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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


Crabouille et le livre magique

Il y a longtemps, bien longtemps, perdu au coeur de la forêt, dormait un petit village. Des arbres bordaient les chemins. La vie y était paisible. Les gens étaient heureux et les enfants jouaient, riaient.

  A la lisière de la forêt, dans une petite ferme au toit de chaume, habitait un pauvre paysan. Il se prénommait Barnabé. Il était habillé d'un pantalon rapiécé, d'une veste toute déchirée et d'un vieux chapeau de paille sous lequel il cachait de beaux yeux clairs qu'il tenait de son grand-père. Il était chaussé de beaux sabots de bois.

    C'était un vieil homme plein de ressources. Il avait très bon coeur ; il partageait souvent le foin de ses bêtes avec celles des voisins. A l'automne, il invitait les enfants à venir remplir leurs paniers de pommes. Ce brave homme ne savait ni lire, ni écrire, mais il adorait raconter des histoires aux enfants sous son pommier aux branches arrondies.

    Le printemps arrivait à grands pas et les bourgeons s'ouvraient au soleil. Myosotis, primevères et jonquilles éclairaient de mille feux le jardin de Barnabé. Un jour, de bon matin, il décida de labourer son champ. Il se dirigea vers la grange pour chercher sa charrue et y atteler ses boeufs. La journée fut rude car le champ était grand et les bêtes fatiguaient. Au coucher du soleil, en terminant son dernier sillon, la charrue butta sur un objet.

                                         LA CHANSON DU PASSÉ SIMPLE

Ce jour-là
Son champ il laboura, a.i, a.s, a
Un objet pointu il aperçut, u.s, u.s, u.t
Un coffre il découvrit, i.s, i.s, i.t
Son souffle il retint, i.n.s, i.n.s, i.n.t
C'est si simple, le passé simple

Il le souleva méticuleus'ment et le posa
Il le nettoya, le tourna, le retourna
Il le secoua, le jeta, prit un outil et força
Il essaya de l'ouvrir mais il ne réussit pas

Fatigué et découragé, il eut une idée
Sur une pierre il s'assit, sa faucille il saisit
Sur le coffre il la brandit et cela fit grand bruit
De l'ouvrir il eut peur mais il écouta son coeur


Le coffre était en bois de chêne. A l'intérieur, il découvrit un livre étrange. Il était très vieux et couvert de poussière. Sa couverture de cuir portait des inscriptions dorées. Ses pages en parchemin étaient toutes jaunies. En l'ouvrant, il entendit une mélodie si douce et si étrange qu'il sursauta. Il avait l'impression de rêver. Cette mélodie l'ensorcelait. C'est alors que des lettres couleur d'or s'envolèrent du livre, tournèrent autour de lui comme un tourbillon puis reprirent leur place dans le livre. Quelques-unes s'échappèrent dans la forêt. Il les suivit des yeux.

    Reprenant le livre, Barnabé, stupéfait, découvrit alors qu'il savait lire. Il s'assit sur le coffre et lut quelques pages de l'histoire. Il était si passionné qu'il ne sentait plus la fraîcheur du soir sur son visage. Le vieil homme était heureux car enfin son rêve pouvait se réaliser : il pourrait raconter tant de nouvelles histoires !

    Le lendemain matin, dès l'aube, il rassembla tous les enfants des fermes voisines sous son pommier. Quand ils furent installés, Barnabé commença à leur lire une très belle histoire. Il lisait doucement. Émerveillés par le récit, tous écoutaient attentivement. Ils restaient là bouche-bée, les yeux écarquillés.  Quand il voulut raconter la fin de l'histoire, il découvrit des pages blanches où il n'y avait plus de lettres. Cela le rendit très malheureux. Comment pourrait-il finir l'histoire ?

   A une lieue de là, habitait une méchante sorcière. Elle s'appelait Crabouille. Elle avait très mauvais caractère. C'était une jeteuse de sorts ; à chaque fois qu'elle prononçait une formule magique, elle avait le hoquet. Quand elle était en colère, elle transformait les enfants en chiens et en chats.

                                          LA CHANSON DE L'IMPARFAIT

A.i.s  a.i.s, a.i.t, i.o.n.s, i.e.z et a.i.e.n.t
Elle grognait, elle soufflait, elle criait
Ça chante ait, c'est l'imparfait

           Elle avait un nez crochu avec une grosse verrue
Son chapeau était pointu, des yeux d'chat y'étaient pendus
Elle portait des souliers tissés avec des  toiles d'araignées
Ses dents étaient toutes cassées et sa peau toute fripée

Sur un pupitre était posé un vieux grimoire de magie noire
Dans un drôle de chaudron, elle mélangeait des potions
Sur un petit feu de bois mijotaient des yeux de chats
De la bave de crapauds et des langues de boas


Un matin, Crabouille décida de préparer une potion ; il lui manquait quelques ingrédients. Elle prit son panier en osier, ferma la porte du manoir et partit sur le chemin de la forêt. Elle commença par cueillir des herbes : du thym, de la citronnelle, des orties. Soudain, elle fut attirée par quelque chose d'étrange sur le tronc d'un arbre. Curieuse, elle s'approcha tout doucement, pensant que les formes noires qu'elle apercevait étaient des insectes qui lui serviraient pour préparer sa tisane préférée, la tisane de crapauds. Mais quelle surprise en découvrant des lettres dispersées sur le tronc de l'arbre. D'où cela pouvait-il provenir ?
   
    Tout à coup, à son grand étonnement, les lettres se déplacèrent et se mirent en ordre en formant des mots puis des phrases. Elle se dit que ces lettres provenaient sûrement d'un livre magique. Il fallait absolument le récupérer. Elle se cacha derrière un buisson et attendit.

Au même moment, Barnabé quittait le village pour partir à la recherche des lettres dans la forêt, emportant avec lui le précieux livre. Le soir venu, les enfants ne le voyant par rentrer, s'inquiétèrent de son absence. Ils se réunirent sous son pommier et discutèrent. Ils étaient bouleversés, malheureux. L'un d'eux, le plus âgé, monta sur un tronc d'arbre et prit la parole : « Ecoutez les amis, la situation est grave ; Barnabé a disparu. Il faut que l'un de nous parte à sa recherche »

   C'est alors qu'un petit garçon, attristé par la disparition du paysan, s'assit à l'écart sur une pierre. Il s'appelait Marcellin. Il avait les cheveux châtains, des yeux noisette, quelques taches de rousseur sur son visage. C'était un garçon habile et courageux. Il remarqua, à ses pieds, un escargot venu d'on ne sait où, qui s'approchait de lui. C'était un escargot un peu plus gros que les autres. Il possédait des antennes rigolotes.. Tout à coup, un rayon de soleil caressa sa coquille qui se transforma en une boule de cristal. L'enfant vit apparaître une image : Barnabé était accroupi dans une malle sur laquelle était assis un dragon. Le garçon frotta bien ses yeux. Il ne rêvait pas : dans la coquille de cristal, le paysan s'adressa à lui : « Je suis dans une tour, prisonnier de la sorcière Crabouille qui a volé le livre, viens vite à mon secours ! ».

    A ce moment, un nuage cacha le soleil et la coquille reprit sa forme. L'image disparut. Marcellin raconta son histoire aux autres enfants mais personne ne le crut car il était le seul à avoir vu la coquille se transformer en boule de cristal. L'escargot, qui était resté près de lui, réfléchit quelques instants et dit : « C'est toi qui iras délivrer Barnabé, car tu es le plus courageux ! »

                                      LA CHANSON DU FUTUR SIMPLE

Demain matin, tu te mettras en chemin
Je t'accompagnerai, je te guiderai
Des gentils lutins t'accueilleront
Le futur simple nous chanterons
R.a.i, r a.s, r a, r o.n.s, r e.z, r o.n.t

Par le chemin de la forêt tu partiras
Une belle rivière tu longeras
Un compagnon tu rencontreras
Et avec lui tu voyageras

L'arbre le plus haut de la forêt tu chercheras
Au sommet du grand chêne tu grimperas
Quand la pie voleuse son nid quittera
Une pierre en cristal tu découvriras


Marcellin se répéta toute la nuit les conseils de Monsieur l'escargot. Dès l'aube, il quitta le village et se mit en route en chantant avec son harmonica. Après avoir demandé son chemin à un écureuil, il arriva au village des lutins qui lui remirent le miroir magique. Tout se déroula comme l'avait prédit l'escargot. Il avait maintenant, en sa possession, le poil d'âne, les feuilles de menthe, le trèfle à quatre feuilles, la pierre en cristal. Marcellin poursuivit seul son chemin, son ami l'escargot ayant décidé de rester chez les lutins.

    Il marchait depuis longtemps à travers bois et chemins quand il aperçut un chat assis sur le bord du sentier. C'était un petit chat tigré. Il avait de beaux yeux vert-émeraude, une queue longue et touffue, des griffes affûtées, un petit sourire coquin.  Il semblait très poli.  « Bonjour, mon jeune ami. Où t'en vas-tu de si bon matin? Demanda-t-il ». Le jeune garçon, étonné d'entendre un chat parler, lui répondit : « Je m'en vais au manoir de la sorcière pour délivrer un pauvre paysan qui est prisonnier
- Surtout ne va pas chez Crabouille, dit le chat d'une voix effrayée J'étais son fidèle compagnon mais un jour il m'est arrivé une mésaventure ».

                                     LA CHANSON DU PASSE COMPOSÉ

Le passé composé, c'est un temps du passé
Auxiliaire au présent et participe passé
Je me suis enfui car la sorcière m'a chassé
J'ai pleuré, j'ai miaulé, c 'est le passé composé

Un après-midi, j'ai poursuivi une souris
Elle m'a dit : « T'es pas gentil »
J'ai dérapé, elle s'est échappée
Dans le chaudron, je suis tombé

La potion a débordé
Crabouille a été éclaboussée
Des boutons lui ont poussé
De la tête jusqu'aux pieds


Quand il eut terminé son histoire, Marcellin eut pitié de lui ; ils devinrent amis. Il lui proposa de faire route avec lui. Les deux amis reprirent leur chemin, marchèrent longtemps, traversèrent  des prairies, des vignobles, des champs de blé... Fatigués, ils s'arrêtèrent et s'assirent sur un gros rocher. Tout à coup, ils sentirent que la pierre s'enfonçait.

    Les deux amis tombèrent dans un endroit étrange. Le chat reconnut le souterrain de la sorcière. Il proposa de guider Marcellin à travers toutes les galeries. « Ne me quitte pas, dit-il, je connais le souterrain comme ma poche ! ».

                                     LA CHANSON DE l'IMPÉRATIF

Suis mes ordres, écoute mes conseils
Ne va pas par là, prends plutôt ce chemin
Ne te décourage pas, aie confiance en moi
Sois attentif, c'est l'impératif

Dépêche-toi petit malin et prends ce chemin
Attrape cette torche, éclaire ce porche
Vite, courons, faisons attention
Tout au fond habite un griffon

Prends cette grosse corde mais évite de la tordre
Si tu es prêt, passe au-dessus du muret
« Suivez-moi pour trouver la sortie »
Dit une gentille petite souris


Ils avaient enfin réussi à trouver l'entrée du manoir. « Merci, gentille petite souris, dirent le chat et le garçon. Veux-tu te joindre à nous ? ». La souris accepta avec plaisir. Après avoir ouvert la porte grinçante, les compagnons se trouvèrent dans une salle où il y avait des choses étranges et poussiéreuses. Devant eux, se trouvait un escalier en colimaçon. Ils se demandaient où il pouvait mener. Alors, sans attendre, ils le montèrent marche par marche et arrivèrent devant une porte fermée à clef.

    Marcellin, découragé, s'apprêtait à faire demi-tour quand le chat l'interpella : « Marcellin, attends, j'ai la clé ; tu te souviens, je l'ai prise dans la poche de Crabouille ». Le chat la tendit au garçon qui la glissa dans la serrure. Qu'allaient-ils trouver ? .Avant d'ouvrir la porte, Marcellin sortit de son sac son miroir magique qui lui renvoya l'image de la pièce. Il resta pétrifié. La sorcière était là, penchée sur son chaudron. Elle mijotait une tisane de crapauds. Elle avait un visage terrifiant. Alors le chat proposa un plan : il éloignerait Crabouille pour que Marcellin puisse récupérer le livre de Barnabé. Le petit garçon ouvrit la porte. Le chat se faufila dans la pièce et bondit entre les jambes de la sorcière. Crabouille, furieuse de le revoir, devint verte et blanche comme un poireau et, musique le poursuivant avec son balai, sortit du manoir. Elle courait après lui en hurlant : « Viens ici, sale chat ! ».

Pendant ce temps, nos deux amis, Marcellin et la souris, se faufilèrent discrètement dans la pièce à la recherche du livre. De sa bourse, le petit garçon sortit délicatement la pierre en cristal qu'il frotta avec le trèfle à quatre feuilles... C'est alors qu'apparut, sur une des facettes du cristal, l'image d'un hibou endormi sur une poutre, serrant dans ses pattes le livre. Marcellin sortit alors de sa poche le poil d'âne magique. Il le laissa s'échapper de sa main et le suivit des yeux. Le poil d'âne, en s'envolant, frôla le hibou qui était allergique. Celui-ci éternua très fort : « Atchoum ! ». Déstabilisé, il vacilla ; le livre tomba sur la tête de Marcellin qui sursauta de peur. Le garçon récupéra le précieux livre. Il le feuilleta : les lettres étaient bien revenues à leur place.

    Marcellin, heureux, remercia chaleureusement le hibou et lui offrit quatre belles feuilles de menthe bien parfumées pour soigner son allergie. Celui-ci interrogea le garçon sur les raisons de sa présence au manoir. Marcellin fit le récit de toute son aventure et lui fit part de son souhait de se débarrasser de la sorcière. Le hibou, qui était en vérité très savant car, depuis des années, il observait la sorcière, dit au garçon : « Je peux t'aider à fabriquer une potion car je connais le grimoire comme mes plumes ». Il mit ses vieilles lunettes sur son bec et s'adressa à l'enfant.

                                  LA CHANSON DU SUBJONCTIF

Il faut que je te lise la recette E
Que tu rassembles les éléments E.S
Pour qu'en sauterelle Crabouille se transforme E
Que nous nous pressions pour faire la potion I.O.N.S
Il est très important que vous réussissiez I.E.Z
Que les ingrédients soient très bien mijotés E.N.T
Avec le subjonctif, qu'on ne soit plus craintif

Il faut que tu prennes 18 langues de serpents
3 cuillères à soupe de cervelle d'hirondelles
5 longues oreilles de lapins nains
10 araignées boiteuses, 3 mygales vénéneuses
Que tu mélanges le tout
Et le cuises à feu doux
Dans un faitout

Il faut que tu ajoutes 1 verre de jus de sangsues
100 grammes de champignons vénéneux, 2 yeux de boeufs
50 grammes de plumes de corbeaux,
2 grosses cornes de capricornes
Que tu laisses bouillir
Dix petites minutes
Foi de grand-Duc


Marcellin se mit à préparer la potion. La souris lui fut d'une aide précieuse. Elle lui apporta tous les ingrédients. Quelques minutes plus tard, la potion était prête. L'enfant recueillit le jus et le versa délicatement dans le chaudron de la sorcière où mijotait la tisane de crapauds.

  Peu de temps après, le chat revint tout essoufflé car il avait beaucoup couru. La sorcière, toute énervée, apparut à son tour sur le seuil de la porte. Assoiffée, elle se précipita sur son chaudron, se versa une louche de tisane de crapauds dans une écuelle et but d'un seul trait. Quelques instants plus tard, elle se transformait en sauterelle. Le chat, qui attendait ce moment depuis bien longtemps, lécha ses babines, mit son bavoir et n'en fit qu'une bouchée.

 « Vite, dépêchons-nous ! Allons chercher Barnabé qui est prisonnier dans la tour. Il va commencer à s'inquiéter, s'exclama Marcellin ». Le petit garçon avait un peu peur ; il se rappelait la vision du dragon. Mais... comment était-il ce dragon ? Le chat lui expliqua.

                                   LA CHANSON DU PRÉSENT

E, es, e, il grogne, il ronchonne
Is, is, it, tout' les nuits, il gémit
S, s, t, il dort en ce moment
C'est l'indicatif présent

Ses cornes sont pointues, il est de vert vêtu
Sa flamme est très puissante et ses griffes tranchantes
Des oreilles d'éléphant et de grandes dents
Des yeux globuleux, une langue de feu

Ronchon est un colosse, il a une montre en os
Quand il n'est pas content, il fait sa tête d'enterrement
Chaque matin, dans un village, il fait une envolée
Au marché, sa salade, il va chercher


Sans plus tarder, les trois compagnons se dirigèrent vers la tour. Elle était lugubre, délabrée, surmontée d'un petit toit pointu en ardoises. Au sommet trônait une girouette qui tournait à chaque fois que le dragon piquait une colère. Les trois amis empruntèrent un escalier étroit dont les marches étaient usées par le temps. Ils arrivèrent en haut de la tour. Le dragon était là, assis sur la malle. Il était endormi. C'était l'heure de la sieste. A son cou, pendait une clé.
« Comment faire pour la récupérer ?  Interrogea Marcellin
- Ronchon a un point faible, déclara le chat. Il a horreur des chatouilles. »
La souris proposa son aide : « Moi, je peux vous aider car je suis petite. Je pourrais grimper sur son dos, il ne me verrait pas ! ».
Et, grattant ses petites pattes, elle sauta sur le dragon et le chatouilla au cou. Ronchon se réveilla en sursaut et se mit à rire aux éclats en gigotant de partout. En essayant d'attraper la souris, il se gratta violemment le cou et s'arracha une de ses plus belles écailles. Il hurla de douleur. « Ne pleure pas, dit Marcellin, je ne te veux pas de mal !  Je viens délivrer notre ami Barnabé. Il me faut la clé !».

                                LA CHANSON DU CONDITIONNEL

Si tu me donnais la clé
De cette tour je te délivrerais
Au village je t'emmènerais
R.a.i.s, r.a.i.s, r.a.i.t, r.i.o.n.s, r.i.e.z, r.a.i.e.n.t
Ah ! Que c'est amusant le conditionnel présent

Dans une chaumière, je te conduirais
Je te cajolerais, je te guérirais
Ton ami, je deviendrais
A lire, à écrire, je t'apprendrais

Je te présenterais aux petits-enfants
Qui sur ton dos joueraient au toboggan
Ils grimperaient sur tes ailes
Vous voleriez jusqu'au ciel

Un grand lit tout en bois, je te construirais
De bisous câlinous je te couvrirais
A cracher du feu, je t'autoriserais
Pour griller les poules que tu dégusterais


Ronchon, tout ému par ces paroles, détacha la clé de son collier et la tendit à Marcellin en signe d'amitié. Le petit garçon l'introduisit dans la serrure de la malle. « Vite ! Je n'en peux plus, suppliait le paysan ». La malle s'ouvrit. Barnabé retrouva enfin la liberté. Son regard croisa celui du dragon et il trembla de peur. « Ne t'inquiète pas, dit Marcellin, Ronchon est maintenant notre ami. Nous avons vaincu la sorcière. Il n'y a plus de danger ! ». .

   Barnabé, Marcellin, le chat et la petite souris s'installèrent sur le dos de Ronchon et s'envolèrent vers le village. Quand ils arrivèrent, les villageois, affolés à la vue du dragon, coururent de tous côtés. Barnabé les rassura. Le soir, à la belle étoile, une grande fête fut organisée. Ronchon, bien sûr, s'occupait des grillades. Pendant ce temps, Barnabé, aidé de Marcellin, fabriquait des lits pour les nouveaux amis : un grand lit en bois pour Ronchon, un panier en osier pour le chat. Le paysan sortit ensuite d'un tiroir une vieille boîte d'allumettes. Ce serait le lit de la petite souris. Les trois amis furent émus de leurs cadeaux.

    Après avoir dégusté les grillades préparées avec amour par Ronchon, les enfants, impatients de connaître la fin de l'histoire, s'installèrent sous le pommier aux branches fleuries. Le chat et la souris étaient assis sur les genoux de Marcellin. Ronchon, quant à lui, écoutait attentivement la lecture mais, au bout d'un moment, il était si épuisé qu'il s'endormit profondément. On l'installa dans la grange de Barnabé dans son grand lit tout neuf et Marcellin lui fit son bisou de minuit.

   Le petit garçon, le chat, la souris et Ronchon devinrent de grands amis. Chaque matin, sous le pommier de Barnabé, ils se réunissaient avec les enfants du village pour écouter le vieil homme si passionné par la lecture. Ils purent enfin apprendre à lire. Barnabé avait réalisé son plus beau rêve.

    Ronchon était devenu l'ami des enfants ; il adorait les promener sur son dos. Il rendait souvent des services aux paysans qui le récompensaient en lui offrant des poules et des salades.

    Le calme était revenu dans le petit village....  Depuis ce temps-là, villageois et dragon vivent en paix.


E.P

bunni

#676

La robe merveilleuse

C'était la petite fille la plus pauvre du monde. Elle ne possédait rien, pas même une poupée de chiffons, pas même d'images. Elle n'avait qu'une seule robe et, quand sa mère la lui lavait, elle devait rester au lit pour attendre qu'elle fût sèche.

Un soir, la mère regarda en soupirant la fillette endormie, puis son regard se porta sur une pauvre guenille bleue pliée avec soin sur un tabouret, et elle songea que l'enfant avait besoin d'une robe neuve. Mais comment une pauvre mère qui travaille tout le jour pour gagner du pain peut-elle trouver l'argent nécessaire pour acheter une robe ? Elle ouvrit la fenêtre, contempla la campagne en fleur, à la clarté de la lune et pensa : " Quelqu'un me donnera sûrement une robe pour mon enfant."

Elle sortit sans bruit, referma la porte et alla à la recherche d'une robe. A peine était-elle sur la route qu'elle rencontra un magnifique rayon de lune.

- Douce lune, dit la mère, veux-tu me faire de tes rayons une robe pour mon enfant ?
- Je le ferais volontiers, répondit la lune gentiment, mais les hommes se plaindraient ensuite de ma lumière pâlie. Cherche ailleurs ;

La mère s'éloigna en soupirant. Elle entendit alors le rossignol chanter dans la forêt d'une voix si douce
qu'il semblait vouloir exprimer toute la tendresse d'un coeur. Emue, elle lui demanda :

- Cher petit rossignol, veux-tu de tes chants, faire une robe pour mon enfant ?
- Je regrette beaucoup, répondit le rossignol, mais, si je ne pouvais plus chanter, la nature perdrait son plus grand charme et tous les êtres se plaindraient. Cherche ailleurs;

La mère s'éloigna de nouveau en soupirant. Elle tenait la tête baissée et regardait les fleurs aux brillantes couleurs qui s'épanouissaient sur le bord du chemin. Et elle dit aux fleurs d'une voix caressante :

- Petites fleurs, voulez-vous me donner vos pétales pour que j'en fasse une robe pour mon enfant? Je vous en serais si reconnaissante ! mon enfant a absolument besoin d'une robe.
- C'est bien malheureux, murmurèrent les fleurs, mais, si nous te donnions nos pétales, c'est nous qui resterions sans vêtements. Et, alors, que deviendraient les sentiers et les prairies sans fleurs ? Cherche ailleurs.

Déçue, découragée, la pauvre mère s'éloigna. Elle arriva au bord de la rivière et regarda ses eaux tranquilles qui passaient en babillant. Elle l'interpella en ces termes :

- Rivière parfumée de menthe et de genièvre, qui descends des fraîches montagnes, je te prie, fais-moi de ton eau une robe pour mon enfant.
- Je ne le puis, répondit la rivière, je suis pressée car je dois aller très loin. Cherche ailleurs.

La mère repartit, désolée. Tout espoir l'abandonnait et elle songeait au retour. Mais voici que, devant elle, une sauterelle gambadait joyeusement, la regardant de ses petits yeux étonnés.

- Je te prie, gaie sauterelle, dit la mère soudain consolée, de ta joie fais une robe pour mon enfant qui en a absolument besoin.
- Bé ! Qui donc se priverait de sa propre joie ? répondit la sauterelle d'une voix stridente, ce serait bien stupide. Cherche ailleurs.

Et la sauterelle s'en alla en gambadant.

Alors la mère, le coeur plein de tristesse, songea à retourner à la maison; aucune créature, dans cette nuit lumineuse, n'avait eu pitié d'elle et de son enfant. Elle jeta un regard autout d'elle pour chercher un autre sentier, car elle ne voulait pas se retrouver parmi ces êtres restés insensibles à sa requête.

Et voici qu'en passant à côté d'une masure déserte et presque en ruine elle entendit un gémissement lugubre qui venait de ces vieilles pierres noires.

- Qui est-ce qui gémit ainsi ? demanda-t-elle.
- C'est moi, le hibou, répondit la triste voix. Je suis toujours seul; personne ne m'aime parce que je suis aussi laid que ma voix; et toi, qui es-tu ?

La mère s'approcha d'une fenêtre sur le rebord de laquelle perchait le hibou; il la regardait de ses yeux mélancoliques au fond desquels brillait une lueur.

- Je suis la mère de la petite fille la plus pauvre du monde, dit-elle, et je cherche une créature assez bonne pour me donner une robe pour mon enfant qui en a si grand besoin. Mais, jusqu'à présent, tout le monde m'a repoussée. Je dois donc rentrer à la maison et me remettre à raccommoder avec une patience infinie la pauvre vieille robe.

Et la pauvre mère poussa un soupir. Il ne lui était pas venu à l'esprit de demander son aide au hibou, ce pauvre être déshérité, misérable et solitaire.

- Je n'ai rien à te donner, reprit le hibou, car je suis aussi pauvre que toi. Mais ma compassion est si grande qu'elle pourrait suffire à faire une robe pour ton enfant.

Et le hibou se mit à pleurer; ses larmes brillantes tombaient en abondance aux pieds de la pauvre mère. Et peu à peu elles se transformèrent en une sorte de resplendissant tissu de diamants. La mère le ramassa, émerveillée, émue, heureuse. Le pauvre hibou avait donné sa compassion, la seule richesse qui n'appauvrit pas celui qui s'en prive, mais qui, au contraire, l'enrichit toujours davantage, comme la source vive, qui, plus elle donne d'eau, plus elle en a ! La mère courut porter à la maison la robe merveilleuse. Et, le lendemain, il n'y avait pas une seule petite fille riche qui eût une robe aussi belle.

- Mais ce sont des diamants, ce sont des diamants ! s'exclamaient les gens qui s'attroupaient dans la rue pour admirer et pour toucher la robe merveilleuse.

Personne ne s'apercevait que c'était seulement des larmes de compassion.

bunni

#677

L'arbre qui chante

C'était un matin de janvier. Un de ces beaux matins blancs et secs pareils à ces vieux montagnards qui ont du givre à leurs moustaches et des yeux pétillants de soleil.
Il avait neigé toute la nuit à gros flocons serrés. Puis, le jour venu, un grand souffle de vent du nord avait débarbouillé le ciel. Derrière la maison, la forêt qui commence au pied de la montagne s'était endormie dans un grand silence glacé. Entre les arbres, les ombres étaient bleues. Les sapins ployaient encore sous leur charge de neige, car le vent de l'aube n'avait soufflé que pour chasser les nuages.

Isabelle et Gérard habitaient là, tout près du bois, dans la maison de leurs grands-parents. C'était une toute petite maison aux murs gris et aux volets verts. Elle se trouvait à l'écart du village que l'on devinait à peine, ce matin-là, très loin, au bord de la rivière gelée.
On ne voyait même plus le chemin qui court entre les champs et traverse la prairie. De la fenêtre, les deux enfants essayaient de le suivre du regard. Ils le trouvèrent très facilement jusqu'au premier tournant, près du gros érable mort depuis deux ans et que le grand-père ne s'était pas encore décidé à couper, mais, plus loin, tout se confondait.
Tandis qu'ils regardaient ainsi, le nez collé à la vitre, Isabelle et Gérard virent passer un oiseau, puis un autre, puis tout un vol qui se percha sur la treille d'où tombèrent des paquets de neige.

- Ils ont froid, dit Isabelle. Il faut leur donner des graines ou du pain.
Elle prépara des graines, et Gérard ouvrit la fenêtre.
- Ferme vite, cria Grand-père, tu vas faire entrer tout l'hiver dans la cuisine

Les enfants se mirent à rire. Comme si l'hiver pouvait entrer dans une maison !
Isabelle jeta ses graines sur le sentier que Grand-père avait balayé pour aller jusqu'au bûcher chercher du bois. Grand-mère se mit à tousser et souleva les cercles de fonte de la cuisinière pour enfourner une énorme bûche dans le foyer.
Dès que la fenêtre fut refermée, deux oiseaux quittèrent la treille pour venir picorer. Les autres semblaient inquiets, mais, comme rien ne bougeait, ils s'envolèrent à leur tour tandis que d'autres tombaient du toit, tout droit, presque sans battre des ailes.

- Ils n'auront jamais assez de graines, dit Isabelle. Il en vient de plus en plus.
- Mais si, mais si ! cria Grand-mère. Si tu leur donnes tout, ce sont mes poules qui n'auront plus rien !
- Et si tu continues, tu finiras par attirer tous les oiseaux de la forêt, renchérit Grand-père.

Isabelle se résigna et revint à la fenêtre. Elle resta un long moment à côté de son frère, essuyant la vitre quand la buée l'empêchait de voir. Soudain, elle empoigna le bras de Gérard en disant :

- Regarde, sur le chemin !

Gérard leva les yeux. Là-bas, plus loin que le gros érable mort, un animal curieux avançait dans la neige. Il ressemblait beaucoup au petit lapin mécanique que le Père Noël avait apporté à Gérard quelques années plus tôt. Comme le jouet, il sautillait, vacillait de droite à gauche et s'arrêtait à chaque instant. Toujours comme le lapin, il était vêtu de poils gris et portait de longues oreilles qui se rejoignaient au sommet de son crâne.
Cette apparition était tellement surprenante que les enfants oublièrent les oiseaux. Ils restaient bouche bée, observant sans mot dire cet animal étrange dont les yeux, par moments, lançaient des éclats de lumière.

Quand le lapin, qui marchait uniquement sur ses pattes de derrière, eut atteint la haie bordant le jardin, les enfants ne virent plus que sa tête.

- On dirait qu'il vient ici, murmura Gérard.
- C'est vrai, il fait le tour du jardin.

Le lapin disparut et il y eut un long silence un peu angoissant. Les pas résonnèrent sur les marches de pierre, et les oiseaux s'envolèrent ,les enfants retenaient leur souffle, l'oreille tendue.

- Vous n'avez rien entendu ? demanda Grand-père.

Les deux petits hochèrent la tête.

- Qu'est-ce que ça peut bien être ? dit Grand-mère.

À cette heure-ci, le facteur était encore loin.

Les grands-parents n'avaient rien vu, et les enfants n'osaient répondre. Ils ne pouvaient tout de même pas dire: « C'est un lapin mécanique grand comme un homme qui arrive tout seul et bat de la semelle sur le palier ! »
Il y eut encore un frottement contre la pierre, puis on entendit frapper à la porte. Les grands-parents se regardèrent, puis regardèrent la porte. Enfin, comme on frappait plus fort, Grand-père cria :

- Entrez !

La porte s'ouvrit lentement, et ce fut tout d'abord une large bouffée de bise qui pénétra dans la cuisine. Cette fois, c'était le lapin qui apportait l'hiver dans son poil gris. Car c'était bien lui qui se tenait là, debout sur le seuil, tout surpris par la chaleur et l'odeur du feu de bois où cuisait la pâtée des vrais lapins.
Grand-mère se précipite pour fermer la porte. Et voilà que le lapin se met à parler :

- Bonjour, bonjour, dit-il. Je viens très tôt, il faut m’excuser, mais...

Les poils gris s'écartent à la hauteur du visage, de grosses lunettes paraissent, puis un nez tout rouge, puis des moustaches raides comme un balai de crin, puis un visage piqueté de barbe blanche pareille à celle de Grand-père.

- Mais c'est Vincendon ! s'exclame Grand-père. C'est Vincendon !

Et c'était vrai ! C'était bien Vincendon. Et ce fut seulement quand il eut ôté son bonnet à oreilles relevées et quitté sa pelisse dont le col montait à hauteur de ses yeux que les enfants eurent la certitude que le lapin mécanique était un homme. Ils ne l'avaient jamais vu, mais Grand-père leur avait souvent parlé de ce vieil ami.
Le père Vincendon essuyait ses lunettes, il essuyait les larmes qui coulaient de ses yeux en répétant :

- Je vous vois à peine. La chaleur après le froid me fait toujours pleurer. Et mes lunettes sont couvertes de buée.

Il n'y voyait pas, mais il pouvait parler et écouter. Bientôt, assis au coin du feu à côté de Grand-père, il se mit à raconter des histoires de sa jeunesse. Grand-père en racontait aussi. Ils parlaient en même temps, personne ne les écoutait, mais ils semblaient heureux tous les deux.
Les enfants sont déjà retournés à la fenêtre. Il n'y a plus de graines, mais quelques oiseaux s'obstinent à chercher. Une ombre passe sur la neige, un gros oiseau noir descend pour aller se poser sur l'arbre mort. Gérard se retourne.

- Grand-père, il y a un aigle sur l'arbre mort ! Viens vite ! Viens vite voir, Grand-père !

Grand-père ne bouge pas, mais Vincendon se lève et rejoint les enfants.
Ses lunettes rondes enfin propres sont sur son nez. Il dit :

- Ce n'est pas un aigle, c'est un corbeau. Et l'arbre, c'est un érable, mais il n'est pas mort.

De son fauteuil, Grand-père crie :

- Il est mort depuis deux ans. Et je l'abattrai dès que je pourrai.
- Je te dis qu'il n'est pas mort, affirme Vincendon. Les arbres ne meurent jamais...
- Ne me raconte pas des choses pareilles, dit Grand-père, l'air surpris. Je t'assure que ça fait deux printemps qu'il n'a pas bourgeonné. Je te dis qu'il est mort et bon pour le feu.

Vincendon les regarde tous, et pourtant, on dirait qu'il ne les voit pas, qu'il voit autre chose, très loin, bien plus loin que le bout de la plaine.

- Je vous répète que les arbres ne meurent jamais, dit-il... Et je vous le prouverai... Je vous le prouverai en faisant chanter votre vieil érable.

Grand-père parait incrédule. Mais il se tait. Vincendon est son ami, sans doute ne veut-il pas le contrarier.
Les enfants se regardent. Ont-ils bien entendu ?
Déjà Vincendon a regagné son fauteuil et repris le cours de ses histoires. Et il va rester là jusqu'à la tombée de la nuit, partageant avec eux le repas du midi.
Lorsqu'il s'en va, Grand-père l'accompagne jusqu' à l'érable. Ils tournent tous deux autour du gros arbre, comme s'ils jouaient à la cachette, tout petits dans le crépuscule qui éloigne tout et donne au paysage l'aspect d'une carte postale de bonne année.
Lorsque Grand-père rentre, les enfants se précipitent pour demander :

- Alors, qu'est-ce qu'il a dit ?
- Vincendon soutient que l'érable n'est pas mort. En tout cas, il m'a promis de le faire chanter.
- Mais comment, Grand-père, comment fera-t-il ?
- C'est son secret. Vous verrez plus tard. Je ne peux rien vous dire puisqu'il ne m'a rien expliqué. Il faut attendre.

Les enfants ont beau insister, Grand-père se tait.
Le temps passa. La neige se mit à fondre et les pluies de printemps lavèrent sur le flanc de la colline les dernières traces de l'hiver. Les enfants avaient oublié le père Vincendon lorsqu'un soir, en rentrant de l'école, ils s'aperçurent qu'il manquait quelque chose au paysage. C'était le gros érable. À sa place, il n'y avait qu'une large souche, quelques brindilles, des morceaux d'écorce et de la sciure qui ressemblait à un petit tas de neige oublié là par le soleil.

- C'est peut-être Grand-père qui a coupé l'arbre, dit Gérard. Il n'aurait pas dû. Monsieur Vincendon avait promis de le faire chanter.
- Tu y crois ? demanda Isabelle.
- Oui, parce que c'est monsieur Vincendon qui l'a promis.
Mais Grand-mère prétend que l'arbre mort ne peut plus chanter autrement que dans le feu.
- Il ne faut pas qu'on le brûle, dit le garçon. Viens, viens vite !

Ils se mirent à courir vers la maison. Ils posèrent en passant leurs cartables au pied de l'escalier, et ils filèrent vers le bûcher qui est une petite cabane de bois que Grand-père a construite au fond du jardin.
La porte était grande ouverte et la charrette arrêtée devant l'entrée. Les enfants coururent, coururent très vite. Lorsqu'ils arrivèrent, ils étaient rouges et essoufflés. Grand-père et Vincendon sortaient du bûcher. Un tronçon de l'érable était encore sur la charrette. Les enfants regardèrent Vincendon avec une lueur de reproche dans leurs yeux clairs, mais le vieillard sourit sous sa moustache. Il s'approcha de la charrette, et se mit à caresser le tronc de l'érable comme il eût fait avec un chien.
Les mains de Vincendon sont grosses, avec des doigts larges et épais, avec des ongles tout relevés et qui ont une drôle de forme. Quand Vincendon caresse le bois, on dirait qu'il le passe au papier de verre tant ses paumes sont râpeuses. Lorsqu'il vous serre la main on se figure toujours qu'il porte des gants de fer comme en mettaient les chevaliers du Moyen Âge.

Il caressa donc le bois et cligna de l'oeil en disant :

- Ne vous faites pas de souci, il chantera. Je vous l'ai promis, et je tiens toujours mes promesses.
- Il chantera dans le fourneau, ricana Grand-père. Exactement comme tous les arbres qui meurent. Le faire chanter comme ça, c'est facile.
Grand-père devait plaisanter ! Pourtant Vincendon fit mine de se fâcher.
- Tais-toi donc ! cria-t-il. Tu n'y connais rien. Moi, je te dis qu'il chantera mieux encore que lorsqu'il vivait les pieds dans la terre et la tête au soleil. Mieux que les jours où il était tout chargé d'oiseaux et tout habité de vent.

Les enfants écoutaient ce langage curieux. Comme ils semblaient douter de lui, Vincendon les prit chacun par un bras, et il les serra fort avec ses grosses mains dures. Il serrait très fort, presque à faire mal, mais cette force qui était en lui avait quelque chose de rassurant. Il retourna vers la charrette, et continua de palper le gros tronc couché sur les planches.
Il se penchait, tapotait du doigt, écoutait, se redressait en hochant la tête, exactement comme fait le docteur lorsqu'on est au lit avec une grosse fièvre. Mais Vincendon n'avait pas l'air inquiet. Il continua d'ausculter son arbre, répétant seulement de loin en loin :

- C'est bien... C'est très bien... Il est sain... Il chantera... Vous verrez ce que je vous dis, il chantera mieux encore que lorsqu'il avait des oiseaux plein les bras.

Le lendemain, tout avait disparu. Il ne restait plus dans le bûcher que quelques branches et un bon tas de sciure. Les enfants se mirent à chercher. Enfin, au grenier, ils finirent par retrouver l'érable. Mais cette fois, ils furent très déçus. L'arbre était méconnaissable, tout débité en grosses planches, il avait vraiment un air d'arbre mort.

- Monsieur Vincendon s'est moqué de nous, dit Isabelle. Il ne fera jamais chanter cet arbre. D'ailleurs, est-ce que quelqu'un peut faire chanter un arbre mort ? Il faudrait un sorcier. Et ce Vincendon n'est pas un sorcier.

- Qu'en sais-tu ?

Isabelle regarda son frère, l'air effrayé.

- Tu crois qu'il serait sorcier ? fit-elle.

Gérard prit à son tour un air important pour répondre :

- Ce n'est pas impossible. Je crois savoir des choses... des choses.

En fait, il se vantait pour paraître mieux informé et plus débrouillard que sœur, car il ne savait rien de plus que vous et moi sur le père Vincendon.
Mais le printemps est tout plein de vie, et les enfants oublièrent très vite le vieil arbre. Avant la montée de la sève, Grand-père était allé dans la forêt, et il avait rapporté deux petits érables qu'il avait plantés au bord du chemin, de chaque côté de la vieille souche. À présent, ces petits arbres avaient des feuilles, et c'était eux qui commençaient à chanter avec le vent, venu du fond de l'horizon en poussant dans le ciel bleu de gros nuages blancs.
Tout le printemps s'écoula, puis, un jour de juillet, Grand-père sortit la charrette du bûcher et descendit du grenier les plus grosses planches tirées de l'érable.

- À présent, dit-il, en route pour l'atelier de Vincendon.

Isabelle grimpa sur la charrette. Grand-père se mit à tirer par le timon, tandis que Gérard poussait derrière. Ils marchèrent plus d'une heure pour gagner le village. Une heure sous le gros soleil.
Vincendon habitait tout au bout du pays, une maison dont les fenêtres regardaient couler la rivière. Dès qu'il entendit les roues ferrées crisser sur le gravier de la cour, Vincendon sortit sur le pas de sa porte. Il leva les bras dans un geste comique et s'écria :

- Diantre ! Voilà des clients sérieux ! Depuis le temps que je les attendais !

Il portait une chemise claire et un tablier de toile bleue qui tombait jusque sur ses pieds. Ses manches relevées laissaient paraître ses avant-bras maigres ; ainsi, ses mains semblaient encore plus grosses.
Il aida Grand-père à transporter les planches jusqu'au fond d'une longue pièce un peu sombre où les enfants n'osèrent pas les suivre. Une odeur étrange venait jusqu'à eux, et ils demeuraient sur place, se tenant par la main.
Pourtant, Vincendon les fit entrer dans une autre pièce plus claire. Au plafond, le soleil reflété par la rivière jouait en vagues folles.

- Vous me permettrez bien de terminer ce que j'ai commencé, dit Vincendon.

Grand-père approuva, et le vieux bonhomme se remit au travail. Ses énormes mains qui semblaient si maladroites pouvaient manipuler les objets les plus menus et les plus fragiles. Vincendon expliqua qu'il polissait le rouage d'une serrure de coffret à secrets. Il faisait tout en bois, même les serrures et les charnières. Pour lui, le métal n'était qu'un serviteur du bois.

- Le bois, disait-il, c'est un matériau noble. Vivant ? toujours vivant. Le métal est bon à fabriquer les outils qui nous permettront de travailler le bois. Mais le bois... le bois...

Quand il prononçait ce mot, ses yeux n'étaient plus les mêmes.
Vincendon n'était pas un homme comme les autres : il était amoureux du bois.
Il en parlait vraiment comme d'un être vivant, comme d'une personne de sa famille, avec qui il vivait depuis des années et des années. Avec le bois, il pouvait tout réaliser. De petits coffrets incrustés d'ivoire et de marqueteries compliquées. De petites tables dont les pieds étaient si minces que les enfants retenaient leur souffle de peur de les faire tomber.
Les murs de son atelier étaient garnis d'outils posés sur les rayons ou suspendus à des râteliers. Il y avait des rabots de toutes dimensions et de toutes formes, des scies, des gouges, des ciseaux, des varlopes, des boîtes à coupes, des compas et bien d'autres instruments dont les enfants entendaient le nom pour la première fois. Et puis, il y avait des pots de colle, des bouteilles de vernis, des pains de cire et du bois partout. Du bois de toutes les essences, de toutes les formes, de toutes les couleurs.

Comme Isabelle, qui est très curieuse, se dirigeait vers une petite porte et posait déjà sa main sur la poignée, Vincendon se précipita :

- Non, non, dit-il, n'entre pas là...

C'est dans cette pièce qu'est mon secret.
Isabelle pensa au cabinet de Barbe-Bleue, mais elle se mit à rire. Il y avait longtemps qu'elle ne croyait plus à tout cela.

- C'est mon secret, reprit Vincendon. Tu le connaîtras quand tu auras entendu chanter ton arbre.

L'été passa trop vite, avec les vacances et les courses merveilleuses dans la campagne et la forêt. Les deux arbres plantés par Grand-père poussaient bien. Les oiseaux s'arrêtaient déjà. Vers la rentrée des classes, leurs feuilles commencèrent à jaunir et les grands vents d'automne les emportèrent au loin. Les deux petits érables semblaient morts, mais Gérard et Isabelle savaient qu'ils venaient seulement de s'endormir pour l'hiver. À cause des devoirs toujours difficiles et des leçons à apprendre, les deux enfants avaient oublié les gros érables et la promesse du père Vincendon.
Un jeudi matin, quelques jours avant la Noël, les enfants comprirent dès le réveil que la neige était revenue. Il y avait un grand silence tout autour de la maison, et la lumière filtrait par les fentes des volets était plus blanche que celle des autres matins. Ils se levèrent très vite malgré le froid.

- Les oiseaux, dit Isabelle. Il faut penser aux oiseaux.

Elle allait ouvrir la fenêtre pour jeter des graines lorsqu'elle aperçut, hésitant sur le sentier tout blanc, le lapin mécanique.

- Vincendon, c'est monsieur Vincendon !

C'était bien lui, vêtu de sa pelisse grise et de son bonnet à oreilles, mais il portait sous son bras un long paquet enveloppé de papier brun. Le vieil homme approchait lentement, évitant les congères et cherchant avec peine le tracé du chemin. Il passa les deux érables que l'on devinait à peine dans la grisaille, son bonnet dansa un moment au-dessus de la haie puis disparut.

- C'est lui, répétaient les enfants ! C'est bien lui !

Ils ne savaient pas ce qu'apportait Vincendon, mais leur cœur s'était mis à battre très fort. Dès que les semelles du vieil homme heurtèrent le seuil de pierre, Gérard courut ouvrir la porte.
L'air qui entra en même temps que Vincendon était tout piqueté de minuscules flocons blancs. Le feu grogna plus fort, puis ce fut le silence. Ils étaient là tous les quatre, à regarder le père Vincendon et son paquet solidement ficelé.
Vincendon posa son paquet sur la table, ôta ses lunettes, les essuya longuement, se moucha, remit ses lunettes et s'approcha du feu en frottant l'une contre l'autre ses grosses mains qui faisaient un bruit de râpe.

- Il fait meilleur ici que dehors, dit-il.

Les enfants s'impatientaient. Chacun d'un côté de la table, ils regardaient le paquet sans oser y toucher. Le vieil homme semblait prendre plaisir à prolonger leur attente. Il les observait du coin de l'œil et adressa aux grands-parents des sourires complices.
Enfin, il se retourna et dit :

- Alors, qu'est-ce que vous attendez pour l'ouvrir ? Ce n'est tout de même pas à moi de défaire le paquet.

Quatre petites mains volèrent en même temps. Les nœuds étaient nombreux et bien serrés.

- Prête-nous tes ciseaux, Grand-mère...
- Non, dit Vincendon. Il faut apprendre la patience et l'économie. Défaites les nœuds et n'abîmez rien, je veux récupérer ma ficelle et mon papier.

Il fallut patienter encore, se faire mal aux ongles, se chamailler un peu. Vincendon riait. Les grands-parents, aussi impatients que les enfants, attendaient, suivant des yeux chacun de leurs gestes.
Enfin, le papier fut enlevé, et une longue boîte de bois roux et luisant apparut. Elle était plus large d'un bout que de l'autre. Vincendon s'en approcha lentement et l'ouvrit.
À l'intérieur, dans un lit de velours vert, un violon dormait.

- Voilà, dit simplement le vieil homme. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Les cordes, le velours et les crins de l'archet, tout se trouvait au cœur de votre arbre.
- Mon Dieu, répétait Grand-mère, qui avait joint ses mains en signe d'admiration. Mon Dieu, que c'est beau !
- Ça alors !... ça alors ! bégayait Grand-père. Je te savais très adroit, mais tout de même !

Le vieil artisan souriait. Il passa plusieurs fois sa main sur sa moustache avant de dire :

- Vous comprenez pourquoi je ne voulais pas vous laisser entrer dans mon séchoir ? Vous auriez vu des violons, des guitares, des mandolines et bien d'autres instruments. Et vous auriez tout deviné. Eh oui ! je suis luthier. Je fais des violons... Et l'érable, voyez-vous, c'est le bois qui chante le mieux.

Sa grosse main s'avança lentement pour caresser l'instrument, puis elle se retira toute tremblante.

- Alors, dit-il à Gérard. Tu ne veux pas essayer de jouer ? Tu ne veux pas faire chanter ton arbre ? Allons, tu peux le prendre, il ne te mordra pas, sois tranquille.

Le garçon sortit le violon de son lit, et le prit comme il avait vu les musiciens le faire. Il posa l'archet sur les cordes et en tira un grincement épouvantable. Grand-mère se boucha les oreilles tandis que le chat, réveillé en sursaut, disparaissait sous le buffet. Tout le monde se mit à rire.

- Eh bien ! dit Grand-père, si c'est ce que tu appelles chanter !
- Il faut qu'il apprenne, dit Vincendon en prenant l'instrument, qu'il plaça sous son menton.

Et le vieux luthier aux mains énormes se mit à jouer. Il jouait en marchant lentement dans la pièce, en direction de la fenêtre. Immobiles, les enfants regardaient et écoutaient.
C'était une musique très douce, qui semblait raconter une histoire pareille à ces vieilles légendes venues du fond des âges, comme le vent et les oiseaux qui arrivent en même temps du fond de l'horizon.

Vincendon jouait, et c'était vraiment l'âme du vieil arbre qui chantait dans son violon.

B.C

bunni


La mélancolie de la marionnette oubliée.

Il était une fois un royaume très pauvre du Nord, là où les jouets dansent quand les humains dorment. Un enfant détenait en sa possession des chapeaux et des marionnettes de toutes sortes. La nuit, quand le petit garçon dormait, les objets, quant à eux, s'éveillaient et s'animaient de discussions folles.

                                                                        « Les pantins, les bonnets.
                                                      Les chapeaux et les soldats de plomb.
                                             Les voitures dans leur garage, le cheval de bois.
                                                          Tout le monde parle, sauf moi. »


                                                             
Le petit garçon qui joue avec tous ces jeux est parti se coucher. Dans le ciel, les étoiles apparaissaient. Sur le plancher trottine la souris sans bruit alors que le chat se balade la nuit.

                                                                         « Tout le monde parle, sauf moi, pensa
                                                                             La petite marionnette qui s'ennuie. »


Les heures passaient et le soleil se levait, majestueux dans le ciel coloré. Mais la marionnette restait seule sur son étagère isolée. Le petit garçon allait bientôt se réveiller et partir à l'école, laissant encore une fois ses jouets seuls dans la chambre. Comme promis, le gamin partit et les jouets s'endormirent mais toute seule sur son étagère, la petite marionnette ne parvenait pas à trouver le sommeil.

                                                                          « Et pourtant, se disait la marionnette, comme tout serait moins triste si j'avais quelqu'un à qui parler... »

Elle se demandait pourquoi le garçon ne venait pas la chercher. L'avait-il totalement... oubliée ? Perdue dans ses pensées moroses, la marionnette fixait la pointe de ses souliers, poussant de gros soupirs mais se refusant de pleurer. Soudain, la chambre s'emplit d'une étrange clarté. Un soleil tout rond apparut aux croisillons de la fenêtre.

                                                                         « Regarde petite marionnette ! Le soleil est là !
Il attend ! Regarde-le comme il brille ! »


Alors la marionnette se leva lentement et se laissa emporter par les rayons du soleil doux comme de la soie. Arrivée dans le ciel, la marionnette se mit à rire, à danser et à chanter. Elle patina dans les nuages, virevolta, dessina des ronds et des huit, aussi se lança-t-elle dans des pirouettes vertigineuses à lui en faire tourner la tête. Quand elle se sentait fatiguée, la marionnette se laissait tomber contre son nouvel ami, lui contant ses malheurs. Reprenant courage, la marionnette s'élança de nouveau dans le ciel, rebondissant de nuage en nuage alors que son rire limpide emplissait l'espace.

                                                                           « Un jour ! Cria la petite marionnette, le cœur battant. Un jour vous verrez ! Je deviendrai une vraie marionnette ! Le soleil, mon ami, me l'a dit ! »

Mais plus les heures passaient, plus le soleil disparaissait derrière l'horizon, laissant la marionnette, affolée et seule. Elle fut bien forcée de rentrer chez elle, l'air lugubre. Elle enjamba le rebord de la fenêtre mais, épuisée par ces jeux et rigolades, se laissa tomber sur le bureau. C'est cet instant que choisit le petit enfant pour entrer dans la chambre. Il s'approcha du bureau et découvrit, avec une surprise grandissant dans son esprit, sa marionnette dans un état désastreux. Il empoigna la petite main de la poupée et descendit en courant dans le salon à la rencontre de sa mère pour lui faire part de sa découverte.

Quelques jours plus tard, après un petit séjour chez un artisan de jouets, la marionnette avait changé et mûrit en beauté : son visage avait été redessiné, ses yeux, ses lèvres et ses joues avaient été repeintes, un bonnet lui avait été taillé dans un magnifique tissu, des nouveaux habits avaient été cousus, on lui avait aussi façonné des chaussons, des bottillons ainsi qu'un gros manteau afin que la marionnette n'ait pas froid.

Les vêtements de la marionnette étaient vraiment magnifiques que l'on aurait pu la confondre avec une princesse ou une ballerine. C'est pour cette raison que le petit garçon la plaça sur son appui de fenêtre. Le petit garçon ouvrit la fenêtre et donna un petit sac à la marionnette et lui dit tout en laçant ses chaussures :

                                                                         « Va, le monde t'attend. Et avec ces ballerines, tu feras le tour du monde ! Prends ce sac, il est rempli de rêves et de magnifiques histoires à raconter. Mais surtout... garde la tête et le cœur rempli de couleurs. Va, le monde t'attend ! »


Et la marionnette, imperturbablement radieuse, se mit à rire et à danser.

Fin !

Boule-de-poils.

bunni


Le Noël de Victor, Oot et Rudolf,Le renne du père Noël.

Victor est un garçon sage et très intelligent. Chaque soir au retour de l'école il se penche sur ses devoirs. Quand tout est fini, il allume le globe posé sur son bureau et il suit du bout du doigt les frontières de tous les pays. Son doigt se pose sur chaque continent et Victor rêve de voyager loin, très loin de l'endroit où il vit. Il sait - pour l'avoir vu ou lu - qu'il existe beaucoup d'enfants dans le monde qui, comme lui, n'ont pas la chance d'avoir une famille, des frères et des sœurs et de vivre au chaud dans une maison quand la nuit d'hiver tombe.

Peut-être est-ce parce que la nuit tombe plus vite maintenant sur le Mont des Princes où il vit que chaque soir il regarde par la fenêtre vers le ciel, qu'il soit étoilé ou non.

C'est bientôt Noël et, comme chaque année, ses parents lui ont demandé de préparer sa lettre au père Noël. D'habitude Victor l'écrit très tôt car il sait toujours ce qu'il veut : sa passion ce sont les livres et les ordinateurs. Cette année pourtant Victor hésite, il a grandi et il sent qu'il désire quelque chose au fond de son cœur, il ignore quoi encore.

Pendant ce temps, au pays du grand nord et des aurores boréales un petit renne vit au milieu des siens. Ce petit renne nommé Rudolph a une chance extraordinaire : il vit chaque jour auprès du père Noël. Il ignore que beaucoup d'enfants de ce monde aimeraient avoir cette chance-là ! Chaque jour, quand il fait froid il s'ébroue dans la neige et court avec ses amis. Ce qu'il préfère le plus, c'est se mettre sous les grands sapins et de ses bois agiter leurs branches pour que la neige tombe sur lui en flocons mouillés. Sa mère lui a dit que les flocons de neige étaient des baisers donnés par toutes les mères du monde à leurs enfants, même quand elles sont éloignées. Rudolph en est persuadé. Aussi, après avoir joué dans la neige, il vient frotter son museau à celui de sa mère.

Le père Noël est très occupé, Noël approche et bientôt ce sera la grande tournée sur tous les toits du monde pour apporter la joie aux enfants. Le père Noël a de bonnes joues rondes et un bon petit ventre dodu car il aime bien le bon air du Nord et manger, surtout les gâteaux aux pommes. C'est sans doute pour ça que ses joues ressemblent à deux belles pommes mûres. Même s'il est déjà bien vieux, il se sent aussi joyeux que les enfants qui attendent Noël.

Tout près de là, Laïka la magicienne vit dans sa datcha au fond des bois. C'est toujours là qu'elle se réfugie l'hiver. Elle aime vivre avec la nature ; c'est pourquoi chaque hiver, à l'heure des grands froids, elle se réfugie dans sa maison du grand Nord. Elle aime voir la neige derrière sa fenêtre, mais elle aime aussi l'avoir dans sa maison. Sa boule magique lui a appris que les flocons de neige sont l'âme et le cœur de tous ceux que nous avons aimés et qui nous ont quittés. De nombreux amis du monde entier connaissent sa passion pour la neige et ce qu'elle représente pour elle, ils lui ont envoyé des boules de verre de tous les coins du monde – dans chaque boule transparente tombe la neige, toutes sont des boîtes à musique dont elle tourne la clef pour que retentisse, pendant les longues nuits d'hiver, une musique où un chant qui lui rappellent ces amis très chers. Même le père Noël lui a offert une boule spéciale dans lequel on le voit manger un morceau de tarte sous la neige sur l'air de « I wish you a merry Christmas ».

Au milieu de toutes ces boules de verre trône la plus grosse, posée sur une branche de sapin. Celle-là est sa boule magique qu'elle consulte chaque soir, lorsque la lune apparaît au-dessus de sa maison.

Très loin de là, au pays de France, de nombreux enfants ont préparé le sapin. Victor lui aussi a participé à la garniture de l'arbre de Noël. Ses parents sont surpris : Victor paraît très pensif, il est moins joyeux que d'habitude. Alors que Théo, Charles et Thibaut rient d'excitation à l'approche Noël, Victor parle peu – lui qui parle tout le temps pourtant.

Victor a pris sa décision depuis quelques jours, il a préparé sa lettre pour le père Noël ; il ignore si son vœu pourra se réaliser, car il est un peu particulier. Victor a regardé une émission à la télévision sur les enfants orphelins du bout du monde. Il a découvert Oot qui vit au Cambodge et est malade. Il a soigneusement noté l'adresse d'une association humanitaire qui a pris Oot en charge après sa maladie. Victor a compris, que là où il vit Oot n'a plus de parents et son Noël ne sera pas aussi joyeux que le sien, car dans le foyer où il vit peu d'enfants pourront avoir des cadeaux.

Aussi a-t-il écrit au père Noël :

- Père Noël, je ne veux pas de cadeau cette année, j'aimerais que tu fasses venir Oot près de moi pour qu'on fête Noël ensemble. Je ne sais pas si c'est possible, nous ne sommes que deux petits garçons et c'est loin sur le globe sa maison. J'espère très fort que tu pourras réaliser mon rêve.

Dans les pays du Nord, le père Noël est très fatigué car il vient de prendre une mauvaise grippe et - avec tout ce courrier à lire - il n'arrive plus à dormir. Il ignore même s'il arrivera à lire toutes les lettres des enfants avant le grand départ qui aura lieu bientôt.

Rudolph, le petit renne du père Noël, est l'ami de la magicienne et il lui rend visite chaque jour. C'est ainsi qu'un soir, alors qu'elle lui offre une tasse de chocolat aux fruits rouges, il assiste à la séance de la boule magique. Laïka a mis sa longue robe bleue qui scintille - comme les lumières du sapin de Noël. Elle a laissé son manteau de fourrure blanche dans l'entrée. Tous deux regardent au travers de la boule ; c'est ainsi qu'ils aperçoivent deux garçons dont un semble triste et malade ; tous deux vivent de chaque côté du globe terrestre. Laïka, par la magie, arrive à lire au travers de la boule les mots de Victor dans sa lettre au père Noël : il désire fêter Noël avec le petit garçon du bout du monde.

- C'est impossible dit-elle à Rudolf le petit renne, le pauvre père Noël est très malade, il ne pourra jamais réaliser le vœu de Victor ; et pourtant, c'est un très beau vœu venu du cœur.
C'est bientôt la nuit de Noël où chacun doit s'aimer et espérer. Que pouvons-nous faire ?

Rudolf louche vers le bout de son nez : lorsqu'il réfléchit, son petit nez devient tout rouge et brille comme celui d'un clown. Ses amis rennes se moquent de lui gentiment - il faut dire que Rudolf a un très grand cœur. Laïka et Rudolf restent pensifs à regarder le feu dans la cheminée, les flammes s'agitent – comme si elles avaient envie de parler.

Machinalement Laïka a pris une boule transparente des pays du nord dans laquelle vole un traîneau. Elle la retourne, la neige tombe dans la boule de verre et recouvre le traîneau, tandis que retentit la chanson de Rudolf le petit renne au nez rouge.

Soudain, son visage s'illumine, elle repousse ses longs cheveux et, prenant Rudolf par le cou, elle lui dit en riant :

- « je vais voler le renne du père Noël ».
- « Tu vas quoi ? » Rudolf est tellement étonné de ces paroles que son nez rougit plus fort encore.
- « Je vais voler le traîneau du père Noël et son renne, c'est-à-dire toi ! Ensemble, nous irons chercher Oot et nous le ramènerons au Père Noël et à Victor. »
- « Mais, que va dire le Père Noël, il va être très fâché. » Victor ne se sent pas très rassuré à l'idée de la colère du Père Noël, en découvrant la perte de son traîneau et de son renne.
- « Nous lui laisserons un message grâce à la boule magique. Dépêche-toi, il est temps de partir, nous avons beaucoup de chemin par la voie des airs pour atteindre le Cambodge, et le traîneau du Père Noël n'a rien d'un boeing ! »

Ainsi fut fait et dans la nuit hivernale des forêts du Grand Nord, les habitants virent un traîneau passer dans le ciel, tiré par un renne. Pendant ce temps-là, le bonhomme Noël lisait la lettre de cet étrange petit Victor qui lui écrivait du Mont des Princes, au pays de France qu'il ne voulait pas de cadeau, mais un ami du bout du monde.

- « Mais comment vais-je pouvoir réaliser ce vœu ? » Le pauvre et vieux bonhomme Noël était prêt à s'arracher les cheveux pour réaliser le plus beau Noël qui puisse exister pour deux enfants : un Noël d'amour et d'amitié.

Au matin le bonhomme Noël s'est réveillé, se demandant s'il n'avait pas rêvé la lettre de ce petit garçon. Non elle était bien là, posée sur la table près de la bougie éteinte. Le Père Noël mit son chapeau, sa grosse écharpe et sortit dans la neige pour donner à manger à ses rennes ; ils auraient beaucoup à faire pour distribuer les cadeaux aux enfants du monde entier.

En arrivant à l'enclos, quelle ne fut pas sa stupéfaction : on avait volé le traîneau et le renne Rudolf, son favori ! Le pauvre bonhomme Noël, tout affolé, courait partout avec beaucoup de peine - vu son poids et la neige très épaisse qui entrait dans ses bottes.

Il partit en direction de la datcha de son amie la magicienne, en espérant qu'elle pourrait l'aider à retrouver le coupable. Quelle catastrophe si le père Noël ne pouvait apporter les cadeaux aux enfants sages ! Et qu'allait-il pouvoir faire pour ces deux petits garçons du bout du monde ?

En arrivant à la cabane, il la trouva déserte. Le feu était éteint, les boules transparentes posées sur le rebord de la fenêtre brillaient dans la lumière du matin. Le pauvre père Noël se laissa choir dans le fauteuil de Laïka. Il savait qu'il aurait du mal à se relever, tellement il était profond ! Il était triste le bonhomme Noël, tout le monde semblait l'avoir abandonné.

C'est alors que retentit une étrange musique dans la datcha de Laïka : des milliers de petites cloches résonnaient. La boule magique, posée sur la table, se mit à briller. S'extirpant avec beaucoup de mal du fauteuil, le Père Noël s'approcha. Ce qu'il découvrit dans la boule le laissa sans voix : Rudolf le petit renne tirait le traîneau dans lequel Laïka se tenait debout, cheveux au vent. Il entendit la voix de la magicienne, doucement elle lui disait : « repose-toi Père Noël, nous ramenons Oot le petit garçon et le traîneau ».

Le matin de Noël, alors que tous les enfants ouvraient leurs cadeaux, Victor découvrit sous le sapin le petit garçon du bout du monde que le père Noël avait déposé, il dormait. Oot tenait dans sa main la photo d'un petit renne heureux et courageux qui se nommait Rudolf. Ce petit renne avait traversé le globe avec courage pour ramener à temps Oot à Victor.

On dit depuis ce jour là que ce fut le plus beau Noël de Victor et Oot. Depuis Oot a recouvré la santé et les deux garçons sont devenus de grands amis. Il leur arrive souvent d'évoquer l'étrange histoire que je viens de vous raconter avec les sœurs de Victor : Salomé, Isaur et Romane.  

bunni


L'ours de Maëlle

Dans l'atelier du Père Noël, trois lutins travaillent sans relâche :

Basile, le lutinours, s'occupe des animaux en peluche.
Boris, le lutibroum, fabrique les jouets qui roulent et qui volent.
Barnabé, le lutidée, invente les nouveaux jeux.

Dès que le Père Noël reçoit une lettre, il s'adresse à l'un de ses lutins pour trouver le cadeau souhaité.
Et justement, aujourd'hui, le Père Noël est un peu embarrassé.
Voyons ça, la petite Maëlle m'écrit :

Chère Père Noël,
Je voudrais un ours, s'il te plait, un ours tout doux qui connaît plein d'histoires et qui les raconte, quand on a peur dans le noir. Et puis surtout, un ours qui sait écouter et garder les secrets !
Maëlle

Le Père Noël se rend chez Basile, le lutinours. Le chapeau pointu du lutin dépasse à peine d'une montagne de peluches.
Voyons, Basile, un ours tout doux, est-ce que nous avons ça ?
Certainement, Père Noël, nos ours sont des spécialistes du câlin !
Très bien, mais Maëlle aimerait un ours qui parle et raconte des histoires ...
Basile approuve de la tête :
C'est une très bonne idée, j'y penserai pour l'année prochaine ! Mais je suis désolé, ceux-là ne parlent pas.

Le Père Noël va trouver Boris, le lutibroum. Cette année, il a fabriqué toutes sortes de robots bavards.
Il vous faut un ours qui raconte des histoires ?
Tout de suite, Père Noël !
Et il apporte un ours-robot en métal. Le Père Noël appuie sur la télécommande et une drôle de voix dit :IL ETAIT ... UNE ... FOIS ... FOIS... FOIS ... FOIS ... FOIS ... FOIS ...


Boris secoue le robot : Attendez, Père Noël, je crois que le mécanisme est bloqué !
Le Père Noël est bien embêté :
Maëlle m'a demandé un ours tout doux qui raconte des histoires quand on a peur dans le noir. Cette machine-là ne rassurera jamais personne !

Le Père Noël n'a plus le choix.
Il ne reste que Barnabé, le lutidée, pour l'aider.
Sais-tu, Barnabé, où je pourrais trouver un ours qui raconte des histoires et qui sait garder les secrets ?
Barnabé n'est jamais en panne d'idées.
Oui, certainement, Père Noël. Sur la banquise, non loin d'ici, vit un vieil ours blanc, Il doit connaître bien des histoires et il est si solitaire qu'il ne racontera rien à personne !
Le Père Noël hausse les épaules.
Tu n'y penses pas, Barnabé ! Un ours polaire n'est pas un jouet !

Finalement, le Père Noël commence sa tournée sans avoir trouvé le cadeau de Maëlle.
Sur son traîneau, il traverse le ciel où la Grande Ourse, la maman des étoiles, brille doucement.
Le Père Noël murmure dans sa barbe :

Grande Ourse du ciel, toi qui vois tout de là-haut, aide-moi à trouver un ours pour Maëlle.

Juste à ce moment-là, une étoile filante s'envole et va se poser quelque part sur la Terre.
Intrigué, le Père Noël la suit.

QUELLE SURPRISE !

Ça alors « Une poubelle ! Une poubelle qui déborde de jouets cassés !
Et tout au-dessus, un vieil ours tout doux regarde le Père Noël d'un air triste.

bunni


Le Père Noël a perdu son costume

Il avait neigé sur Terre, toute la journée du 24 décembre. Aussi, quand arriva le soir, un manteau blanc recouvrait le sol.
En haut, le Père Noël qui était un peu frileux, regardait tout cela d'un air songeur. Il savait par expérience que la nuit allait être froide.
Il ne se trompait pas. Une bise glaciale se leva, gelant la neige et formant des cristaux étincelants sur le paysage blanc.
- Allons donc, se dit le bon vieux, c'est le moment de rajouter une doublure de laine à mon costume et de me préparer pour la tournée.

Il était 22 heures et les lutins chargeaient tous les jouets et les cadeaux dans l'immense traîneau. Dehors, les rennes se nourrissaient avant le départ de minuit. La maison du Père Noël était sens dessus-dessous. D'ailleurs plus la date de la grande nuit magique avait approché, plus le désordre avait augmenté. Il y avait des jouets partout. Il faut dire que Père Noël craignait tellement d'en manquer qu'il préférait prendre ses précautions et en avoir trop que pas assez.
On en trouvait jusque dans la penderie ! Pas facile dans ces conditions d'accéder aux vêtements. Père Noël écarta du pied quelques paquets, histoire d'y voir plus clair pour prendre son beau costume rouge, mais ce ne fut pas suffisant. Alors Père Noël retroussa ses manches et fit place nette en sortant tous les jouets qui encombrait l'armoire.

Peine perdue, pas de costume rouge en vue !
- Tiens donc ! Pourtant il me semblait l'avoir posé ici après ma tournée de l'an dernier... C'est ma mémoire qui doit me jouer des tours.
Il referma la penderie après avoir éloigné un paquet de friandises multicolores qui gênait encore, et partit chercher le costume rouge dans l'atelier de jouets.
Le bric à brac qui régnait dans cette pièce était impressionnant malgré le rangement qu'avaient commencé les lutins. On ne pouvait y marcher qu'en enjambant à droite et à gauche... Père Noël enjamba donc, déplaça, redressa et réussit à atteindre le placard qui servait de fourre-tout.
- Je serais étonné qu'il soit là-dedans, mais sait-on jamais...
Il n'y était pas.
Ca devenait gênant cette histoire, parce qu'à force, il était dix heures et quart !
Peut-être qu'en remplaçant le costume par un survêtement... Non ! Avait-on déjà vu un Père Noël en survêtement ? Si encore il avait été rouge, mais même pas, il était d'un bleu tout ce qu'il y avait de plus bleu !

Une demi-heure de plus passa ainsi en recherches qui ne donnèrent rien. Impossible de trouver le précieux costume rouge !Alors le vieux bonhomme s'énerva. Tout ce qu'il avait réussi à trouver c'était son écharpe, une écharpe bien jolie d'ailleurs, toute douce pour passer sous sa barbe blanche... mais enfin, une écharpe ne fait pas un habit !
Quand onze heures sonnèrent à la pendule, le Père Noël se décida à appeler ses rennes. Peut-être auraient-ils une bonne idée... ça leur arrivait parfois.
- Si je ne retrouve pas ce costume, c'est une catastrophe planétaire qui nous attend !

Tout d'abord les rennes crûrent à une plaisanterie, mais en voyant la tête du Père Noël, ils comprirent que l'affaire était grave. Ils étaient prêts pour le grand départ, harnachés de pied en cap, les sabots bien lustrés, les grelots au cou bien étincelants, une chaude couverture sur le dos.
- Et c'est maintenant que tu nous le dis !
- Je le dis... je le dis quand je peux ! Il fallait bien que je prenne le temps de chercher !
- Mais tu as vu l'heure ! Dans trois-quarts d'heure il faut partir !
- Comme si je ne le savais pas ! Donnez-moi plutôt une idée au lieu de dire des choses qui n'avancent à rien !
- Ben, comme ça, on n'en a pas !
- Comment ça vous n'avez pas d'idée ! Comment ça ! Depuis le temps qu'on travaille ensemble pour les Grandes Nuits de Noël, c'est la première fois que je vous demande de l'aide et tout ce que je m'entends dire c'est "débrouille-toi" !
- On n'a pas dit ça.
- Mais si ! Mais si !
Le Père Noël venait de se mettre en colère tout d'un coup. Le sang lui était monté au visage et il s'essoufflait à marcher vite dans tous les sens.
- Je vous félicite ! Vraiment je vous félicite ! criait-il. Il y a des centaines de rennes qui voudraient être à votre place pour avoir l'honneur de tirer mon traîneau, et vous , vous êtes là à vous gratter la tête sans qu'aucune idée n'en sorte ! Bravo !
- C'est quand même pas de notre faute, gémit un renne accablé par la tournure que prenait l'événement. Si tu rangeais mieux tes affaires...
- La question n'est pas là, elle est qu'il faut trouver une solution et non une raison au problème !

Pendant ce temps, les aiguilles de la pendule tournaient. Il était à présent onze heure et quart. Un renne s'avança.
- J'ai peut-être le temps de faire un aller et retour en bas pour louer un costume de Père Noël, comme ils en font pour ceux qui veulent se déguiser.
- Comment ça ! dit le vieux bonhomme choqué. Il y en a qui osent porter un habit comme le mien ?
- C'est-à-dire que...
- Quoi, c'est-à-dire ?
Les rennes baissèrent le nez. Apparemment, le Père Noël n'était pas au courant du sacrilège.
- Trouvez-moi une idée plus intelligente ! dit-il

Subitement un renne se rappela d'une lettre envoyée il y a deux ans par une petite fille. Elle disait :
" Je t'aime tellement fort Papa Noël, que j'ai pensé à te faire un joli costume pour le cas où tu abîmerais le tien pendant ta distribution de joujoux. Il est tout rouge avec des parements blancs comme celui que tu as. J'ai fait aussi un bonnet avec un gros pompon et je t'ai tricoté des gants en laine bien chaude pour que tes mains ne gèlent pas. Tu pourras le prendre quand tu passeras chez moi, il t'attendra tous les ans à côté de la cheminée avec deux grandes bottes fourrées que j'ai prises à mon grand-père et que j'ai repeintes en rouge pour être assorties.. Elles étaient noires tu comprends.. Je t'embrasse très très fort."
- Et où habite cette adorable petite fille ? demanda le Père Noël
Il avait l'habitude de garder dans une gigantesque armoire toutes les lettres qu'il recevait. Elles y étaient classées par commande. Il suffisait donc de savoir ce qu'avait commandé cette petite fille. Hélas, personne ne s'en souvenait.
- C'est forcément un truc de fille, dit un renne.
- Ah oui ? Ca c'est une remarque puissante ! dit le Père Noël agacé. Des trucs de filles, il y en a cent mille au moins !

Il jeta un coup d'œil à la pendule. Elle indiquait onze heures 25. Il ne restait plus que vingt minutes avant le départ.
C'est alors qu'une petite voix retentit.
- Je peux vous aider.
Toutes les têtes se tournèrent vers un lutin qui s'était avancé. C'était le plus petit de tous, le plus rapide, le plus silencieux aussi. C'est à peine si on faisait attention à lui tant il était discret.
- Comment t'appelles-tu ? demanda le Père Noël
- Gerdinn.
- Et bien Gerdinn, nous t'écoutons.
Le petit lutin se redressa.
- J'ai remarqué que dans les commandes, on demandait de plus en plus d'ordinateurs. Alors un jour, parmi ceux que tu préparais, j'en ai mis un de côté... Oh! pas pour moi... je n'aurais pas osé, mais pour t'aider dans ton travail. C'était il y a trois ans. Et j'y ai compilé toutes les commandes que tu classes dans l'armoire.
Etonnés, le Père Noël et les rennes se regardèrent sans comprendre.
- Ca fait que je peux retrouver l'adresse de la petite fille, conclut le lutin. En demandant une recherche sur les mots "costume rouge" et "parements blancs" on arrivera sur la commande de la petite fille, et donc sur son adresse.

Là, le Père Noël resta sans voix.
- Ne bougez pas, dit le lutin, j'en ai pour quelques secondes.
Oh ! Personne ne risquait de bouger, paralysés comme ils l'étaient par la stupeur.
Deux minutes après, le lutin revenait avec l'adresse. Et comme tout le monde était resté dans la position de stupeur, il frappa dans ses mains en criant :
- Allez ! Allez ! Il est déjà minuit moins vingt !

C'est quand même le Père Noël qui reprit le premier ses esprits. Il attela ses rennes à un ancien traîneau qui, bien que vieux, avait au moins l'avantage d'être vide et donc rapide. Ainsi réussit-il à revenir de chez la petite fille à minuit moins dix avec le précieux costume.
Pendant qu'il s'habillait, les rennes s'attelèrent vite au traîneau chargé de jouets. Les lutins redressèrent quelques paquets mal rangés, la hotte fut posée dessus.
Quand Père Noël revint au traîneau, tout le monde éclata de rire.
- Et qu'est-ce que j'ai de si drôle ?
Il avait que si le costume était bien rouge, le bonnet avait bien le pompon, les parements étaient bien blancs, en revanche la coupe était de travers et la taille deux fois trop petite! Si bien que le pauvre Père Noël avait son gros ventre comprimé et les bras qui dépassaient des manches du costume. Par contre, le bonnet était si grand qu'on ne lui voyait plus les yeux.
- Et alors ? Quelqu'un a mieux à me proposer ?
Après quelques instants de silence prudent, un renne demanda timidement :
- Et les bottes ? Tu les mets pas ?
- Je les ai oubliées, voilà !

Ce fut la consternation. Tout le monde savait que le Père Noël était particulièrement frileux des pieds, et qu'il n'endurerait pas de rester en chaussettes toute la nuit.
- Mais non je ne vais pas rester en chaussettes ! répondit-il. Simplement la tournée commencera par la petite fille chez qui j'ai oublié les bottes, voilà tout ! Alors, qu'est-ce que vous attendez !
Un claquement de langue, un vigoureux "hop-hop-hop !" et l'équipage démarra dans la nuit scintillante. En bas, minuit commençait de sonner.
Arrivé chez la petite fille, le Père Noël déposa d'abord les jouets qu'elle avait commandés, puis il prit les bottes rouges qui attendaient près de la cheminée, juste à côté des petits chaussons. Il les prit en souriant et déposa à la place un gros bisou que la fillette trouvera tout chaud en se réveillant le matin. Il y rajouta un petit cadeau supplémentaire.
Dehors les cloches finissaient de sonner les douze coups de minuit. Noël illuminait le monde.

mathurine

Simons est un poète - dessinateur - comédien du Nord (1901-1979). Ses poèmes et sketches en "ch'ti'' sont de petites merveilles d'humour et de chaleur humaine.



http://www.toudissimons.org/

SI QU' J'AVOS ETE LA

Si qu'j'avos été là, à l'premièr'nuit d'Noël,
Au lieu d'fair' comme ches gins qui claquèr'tent leu'porte
A ch'ménach'd'ouverriers - Pasc'que cha ch'est réel
Ch'étot des ouverriers - Et pis mêm'peu importe,
On choul'pas eun' pauf' femm'sur l'point d'deve'nir maman.

Si qu'j'avos été là, j'aros dit à Marie :
"Faut pas rester déhors par un si mauvais temps.
Rintrez vit'dins m'mason. Ch'est pas eune hotell'rie;
Mais vous s'rez sûr'mint mieux qu'dins ches tapis d'malheur
Qui ne r'chottent cheull'nuit qu'des graineux et des rinses
Et n'veul'tent pas ouvrir à des pauf's voyageurs.

Rintrez donc, M'sieur Joseph : ichi, c'est une bonne ceinse.
N'ressuyez pas vos pieds, j'passe'rai loque après vous.
Approchez-vous du fu; j'vas y r'mettre eun'gaillette.
Mettez-vous dins ch'fauteuil, Maritche; ch'est l'pus doux.
Donnez-me vos capuch's.... Mettez-vous à l'coyette.
Vos sorlets sont tout fréqu's; v'là des cauchons bien cauds,
L'cat i'-étot couché d'ssus.
A ch't heur' qu' vous êt's bénaches,
J'vas rintrer vo baudet dins min cothc à pourcheaux,
Et li donner quéqu's eunes d'mes pus biell's bett'raches.
Après, du réveillon, j'vas m'occuper du m'nu.
Che s'ra, j'vous l'dis tout de suite, un r'pas à l'bonn'franquette;
Mais sochez rassurés, che s'ra qua-même du ch'nu
Avant tout, pou' c'mincher, eun' petit' chuch'-mourette.
Après cha, tout boulant, eun' jatte d'lait battu
Avé des ronds d'punn's-poir's et gramint d'castonate....
Cha vous r'mettrot d'aplomb l'bonhomme l'pus réhu.
Là d'ssus, j'peux vous servir un restant d'carbonate
Qu'j'ai fait dins de l'viell' bièr'... Mais, j'ai mieux qu'cha, mes gins :
Un ragoût d'par-ichi devant l'quel on bafille :
Ch'est un lapin avec des pronne'et des rojins!
Après cha, du fromach', j'ai un carré d'vieux Lille....
Pis, j'vous f'rai des couqu's-baqu's, tout guilantes d'bon miel,
Eun' goutte d'fraich' café, et eun' petit'rincette....
V'lo-t-y pas eun' vrai' tap' de réveillon d' Noël?"

Et j'les aurons laichés, benoit'mint, tiète à tiète,
Au coin du feu, contints, dijant comm'dins un réf :
"On est queue dins l'mason d'un garchon bin honnête.
T'es bien, m'petit' Marie? - Ouais, j'suis fin bien, Joseph.
L'souv'nance d'cheull' biell' nuit, che s'ra un jour de fiète".

Et p't êt' bien qu' de ch'jour-là, ch'arot été la mote
D'inviter un pus pauf' à s' tap' de réveillon;
Pasc'que mêm' pour les pauf's, i' n'a toudis un aute
Incor pus miséreux.

Ch'tot eun'bielle occasion
D'donner un peu d'plaisi, et d'un r'chevoir gramint.
C'est pas à ch'ti qui r'chot, mais bin à ch'ti qui donne
Que va toudis l'gross part du meilleur contint'mint.
Che s'rot dev'nu la mot' si c'soir-là eun' personne
Avot amiteus'mint r'chu Joseph et Marie,
Pour que l'petit Jésus nous arrife ichi-bas
Dins un biau lit tout blanc au lieu qu'dins un' pourchie.
Ch'est ch'que j'aros fait, mi, si qu'j'avos été là.

(Recueilli dans Lille aux Lillois, 1992 - association Toudis Simons)


(Bon, je sais, je vous le ressors presque tous les ans à Noël)
Le racisme et la haine ne sont pas inscrits dans les péchés capitaux. Ce sont pourtant les pires. Jacques Prévert

bunni


LE PETIT CHEVAL DE BOIS

Il faisait très froid cet hiver-là. Sur la place du village, le manège, déserté par les enfants à la tombée de la nuit était immobile. Recouvert par une bâche vert foncé, on ne distinguait de lui qu'une masse sombre.
Le maître du manège était parti se réchauffer dans sa roulotte. Il mangeait sa soupe en solitaire en regardant d'un œil morne une télévision grésillante. On n'entendait que l'aboiement rageur et éloigné des chiens dans les cours de fermes, et le roulement feutré de quelques voitures là-bas, sur la Nationale.
Pourtant, sur la place, tout n'était pas silencieux ; on aurait pu, en s'approchant du manège, entendre des chuchotements. La neige tombait maintenant depuis près d'une heure, silencieuse et douce et en avançant sans faire de bruit on aurait pu  comprendre le sens de ces chuchotis mystérieux, juste en soulevant un coin de la toile qui recouvrait le manège.
Par cette ouverture, on aurait vu, en les distinguant avec peine tant la nuit était sombre sous la bâche, des ombres bizarres et hétéroclites, immobiles, mais qui  ô surprise parlaient à voix très basse.
Il faut vous dire que ce manège était très vieux, et enchanté. On n'y trouvait pas de ces fusées inquiétantes, de ces  voitures de pompiers rutilantes. Pas de bicyclette, ni de voiture de sport. Non, c'était un très vieux manège pour les tout petits et il n'y avait là que trois chevaux de bois, un cochon, un éléphant, un dromadaire et deux canards.                                           
Tout ce petit monde était dans un état pitoyable. La peinture s'écaillait et laissait voir le bois terni et crevassé. Les ors et les courroies de cuir verdissaient et malgré leur fière attitude, ils avaient un air misérable.
Le cochon avait perdu son air malicieux et de rose était devenu grisâtre ; les canards, sûrement d'un beau jaune à l'origine avaient déteint. Le dromadaire perdait ses longs cils et sa belle selle, rouge passée, perdait sournoisement ses crins. Le pauvre éléphant était passé du gris souris au blanc crasseux et les chevaux pommelés, noir et bai, éraflés, affichaient un air désespéré.
Tous parlaient à voix basse car la roulotte n'était pas loin et le vieux avait l'oreille fine.
- Ce n'est plus une vie », disaient les canards.  Les enfants ne nous trouvent plus assez beaux, ils ne veulent plus monter sur notre dos.
- Et moi » rétorquait le dromadaire, j'ai un air tellement crétin qu'ils rient de moi.
-  Plaignez-vous geignait le cochon, je leur fais pitié tant j'ai l'air malade. Et c'est bien connu, les gens préfèrent les cochons en bonne santé.
L'éléphant, qui était en réalité un éléphanteau, et très timide, ne dit rien. Mais il poussa un soupir qui en disait long.
Les trois chevaux, eux parlaient tous à la fois d'une voix fiévreuse.
- Et nous, qui étions si beaux, l'orgueil de notre maître, avec notre selle à pompons, notre crinière fournie et nos éperons brillants comme des soleils ! Les enfants se disputaient pour nous chevaucher, nous ne faisions jamais un tour à vide. Maintenant les petits nous critiquent, nous trouvent minables.
-  J'en ai même entendu un hier, dit un des chevaux indigné, me traiter de vieux canasson ! .
Un silence consterné régna dans le manège  .
- Cela ne peut plus durer  dit le dromadaire.
- Oui, dirent les canards avec ensemble, il faut faire quelque chose.
Le cochon les regarda d'un air goguenard.  Agir, et comment ? Vous n'êtes que de pauvres cervelles de bois. Nous sommes vissés au plancher. Nous n'avons fait que tourner en rond toute notre existence, nous ne saurions rien faire d'autre. Il faut nous résigner.
- Notre maître est vieux, je sais qu'il est fatigué de vivre sur les routes par tous les temps. Il n'est pas assez riche pour nous réparer et nous repeindre. Il ne peut pas lutter avec les beaux manèges modernes, il veut vendre pour aller habiter chez sa fille. On ne peut rien contre le destin, notre temps est révolu !
Tous se turent, car le cochon était réputé pour son sérieux. Il avait raison, sans aucun doute et le silence ne fut plus troublé que par de gros soupirs.
Or parmi les chevaux, il s'en trouvait un, le noir, le moins abîmé peut être, qui ne voulut pas se résigner. Il ne dit rien à personne et mûrit un plan pendant la nuit.
Il avait remarqué à plusieurs reprises une jolie petite fille blonde. Elle le choisissait toujours et lui caressait doucement l'encolure ; dans ces moments-là, le petit cheval de bois, bercé  par la musique avait ressenti une joie et une émotion qui lui étaient chères et il aimait bien cette petite fille.
Il décida de s'en faire une alliée. Le lendemain après-midi, la petite fille toute emmitouflée de rouge arriva et le choisit comme à l'accoutumée. Dès qu'elle fut grimpée sur sa selle il murmura.
- Veux-tu m'aider ? »
Florence, c'était son nom, regarda autour d'elle. Le manège était vide, à l'exception de deux bambins cramponnés au cou des deux canards et qui, n'en menant pas large étaient muets. Elle regarda derrière elle, personne.
Et le cheval reprit –
-  C'est moi, le cheval de bois. Si tu m'aides, réponds simplement oui ou non, je t'expliquerai ».
Bien sûr, vous vous imaginez la stupéfaction de Florence. Elle ne savait pas qu'un cheval de bois pouvait parler. Il devait être magique. Ne voulant pas paraître stupide, elle se pencha et lui dit à l'oreille.
-T'aider, oui, mais comment ?
-  Viens ce soir à la nuit tombée, je t'expliquerai tout ». Il se tut car il ne voulait pas être repéré.
Florence rentra chez elle et resta pensive jusqu'au soir. Elle se demandait surtout comment aller sur la place la nuit. Elle était peureuse. Alors elle demanda à son grand frère de l'accompagner. Il avait douze ans et ne crut pas à son histoire, mais il l'aimait beaucoup et accepta de venir avec elle.
La nuit venue, ils se glissèrent hors de la maison, les parents occupés devant la télévision et arrivèrent un peu tremblant devant le manège. Ils se glissèrent sous la bâche alourdie par la neige et Florence repéra bien vite le petit cheval de bois qui chuchotait «  hep, hep » de son coin. Le frère de Florence ouvrit des yeux comme des soucoupes, et ils se blottirent à ses côtés.
Il raconta alors l'histoire du manège et sa fin probable et les enfants compatirent.
-  Vous comprenez, je ne veux pas finir au feu ou dans une décharge publique. Je suis jeune et je veux connaître le monde.
-  Mais comment feras-tu répliquèrent les enfants, Tu n'as jamais bougé d'ici, tu ne sauras pas te débrouiller.
Ils pensèrent aussi sans lui dire qu'étant en bois il ne pourrait pas marcher. Cependant, il parlait, donc c'était un cheval de bois magique, tout était possible.  Crânement il répondit.
Ne vous en faites pas, je suis très malin, je m'en sortirai.
-  Que faut –il faire, chuchota Florence ?
- Vous devez me dévisser du plancher. Vous trouverez une clé à molette dans la boîte grise au milieu du manège et ensuite, comme je suis un peu rouillé, il faudra m'aider à descendre, j'ai peur de me casser en morceaux si je tombe »
Ce ne fut pas une mince affaire de dévisser les boulons qui retenaient le petit cheval prisonnier au plancher. Le grand frère tira la langue, transpira beaucoup. Florence le regardait avec des yeux anxieux. Mais enfin il y arriva et le petit cheval fut délivré.
On proposa aux autres animaux de les dévisser mais tous refusèrent avec effroi.
Ils préféraient attendre et subir leur sort que se lancer dans l'inconnu. Néanmoins, ils souhaitèrent bonne chance au cheval de bois. Après bien des glissades, car il était très maladroit, il arriva sur le sol, et après quelques pas hésitants il réussit à marcher à peu près comme un vrai cheval.
Tournant vers les petits ses grands yeux mélancoliques il les remercia d'une voix émue. Ils l'embrassèrent et le regardèrent s'éloigner à pas prudents sur la place, en direction de la forêt toute proche.
Passant près de la roulotte de son vieux maître, il eut envie de s'arrêter, mais pensa que ce n'était pas une vie de tourner toute sa vie au son des mêmes rengaines. Non, décidément, il fallait partir.
Les enfants le suivirent des yeux tant qu'ils purent l'apercevoir, et rentrèrent chez eux, heureux de leur bonne action mais inquiets du sort qui attendait le petit cheval de bois.
Le lendemain, le vieux patron du manège, après avoir poussé les hauts cris et crié«  au voleur »  profita de l'événement pour vendre son manège à un antiquaire. Les animaux échouèrent dans une remise poussiéreuse où on les oublia.
Le petit cheval avait marché toute la nuit, se guidant comme il pouvait sur les étoiles. Il voulait aller vers le sud où il faisait moins froid et où la vie serait moins dure. Il avait un peu mal aux jointures et il craquait de partout. Le vieux bois de son corps protestait contre un exercice inaccoutumé !
Peu à peu ses pattes se dérouillèrent et il reprit confiance.
Bien sûr il ne souffrait pas vraiment du froid et de la faim mais il ressentait cruellement la solitude. Il avait passé toute sa vie avec ses compagnons du manège et n'avait jamais été tout seul ;  il pensa à eux avec un peu de regret mais en les imaginant vissés à leur plancher, il accéléra le pas.
La forêt était pleine de merveilles, les arbres bienveillants. La neige était douce à ses sabots, le silence apaisant. Au matin, il arriva  devant une rivière. Il ne savait pas nager et avait peur de sauter. Il ignorait qu'étant en bois il flotterait, alors tout désemparé il s'assit sur son derrière et essaya de réfléchir.
Mais il ne trouvait pas de solution, et il se sentit si seul et si abandonné qu'il eut envie de pleurer. Son petit cœur lui aussi était en bois et il ne put verser une seule larme. Son chagrin devint alors très lourd à porter.
C'est alors qu'il entendit une frêle voix cassée.
- Que fais- tu ici ? Tu es étranger dans la forêt, d'où viens-tu , je ne te connais pas.
Se retournant, il vit une vieille femme toute courbée sous un amas de branches mortes, vêtue de méchants habits troués. Son nez crochu, son menton pointu et un petit chignon rabougri au sommet du crâne lui donnait un air méchant. Mais les yeux perçants et clairs étaient bienveillants. Aussi le petit cheval mis en confiance lui raconta son histoire après s'être levé poliment.
Après avoir écouté attentivement, elle réfléchit quelques instants et lui dit.
-  Si tu veux travailler pour moi, je te logerai, tu auras de la compagnie et ainsi tu passeras l'hiver sans problème. Mais je suis dure à la peine et n'aime guère les paresseux. Il te faudra travailler dur .
Le petit cheval, craignant par-dessus tout de se retrouver seul promit tout ce qu'on voulut. Elle chargea sur son encolure les fagots de branchage et ils partirent, elle trottinant à ses côtés, toute bleue de froid. Dans sa pauvre cabane, elle lui trouva une place avec de l'herbe sèche pour dormir et lui recommanda de bien se reposer car la journée de lendemain serait rude.
Ainsi passa l'hiver. Le petit cheval de bois n'était pas malheureux. La vie n'était pas très amusante avec la vieille. Elle ne parlait que pour lui donner des ordres, mais ne le brusquait jamais.
l faisait de son mieux pour la contenter, portait le bois, tirait l'eau du puits, traînait la  charrette et soufflait même sur elle pour la réchauffer.
l s'était fait des amis parmi les animaux de la forêt. Il cassait la glace avec ses sabots pour que les oiseaux puissent boire, racontait son histoire pour distraire tous ceux qui s'ennuyaient pendant ce long hiver. Tous l'aimaient, mais le plaignaient en secret.
Un soir, la vieille femme le trouvant bien silencieux lui dit.
- Je sais ce qui te ronge. Tu voudrais devenir un vrai cheval.
- Oh oui soupira-t-il, mais c'est impossible.
Il y a peut-être un moyen dit la vieille. Mais c'est dangereux. Je vais t'expliquer.
La nuit prochaine va venir le prince Hiver. Nul ne peut l'approcher sans mourir, il est le froid extrême. Mais si tu résistes à son étreinte, et qu'il ne t'emporte pas, alors la vie jaillira en toi. Mais c'est la dernière nuit de l'année pour le voir. Je ne peux être avec toi car je n'y résisterai pas, nous sommes ennemis mais nous nous tolérons, mais il ne me fera pas grâce si je le provoque.
Le lendemain, à la nuit tombée, la femme referma la porte de la chaumière sur le cheval de bois. Et il attendit la créature de l'hiver, sans bouger.
Et elle vint, immense, aux mille feux de glace resplendissants à travers la lueur de la lune pleine. Des yeux vieux comme la terre le regardèrent et l'être se pencha sur lui et l'enveloppa de ses ailes de cristal. Autour d'eux l'écorce des arbres craquait, et nul souffle ne passait sur la forêt. Tout était pétrifié. Tout devint noir, la lune et les étoiles disparurent, et le petit cheval tomba dans un précipice de ténèbres profondes.
Au matin, la porte de la chaumière s'ouvrit, et une belle jeune femme habillée de vert et couronnée de fleurs multicolores s'avança sur le seuil. Elle posa doucement sa blanche main sur le poitrail du cheval noir, caressa le doux pelage, et sentit battre un cœur palpitant
Sous sa caresse, il ouvrit les yeux, ses jambes s'agitèrent, il s'ébroua et se leva brusquement. Il sentait un cœur battre follement dans sa poitrine, et cela l'enivrait. Il sauta, virevolta, galopa en rond et hennit joyeusement. Il s'approcha enfin de la jeune dame et sentit le parfum des fleurs sur sa robe.
Je suis la fée du printemps lui dit-elle. Tu as réussi. Tu es maintenant un cheval, jeune fringant, tu peux partir ou rester parmi nous. Et elle poursuivit.
- Maintenant j'ai à faire.
Ce fut une fête. Les bourgeons éclatèrent et les petites pousses germèrent en une journée. Les perce-neige, les jonquilles, les narcisses, les violettes soulevaient de toutes leurs forces la neige craquante qui fondait sous le doux soleil. Et il se répandit une explosion de couleurs et de parfums dans les sous-bois. Les oiseaux s'égosillèrent de bonheur.
- La dame du printemps est là, l'hiver est mort.
Les lapins, sortis des terriers et pris de folie firent mille cabrioles. Même les animaux plus grands, plus sérieux, les biches, les cerfs, se permirent des fantaisies. Et les sangliers bougonnant trottèrent pour ronger les jeunes pousses sur le tronc des arbres.
Le petit cheval courait à perdre haleine, et se roulait dans l'herbe, et la forêt toute entière frémissait d'allégresse avec lui.
Il vécut heureux très longtemps, entouré de ses amis les animaux et de la bonne fée du printemps. Il apprit à respecter l'hiver qui permet aux graines de se reposer sous la neige.
Il n'y a plus beaucoup de chevaux de bois dans les petits manèges. Peu à peu ils retournent tous dans les forêts profondes.
Car cette histoire s'est répandue à travers les villages, et il se trouve toujours, partout, des enfants qui aident aux miracles.

A.P.

bunni

#684

Un Conte ...

La neige était tombée dès le début décembre et recouvrait de son voile immaculé, les montagnes et les plaines. Dans les villes, le buvard gourmand avait absorbé pollutions et grisaille pour laisser flotter cette atmosphère purifiée que rehaussaient les enluminures des sapins ou des guirlandes éclairées. Audrey et sa soeur Clémentine s'éveillèrent ce matin de vacances et contemplèrent cette blancheur translucide éclairée par un timide rayon de soleil sur des cristaux glacés qui renvoyaient, de leurs facettes innombrables, les parcelles de lumière. Pourquoi ne pas construire un bonhomme de neige ? s'écrièrent-elles ensemble. Et les voilà, emmitouflées dans des épaisseurs chaudes, pousser, ramasser, accumuler des monceaux de ce miracle de la nature en sculptant tout d'abord, formes improbables, une grosse boule pour le corps et une plus petite pour la tête.
Le travail avançait vite, une vague forme humaine, se révélait peu à peu, façonnée par des petites mains besogneuses et imaginatives. Quelques vieux vêtements, une carotte pour le nez, un chapeau troué suffirent pour achever ce chef d'oeuvre enfantin. Le lendemain matin, alors que le vent avait soufflé fort sous la pleine lune, le bonhomme semblait avoir changé, les traits de son gros visage étaient plus marqués, presque expressifs. Il paraissait même les regarder avec ses boutons de manteau en guise d'yeux. Alors qu'elles se dirigeaient vers lui, elles entendirent un son étrange et répétitif, trois « oh, oh, oh » prononcés plusieurs fois par une voix caverneuse. Était-ce le vent ? Elles se retournèrent en tous sens sans comprendre d'où provenait cette mélopée envoûtante. Le lendemain matin et les jours suivants, elles l'entendirent à nouveau mais furent incapables de localiser son origine. Dans le même temps, chaque jour, le bonhomme semblait changer, façonné par les éléments.
Un matin, les deux enfants comprirent enfin d'où venait cette voix : c'était le bonhomme, il parlait !
« Comment t'appelles-tu ? » « Mon nom est Nature, je vis sur cette planète depuis son origine, j'ai connu toutes les espèces qui se sont succédées au fil des millénaires. La vôtre est vraiment étrange ! Elle pense que le monde lui appartient alors que c'est le contraire. Vous qui êtes des enfants, pouvez- vous faire passer ce message ? » Ce fut sa plus longue phrase.
L'hiver passa pendant lequel les fillettes venaient chaque jour parler au bonhomme qui leur apprenait simplement à observer. Un beau matin, alors qu'elles se préparaient à aller voir leur ami, la neige avait fondu, le bonhomme était devenu flaque. Une vague d'un froid glacé leur enserra le cœur. Pourtant, quelque part au-dessus d'elles, elles entendirent ce « oh, oh, oh » qu'elles connaissaient si bien. Habituées désormais à observer leur environnement, elles levèrent les yeux et aperçurent un nuage au milieu d'un ciel azur : il avait la forme exacte du bonhomme !
Quelques années ont passé, les enfants sont devenues adultes. Chaque hiver, la neige leur rappelle ce souvenir qui a façonné leur perception de la nature, leur approche vers les autres et leur message est toujours celui du bonhomme de neige : « le monde ne nous appartient pas, nous appartenons au monde ».
Cette phrase simple, si elle était comprise et appliquée par tous les humains, « puissants ou misérables », changerait l'humanité peut être, la face du monde sûrement.

bunni


Conte zen (les deux pots)

Il y a longtemps, quelque part dans un petit village tranquille, vivait une vieille femme. Celle-ci habitait un endroit reculé, à l'écart des autres habitations, dans une modeste demeure sans grand confort. Elle vivait simplement, des légumes de son jardin au fond duquel chaque matin, elle se rendait pour puiser l'eau dont elle avait besoin pour la journée. Ainsi, dès l'aube, elle se munissait des deux pots de terre qu'elle utilisait comme récipients depuis toujours. Elle se servait d'un bâton et suspendait un pot à chaque extrémité, puis se harnachait de la perche qu'elle posait sur ses épaules comme cela se faisait alors afin de porter une lourde charge.
La vieille femme parcourait ensuite le sentier conduisant au puits où elle remplissait ses deux cruches avant de remonter jusqu'à la maison. Là, elle déposait les pots devant la cheminée et, à chaque fois, l'un était plein, l'autre à moitié vide. Et pour cause, il était fêlé depuis des lustres et perdait la moitié de son contenu durant le trajet.
Un jour, la cruche fêlée lui dit :

– Je ne comprends pas. Tous les jours tu te fatigues à me remplir et me rapporter jusqu'à la maison. Mais regarde-moi ! Je perds la moitié de ta précieuse eau en cours de route ! Enfin, ouvre les yeux ! Vois l'autre cruche, elle est pleine et moi je suis à moitié vide. Pourquoi me gardes-tu ? Je te cause de la peine inutilement. Tu ferais mieux de me jeter !

La vieille femme rit.
Puis elle répondit :

– C'est toi qui n'ouvres pas les yeux, mon ami. N'as-tu pas remarqué toutes les fleurs magnifiques qui bordent le chemin jusqu'au puits ? Elles me donnent beaucoup de joie et cela, c'est grâce à toi qui inconsciemment les arroses chaque matin lorsque je te porte jusqu'à la maison.

Conte zen

Ainsi, nos faiblesses, nos blessures que l'on occulte ou refoule ont une raison d'être. Nous cherchons à nous débarrasser de ce qui peut être une porte d'entrée vers des richesses intérieures insoupçonnées. Acceptons notre part d'ombre comme nous acceptons notre part de clarté, car elle fait partie de notre être tout entier. La nuit est indissociable du jour. Qui serait assez fou pour nier l'existence de la nuit ? N'hésitons pas à ouvrir notre cœur pour aller y puiser la paix. Nous possédons pour y parvenir un formidable moyen d'accès : ces failles qui nous dérangent.
Ne cherchons pas à les fermer.
Car c'est par nos failles que pénètre la lumière.

bunni


LES  LUTINS ...

Out-tout-tou-hou ! Une bonne vieille chouette perchée sur une branche, à la douce
lumière de la lune, répétait tranquillement ce cri.
C'était une antique créature sympathique et douce, avec de grands yeux qui
pouvaient même percer la nuit. Malgré l'effroi qu'elle causait souvent elle était
vraiment inoffensive, pleine de bienveillance, avec une pointe de malice!
Elle savait comprendre la plaisanterie et son out-tout-tou-hou éveillait
souvent un écho lointain semblable à un rire égrené.
Dans une petite maison, près de la forêt, habitaient avec leurs parents, deux enfants: Tommy
et Betty. Quoique leur mère les aimât tendrement, elle avait continuellement à les réprimander pour
leur paresse, leur négligence ou leur saleté. Quand ils jouaient, ils ne cessaient de courir partout en
criant, ils renversaient les meubles, cassaient la vaisselle, salissaient leurs habits; bref, c'étaient des
enfants terribles. Ils ne songeaient jamais à la peine qu'ils donnaient aux autres.
Une fois leur mère leur raconta combien tout était différent dans la maison, au temps des
Lutins. « Qu'est-ce qu'un Lutin ?» demandèrent les deux enfants fort intrigués. « Un Lutin, répondit
leur maman, est un petit être menu, fille ou garçon, qui venait à la maison avant que personne fût
levé, balayait le foyer et allumait le feu, allait chercher l'eau et faisait le déjeuner. Il mettait les
chambres en ordre et sarclait le jardin; il cirait les souliers et rangeait les habits des enfants. Il faisait
toutes sortes de choses utiles, mais personne ne le voyait jamais. Toujours il se glissait hors de la
maison avant que personne fût sorti de sa chambre, mais il se montrait un bienfaiteur pour chacun.
Tout le monde était heureux et la maison était toujours claire et propre. »
Tommy et Betty désirèrent alors savoir comment ils pourraient obtenir qu'un Lutin vînt chez
eux aider au ménage pour leur éviter la besogne que leurs parents demandaient d'eux. Ils
questionnèrent leur mère pour savoir où ils en trouveraient un. Elle leur répondit que le mieux était
de recourir à la sagesse de la vieille chouette qui vivait dans la forêt. On pouvait lui demander
conseil, car elle devait être au courant de tout ce qui concerne les fées et les lutins.
Alors, un soir, après la tombée de la nuit, les deux enfants s'enfoncèrent dans
la forêt à la recherche de la chouette brune. D'abord, Tommy marcha crânement,
puis comme le sentier s'assombrissait de plus en plus dans la forêt silencieuse, il
commença à ralentir son allure et à regretter de s'être mis en route pour une telle
aventure. Mais Betty était impatiente de découvrir tout ce qui concernait les Lutins
et bien qu'elle eût peur, elle ne voulut point revenir sur ses pas; elle alla de l'avant
entraînant son frère. Ils entendirent bientôt le cri de la chouette. Celui-ci résonnait
d'une manière si étrange que, pendant un moment, ils restèrent cois et eurent l'idée de rebrousser chemin.

Mais Betty pensa à l'occasion qu'ils avaient là d'apprendre le mystère des
Lutins; aussi elle resta ferme. Elle entendit de nouveau le cri de la chouette qui lui semblait plus
familier maintenant qu'ils s'y habituaient; elle avança encore et arriva à l'arbre où perchait la
chouette.
« Madame Chouette! Madame Chouette, nous sommes venu vous voir, chuchota-t-elle. –
Ou-hou-hou, je suis très heureuse de l'apprendre, grimpez à l'arbre, mes amis, et venez vous asseoir
à côté de moi sur cette branche. »
Ils grimpèrent et se nichèrent tout contre les plumes douces et chaudes de l'oiseau. Ils lui
racontèrent leur chagrin, comme quoi il leur fallait toujours travailler quand ils voulaient jouer. Ils
avaient entendu parler des lutins et voulaient en faire venir un chez eux pour qu'il fasse toutes les
choses ennuyeuses à leur place.

« Out-tout-tou-hou ! Oot-hoo-hoo ! dit la vieille chouette. Vous voyez cet étang là bas.
Placez-vous au bord, du côté nord, une nuit de lune, puis tournez trois fois sur vous-même et dites:
Sors, gentil Lutin, de ce marécage,
Au fond de l'étang j'ai vu....
«Regardez dans l'eau, vous verrez le Lutin et vous trouverez la rime qu'il vous faut. »
Quand la lune fut levée, Betty alla vers l'étang, car la fillette était fort inquiète de connaître
la réponse que leur avait promise la chouette brune. Elle tourna trois fois sur elle-même et cria:
Sors, gentil Lutin, de ce marécage,
Au fond de l'étang, j'ai vu....
Mais quand elle regarda dans l'étang, elle ne vit rien du tout que le reflet de sa propre figure.
Elle retourna vers la chouette et lui dit qu'elle n'avait vu personne, mais seulement son reflet dans
l'eau, alors qu'elle avait espéré trouver un Lutin qui viendrait à la maison et qui y ferait toute la
besogne. La chouette lui dit:
— N'as tu vu personne dont le nom terminerait le vers que je t'ai appris ?
— Non.
— Qu'as tu vu dans l'eau ?
— Rien d'autre que mon visage.
— Eh bien, est-ce que « mon visage » ne ferait pas la rime? Et Betty répéta ses bouts rimés:
Sors, gentil Lutin de ce marécage,
Au fond de l'étang j'ai vu mon visage.
— Mais je ne suis pas un Lutin.
La chouette répondit:
— Non, mais tu peux en devenir un, si tu le veux. Tu es une fillette solide et active. Tu peux
balayer un plancher, tu es assez intelligente pour préparer un feu et pour l'allumer, tu saurais bien
remplir une bouilloire et la mettre sur le feu, tu saurais épousseter une chambre, mettre le couvert
du déjeuner, faire ton lit, cirer tes souliers et plier tes habits. Tu pourrais faire tout cela avant que
personne fût levé, de façon que ton père et ta mère en descendant le matin croient que des fées ont
été à l'œuvre.
Les Lutins sont de petits génies qui vivent dans la maison et y font du bien. Il y a des
maisons où, au lieu de Lutin, il y a des Boggarts. Ceux-là sont de petits démons. Quand on voudrait
être tranquille pour lire ou écrire, ou quand on se sent fatigué ou peu bien, les Boggarts se mettent à
crier, à hurler et à se démener.
Quand la maison est propre et que tout est en ordre, ils arrivent, bouleversent tout, cassent
les meubles et la vaisselle, et laissent tout en désordre; ce sont les autres qui ont la peine de ranger.
Ils sont sales et paresseux et ne font rien pour leurs parents.
Les Boggarts sont de vilaines petites créatures bien différentes des Lutins.
Mais les Lutins ne sont pas des fées, comme vous pourriez le croire. Ce sont simplement les
petits garçons et les fillettes de la maison qui se transforment en Lutins en se levant de bonne heure
pour rendre service, au lieu de rester tard au lit et de se conduire comme des Boggarts.
Lutins et Éclaireuses font leur travail tranquillement, sans attendre remerciements ni
récompenses. Elles le font parce que c'est leur devoir envers leur père, leur mère et leur famille.
Quelquefois il pourra leur en coûter un peu: quand elles se sentent fatiguées ou qu'elles ont envie
d'aller jouer en plein air; mais elles se rappelleront que c'est leur devoir et que le devoir passe avant
tout. Ainsi dans notre histoire, après avoir été réveillés de bonne heure par la vieille chouette le
lendemain matin, Tommy et Betty se glissèrent hors de leur lit.
Ils balayèrent, ils allumèrent le feu, préparèrent tout pour le déjeuner puis retournèrent
tranquillement à leur chambre. En descendant, leur père et leur mère s'attendaient à devoir tout faire
eux mêmes, ils furent bien étonnés de trouver la besogne faite, ils crurent que les fées avaient passé.
Cela continua ainsi jour après jour et les enfants trouvèrent plus de plaisir à faire leur devoir
qu'ils n'en avaient jamais eu à jouer à des jeux bruyants.
Ce ne fut que longtemps plus tard que leurs parents découvrirent qui étaient les vrais Lutins.

bunni


LA LIBELLULE, LE COMEDIOLOGUE ET LA METAMORPHOSE

Lucille, une libellule  d'une élégance rare, vivait jadis, au bord d'un étang peuplé de nénuphars. Elle avait deux paires d'ailes merveilleusement transparentes et irisées d'un camaïeu violet à couper le souffle. Telle une danseuse étoile, elle glissait dans l'air sans effort ! Lucille faisait la fierté des habitants de l'étang. Mais elle, expérimentant son don de manière tellement naturelle, n'en tirait aucune présomption. Seul comptait pour elle, le plaisir de voler.

L'étang, alimenté autrefois par une source mystérieuse, se tarissait peu à peu et plus rien n'était comme avant. Ses ailes s'étaient alourdies, ses couleurs s'étaient ternies, elle sombrait, happée par la gravité. Elle savait à peine changer de direction en volant. Tout lui demandait effort, tout l'agaçait. Elle émettait maintenant des jugements sur tout et n'importe quoi. Inflexible, elle avait perdu toute souplesse. Pour la première fois de sa vie, elle se trouvait nulle ! Désorientée, elle errait comme une âme en peine.
Un jour il n'y eut plus une goutte d'eau dans l'étang. Au fond d'elle-même, Lucille savait qu'il lui fallait partir mais pour aller où ? Pourquoi faire ? Elle était terrorisée à l'idée de quitter son étang pour aller vers l'inconnu.

Et pourtant un matin, au lever du soleil, elle fut réveillée par des bruits sourds et saccadés provenant de la forêt voisine. Un rythme régulier et répétitif sonnait comme un cœur en mouvement. Lucille, dont le corps dépérissait depuis des jours, fut d'abord agacée par ces battements sonores. Puis petit à petit, elle se sentit envahie par cette rythmique percussive. Elle sentit son corps bouger. Oh pas beaucoup, juste un petit bout d'aile. Elle se fit attentive et vit sa tête bouger aussi. "Ca alors ! Que m'arrive-t-il ?". Sans chercher à comprendre, elle se laissa porter par la musique et se mit en mouvement.
La musique avait changé de rythme, plus rapide, plus saccadé encore. Lucille peinait à voler mais ne renonça pas pour autant. Elle arriva toute essoufflée dans une clairière. Il y régnait un joyeux capharnaüm : des dizaines d'animaux dansaient, jouaient et chantaient. Ils semblaient s'amuser follement. La musique cessa, Lucille, soudain très mal à l'aise, n'eut qu'une envie : fuir cet endroit. Elle fit demi-tour et tomba "yeux à yeux" avec le Hibou.

Un quart de tour et c'est l'imposante crinière du Lion qui lui fit face. Elle n'en menait pas large.
"Ne t'inquiète pas, lui dit le Chien, c'est une grande gueule mais au fond c'est un gros nounours".
Chacun y mit son grain de sel.
"Quel magnifique spectacle !" s'écriait le Perroquet tel un grand tragédien.
"Pourquoi me regarde-t-elle comme ça ?" s'interrogeait le Kangourou, sur ses gardes.
"Allons, cessez vos chamailleries." disait l'Eléphant qui peinait à se faire entendre.
Ce fut le Castor qui la destabilisa le plus. Il se pavanait, parlait fort, se faisait remarquer. La voyant démunie, il en profita et lui lança d'un rire gras : "Alors, on a perdu le Nord ? 
C'en était trop pour elle! La pauvre Lucille, tétanisée, aurait voulu rentrer sous terre.
Le Singe, qui ne s'était pas encore manifesté, arrêta le jeu tout net. Un silence se fit. Il s'approcha doucement de Lucille :
- Je m'appelle Guido.
Lucille reprit immédiatement ses esprits et répliqua sèchement:
- Arrêtez de vous moquer de moi et laissez-moi partir, je n'ai pas de temps à perdre avec vous tous !
- Ils ne sont pas méchants, ils s'amusent ! C'est juste un jeu !
- Pfff ! Un jeu ! Vous appelez ça un jeu ? Je suis sérieuse, moi ! Je fais des choses sérieuses !
- Ah ça, je n'en doute pas.
- Comment ça, vous n'en doutez pas ?
- Ca se voit !
- Ca se voit ?

La Fourmi, qui jusque là n'avait rien dit, renchérit sur un ton hautain :
- Mais oui ma chérie, tout ton corps le dit !
- Mon corps ? Qu'est-ce qu'il dit mon corps ?
- Toute raide, les sourcils froncés, la mâchoire serrée. Ca pour sûr, tu es sérieuse !
- Arrêtez ! Je n'en peux plus ! cria Lucille au bord des larmes.

Guido, fit signe aux animaux de s'écarter et se rapprocha d'elle tendrement. D'une voix posée, il s'adressa à nouveau à elle :
- Lucille, tu n'es pas arrivée ici par hasard. Si tu es là, c'est que tu as besoin de quelque chose. Qu'est-ce tu aimerais qu'il se passe ?
- J'aimerais retrouver le plaisir de voler.
- Le plaisir de voler.
- Oui, c'est ça, avant je n'y pensais même pas, je volais toute la journée, légère, je changeais de direction comme je voulais. C'était facile.
- Avant ?
- Oui, avant que l'étang ne se dessèche, avant qu'il n'y ait plus d'eau.
- Qu'est-ce que tu pourrais faire maintenant ?
- Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue.
- Alors, instantanément, tous les animaux se mirent à chanter à l'unisson : "Fais comme l'oiseau, ça vit d'air pur et d'eau fraîche
un oiseau !...Mais jamais rien ne l'empêche l'oiseau, d'aller plus haut !"

Après un temps de stupéfaction, Lucille comprit que les animaux ne lui voulaient aucun mal. Elle se rendit compte du comique de la situation et tout le monde éclata de rire.
- Veux-tu que je t'aide à retrouver le plaisir de voler ?
- Oui !
- Es-tu prête pour le grand voyage ?
- Je suis prête.

Les mois qui suivirent, Guido emmena Lucille sur différents chemins. Parfois, il mettait de la musique et ils dansaient, dansaient pendant des heures, en ne pensant à rien.  "Juste suivre les mouvements instinctifs de ton corps", disait-il. Lucille ne comprenait pas toujours où il voulait en venir mais ce n'était pas grave, elle s'amusait tellement ! D'autres fois, il lui ramenait des costumes, des masques, des foulards, des nez de clown... Il lui faisait jouer toutes sortes de personnages en lui faisant prendre des intonations différentes. Que c'était drôle ! Elle apprenait à respirer, à dire un texte. Elle improvisait. Au début, elle essayait, faisait de son mieux. Et plus elle essayait, plus elle s'amusait. Plus elle s'amusait, plus c'était facile. De temps en temps, ils se posaient pour parler, pour prendre du recul et observer le chemin parcouru.

Et puis, vint le jour où Guido lui dit avec malice :
- Le moment est arrivé, Lucille, que tu voles à nouveau de tes propres ailes.
- Je te remercie Guido du temps passé en ta compagnie. Je sais maintenant qu'en reprenant le chemin de mon corps, je vois les choses sous un autre angle. Je sais que j'ai la capacité de concrétiser mes désirs. Je sais que tout est possible.
- Et qu'est-ce que ça change, pour toi, de savoir tout ça ?
- Je peux, maintenant, partir à la recherche d'un nouvel étang.
Lucille, qui s'apprêtait à prendre son envol, se retourna :
- Merci Guido.
- Merci à toi Lucille. Bonne route.

Ranita, une petite grenouille verte, était cachée non loin de là. Depuis le début du voyage elle n'en perdait pas une miette. Elle avait suivi toutes les conversations entre la Libellule et le Singe. Elle avait entendu que Guido était comédiologue. Elle avait bien pensé au début qu'il était magicien. Mais c'est Lucille qui était une fée. Simplement elle l'avait oublié. C'est elle qui avait fait tout ce chemin de métamorphOse. Ca n'avait pas toujours été confortable mais Lucille avait fait preuve de ténacité. Elle avait franchi les obstacles avec courage, avait accepté d'être bousculée dans ses habitudes. Elle s'était surpassée parce qu'elle avait confiance en Guido. Lucille avait retrouvé le plaisir de voler. Ses ailes avaient repris leurs couleurs chatoyantes. Un vol sans effort l'amena à son nouvel étang. Lucille était redevenue Lucille et Ranita brûlait d'impatience de vivre l'expérience à son tour.

Allait-elle se transformer en princesse ? En reine ?  ...  

FD-D

bunni

#688

Les Lunes à croquer... pour la Chandeleur

"Pierre vivait pauvrement dans une vieille maison avec son père, sa mère, ses cinq frères et ses cinq sœurs. Dans cette maison, il y avait une petite cuisine avec un vieux fourneau qui fumait et des vieilles casseroles cabossées. C'est là que Pierre était le plus souvent, car il adorait cuisiner. Il savait préparer des plats délicieux avec des choses simples: il pouvait transformer des pommes de terre en gâteaux, des poires en sirop, des carottes en purée rose... Avec Pierre, chaque repas devenait une fête. Pourtant, une année, l'hiver fut très long. Pierre ne trouvait que des vieux croûtons de pain à mettre dans ses casseroles et toute sa famille avait faim. Un matin, Pierre dit а son père:

- Je vais aller en ville pour chercher du travail. Avec l'argent que je gagnerai, je pourrai acheter de quoi manger.
Justement, ce jour-lа, un messager du roi arrive dans le village de Pierre. Il tape sur un tambour et il déclare:
- Avis à la population! Le roi de ce pays, Sa Très Gourmande Majesté, a décidé de changer de cuisinier. Celui qui fera le plus délicieux des plats sera nommé Grand Chef des Cuisines du Roi.
En entendant cela le père de Pierre s'écrie:
- Pierre, voilà une chance pour toi! Enlève ton tablier, laisse tes vilaines casseroles et va faire goûter au roi une recette dont tu as le secret.
Pierre répond en souriant:
- Hélas, on ne devient pas cuisinier du roi en lui faisant manger du pain dur!
Mais la mère de Pierre insiste:
- Allons, va, mon petit cuisinier. Tu sais faire un dessert avec un courant d'air. Je suis sûre que tu peux gagner ce concours!
Alors, Pierre se met en route. Il se demande bien quelle recette il pourra préparer pour le roi, car il n'a rien dans les mains ni dans les poches. Mais comme il sent le printemps qui arrive, il se met à chanter:
- Je n'ai rien pour mon roi, pas de sucre ou de chocolat, même pas la moitié d'un petit pois!
Bientôt, Pierre arrive devant une ferme. Un vieil homme vient а sa rencontre en criant: - à l'aide! au secours! Ma vache est tombée dans l'étang!
La pauvre vache essaie bien de sortir de l'eau mais à chaque fois qu'elle approche du bord de l'étang, elle glisse dans la boue et plouf! Elle retombe lourdement. Pierre prend une corde solide. Il l'attache aux cornes de la vache et tire sur la corde de toutes ses forces. On hisse! On hisse! La vache sort les deux pattes avant. Encore un effort! On hisse! On hisse! Enfin la vache regagne la terre ferme. Elle est sauvée! Le vieil homme est tout heureux et, pour remercier Pierre, il lui donne un pot de lait tout frais. Pierre reprend le chemin du palais du roi en chantant: - voilà du lait pour le roi, c'est tout ce qu'il aura pour tremper son petit doigt! Tout à coup, il aperçoit des poules qui courent dans un pré en battant des ailes. Derrière les poules, il y a une fermière qui crie:
- Vilaines poules! Revenez, revenez, ou le renard va vous manger!
Mais les poules partent dans tous les sens et la fermière ne peut pas les rattraper. Pierre ramasse un bâton, il le fait tourner au-dessus de sa tête puis il file à toute vitesse derrière les poules. Il les rassemble et, en un clin d'œil, il les fait rentrer dans le poulailler. La fermière saute de joie. Elle dit à Pierre:
- Sans toi, mes poules allaient se perdre dans la forêt!
Pour le remercier, elle lui donne six œufs dans un panier. Pierre continue sa marche. Il chante:
- Avec du lait et des œufs que fait-on de délicieux? Avec des œufs et du lait que pourrait-on préparer?
Un peu plus loin, alors que la nuit commence а tomber, Pierre rejoint une charrette chargée de sacs de farine et traîné par un âne. C'est la charrette du meunier. Le meunier appelle Pierre:
- S'il te plaît, veux-tu me donner un coup de main? Ma roue a glissé dans le fossé. Je ne peux plus avancer.
Pierre pose son lait et ses œufs et il pousse avec le meunier. Un, deux, trois, hue! La charrette est dégagée, le meunier peut rentrer au moulin. Mais avant de partir, il offre à Pierre un petit sac de farine. Pierre s'en va en chantant:
- J'ai des œufs, de la farine et du lait, mon roi tu vas te régaler! J'ai du lait, des œufs et de la farine, roi, tu vas te lécher les babines!
Lorsque Pierre arrive au palais du roi, le concours de cuisine a déjà commencé. Des cuisiniers sont venus des quatre coins du pays. Ils ont apporté avec eux des épices et des fruits, des lapins, des dindes, des moutons, des légumes, des poissons, des champignons et des herbes parfumées; tout ce qu'il faut pour réussir des desserts rares, des salades exquises et des rôtis savoureux.
Dans la grande cuisine royale, le roi est assis sur le trône. Des serviteurs lui apportent ce que les cuisiniers lui ont préparé. Le roi respire l'odeur de chaque plat, puis il goûte des bouts des lèvres. Il mâchouille, il ferme les yeux, il renifle encore une fois. Mais, pour chaque recette, il grogne: -trop grillé. Trop cru. Trop salé. Trop sucré. Trop chaud. Trop froid. Trop sec. Trop gras. Rien ne lui plaît. Enfin, c'est le tour de Pierre.
Le roi lui demande:
- Alors, jeune homme, que vas-tu nous préparer?
Pierre se gratte la tête avant de répondre:
- Euh... Sire... Majesté... C'est-а-dire... voilà... c'est une surprise.
- Le roi sourit:
Ah, enfin une surprise!
- Euh...euh...
Pierre réfléchit, il se dit:
- Qu'est-ce que je pourrais bien faire avec de la farine, du lait et des œufs? Il regarde par la fenêtre et il aperçoit la lune qui brille dans le ciel. Cela lui donne une idée. Il s'écrie:
- Je vais faire des lunes, des lunes à croquer!
Le roi fronce les sourcils, il dit:
- Tiens, tiens, des lunes а croquer? Je suis curieux de voir ça. Alors , mon garçon, mets-toi au travail. Aussitôt, Pierre vide sa farine dans un grand saladier. Il ajoute ses œufs et il verse son lait en mélangeant avec une grande cuillère en bois. Puis il dépose un peu de la pâte qu'il a ainsi préparée dans une poêle bien graissée. Et il la met а cuire sur le fourneau. Au bout de deux minutes, Pierre saisit le manche de la poêle, il donne un coup de poignet et hop!...un gâteau plat et rond s'envole dans la cuisine royale. Pierre dit au roi: - regardez, voilà la lune! Le roi lève la tête, il n'en croit pas ses yeux: le gâteau rond monte jusqu'au plafond et il retombe juste dans la poêle.
Pierre le laisse cuire encore un peu, puis il dit:
- Voilà, Sire, vous pouvez croquez cette lune.
Le roi renifle, il goûte, il mâchouille et il déclare:
- Ce n'est pas mauvais... C'est même plutôt bon...
J'aimerais bien moi aussi faire une lune à croquer car cette recette m'amuse beaucoup. Il se lève de son trône, il verse un peu de pâte dans la poêle, la laisse cuire deux minutes, il donne un petit coup de poignet ... et hop! Il fait sauter la lune à croquer. Et plaf! Elle retombe sur la tête de la reine. Le roi éclate de rire: - ha! ha! ha! Décidément, cette recette me plaît! Le roi s'amuse comme un fou: - encore, encore, encore! Il fait des dizaines des lunes à croquer et il les mange avec du sucre, de la confiture, du chocolat.
А la fin, quand le roi a bien ri et bien mangé, il dit à Pierre: - c'est toi qui a inventé la recette la plus drôles, du jamais vu, du jamais goûté! Je te nomme Grand Cuisinier du Roi!
Depuis ce jour, Pierre vit avec toute la famille dans le palais du roi et, chaque année, à la fin de l'hiver, il fait des lunes à croquer."

Pomme d'Api

bunni

#689

Le chat qui était tombé amoureux d'une boîte de thon

Il était une fois dans un village fleuri, tranquille, où s'ennuyait dans une grande maison mauve Nougat. Nougat était un chat roux qui passait son temps à dormir dans les draps feutrés de sa maîtresse, ou à chasser les balles en caoutchouc qui rebondissaient dans toute la maison.

Nougat n'aimait pas la compagnie de ses congénères, ni même celle d'inconnus humains, ce qui ne l'empêchait pas de gratter derrière la porte d'entrée afin de s'évader dans la jungle urbaine.
Mais Nougat avait un souci : c'était un peureux maladif. N'importe quel bruit le faisait fuir, la queue gonflée tel un écureuil. Les oiseaux, les voitures au loin, le vent dans les feuilles des arbres, les rires d'une enfant et même lui ! Il sursautait, le dos voûté, dès qu'il posait la patte sur une chose qui l'avait surpris. Ses oreilles dressées tel un hibou et ses yeux exorbités faisaient de lui l'attraction de la famille.
Par ces chaudes journées d'août, assis sur le rebord de la fenêtre et protégé par les volets baissés, Nougat regardait, tapant rapidement de la queue, les hirondelles frôler les vitres qui allaient dans leur nid, situé dans la gouttière.

Allongé sur sa fenêtre Nougat a chaud, il s'ennuie...

Il traînait sa carcasse le long de la grande maison, même s'il en connaissait les recoins par cœur. Nougat a toujours vécu enfermé entre quatre murs. La liberté du dehors, le plaisir de courir dans l'herbe verte, il ne connaissait ces sensations qu'avec une laisse et sous une certaine contrainte. L'esprit épicurien, il ne savait pas que ça existait. Alors Nougat passait son temps à dormir dans les endroits les plus frais de la maison : sous le lit de sa maîtresse ou dans l'armoire, renversant sur son passage le linge soigneusement plié. C'était une vraie canaille celui-là, quand il décidait de faire des bêtises ! Une manière comme une autre de tromper sa solitude et de se débarrasser de son trop plein d'énergie. Il aimait beaucoup ennuyer ses maîtres, à se poser dans des endroits pour le simple plaisir de gêner. C'est tout un art pour un matou de s'installer là où il dérange le plus ! La table à repasser, quand la maman s'apprête à défroisser les habits, à moitié sous les couvertures quand elle faisait les lits, sur la table de cuisine quand elle épluchait les pommes de terre.
Cette cuisine, Nougat la connaissait par cœur et pour cause ! Après dormir sa seconde occupation résidait là, sous l'évier : la gamelle d'eau et l'écuelle à nourriture. Nougat mangeait toujours la même chose, cela devenait donc plus fade à chaque jour qui s'écoulait. Il en perdait la saveur, la gourmandise, la joie de se restaurer. Pauvre Nougat, toujours en quête d'innovation !
Parfois sa maîtresse inventait quelques folies pour le distraire et satisfaire ses papilles délicates de chat. Les yaourts au chocolat blanc ou à la mousse de nougatine sur un coulis de framboise. Mais la mode étant éphémère, le plaisir ne fut que fugace, et la dure habitude reprenait ses droits.
Alors Nougat choisit de provoquer le changement : il miaulait tel un condamné pour réclamer cette précieuse nourriture, mais lui tournait le dos une fois servi. Un comble de gourmet !
Petit Nougat deviendra gros avec ses exigences gargantuesques ! Qu'il serait vexé si des invités d'un soir le prenaient pour une drôle de race de chien !
Mais l'appel de l'estomac est plus fort, l'envie d'herbe naturelle encore plus. Tenter de manger quelques fines feuilles des plantes familiales n'est pas donné à tous les félins, sans connaissance par ailleurs des dangers de certaines toxicités plus ou moins flagrantes.

Mais ce fut un beau matin qui lui offrit la providence tant désirée, ce que tout chat rêve de rencontrer et de posséder. Un sentiment de bonheur, d'extase et de volupté : l'amour !

La cuisinière avait omis un élément capital dans la réceptivité du chat. Elle avait innocemment laissé sur le bord de la table une boîte auprès de laquelle Nougat trouvera le summum. Une boîte de thon. Cette boîte, Nougat l'avait longuement observée : d'une parfaite harmonie de forme et de couleurs, elle n'avait jamais suscité autant de convoitise. D'un arrondi lisse, la boîte pouvait rouler qu'importe sa position, une gymnastique polyvalente en sorte. Sa couleur était d'un bleu azur, digne d'un horizon varois. Un dessin de navire à la voile blanche semblait ressortir ; comme si le galion voguait calmement sur les vagues outremers, insouciant, à la recherche d'un pays à conquérir. Mais le contenant ne sert évidemment qu'à cacher le contenu, plus intéressant, plus mystérieux, et souvent...Plus beau. Aux trois quarts ouverte, comment ne pas résister à l'instinct d'aller fourrer son fin museau à l'intérieur de la boîte ? Ce qu'il y vit ne porte pas de nom à ses yeux. Dans le langage humain on appellerait cela " extase ", " paradis ", " bonheur ". Une chair fraîche et rosée, entourée d'un liquide translucide faisait miroiter les yeux serpent du naïf rouquin. Bien que compacte, cette chair ne présentait pas moins quelques scissions, très délicatement tracées par les soins habiles d'un poissonnier. Tous les sens de Nougat le gourmand se mirent en éveil. La vue d'abord, de cette masse dodue et appétissante à souhait. Mais surtout l'odorat. Ah l'odorat ! Sens suprême parmi les suprêmes ! Sans lui, comment pourrions-nous suivre à la trace la délicieuse odeur du pain à peine sorti du four ? Les délicats parfums des femmes dans une cage d'escalier ? La différence entre le comestible ou pas, l'avenant ou le non avenant ? Car c'est l'odeur subtile que dégageait cette inconnue qui attira Nougat sur les pentes des péchés capitaux : envie, luxure, gourmandise.
Nougat approcha avec méfiance son museau du liquide, puis renifla avec moins de réticence les morceaux détachés. " Quel délicat fumet ! " se dit-il, car il ferma les yeux et ronronna de satisfaction. Quelle joie pour ma maîtresse d'avoir négligé de cacher cette providentielle boîte !
Il commença à laper, doucement dans un premier temps. Sa langue rugueuse ne manqua pas de saisir toutes les sensations que devait provoquer ce poisson. Puis, goulûment, il attrapa un morceau conséquent de la boîte pour le mâcher longuement afin que ses papilles apprécient cette saveur nouvelle. Pour Nougat c'est la première fois qu'une telle chose se produit. Il ne savait pas à quoi correspondait l'odeur, mais pour lui elle était alléchante. C'était le principal. Il n'avait jamais senti vraiment diverses odeurs, lui qui restait enfermé dans une chambre. Il se délecta si bien de ce sulfureux poisson que bientôt la boîte s'en trouva vidée. Veillant à ne point se couper avec les rebords cannelés de la conserve, il recula un peu puis descendit de la table et du banc, pour aller purifier ses canines d'eau de sa gamelle. Il repartit ensuite en direction du salon, l'estomac repu et une satisfaction visible par sa façon de se lécher les babines. Nougat était déjà un profiteur, mais le voici petit voleur !
Nougat repartit dans sa cachette secrète, avant que sa maîtresse ne raccroche le téléphone et découvre le méfait. Ce lieu si paisible à ses yeux se trouvait être tout simplement la partie droite de la grande armoire, installée dans la chambre de la fille de la maison. Entre le coffre de chaussettes, l'amas de chemises de nuit et les pans des robes, le félin se mit bien à l'aise puis ferma les yeux, ronronnant.

La maîtresse revint à ses fourneaux. Ciel, cria-t-elle, moi qui voulais régaler les miens d'œufs mimosas ! Mais elle était une adulte humaine, et donc incrédule. Seul un être doté d'un culot énorme, d'un talent sans bornes aurait pu réussir ce subterfuge. Et elle était seule à la maison, avec Nougat...
Cependant contrairement à ce qu'on pourrait imaginer cette aventure la fit sourire. Elle savait désormais comment dresser l'indomptable, comment égayer ses repas et cela à moindre frais. Nougat n'avait jamais connu cela...

Le lendemain, le surlendemain et tous les autres jours à l'infini, petit Nougat faisait de tendres roulades, ronronnait délicieusement et miaulait de son timbre aigu et rauque, mais non moins suave, afin d'attirer l'attention de ses maîtres. Et tout cela dans un but bien précis : les faire venir auprès du réfrigérateur, qui gardait jalousement l'objet tant convoité. Monsieur se posa la question : mais comment faisaient donc ces boules de poils pour dégager autant de séduction et de charme, à faire pâlir tous les bipèdes masculins ? Même le plus bellâtre des hommes ne pourrait rivaliser avec un chat. Et comme dit l'adage : le chat ne vit pas chez nous, mais c'est nous qui vivons chez le chat...
Et à chaque fois le vœu du maître chat était exaucé, qu'importe la fréquence ou le moment de la journée. Lorsqu'il se retrouvait enfin face à la délicate boîte de bleu, à sa chair sensuelle appelant à la volupté, il lui tint par télépathie ce discours.
-         Boîte, oh ma si chère boîte de thon, voudrais-tu aujourd'hui m'accorder tes charmes ? Je me languis de ton absence, je te désire en ta présence. Acceptes ma sollicitude ma chérie, tu ne seras pas malheureuse. Je comblerai le moindre de tes caprices, je couvrirai ta chair d'or. Je ferai de ma gamelle un palais où de l'artifice tu te régaleras, dans les dédales de mon corps tu te perdras, évanouie de jouissance tu te pâmeras. Ne me repousses pas mon adorée, je te jure que  tu ne le regretteras pas.
Et à chaque fois la boîte de thon ne se fit plus autant désirer qu'au premier jour : elle céda instantanément au maître chat, au gré de ses humeurs ou ses envies.

Parfois un couple peut se montrer jaloux l'un envers l'autre. Et si Nougat surprenait sa tendre dans une autre assiette que la sienne, il se tournait aussitôt vers les demoiselles croquettes, si colorées et affriolantes dans leur forme géométrique. Il les croquait à l'infini, il ne les comptait plus tant il se trouvait affecté par ce qu'il considérait comme étant une trahison. Œil de chat pour œil de chat en somme : tu me trompes, je te trompe à mon tour. Un couple peut aussi bouder. Ainsi Nougat faisait mine de ne pas regarder la boîte : c'était pour lui un supplice car il en était tellement fou...Malgré tout il se força à ce petit jeu malin afin de ne pas tomber dans la monotonie du couple. Le but était de se faire la tête pour mieux se retrouver. Rien que pour cette raison, il venait quand même lorsque ses maîtres le narguaient, sa compagne des beaux jours dans leur main ferme. La boîte semblait s'y plaire, pour sûr, elle ne tenait pas vraiment à descendre ! Aurait-elle percé le secret de son chéri et rentrait-elle donc dans son jeu ? Seuls les protagonistes possédaient cette réponse tant éclairante.

Toujours est-il que ce manège amoureux dure encore et encore...La lassitude n'avait pas donné raison aux sentiments liant le chat roux à la chair beige. C'était un amour indéfectible qui traverserait les temps. Un amour pourtant si singulier, un amour dont on nierait l'existence sans hésiter, qu'on ne voudrait croire à aucun prix, et pourtant...Ces deux-là étaient si mignons...Le couple formait à lui seul une photo de famille unie. Bien sûr, ils ne pourront pas avoir de progéniture mais l'amour n'est-il pas la base de la vie ? Tous les couples n'ont pas d'enfants, même si c'est une conséquence logique à l'amour, elle n'en est pas moins dispensable.

Ainsi va la vie, et ainsi se poursuit celle d'un chat unique, particulier : un chat qui était tombé amoureux d'une boîte de thon.