faire.

Gentille comme toujours, la fée a pris le temps de les écouter, et elle n'était pas surprise du tout de ce que les fleurs lui ont demandé cette nuit-là : elles voulaient toutes redevenir comme avant ; redevenir les mêmes fleurs qu'elles étaient auparavant.

En souriant, la fée leur dit ceci :

« Vous savez, quand j'ai décidé d'exaucer votre désir et de vous transformer toutes en roses rouges, je savais que les gens se désintéresseraient de vous assez rapidement. Je voulais quand même vous donner une grande leçon. Je savais ce que ça ferait, mais je voulais que vous le constatiez vous-mêmes. Or, maintenant, vous en vivez les résultats : les gens ne viennent plus vous voir et, s'ils viennent, ils ne restent pas longtemps et ne vous remarquent même plus, même si vous êtes très belles. Là où les fleurs, tout comme les gens, essaient trop de se copier les unes les autres, il n'y a plus de vie. Il n'y a que tristesse et ennui ! »

« Cette nuit, vous allez dormir à nouveau d'un profond sommeil et, demain matin, à votre réveil, vous serez redevenues vous-mêmes, petites ou grandes fleurs, avec vos couleurs et vos parfums d'avant. Cette fois, j'espère que vous serez fières d'être ce que vous êtes, et cesserez enfin d'envier les autres. »

« Soyez vous-mêmes et soyez fières de l'être ! Chacune de vous est belle à sa façon et c'est important que vous rayonniez toute la beauté dont vous êtes capables, cette beauté qui est personnelle à chacune d'entre vous. C'est d'ailleurs cette grande variété de beautés différentes qui donne tout son charme à un parc tel que le vôtre ! »

Cette nuit-là, toutes les fleurs ont dormi d'un sommeil tellement reposant. Le lendemain, elles étaient ravies d'être redevenues comme avant. Leur joie était si grande que, partout dans le parc, on pouvait sentir de délicieux parfums. Les jardiniers étaient soulagés, et même ravis de ce qu'ils y ont découvert ce matin-là.

La nouvelle s'est vite répandue. Les touristes sont venus à nouveau. Maintenant, ils s'attardaient plus longuement que d'habitude, parce qu'on se sentait si bien en cet endroit !

De jour en jour, toutes les fleurs s'embellissaient, chacune à leur façon. Les jardiniers recevaient des compliments pour la beauté qui – disons-le – rayonnait dans ce parc. Mais chaque jardinier répondait quelque chose comme : « Je ne sais pas ce qui se passe ici ! Nous prenons soin des parterres comme d'habitude ; malgré notre travail habituel et inchangé, c'est bien plus beau qu'avant ! C'est à n'y rien comprendre ! »

G.P.

bunni


Dame Nature


Pour certains elle était une divinité incorporelle. Pour d'autres elle était à la fois le soleil et la lune. Mais, même si Dame Nature possédait bien des formes, elle était sans équivoque une femme, une jeune femme d'une beauté exquise.
Elle était l'égale des néréides, nymphes et naïades mythiques, capables de prendre toute forme appartenant à la nature. Parfois son corps se formait d'eau, de feuilles vertes ou orangées rassemblée en un vent doux, de fleurs colorées ou encore du pollen de celles-ci. Elle marchait avec une légèreté duveteuse, courait en ne touchant jamais le sol, dansait avec la grâce de la brise ou volait à l'aide de celle-ci, allant jusqu'à toucher les nuages et décrocher la lune.
Elle allait de ci, de là au gré de ses envies. Mais elle restait essentiellement en un endroit, une forêt enchanteresse pareille à l'Éden des Hommes, plus belle même. Elle y vivait depuis toujours, dormant sur un lit de lilas, se baignant dans la rosée du matin et parant de coquelicots sa soyeuse chevelure. Et en cet endroit inondé d'une certaine magie ne vivaient qu'oiseaux, rongeurs, renards, cervidés et insectes en tout genre.
Jusqu'à ce qu'un jour un homme arrive. C'était la première fois qu'un être humain franchissait les portes de ce sanctuaire mystérieux. Dame Nature resta cachée derrière des bosquets, observant avec crainte l'inconnu qui venait de s'immiscer dans son antre. Le fusil qu'il portait dans son dos n'augurait rien de bon, aussi tous les animaux avaient fui les environs.
Une biche restée à l'écart, n'ayant pas vu le danger s'approcher, paissait tranquillement sans crainte. Le chasseur s'approcha d'elle à pas feutrés, prit son arme à deux mains et visa la fabuleuse créature de son canon sanguinaire. Son doigt sur la détente, l'homme s'apprêtait à tirer lorsqu'apparut devant lui Dame Nature, bras écartés afin de protéger la pauvre bête qu'il s'apprêtait à abattre.
L'homme releva la tête et la fixa, indécis. Puis il plongea ses yeux dans les siens et ce fut comme si c'était la première fois qu'il la voyait. Élégante dans son habit liquide, ondulant et miroitant, Dame Nature le toisait également, aussi surprise que lui. Elle laissa gracieusement retomber ses bras le long de son corps et lui sourit avec une tendresse infinie. Alors l'homme ne put qu'abaisser son arme et la poser au sol. Ses yeux ne la quittaient pas, captivés par tant de beauté et de pureté.
Elle s'approcha doucement de lui, ses pas flottant sur les brins d'herbe, puis lorsqu'elle fut à sa hauteur, elle leva le bras et tendit la main vers le visage de l'homme. Ses doigts effleurèrent sa joue et ne laissèrent sur leur passage pas le moindre sillon humide. Lui était ensorcelé, incapable de détacher son regard de la Sublime qui lui faisait face. Elle sourit davantage, fit le tour de l'homme avec une lenteur étudiée puis, sans prévenir, prit ses jambes à son cou.
Il la poursuivit avec hâte, l'appelant, lui demandant de l'attendre, de revenir, la suppliant de ne pas le laisser. Pas maintenant qu'il l'avait trouvée. Elle se cachait derrière les arbres, s'envolait dans les airs, tournoyait autour de lui. Et elle riait. Et son rire était une musique incroyable, mélodieuse, enchanteresse, un rire carillonnant qui résonnait dans les alentours. Il la suivait sans relâche, la pourchassait à travers bois.
Et elle continuait de rire, toujours plus souriante.
Il finit par sourire lui aussi et avec un éclat de rire, se prit au jeu de Dame Nature. Ainsi ils traversèrent la forêt dans toute sa longueur jusqu'à déboucher au bord d'une falaise se trouvant à la lisière de la sylve. Elle alla jusqu'à la pointe de la corniche et se dispersa en milles feuilles émeraudes qui s'envolèrent et englobèrent l'homme qui venait la rejoindre. Dans la tornade qui enveloppait l'humain, Dame Nature se matérialisa devant lui petit à petit, d'abord le torse, puis sa chevelure et enfin son visage.
Elle le regarda avec la même tendresse que lors de son premier sourire pour lui. Elle tendit ses bras vers lui et prit son visage entre ses mains, puis elle avança le visage vers lui. Il tendit le cou et se pencha vers elle également. Et alors que leurs lèvres se touchaient, il s'éparpilla en mille feuilles orangées qui vinrent se mêler à celles de Dame Nature.
Ainsi naquirent la tempête et l'orage, le tonnerre et la foudre, le claquement du vent dans la ramure des arbres. Et lorsque la tourmente venait à être trop violente, Elle était là pour la calmer. Car la nature se doit d'être toujours équilibrée. Et maintenant qu'Il était là, L'accompagnant dans chacun de ses pas, la nature était enfin complète.

bunni


Le voyage de Sophie

Un jour comme tant d'autres...Sophie pourtant se réveille avec la sensation étrange qu'il se passe quelque chose, mais quoi ?
Et soudain, elle comprend : dehors tombe une pluie fine, légère, et tout semble se confondre dans une grisaille uniforme . Car la Terre est grise, gris clair, gris foncé ou gris souris, mais complètement grise ! Les couleurs ont disparu !
Où sont donc passés le vert de l'herbe et le bleu du ciel , le rouge des coquelicots et le jaune des boutons d'or ?
Tout est si triste ! Seul un immense arc en ciel traverse le ciel, éclatant de couleurs et de lumière ...
Quelque part, loin, très loin, naît cet arc en ciel, au pays où naissent les couleurs...
Alors Sophie décide d'aller chercher les couleurs, même s'il lui faut aller loin, très loin...
Elle prend son vélo et la voilà partie. Elle traverse des plaines et des champs, des villes et des forêts, avec pour seul guide le faisceau coloré de l'arc en ciel.
Elle ne sent ni la fatigue, ni la faim, même le temps semble suspendu. Car Sophie sait, quelque part au fond de son coeur une petite voie s'est révéillée : "va, va chercher ce que les hommes ont perdu. Ils ont fait de ce monde un univers de béton et de tristesse. Ils ont oublié le rose des joues des enfants, le bleu des rivières sauvages et le rouge du soleil couchant. Ils ont voulu éteindre les couleurs de la vie, alors elles s'en sont allées.
Les enfants savent ces choses là, ils n'ont oublié ni les couleurs, ni les parfums, ni les saveurs du monde.
Et de ville en ville, de village en village, de pays en pays, ils se relaient pour aider Sophie dans son long voyage.
Alors, pour la première fois les hommes se taisent et écoutent les enfants. Pour la première fois ils prennent le temps de regarder la Terre, leur Terre, et ils voient ce qu'ils en ont fait.Et les hommes ont peur, peur que tout reste désormais ainsi, peur que les couleurs ne reviennent jamais !
Et ils se souviennent, du fond de leur mémoire surgissent les couleurs de leur enfance : le marron puissant du chocolat du goûter, le orange délavé de leur vieux ballon préféré, ou le violet lumineux d'une robe de poupée ...
Et les hommes retrouvent l'espace d'un instant leur coeur d'enfant, pour partager leurs souvenirs et essayer de recréer ensemble les couleurs de la vie.
Pendant ce temps Sophie, elle, est arrivée au terme de son voyage, loin des hommes et de leur folie, devant une grotte multicolore, où naît l'arc en ciel de lumière.
Elle dépose son vélo et entre. Devant elle se trouvent des milliers de billes nacrées, toutes plus éclatantes de couleurs, emprisonnées dans un filet aux mailles serrées.Sophie défait les cordes qui retiennent les billes prisonnières et les couleurs s'échappent, elles roulent et se répandent sur le monde. Le gris s'efface peu à peu, comme si l'arc en ciel enveloppait la Terre de sa lumière.
Et le monde retrouve ses couleurs...et les hommes leur envie de vivre.
Mais jamais ils n'oublieront qu'un jour les couleurs s'en sont allées...et que ce sont les enfants qui les ont retrouvées...

uncafenoir

La fée  qui  a  rassemblé  ces  contes 
fait   briller les yeux
Petite fée  discrete
tes  bonjours  étaient une étincelle
Je n'ai pas de baguette magique
tu  es unique
et  j'attends  qu'un soir
tu  me dises:coucou  un cafénoir

bunni


La joueuse de flûtiau

Autrefois, il y a très longtemps, on racontait que lorsque la lune prenait la forme d'un croissant parfait, une joueuse de flûte, un peu fée, venait s'asseoir sur sa pointe pour jouer de son instrument. Peu étaient ceux qui pouvaient la voir, car elle ne se montrait qu'aux âmes bonnes et innocentes, principalement aux petits enfants donc, mais aussi aux troubadours, aux conteurs, aux poètes. Les notes de sa musique descendaient dans la nuit et se répandaient sur la terre comme une pluie d'ondes bénéfiques. Lentement, elles se glissaient dans les rêves des humains et adoucissaient leurs peines. En ces temps-là, la nuit était un monde différent à ce qu'elle est aujourd'hui. Elle était si sombre parfois que l'on n'y voyait pas devant soi à plus de deux pas. Seule, la lune en était la lanterne aussi, on lui était reconnaissant de la clarté qu'elle disséminait tout comme les bienheureux remerciaient la joueuse de flûte d'apaiser la douleur des rêveurs. Malheureusement, cette fée musicienne prenait place sur sa corniche qu'une fois en lune montante et une fois en lune descendante, si bien que les autres nuits les dormeurs devaient se contenter de rêves tristes et plats, quand ils ne se transformaient en d'effrayants cauchemars. Les nuits sans lune étaient particulièrement redoutées, car profitant de l'épaisse obscurité, des êtres maléfiques sortaient de leurs profonds terriers où ils se blottissaient habituellement pour échapper à la brûlure des rayons de lumière, et envahissaient les plaines et les forêts semant la peur dans les cœurs des biches et des jeunes filles égarées.
C'est pour se protéger de ces démons de toutes sortes que les hommes commencèrent à construire les maisons, inventèrent les portes, les loquets, les serrures. Là, à l'abri de leurs murs, ils pouvaient se reposer sans craindre les hurlements des loups, leurs dents acérées, les griffes des fauves et la méchanceté des êtres mauvais. Là, ils pouvaient allumer un feu sans redouter la pluie, l'orage, la violence des vents, le froid de l'hiver. Cependant, cet abri, si précieux fût-il, avait pour désavantage de couper les humains des créatures bénéfiques de la nuit. Certes, celles-ci étaient en nombre inférieur, pourtant elles existaient bien. La joueuse de flûte était l'une d'elles. Lorsque celle-ci se rendit compte que les hommes n'avaient plus d'oreille pour elle, les murs de leurs maisons les ayant à jamais coupés du monde fantomatique, elle fut quelque peu triste pendant un temps, mais très vite elle se consola et se mit à jouer pour les plantes qui, contrairement à ce que l'on croit généralement, sont très sensibles aux vibrations de la musique, surtout celles de la musique céleste. Dès lors, les plantes qui n'avaient jamais su être autres que sauvages, sous l'influence des notes hautement harmoniques, devinrent d'une humeur si agréable qu'elles acceptèrent de se laisser apprivoiser. C'est d'ailleurs depuis ce temps qu'elles donnent sans compter leurs fruits, leurs graines, leur chair, aux hommes qui ne leur en sont pas toujours reconnaissants comme il le faudrait, ces cadeaux paraissant à ces derniers, bien à tort, tout naturels.
.
Aujourd'hui très peu nombreux sont les hommes qui peuvent encore apercevoir la joueuse de flûte, car même s'il vient à l'idée de certains de quitter leur maison durant la nuit, c'est généralement pour aller s'enfermer dans une autre boîte, si bien qu'ils n'ont pas l'idée de lever les yeux vers les cieux. Quand bien même cette idée se mettrait à germer dans leur esprit, si par le plus grand des hasards, ils venaient à entrapercevoir la lune, il faudrait encore que cela se fît au bon moment, la fée venant s'asseoir sur le rebord de l'astre nocturne si rarement. Il faudrait également que l'observateur en question ait su garder une âme de petit enfant ou qu'il en soit un lui-même, d'autant que les lumières artificielles des villes masquent à la vue la pâle vision qu'offre la fée de son corps éthéré. On le voit, les conditions à remplir pour espérer deviner la présence de la joueuse de flûte sont suspendues à tant de choses aléatoires qu'il est impossible que cela se produise. Pourtant, il existe un moyen. À vous, amis lecteurs, je peux vous en confier le secret. Lorsque l'heure de vous reposer sera venue, l'été prochain, oubliez votre destination habituelle, les pays étrangers, les boîtes de nuit, la mer et ses sirènes, et prenez la route des hautes montagnes. Quand vous serez arrivés, attendez la bonne nuit, celle qui offrira à vos yeux émerveillés le pouvoir de découvrir le plus beau des croissants de lune, et gagnez à pied les hauts alpages en prenant soin de vous vêtir chaudement. Là, au milieu d'un troupeau de vaches laitières paisiblement endormies, étendez-vous dans l'herbe et plongez du regard dans le puits de la voute céleste pour le laisser vagabonder entre les étoiles. Ne prenez pas peur si parfois une sorte de vertige prend possession de vous, c'est tout à fait naturel, l'œil n'est pas formé pour contempler l'infini. Enfin, lorsque votre esprit aura suffisamment dérivé, vous serez prêts.
.
Alors seulement, laissez-vous guider et suivez du regard la direction que pointera depuis longtemps le doigt de vos enfants, le fil ténu qui le relie à la lune. Là, attendez-vous à quelque chose d'extraordinaire, car si merveilleuse que soit l'image que vous aurez imaginée, jamais elle ne sera à la hauteur de celle que vous découvrirez. L'impalpable beauté de la joueuse de flûte vous enchantera, alors que la musique de son instrument, rendue visible par on ne sait quelle magie, descendra vers vous en une cascade de gouttelettes d'or et se glissera dans l'orifice de vos oreilles pour venir caresser vos tympans comme aucune musique terrestre, si belle soit-elle, ne sait le faire.
.
Vous n'en reviendrez pas et je ne serais pas surpris d'apprendre que dans les mois qui auront suivi cette fabuleuse nuit, inoubliable entre toutes, vous ayez déménagé.

D.R.K

bunni


L'herbe qui murmure...

Il y a très longtemps, au pays des grandes forêts, une colline toute verte faisait une tache claire au milieu des arbres noirs et drus. Elle était couverte d'une herbe qui savait parler et murmurer quand le vent l'agitait. Cette herbe douce avait tissé des liens d'amitié solides avec tous les animaux de la forêt voisine, en particulier avec les cerfs, les renards et les loups gris.

On était en été. Ce jour-là, l'herbe qui murmure était très soucieuse car le vent du sud venait d'apporter, le matin même, une rumeur inquiétante. Une rumeur qui parlait d'un danger qui approchait. L'herbe n'avait osé en parler à personne, mais voici qu'en plein soleil de midi, tous les brins d'herbe constatèrent avec effroi que la rumeur s'était transformée en réalité. Et dès le premier coup d'œil, ils comprirent que leurs amis les animaux étaient en danger de mort.

L'herbe décida donc d'envoyer des messagers les avertir du danger terrible qui les menaçait.

L'herbe appela les papillons et leur dit :

- Allez vite chez les cerfs, les loups et les renards. Dites-leur de venir sur-le-champ nous rejoindre sur la colline verte.

Les papillons s'envolèrent et livrèrent leur message. Les animaux se dirigèrent vers la colline et en peu de temps s'y trouvèrent réunis.

- Écoutez-moi, mes frères, dit l'herbe qui murmure. Un grand danger vous menace. Une bande de chasseurs traverse à cet instant la forêt et s'avance vers vous pour venir prendre vos vies.

- Des chasseurs ? Quel est ce mot ? Que signifie-t-il ? Demandèrent les animaux.

- Ce sont les hommes portant arcs et flèches. Ces flèches mortelles vont transpercer vos cœurs. Ces chasseurs sont tout proches d'ici ; sitôt qu'il vous verront, ils lanceront leurs flèches et vous mourrez !

- Que devons-nous faire ? Demandèrent les animaux désemparés. Herbe qui murmure, toi qui es sage et qui connais tant de secrets, dis-nous comment sauver notre vie.

- Courez chez vous, répondit l'herbe verte. Mettez-vous à l'abri dans votre tanière ou votre abri et restez-y cachés jusqu'au crépuscule du jour à venir. Quand tout danger sera écarté, j'enverrai mes messagers vous avertir.

Les animaux inquiets suivirent sans hésiter les conseils de l'herbe et s'enfuirent aussitôt vers leurs caches au milieu des grands arbres de la forêt.

Le lendemain, lorsque les chasseurs atteignirent le pied de la colline, ils ne virent rien de vivant aux alentours si ce n'est que quelques papillons qui voltigeaient en silence dans la plus parfaite désinvolture. Tout le reste du jour les chasseurs cherchèrent le gibier, mais ils ne virent pas un seul cerf, pas un loup gris, même pas un renard ni un lièvre ni même un écureuil. On n'entendait pas un bruit ; même l'air ne charriait aucune odeur de bête.

Enfin, quand le soir tomba, les chasseurs retournèrent à leur campement au pied de la colline. Ils étaient fatigués et ils avaient faim. Ils étaient partis sans emporter de provisions, car ils étaient sûrs de trouver du gibier en abondance.

- Rentrons chez nous, dit le premier chasseur. Cette région est mauvaise pour la chasse et je meurs de faim.

- Non, dit le second chasseur. Attendons demain, c'est certain que nous trouverons du gibier ici.

- Levons-nous tôt demain et nous trouverons certainement une cible pour tirer nos flèches. Ce soir, pour calmer notre appétit, nous mangerons de l'herbe. Regardez devant nous cette colline couverte d'herbe verte et tendre. Elle a l'air délicieuse. Puisque les animaux s'en délectent, pourquoi ne pas en manger aussi ?

- Et si c'était de l'herbe qui murmure ? Répliqua le premier chasseur. Vous savez tous que celui qui mange de l'herbe qui murmure perdra à jamais le pouvoir de tuer quoi que ce soit avec ses flèches.

- Voyons, frère chasseur, s'écria le troisième compagnon, tu vois bien que cette herbe ne murmure pas. Le vent d'Ouest est levé depuis longtemps ; regarde comme les brins d'herbe sont agités. Et pourtant, nous n'entendons rien, pas le moindre petit son, pas un seul petit grognement.

Tous tendirent l'oreille. En effet, on n'entendait que le doux bruissement des feuilles et le cliquetis des aiguilles du pin que le vent faisait s'entrechoquer. Le vent couchait les brins d'herbe devant eux et les faisait onduler, mais pas un son n'en émanait, c'était l'évidence même.

- Ce n'est pas de l'herbe qui murmure, j'en suis certain, dit avec autorité le chasseur qui avait faim. Allons, mangeons cette herbe verte.

Tous alors, affamés qu'ils étaient, se mirent à cueillir de l'herbe à grandes brassées. Ils la mirent dans un grand chaudron et puis ils la firent bouillir sur le feu. Ils en firent une soupe épaisse et parfumée. Ils se régalèrent de ce repas simple et se sentirent enfin repus. Puis, ils se roulèrent dans des peaux et s'endormirent.

Tandis qu'ils dormaient encore, l'heure du crépuscule arriva. L'herbe qui murmure ne dormait pas. De sa voix la plus douce, elle appela les papillons et leur dit :

- Allez chez vos frères les animaux et dites-leur que tout est bien. Dites-leur que, dès l'aube, ils pourront sortir de leur cachette et parcourir les chemins de la forêt comme d'habitude. Les chasseurs essaieront de les atteindre avec leurs flèches, mais dites-leur de ne pas s'effrayer car elles ne pourront pas les tuer.

Les papillons partirent et livrèrent le message de l'herbe aux cerfs, aux loups gris et aux renards. Chacun transmit les paroles de l'herbe aux siens et aux autres. Le lendemain, aux premières heures du jour, les animaux sortirent de leurs abris. Ils virent les chasseurs s'avancer vers eux. Ils eurent peur et voulurent se cacher, mais ils se rappelèrent le message des papillons. Ils restèrent donc sur place à examiner ces êtres curieux qui marchaient vers eux.

Les chasseurs pointèrent leurs flèches vers eux et tirèrent. Les flèches fendirent l'air et tombèrent sur le sol à quelques pas des bêtes. Tout le jour, les chasseurs tirèrent et leurs flèches ratèrent leur cible. Finalement, frustrés et découragés, ils retournèrent à leur campement au pied de la colline.

- Mes frères, dit tristement le premier des chasseurs, c'était de l'herbe qui murmure que nous avons mangé hier. On le voit bien : toutes nos flèches ratent leur cible malgré l'abondance du gibier.

- Nous n'avions pourtant rien entendu, dit le deuxième chasseur, qui avait rassuré les autres avec une trop grande certitude.

- C'est cette herbe qui nous a trompés, dit le troisième.

- Oui, elle nous a trompés. Elle est restée silencieuse quand nous l'écoutions pour nous donner envie de la manger, et voici maintenant que nous avons perdu le pouvoir de chasser.

Tous les chasseurs de notre tribu vont rire de nous.

- Alors détruisons cette herbe maléfique, dit le deuxième chasseur, encore plus honteux que ses compagnons. Allons l'arracher pour que jamais plus elle ne puisse réduire à l'impuissance d'autres chasseurs.

- Oui ! Mais attendons la nuit, dit le premier chasseur. À ce moment personne ne pourra nous voir. Nous arracherons toute cette herbe sans en laisser un seul brin sur toute la colline.

Les papillons qui se tenaient dans les parages entendirent les paroles des chasseurs. Ils s'envolèrent aussitôt chez les animaux.

- Ohé ! Mes frères, dirent-ils, vos ennemis les chasseurs ont décidé de détruire l'herbe qui murmure pendant la nuit. Comment pouvez-vous empêcher ce malheur ?

- Il faut venir au secours de l'herbe qui murmure, dit le cerf. C'est grâce à elle si nous sommes en vie aujourd'hui ; c'est à notre tour de la sauver.

- S'adressant au renard, le cerf dit :

- Toi, mon frère renard, n'as-tu pas dans la tête une façon, un plan pour sauver notre amie l'herbe qui murmure ?

- Je ne suis pas assez vieux ni assez sage pour ça, répondit le renard. Mais je sais à qui m'adresser pour trouver une solution. Ne bougez pas, mes frères, restez sur place ; je vais courir jusqu'aux montagnes noires où habite le manitou du feu. Il est sage et puissant. Je suis sûr qu'il saura nous aider.

Le renard partit à toute vitesse à travers la forêt vers une longue chaîne de montagnes qui se dessinait au loin. Arrivé à la première montagne il se faufila sous les buissons dans une étroite caverne et suivit un long couloir sombre qui débouchait sur une grotte profonde. Au centre de la grotte on voyait rougeoyer un feu étincelant. Et tout à côté, on distinguait une forme humaine assise sur le sol.

La silhouette bougea et le renard, qui s'approchait timidement, découvrit un visage empreint de bonté.

- Tu viens demander de l'aide ? Fit une voix grave et douce.

- Qu'y a-t-il donc ?

- Des chasseurs projettent d'arracher de terre notre amie l'herbe qui murmure, dit le renard. Peux-tu nous dire, puissant manitou du feu, comment la sauver ? Car nous l'estimons et nous lui devons la vie.

- Mon fils, approche-toi. Vois-tu ces formes qui ressemblent à des pierres noires ? Dit le manitou en indiquant des objets sombres qui jonchaient le sol de la grotte. Ces choses proviennent du centre de la terre. C'est Kije Manitou, l'Esprit souverain, qui les y a mises. Avec des pans du ciel de minuit et un millier de rayons de soleil, il a façonné ces pierres noires et les a cachées au plus profond de la terre. Il savait, dans sa sagesse, que l'homme saurait les trouver le jour où il aurait besoin de chaleur et de lumière.

Il poursuivit :

- Je vais mettre ces pierres dans mon feu pendant que tu retournes vers tes frères les loups et les cerfs. Pars vite, va leur dire qu'ils doivent revenir avec toi, ici même. Tout sera prêt quand vous serez de retour. Je vous donnerai alors ce qu'il vous faut pour sauver la vie de l'herbe qui murmure. Ne perds pas de temps. Il faut que tout soit terminé avant le réveil des chasseurs.

Le renard ne se fit pas prier pour repartir, Il fila comme le vent vers la forêt toute proche de la colline d'herbe verte. Quand il retrouva les loups et les cerfs assemblés, il fut chaudement accueilli. Il leur répéta le discours du manitou.

Et tous ensemble ils se mirent en route vers les montagnes noires et la grotte du manitou du feu. Quand ils furent rendus auprès de lui, ils constatèrent que les pierres que le manitou avait placées dans son feu n'étaient plus noires mais rouges et brillantes comme le feu lui-même.

- Mes enfants, dit le manitou, ces pierres sont des charbons ardents. Prenez-les et placez-les en cercle sur la colline tout autour de l'endroit où croît l'herbe qui murmure, votre amie. Ces charbons ne vous brûleront pas pendant votre voyage car je nous accorde ma protection pour la durée de votre marche. Ils ne brûleront pas non plus l'herbe qu'ils toucheront.

Les animaux remercièrent le manitou. Ils saisirent autant de pièces de charbon qu'ils pouvaient en transporter et reprirent le chemin vers la colline. La nuit était sombre et la lune tardait à se montrer. Les chasseurs dormaient toujours.

Les animaux arrivèrent près d'eux et, sans bruit, ils firent ce que leur avait recommandé le manitou : ils placèrent les morceaux de charbon en cercle et se cachèrent derrière les arbres.

Puis la lune se montra. Peu de temps après les chasseurs s'éveillèrent. À peine levés, ils remarquèrent l'étrange cercle brillant qui entourait l'herbe. Ils crurent rêvés. Ils se frottèrent les yeux et regardèrent encore. On voyait un cercle de feu qui brillait sans montrer de flamme. Les chasseurs furent terrifiés par cette vision ; Ils n'osaient pas gravir la colline tant ils avaient peur.

Enfin, le premier chasseur dit :

- Mes frères, retournons chez nous. Cette herbe qui murmure doit être protégée par Kije Manitou lui-même. Nous n'aurions pas dû en manger et nous ne devrions surtout pas la détruire. Retournons prévenir nos frères.

- Tu as raison, dit le second chasseur. Allons avertir nos gens au plus vite.

Aussitôt, les chasseurs ramassèrent leurs effets et s'en allèrent dans la nuit tandis que le cercle de feu continuait de rougeoyer. Quand le jour parut enfin, il n'y avait plus trace des morceaux de charbon, mais sur la colline, là où ils avaient été placés, un grand cercle brun se voyait distinctement même de la vallée voisine. Et on le voit encore aujourd'hui. Pourtant, même un promeneur attentif ne peut trouver un seul brin d'herbe brûlé sur toute la colline.

Les bêtes de la forêt, dans les moments d'inquiétude, viennent encore demander conseil et réconfort au bon manitou. Souvent, elles empruntent le couloir étroit creusé dans le roc jusqu'à la grotte où brûle le feu étincelant.

En automne, le manitou du feu enseigne aux cerfs comment se cacher dans les collines pour échapper aux chasseurs.


En hiver, quand le froid règne sur le pays, c'est lui qui indique au loup affamé où trouver à manger.

Au printemps et en été, il apprend au renard roux comment brouiller ses pistes et à chacun comment échapper à ses ennemis. Il leur apprend aussi les mille secrets qui permettent à tous de vivre en harmonie avec les arbres de la forêt, l'herbe des collines, l'eau des ruisseaux et toutes les autres merveilles de la nature sauvage. Et jamais les bêtes n'oublieront cette nuit où le manitou du feu les aida à sauver de la mort l'herbe qui murmure et les initia au secret du feu incandescent, le feu sans flammes.

Puis, le soir, quand tout est calme, l'herbe verte s'agite encore dans le vent et parle doucement à ceux qui savent l'écouter !

bunni


Le paradis des chats un conte Japonais

Il était une fois, il y a de cela très longtemps, dans un village, une noble dame orgueilleuse et méchante. Elle était très riche, mais son coeur était dévoré par l'envie. Elle enviait les autres non seulement pour leur argent et leur bien, mais aussi pour leur beauté et leur jeunesse. Même la bonne humeur ou l'amitié qui régnaient entre ses compatriotes la désespéraient. Il lui suffisait de voir sur le visage d'un pauvre un sourire pour frapper, avec colère, du pied et crier :
« Voyez ce pauvre diable, il est pauvre et malgré cela le monde lui plaît ! Et moi ? Je suis bien plus noble que lui et, pourtant, je n'ai que des soucis. Comment est-ce possible ? » Et, tout en donnant ainsi libre cours à sa mauvaise humeur, elle réfléchissait comment elle pourrait bien ternir la joie du pauvre.
Parmi les serviteurs de la noble dame se trouvait la petite Youkiko. Ses parents étaient morts depuis longtemps, et elle grandissait donc, sous les cris et les coups, dans la maison de sa noble maîtresse. Malgré les souffrances qu'elle devait endurer, elle avait gardé un coeur pur et des manières calmes et aimables. Le seul être, qui, dans la maison, lui était attaché, était une petite chatte noire qui était l'objet de tout l'amour de la jeune fille.Chaque soir, la chatte venait sur son lit et, pendant la journée, elle rôdait souvent autour de la jeune fille se frottant le dos contre ses jambes. Dans ce cas, la jeune fille prenait la petite chatte dans ses bras, caressait son pelage soyeux et en oubliait tout le chagrin qu'elle pouvait avoir. Elle se sentait ainsi moins seule, car elle avait au moins une âme soeur dans le monde.
La maîtresse eut évidemment connaissance de cette amitié et lorsqu'elle rencontrait quelque part la jeune fille avec la chatte, elle avait aussitôt beaucoup de travail à donner à Youkiko.
« Puisque tu as suffisamment de temps pour t'occuper de la chatte, tu pourras certainement faire encore ceci ou cela pour ta maîtresse qui te nourrit ! » avait-elle coutume de dire, et la pauvre Youkiko ne savait où donner de la tête.
Le sort de la pauvre chatte n'était guère meilleur. La maîtresse la battait, lui tirait les moustaches ou la caressait à rebrousse-poil et lui disait en riant : « Voyons, qu'y a-t-il qui ne te plaise pas ? Mes caresses sont-elles moins tendres que celles de Youkiko ? »
La petite servante n'osait plus caresser sa chatte qu'en cachette, mais elle continuait à partager son repas avec elle et, lorsqu'il restait quelques poissons frais d'un festin, elle les apportait toujours à la petite chatte. Les rares instants qu'elle pouvait passer avec sa petite amie étaient sa seule joie. Elle se sentait soulagée lorsqu'elle pouvait – bien qu'en cachette et dans la peur permanente d'être découverte – confier à la chatte son chagrin et raconter les mauvais traitements que sa maîtresse lui infligeait.
Mais, un jour, Youkiko chercha sa petite chatte en vain. Bien qu'elle courût souvent dans la cour ne serait-ce que pour saisir au vol un regard de son amie, elle ne put l'apercevoir.
« Elle est certainement partie en promenade et ne reviendra que ce soir, » se consola Youkiko. Mais, pas plus que la journée elle ne vit le soir la chatte, qui ne vint pas, comme de coutume, lui rendre visite dans son lit. Jusqu'au matin, Youkiko resta éveillée. Au moindre bruit, elle se levait car, chaque fois, elle espérait que c'était sa chatte qui grattait à la porte.
Le matin, elle se leva, pâle, les yeux rouges d'avoir pleuré, et vaqua, fatiguée, à son travail. La chatte avait disparu et ne revint plus jamais. Bien souvent, la petite Youkiko pleurait d'avoir perdu sa seule et unique amie sans savoir ce qu'il lui était arrivé.
La seule qui se réjouît de la disparition de la chatte était l'orgueilleuse maîtresse. Le chagrin de la servante était doux à son coeur et, de ce fait, elle n'en voulait pas à la chatte de l'avoir, au fond, quitté elle, la maîtresse. Chaque fois qu'elle voyait le visage triste de la jeune fille, elle disait cyniquement : «Tu vois, tu vois, voici ta récompense. Si tu penses à tout ce que tu as enduré en raison de la chatte et que, au lieu de t'en être reconnaissante, elle est partie sans avertir. Je suis certaine que, pendant qu'elle te faisait des avances, elle ne pensait qu'à la façon de se sauver. Dans ce monde tous les êtres sont mauvais, les hommes comme les animaux. »
Ainsi, elle essayait, dans sa perfidie, d'aggraver encore le chagrin de la jeune fille. Mais Youkiko ne laissait pas salir la mémoire de sa petite chatte. Bien sûr, elle n'osait pas contredire sa maîtresse, mais elle ne croyait pas un seul mot de ce que celle-ci disait et pensait à part elle :
« Ma petite chatte a certainement eu un malheur, et je ne peux même pas lui venir en aide car je ne sais pas où elle se trouve. » Et, jour et nuit, elle se préoccupait du sort de sa petite amie.
Quelque temps avait passé lorsque, un jour, un prophète passa dans le village. Il était sage au point de non seulement dévoiler les secrets de l'avenir, mais aussi de donner des réponses à plus d'une question épineuse concernant le présent. Il fut invité dans bien des maisons et, cela va de soi, également dans celle de la noble dame orgueilleuse qui le questionna jusqu'à fort tard dans la nuit – car, enfin, même un prédicateur doit gagner l'argent qu'on lui donne.
La petite Youkiko aurait bien aimé demander à l'homme sage ce qu'était devenue la petite chatte; mais la méchante maîtresse ne l'aurait jamais permis. Aussi, la jeune fille se cacha-t-elle près de la porte pour essayer de parler au prédicateur lorsque celui-ci sortirait de chez sa maîtresse. Elle avait grand-peur que celle-ci ne la trouve à cet endroit et ne la gronde de négliger son travail, mais le désir d'apprendre quelque chose sur son amie était plus fort que sa peur de la maîtresse. Youkiko dut attendre longtemps avant de voir le sage quitter la maison. Lorsque celui-ci arriva à la porte, Youkiko se leva, s'inclina profondément et lui raconta son chagrin. Puis, elle le supplia : « Noble sage, vous qui connaissez tant de choses étranges au monde, peut-être savez-vous aussi ce qu'il est advenu de ma seule amie, ma chatte noire ? »
Le sage réfléchit un instant, puis il répondit : « Ta chatte se trouve certainement sur la montagne des chats dans les monts Inaba, dans l'île Kyushu. Si, vraiment, tu as tellement envie de la voir, vas-y. Mais réfléchis bien, c'est dangereux et tu ne sais pas ce qui t'y attend. »
Sachant qu'il y avait un endroit au monde où elle pourrait revoir sa chatte aimée, Youkiko n'hésita pas un seul instant. Aucun danger, aucun obstacle ne pourraient l'empêcher de s'y rendre. Elle supplia sa maîtresse jusqu'à ce que celle-ci lui accordât quelques jours de congé.
« Mais, à ton retour, il faudra que tu travailles deux jours gratuitement pour chaque jour de ton absence, » dit la maîtresse et son âme noire se réjouissait à l'idée des dangers et des sacrifices que la jeune fille aurait à endurer. Et tout cela pour une simple chatte !
Youkiko fit son baluchon; il ne contenait pas grand-chose, seulement quelques galettes sèches qu'elle avait obtenues dans la cuisine. Puis, elle entama un voyage long et difficile. Pendant les nuits froides, elle dormait dans un buisson le long du chemin, car elle avait peur de s'égarer et, pour coucher dans une maison, elle n'avait pas assez d'argent. Le matin, dès qu'il faisait assez clair pour reconnaître la route, elle se hâtait d'avancer. Ses sandales en raphia furent bientôt usées et les pierres acérées lui blessaient les pieds.
Enfin, elle arriva dans l'île Kyushu. Il était tard lorsqu'elle atteignit le premier village où elle se renseigna sur les monts Inaba.
« Les monts Inaba se trouvent, là-bas, au-delà du fleuve, » dirent les paysans. « Mais ne t'avise pas d'y aller; c'est très dangereux. Seuls les chasseurs les plus courageux osent traverser le fleuve et, s'ils le font, ils ne s'éloignent jamais beaucoup de la rive et n'y restent jamais la nuit. Là-bas c'est le royaume des chats dans lequel jamais un homme n'a pénétré. »
Youkiko remercia poliment les paysans du conseil et refusa, encore plus poliment, la couche pour la nuit que les paysans lui offraient gentiment.
« Je saurai me défendre ,» répondit-elle à tous les avertissements instants. « N'ai-je pas fait le voyage à travers la moitié du monde dans le seul but d'atteindre le royaume des chats ! »
Voyant qu'elle insistait, les paysans la laissèrent aller. « Nous t'aurons avertie des dangers, » dirent-ils. « Si tu ne veux pas nous écouter, c'est ton affaire. »
À la sortie du village, Youkiko bifurqua vers le fleuve et chercha un gué. De l'autre côté du fleuve s'étendait un bois touffu qui montait le long de la pente. Youkiko rassembla tout son courage et pénétra dans la sombre forêt. Elle avançait avec précaution, tout en regardant constamment derrière elle, mais tout était calme, aucune branche ne bougeait. Le chemin montait abruptement et Youkiko, qui avait déjà fait tant de route, commença bientôt à être fatiguée. Elle pensait déjà devoir passer la nuit dans la forêt lorsque, soudain, les arbres s'écartèrent, laissant voir une grande clairière sur laquelle brillaient des toits rouges.
« Ce sont certainement des gens riches qui habitent ici; tout est si propre et si bien construit ! »
Elle s'approcha d'une clôture et appela. Après un moment, une svelte jeune fille sortit de la maison, s'inclina devant Youkiko et demanda ce qu'elle désirait.
« Je suis la servante Youkiko, » répondit la jeune fille. « J'avais une seule amie, une chatte noire, qui a disparu un beau jour. Je l'ai pleurée longtemps : un jour, un prédicateur m'a conseillé de la chercher sur les monts Inaba dans l'île Kyushu. J'ai dû marcher pendant longtemps avant d'atteindre, aujourd'hui, l'île. Mais je suis si faible que je peux à peine avancer. Auriez-vous l'amabilité de m'héberger pendant la nuit avant que je n'entame la montée de la montagne des chats ? Je ne vous causerai aucun dérangement. »
La jeune fille l'écouta attentivement puis, souriant gentiment et s'inclinant, elle dit : « Tu es donc venue te faire manger ? »
À ces paroles, Youkiko eut peur et voulut s'enfuir; mais, d'un bâtiment voisin sortit une petite vieille bossue qui s'avança, gronda la jeune fille et la renvoya.
« Excusez-la, je vous en prie, certainement s'est-elle encore comportée de manière irrespectueuse, » dit la vieille à Youkiko en s'inclinant profondément. « Elle ne sait pas se tenir convenablement. Toutes mes remontrances ne servent à rien. Elle vous a sans doute dit quelque chose de désagréable, car vous êtes toute pâle. Mais, ne lui en veuillez pas; elle ne sait pas accueillir les invités. Dites-moi, belle enfant, ce qui vous a conduit jusqu'ici. »
Les paroles aimables de la vieille calmèrent Youkiko qui, en répétant son histoire, retrouva sa sérénité.
La vieille écouta attentivement, puis elle sourit à Youkiko et lui dit : « Rentre donc, jeune fille. Tu pourras te reposer chez nous des fatigues du voyage. Ne crains rien; si déjà tu as entrepris un aussi long voyage pour te... » le reste ne fut plus audible pour Youkiko. La vieille continuait à murmurer pour elle-même; mais sans cesser de sourire. En multipliant les courbettes, elle conduisit la jeune fille dans la maison et lui fit préparer un bain. Après le bain, elle fit entrer Youkiko dans une pièce propre et agréable, lui adressa encore un sourire encourageant, puis la quitta lui disant qu'elle irait chercher à manger.
Youkiko s'assit sur une natte et contempla avec curiosité la pièce. Le bain l'avait rafraîchie et elle se sentait bien.
« C'est une maison étrange, » se dit-elle au bout d'un moment. « Elle comporte tant de pièces, de coins et de recoins, tout est si propre et si ordonné. Les maîtres doivent avoir de nombreux serviteurs. Et, tout ce monde qui doit habiter ici ! Mais, où sont-ils tous ? Je n'ai vu personne. Et puis, tout est si calme ! »
Ce calme était vraiment inquiétant. Soudain, Youkiko eut l'impression d'entendre des voix dans la pièce à côté. Sa curiosité la piquant, sans faire de bruit, elle se leva et entrouvrit un peu la porte. Dans la pièce, deux jeunes filles d'une extraordinaire beauté étaient couchées sur des nattes. Leurs cheveux étaient montés dans une haute coiffure compliquée, piquée d'aiguilles en ivoire finement sculptées. Dans leurs visages blancs et lisses, de fins sourcils surmontaient des yeux noirs, et de merveilleux kimonos en lourde soie soulignaient encore la grâce des jeunes filles. Celles-ci se parlaient si bas et si tendrement qu'on avait l'impression d'entendre ronronner des chats.
Youkiko referma la porte et en ouvrit une deuxième. Là, également, elle vit deux très belles jeunes filles. Elles étaient agenouillées devant une glace et se maquillaient. Youkiko referma aussi cette porte et retourna s'asseoir. De nouveau, elle fut entourée de ce silence pesant; que n'aurait-elle pas donné pour pouvoir parler avec quelqu'un. Au bout d'un moment, elle se leva de nouveau et colla l'oreille à la première porte dans l'espoir de comprendre ce que se murmuraient les belles jeunes filles.
Elle dut faire un grand effort pour distinguer les paroles, mais ce qu'elle entendit la fit frissonner de peur. L'une des deux jeunes filles disait à l'autre : « Tu sais, la nouvelle qui vient d'arriver veut rendre visite à son amie, une chatte qu'elle aime par-dessus tout. Il vaudrait mieux ne pas la manger. »
Youkiko trembla de tous ses membres, d'effroi. Elle reprit place sur la natte et réfléchit fiévreusement à ce qu'elle devait faire. Alors, la porte s'ouvrit, livrant passage à une jeune fille gracieuse, vêtue d'un kimono brun en lourde soie brodé de chrysanthèmes blancs et décoré d'une épaisse ceinture de brocart. Elle posait ses pieds sans bruit et lorsque Youkiko, dominant sa terreur, leva la tête pour regarder la jeune fille dans les yeux, elle reconnut son amie, la chatte noire, qui avait l'aspect d'une jeune fille à l'exception de la tête qui était restée celle d'un chat.
« Je te souhaite la bienvenue, chère Youkiko. Tu ne peux pas savoir combien je te suis reconnaissante de ton amour qui fut ma seule consolation dans la maison de l'orgueilleuse maîtresse. Et aussi de la peine que tu as prise pour me rendre visite. » La chatte sourit gentiment et continua : « J'étais déjà vieille, à moitié morte de faim et malade; donc, je ne pouvais rester plus longtemps au service. Tu as certainement déjà remarqué, chère Youkiko, que tu te trouves ici dans le palais des chats. Il héberge tous les chats qui ont été chassés par les hommes ou qui sont vieux et malades. Chacun ou chacune d'entre nous aspire toute sa vie à séjourner dans le palais des chats – c'est un véritable paradis des chats, où nous sommes largement dédommagés de toutes les misères que les hommes nous ont infligées. Mais, pour les hommes, il n'y a pas de place ici. Les chats de tout le Japon se rencontrent ici et s'ils te trouvent, tu seras en danger. Repose-toi et retourne auprès des hommes. Pour le moment, il n'y a que mes amies dans la maison; elles ne te feront rien de mal. Mais, bientôt, les autres chats vont revenir de la chasse et je ne pourrais te protéger devant cette multitude. Je t'apporterai de quoi te restaurer, puis il faudra que tu partes rapidement. »
La chatte sourit à Youkiko et s'en fut. Au bout d'un moment, elle était de retour portant sur un plateau un bol de riz blanc chaud, un bol de légumes et de poisson frais et une tasse de thé délicieux. La chatte posa une petite table devant Youkiko, s'agenouilla et servit son ancienne amie. Youkiko en fut ravie; jamais encore elle n'avait aussi bien mangé. Elle raconta à la chatte les nouveautés du village et comment le prédicateur lui avait dévoilé le chemin pour arriver au paradis des chats. Ainsi, elles rirent et bavardèrent comme de bonnes amies. Youkiko avait les joues roses de joie et de la bonne table, et toute sa fatigue semblait comme envolée. Mais tout a une fin. La chatte remporta le plateau et revint avec un sachet.
« Prends ce sachet et garde-le comme souvenir de moi, » dit-elle à Youkiko. « Il te protégera aussi en route. Si tu rencontres des chats sauvages, tiens seulement le sachet devant toi et secoue-le fortement, ils ne te feront rien. N'aie pas peur ! »
« Je te remercie de tout ce que tu as fait, chère chatte. Puisque je sais maintenant que tu vas bien et que tu ne manques de rien, je vivrai plus gaiement et plus tranquillement. Adieu, » dit Youkiko. La chatte l'accompagna jusqu'à la clôture et la suivit du regard jusqu'à ce que Youkiko ait disparu dans la forêt.
À peine Youkiko avait-elle fait quelques pas dans les bois que les chats sauvages se précipitèrent sur elle. De tous côtés, on voyait luire leurs yeux verts, et leurs cris menaçants ne promettaient rien de bon. À la dernière minute, Youkiko se souvint du sachet. Elle le sortit vite de son baluchon, le tint devant elle et le secoua fortement. Alors, les yeux verts se retirèrent, et les chats libérèrent la voie en miaulant méchamment. Ainsi, Youkiko continua à descendre la montagne en tenant le sachet devant elle et, partout, les chats se retirèrent. Enfin, elle arriva au fleuve et traversa le gué. Les chats ne pouvant la poursuivre sur l'autre rive, elle remit le sachet dans son baluchon et prit la direction de la maison. Elle se dépêchait, car pour chaque jour d'absence elle devait travailler deux jours gratuitement pour sa maîtresse orgueilleuse.
Celle-ci fut très surprise de voir sa servante revenir.
« Alors, personne ne t'a mangée en route ? Et ta chatte reconnaissante, qu'a-t-elle dit de ta visite ? »
Youkiko raconta à sa maîtresse orgueilleuse ce qui lui était advenu, elle parla du palais propre et bien ordonné des chats, des belles jeunes filles et, surtout, de son amie. Finalement, elle sortit le sachet que la chatte lui avait donné et l'ouvrit devant les yeux de la maîtresse vaniteuse. Leur étonnement à toutes deux fut grand lorsque Youkiko sortit du sachet l'image d'un grand chien aux crocs redoutables qui tenait dans ses pattes dix véritables pièces d'or.
Youkiko fut au comble de la joie. Tant d'argent ! Elle n'était donc plus une pauvre orpheline livrée aux humeurs d'une maîtresse orgueilleuse. Aussitôt, elle racheta sa liberté et ouvrit, dans la ville, une boutique où elle vendait des gâteaux de riz et d'autres douceurs. Puis, elle vécut heureuse et contente, ses pensées reconnaissantes allant souvent à son amie, la petite chatte noire.
Pendant que Youkiko se réjouissait de sa vie modeste, l'envie empêchait l'orgueilleuse noble dame de dormir. « Si une simple servante a eu tellement d'argent pour une simple visite à la chatte, combien n'en recevrais-je pas moi, sa maîtresse; certainement énormément plus ! » pensait-elle et cette idée la tenailla tant et si bien qu'un jour elle se dit : « Je ne peux me permettre de laisser échapper tout cet argent ! »
Elle loua des porteurs, fit emballer une grande quantité de bons mets dans des bahuts, et, sans révéler à quiconque de la maison ou du village l'objectif de son voyage, elle se mit en route vers les monts Inaba dans l'île Kyushu. Elle avança très vite – puisqu'elle n'avait pas, comme la pauvre Youkiko, à aller à pied, mais que, au contraire, elle était assise dans une chaise, incitant les porteurs à aller toujours plus vite. Finalement, elle arriva à son tour dans le premier village de l'île Kyushu et s'enquit aussitôt du chemin qui menait à la montagne des chats.
« La montagne des chats se trouve de l'autre côté de la rivière, là-bas, » répondirent volontiers les paysans. « Mais c'est une contrée très dangereuse, même nos plus courageux chasseurs n'osent pas trop s'éloigner de la rive. Vous feriez mieux de ne pas y aller. »
La maîtresse orgueilleuse rit seulement à ces paroles et ordonna de faire venir un batelier pour lui faire traverser la rivière. « Et, dépêchez-vous, » lança-t-elle encore à l'adresse des paysans. « Je n'ai pas le temps de rester longtemps dans votre misérable village ! »
« À chacun sa façon d'être heureux, » se dirent les paysans. « Nous l'avons avertie. En fin de compte ce n'est pas notre peau qui en jeu, mais la sienne. » Et ils laissèrent partir la maîtresse orgueilleuse.
À peine arrivée sur l'autre rive, celle-ci renvoya les porteurs au village.
« Je continuerai seule mon chemin; attendez-moi au village ! » ordonna-t-elle.
Et, à part elle, elle ajouta : « Vous n'avez nul besoin de savoir quelle richesse m'attend. »
Elle monta rapidement, connaissant le chemin d'après la description que lui en avait faite Youkiko. Mais, bientôt, elle se mit à haleter, épuisée par l'effort inhabituel de la marche à pied.
Elle essuya la sueur qui perlait à son front et fut très contente de voir enfin briller les toits rouges dans la clairière.
« C'est certainement le palais des chats, », se dit-elle. « Il n'a rien de particulier; il faut être servante pour y trouver quelque chose d'extraordinaire. »
Elle s'approcha de la clôture et appela : « Y a-t-il quelqu'un ? Faites-moi entrer ! »
Une belle jeune fille sortit alors du plus grand des bâtiments et s'inclina jusqu'à terre.
« Que désirez-vous, noble dame ? » demanda-t-elle avec une voix douce comme du velours.
« Je veux rendre visite à la chatte qui a servi chez moi et qui, un jour, s'est enfuie sans plus. Vous comprenez certainement l'insigne honneur que je fais à cette chatte de n'avoir pas hésité, moi, son ancienne maîtresse, à faire tout ce long chemin pour lui rendre visite. Je suis fatiguée et aimerais me reposer chez vous, » dit la femme du haut de son orgueil.
La belle jeune fille sourit et était sur le point de dire une de ses impolitesses habituelles, lorsque, d'un bâtiment secondaire, sortit une vieille grand-mère toute courbée qui s'approcha à petits pas rapides et chassa la jeune fille.
« Entrez donc, noble dame. Vous êtes certainement fatiguée de ce long voyage et aimeriez vous reposer un peu. » En multipliant les courbettes, elle ouvrit la porte et invita la maîtresse orgueilleuse à entrer.
« Celle-là sait au moins se comporter et recevoir un hôte aussi noble, » se dit la maîtresse orgueilleuse en suivant la vieille dans le bâtiment.
La vieille lui fit aussitôt préparer un bain et, ensuite, elle la conduisit dans une belle pièce où des nattes épaisses avaient été disposées pour faire un lit confortable.
« J'ai faim, » dit alors la maîtresse orgueilleuse d'un ton de commandement.
« Tout de suite, tout de suite, veuillez seulement attendre un instant, » répondit la vieille; et, en effet, peu après une servante fit son apparition portant un plateau avec les mets les plus délicieux. La maîtresse orgueilleuse mangea à sa faim et, comme l'effort inhabituel qu'elle avait fourni l'avait fatiguée – puisqu'elle n'avait jamais de sa vie autant marché à pied que ce jour – elle se coucha et s'endormit.
Mais, au milieu de la nuit, elle fut réveillée par un étrange grattement. Elle s'assit et regarda autour d'elle pour savoir d'où venait ce bruit. À travers les fentes de la porte, elle vit passer un rai de lumière. Elle se leva et entrouvrit la porte. Dans la pièce voisine, deux grands chats striés étaient couchés sur des nattes épaisses, leurs yeux verts luisant méchamment.
Vite, la maîtresse orgueilleuse referma la porte et, sur la pointe des pieds, elle alla vers la porte donnant dans la deuxième pièce voisine. Elle entrouvrit aussi cette porte, mais n'aperçut encore que deux chats, qui, eux, étaient mouchetés.
Alors, la maîtresse orgueilleuse fut prise de panique. « Youkiko ne m'a-t-elle pas dit que c'étaient de belles jeunes filles qui se trouvaient couchées dans les pièces ? – Mais, ici, je ne vois que d'horribles grands chats ! »
À cet instant, la porte s'ouvrit et son ancienne chatte entra.
Furieuse, la maîtresse orgueilleuse l'apostropha : « Il est vraiment temps que tu daignes faire ton apparition ! Je ne me plais pas du tout ici. Donne-moi vite un sachet avec des pièces d'or et laisse-moi sortir ! »
En entendant ces paroles, la petites chatte noire se rendit compte que son ancienne maîtresse n'avait en rien changé. Elle lança des regards méchants à la maîtresse, miaula fortement – et, à l'instant même, de grands chats accoururent de tous côtés et déchiquetèrent la maîtresse orgueilleuse.