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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


Les canards mandarins et le samouraï

Il y a de cela bien longtemps, sur les bords du lac Mimidoro, que l'on appelle
aujourd'hui Mizoro, au nord-est de Kyõto, un couple de canards mandarins vivait
en paix. Il fallait voir, à la belle saison d'été, le mâle bondir sur l'eau,
prendre son envol, ses moustaches orange, son bec rouge sombre, et ses
magnifiques ailes frisées. Madame et les enfants vêtus d'un modeste gris, même
l'aîné qui portait encore la robe juvénile, ne le quittaient pas des yeux. Le
soir, les canetons rassasiés et endormis, Monsieur, d'un tendre coup de bec sur
la joue blanche et gracieuse, disait bonsoir à son épouse et, dans le trou
d'arbre qui leur servait de maison, toute la famille glissait au pays des rêves.

L'année qui suivit aux premiers jours du printemps, un jeune samouraï vint
installer sa cabane aux bords de l'étang. Sa femme attendait leur premier
enfant. Ils étaient pauvres. Le samouraï avait dû acheter son équipement : les
culottes bouffantes, les cuissardes, les manchettes métalliques et la cuirasse à
quatre pans. Sa femme lui avait confectionné le « bandeau de résolution », sa
mère avait économisé longtemps pour lui offrir les deux épées traditionnelles,
la longue et la courte. Mais il ne possédait pas encore le masque effrayant
destiné à terroriser l'ennemi. Il attendait qu'un noble seigneur le prenne à son
service. Cette nuit-là, sa femme le réveilla et lui dit :
« Mon tendre époux, je sais que nous sommes pauvres, et je ne voudrais pas vous
importuner, mais je sens depuis quelque temps une envie irrésistible de manger
de la viande, et j'ai peur que votre fïls n'en pâtisse. » Le jeune samouraï ne
dit mot. Il  prit son arc et sortit dans la nuit. Il se posta au bord de l'étang
à l'affût de quelque proie. Par hasard, le canard mandarin faisait une promenade
nocturne. À l'éveil du printemps, le nid est encore vide, et il songeait au rude
travail de l'été qui l'attendait quand il faudrait nourrir toute la maisonnée.
Le samouraï aperçut ses ailes frisées qui scintillaient sous la lune. Il tira
une flèche et le tua. Il l'emporta dans un sac et arrivé chez lui, il le fixa
sur une perche devant la cabane. Puis il regagna sa couche et s'endormit.
Un bruit insolite le tira du sommeil. Une sorte de « tap, tap ! », comme un
bruit d'ailes. « Le canard n'est que blessé, songea-t-il, il se débat au bout de
la perche où je l'ai attaché. » Il prit un couteau et sortit. Le canard mandarin
suspendu par les pattes était bien mort. Mais sa femelle était venue, et elle
battait des ailes au-dessus de lui. Le samouraï fit étinceler la lame de son
couteau et le brandit. La cane mandarine ne bougea pas, ne quitta pas la place.
Alors il alluma un feu pour les rôtir tous les deux mâle et femelle. La cane
continuait à battre des ailes, indifférente à son sort, pleurant son époux mort.
Le samouraï fut alors saisi d'un sentiment inconnu. Il alla réveiller sa femme,
lui montra le spectacle de cet amour conjugal et son épouse pleura.
« Je ne mangerai de cette viande pour rien au monde », dit-elle.

Les anciennes chroniques disent que le samouraï coupa son chignon d'homme de
guerre, et se fit moine. Il mena une vie exemplaire, protégeant les animaux, ...

bunni


...Pour une danse des cordelles (conte traditionnel de Provence)

C'est comme ça, chez nous, petits : on parle, on rit, on chante, on danse... et, quand on danse, on rencontre parfois l'amour. Ça donne de jolies histoires. Certaines finissent par un mariage où l'on chante et l'on danse encore. D'autres finissent tristement. Ça dépend du sort, et des gens. Ainsi, un soir, à Barbantane...

Le gardien de la tour de Barbantane était un homme jaloux, très soucieux de protéger sa fille Mourette des galants qui lui faisaient la cour. Il redoutait surtout ceux dont on disait qu'ils dansaient bien la farandole et la danse des cordelles. Un soir de fête, il ne put cependant interdire à sa fille d'assister aux réjouissances en l'honneur de l'évêque du lieu qui lui avait solennellement remis les clés de la tour de la ville. Les jeunes gens et les jeunes filles tenant des rubans de couleur s'en furent les attacher à un mât planté sur une place. Au son des fifres et des tambourins, ils commencèrent à danser en tenant les extrémités de ces rubans qui s'enroulaient gracieusement autour du mât en une tresse multicolore. Mourette tenait un ruban bleu, comme ses yeux, couleur lavande. Un beau garçon de Barbantane, tenant un ruban cramoisi dansait aussi. Un pas par ci, un pas par là, leurs jolis rubans s'emmêlèrent et ils s'emmêlèrent si bien qu'ils ne purent plus les détacher et qu'à la fin de cette danse, ils étaient tombés amoureux.
Dès le lendemain matin, le garçon vint demander la main de Mourette à son père. Mais celui-ci s'y opposa. Les gens eurent beau lui dire que ce garçon était sérieux, travailleur et consciencieux, il ne voulut rien savoir.
Et il enferma sa fille dans la plus haute chambre de la tour, afin que ni ce prétendant ni aucun autre ne puisse jamais l'ôter à son amour paternel et jaloux.
Le jeune homme, très amoureux, ne se laissa pas décourager. Chaque soir, il vint chanter et danser sous la fenêtre de son aimée. D'en haut, elle le regardait faire, et le chagrin d'être ainsi séparée de lui en était un peu adouci. Au pied de la tour, poussait un lierre.
Et, chaque jour, il grandissait, comme l'amour des jeunes gens. Bientôt, il atteignit la fenêtre à laquelle se penchait la belle Mourette. Et le garçon eut une idée : il attendit la nuit et se mit à grimper le long de la plante, afin de venir délivrer celle qu'il aimait. Quand il fut parvenu sous la croisée, la jeune fille lui tendit la main. Mais c'est alors que, sous le poids du visiteur, le lierre commença à se détacher. Ses grands bras feuillus se délièrent de la pierre et s'abattirent d'un seul coup sur le pavé du parvis, ensevelissant l'audacieux dont la tête se fracassa au rebord d'une fontaine.
Mourette poussa un cri d'effroi et se retira dans sa chambre d'où on ne la vit plus jamais ressortir, ni pour descendre de la tour, ni pour paraître à sa fenêtre, qu'il fît beau ou mauvais temps, les soirs d'hiver ou de printemps, ni même les jours de fête quand les autres, sous le donjon, dansaient la danse des cordelles.
Le lierre repoussa lentement mais avec grande vigueur. Il atteignit de nouveau la fenêtre qui demeura cependant fermée. Et c'est toujours le même lierre qui grimpe au mur aujourd'hui. Les nuits  où souffle le vent, lorsqu'on veut bien tendre l'oreille, de ses longues branches feuillues, monte une voix de garçon qui murmure une chanson, et une voix de jeune fille lui répond par des sanglots.

bunni


Le vin nouveau (conte traditionnel de Gascogne)

Ceux qui cultivent la vignes comprendront... Est-il possible de ne pas goûter
les fruits de la vendange ?

Le soleil s'était bien installé dans les vignes de Chalosse, face aux Pyrénées
toutes bleues et au-dessus des grandes landes toutes noires. Le soleil, entre
les branches, frisottait sa barbe rousse.
- Comme ces paysans travaillent bien, pensait-il, c'est un véritable régal. Ils
sont hardis et vaillants. Je vais les récompenser, ils le méritent tant. Je vais
donc rester dans leurs vignes jusqu'aux vendanges.
Le soleil resta donc dans les vignes de Chalosse, alors qu'on l'appelait de tous
côtés. À Bordeaux par exemple, ou en Espagne. Rien n'y fit. Il se sentait
délicieusement bien en Chalosse.
Le soleil resta donc dans les vignes de Chalosse, depuis la naissance des grains
jusqu'à leur maturité.
- Qu'ils aient du bon vin, se disait le soleil, qu'ils chantent gaillardement et
l'hiver prochain, ils se rappelleront de moi.
Patiemment, il caressa les vignes, protégea les raisins qui devinrent de petits
soleils miniatures, joufflus, transparents, chauds et juteux.
Abeilles et vignerons étaient satisfaits : le vin nouveau serait un vin de
paradis.
Mais il y avait Yanot, le vigneron de Chalosse, qui aimait le plus le vin, sans
jamais d'ailleurs être ivre. Il aimait surtout les vignes où jouait le vent et
sur lesquelles, dès le mois de septembre, passaient les vols bleus des palombes.
Il passait au moins quatre jours de la semaine à vagabonder dans ses vignes,
dormant dans de petites maisons de pierres sèches qu'il s'était construites.
Yanot était tombé malade.
- Faites, priait-il, que je ne quitte pas cette terre avant d'avoir bu le vin
nouveau. Ce ne serait pas juste, il va être si bon. Laissez-moi boire un seul
verre.
Eh non, cela ne fut pas possible. Yanot mourut deux jours avant la vendange, la
tête tournée vers ses vignes, la bouche ouverte.
Le surlendemain, le vin commença a couler dans le pressoir. On ne chanta pas
comme de coutume et l'on pensa au pauvre Yanot, mais l'on ne put s'empêcher de
boire le vin nouveau : il était si parfumé, si sucré ! Ah oui ! le soleil
s'était vraiment bien appliqué ! Ah ! si Yanot en avait bu quelques gouttes à
peine, il ne serait pas mort. Non, non, ce n'était pas juste.
Vers minuit, alors que l'on achevait de presser les grappes, Marceline, la fille
de Yanot, poussa un cri. Qui donc, là-bas, dans l'ombre avait remué ? Elle avait
cru voir comme une ombre blanche et puis la porte toute seule avait remué.
- Qu'est-ce que tu as ? lui demanda son frère.
- Peut-être, dit-elle toute tremblante, Yanot est revenu.
Tous les autres qui étaient là ne dirent rien. S'ils étaient aujourd'hui saint
Pierre, pour sûr qu'ils auraient laissé Yanot sortir du paradis pour aller faire
un petit tour sur terre.
On offrit un nouveau verre à la fille de Yanot.
- Allez, bois encore un peu de vin.
- Pose le verre sur cette pierre plate, j'attendrai un moment.
La porte, poussée par un petit coup de vent, s'ouvrit et éteignit les
chandelles. Pendant quelques secondes, tous gardèrent le silence et l'on
entendit comme quelqu'un qui buvait.
Quand la lumière revint, le verre, sur la pierre, était vide.
Le lendemain, Marceline en faisant la vaisselle se rendit compte que le verre
était un peu fêlé. Mais elle ne dit rien. Pour ne dit rien. Pour elle, comme pour les autres,
Yanot, ce soir-là, était revenu.


bunni


Li.Mei et la légende des pandas

"Il y a bien longtemps, dans les hautes montagnes du Tibet et du Sichuan, vivaient les Pandas... Mais ces derniers n'étaient pas exactement comme leur descendants aujourd'hui. Non, ils avaient la tête toute blanche. Ce territoire était aussi celui d'un royaume humain. Dans ce dernier, une très belle princesse vivait. Fierté de son père et de son peuple, on disait d'elle que sa beauté était si grande qu'elle aurait tourner la tête à toute personne la croisant, homme ou femme. Personne ne pouvait résister à son charme. Même la plus humble des soies sur elle semblait tel un lourd et riche brocard; les plus humbles sandales qui ornaient ses pieds ne semblaient plus jamais toucher terre, comme s'ils étaient fait de nuages. La merveilleuse princesse avait cependant une faiblesse, elle aimait se promener dans tout le royaume parcourant campagne et forêt, faisant trembler d'effroi son père le roi pour sa sécurité. Malgré cela, un jour, fuyant la lourde chaleur du soleil estival, elle s'aventura dans la forêt. Un détour d'un sentier, elle entendit un bruit. Laissant sa curiosité l'emporter sur l'instinct qui lui parlait de danger, elle s'avança silencieusement vers le son. Et là, au coeur de la dense forêt de bambous, elle vit un petit panda, tout jeune et abandonné, face à un terrible tigre affamé. Tétanisé de peur, le petit ours-chat ("xiongmao" en chinois veut dire l'ours-chat et désigne le panda) ne pouvait s'enfuir. N'écoutant que son bon coeur, la princesse se jeta sur le bébé panda et le sauva d'une mort certaine. Retrouvant toute sa réactivité, le panda s'enfuit se mettre à l'abri. Mais l'intrépide princesse se retrouva devant le tigre sans réelle possibilité de s'échapper. Le félin, trouvant une autre proie à la place de la première, ne se fit pas prier pour commencer son déjeuner. Quand des jours plus tard, les gens de son royaume retrouvèrent ce qui restaient de la princesse, ils lui offrirent un bûcher pour un semblant de cérémonie funèbre. Au bord de la forêt, le petit panda pleurait, pleurait la mort de la princesse. Et lors que le bûcher ne fut plus que cendres, les villageois partis, il s'approcha et pria pour celle qui lui avait sauvé la vie. De douleur et de chagrin, il se frotta alors les yeux et les oreilles avec les cendres et demanda aux Dieux de lui permettre ainsi de porter le deuil de la princesse. C'est ainsi que depuis, tous les pandas ont les oreilles et le tour des yeux noirs, en mémoire de celle qui se sacrifia pour sauver l'un d'entre eux..."

bunni

#439

L'apprenti meunier et la petite chatte

Il était une fois un meunier qui n'avait ni femme ni enfant, mais qui avait à son service trois jeunes apprentis.
Cela faisait quelques années que les apprentis travaillaient auprès de lui et, un jour, il les fit venir et leur dit: " Je suis vieux et je veux maintenant prendre ma retraite au coin du feu. Allez! Parcourrez le monde. Et celui qui me rapportera le meilleur des chevaux devra s'occuper de moi jusqu'à mes derniers jours, et à celui-là je donnerai mon moulin. "

Le troisième apprenti, Hans, était plus jeune que les autres; et ces derniers, le tenant pour idiot, ne lui confiaient jamais le moulin. Lorsque que tous trois se furent retirés, les deux plus vieux dirent à Hans: " Tu peux bien rester ici, jamais de toute ta vie tu ne trouveras de cheval. " Mais Hans alla quand même avec eux. Alors que la nuit tombait, ils arrivèrent à une grotte et rampèrent à l'intérieur pour y dormir. Les deux plus vieux attendirent que Hans se fut endormi, puis ils se levèrent et partirent en secret. Ils laissèrent là le petit Hans et se dirent qu'ils avaient été rusés. Mais la suite n'allait pas se dérouler comme ils l'avaient prévue!

Quand le soleil se leva, Hans se réveilla et constata qu'il n'y voyait goutte. Il regarda partout autour de lui et s'exclama: " Mon Dieu! Où suis-je? " Puis, il rampa hors de la grotte, alla dans la forêt et se dit: " Maintenant, je suis tout seul et je me suis égaré. Comment vais-je donc faire pour trouver un cheval ? " Alors qu'il allait, comme ça, perdu dans ses pensés, il rencontra une petite chatte bigarrée. Celle-ci lui dit gentiment: " Hans, où vas-tu donc comme cela? " " Hélas, tu ne peux pas m'aider ", répondit Hans. " Je connais ton désir, dit la chatte, tu aimerais trouver un beau cheval. Viens avec moi et sois mon fidèle serviteur sept années durant. Ensuite, je te donnerai un magnifique cheval, un cheval comme tu en n'as jamais vu. " " C'est une chatte étonnante, pensa Hans, mais je vais tout de même la suivre pour voir si ce qu'elle dit est vrai. "

Ainsi, la chatte multicolore l'emmena dans son palais enchanté. Là, se trouvaient d'autres petits chats bruyants qui étaient ses serviteurs. Ils montaient et descendaient l'escalier agilement, étaient gais et joyeux. Le soir venu, lorsqu'ils s'assirent à la table, trois des chats durent faire de la musique: l'un joua de la contrebasse, l'autre du violon, le troisième, les joues toutes gonflées, souffla dans la trompette aussi fort qu'il le pouvait. Quand le repas fut terminé, la table fut poussée dans un coin, et la chatte bigarrée dit: " Maintenant viens, Hans, et danse avec moi! " " Non, répondit Hans, avec une chatte, je ne danserai pas; cela, je ne l'ai jamais fait. " " Alors, allez le coucher. ", dit la chatte à ses serviteurs. L'un d'eux prit une chandelle et le conduisit à sa chambre. Là, un autre serviteur lui ôta ses souliers, un autre les bas, et finalement, un autre souffla la chandelle.

Le lendemain matin, les serviteurs revinrent et l'aidèrent à se lever. L'un d'eux lui enfila ses bas, un autre lui mit ses jarretières, un autre le chaussa, un autre le lava, tandis qu'un autre lui nettoyait le visage avec sa queue. " Hé bien! On fait la belle vie, ici ", se dit Hans réjoui de son nouveau travail. Mais il dut travailler et fendre du bois à longueur de journée pour la chatte. Pour cela, il reçut une hache d'argent, un coin d'argent, une scie d'argent et une cogné de cuivre.

Hans s'appliqua à son travail et demeura au palais enchanté. Il mangeait toujours de bon repas, mais jamais, à part la chatte bigarrée et ses serviteurs, il ne voyait quelqu'un. Un jour, la chatte lui dit: " Va! Fauche mon champ et met le foin à sécher." Aussi, lui donna-t-elle une faux d'argent et une pierre à aiguiser d'or, lui ordonnant de tout rapporter en état. Hans partit et fit ce qu'elle lui avait ordonné de faire.

Lorsque son travail fut terminé, il rapporta au palais la faux, la pierre à aiguiser et le foin. Et comme les sept années étaient maintenant écoulées, il demanda à la chatte s'il n'était pas le temps de lui donner sa récompense. " Non, répondit la chatte, tu dois encore accomplir un dernier travail pour moi: voici des matériaux d'argent, une égoïne, une équerre, et tout ce qui peut être utile; tout cela, fait d'argent. Avec cela, tu dois maintenant me construire une petite maison! "

Hans lui construisit une jolie petite maison et lorsque tout fut prêt, il dit à la chatte que, bien qu'il ait maintenant fait tout ce qu'on lui avait demandé, il n'avait toujours pas reçu de cheval. " Peut-être voudrais-tu voir mon cheval? ", rétorqua la chatte. " Oui ", répondit Hans. Alors la chatte sortit de la maisonnette - là se trouvaient douze magnifiques chevaux, si polis et si blancs qu'on pouvait presque se mirer dedans. En les voyant, Hans sentit son cœur sautiller dans sa poitrine. La chatte lui offrit encore un repas et lui dit: " Maintenant, retourne chez toi. Mais je ne te donnerai pas le cheval tout de suite: dans trois jours, je viendrai et te l'apporterai. "

Alors la chatte lui montra le chemin du retour et Hans se mit en route. Depuis sept ans, Hans n'avait jamais reçu de nouveaux vêtements; il dut donc retourner chez lui vêtu de ses mêmes vieilles guenilles, devenues beaucoup trop petites avec le temps. Lorsqu'il arriva au moulin, les deux autres apprentis étaient déjà de retour. Chacun d'eux avait rapporté un cheval, mais l'un était aveugle, l'autre paralysé. Ils demandèrent à Hans: " Alors Hans, où donc as-tu mis ton cheval? " " Dans trois jours il sera ici ", répondit Hans. Les deux autres apprentis s'esclaffèrent et le traitèrent d'idiot.

Hans entra et alla dans la salle à manger. Mais le meunier lui dit qu'il ne pouvait pas s'asseoir à la table, qu'il était trop déguenillé et qu'ils auraient honte de sa présence. Il lui donna un peu de nourriture et l'envoya manger dehors. Lorsque le soir fut venu et qu'il fut temps d'aller se coucher, les deux autres apprentis ne voulurent pas lui donner un lit. Hans dut se faufiler dans la basse-cour et dormir sur la paille.

Quand il se leva le troisième jour, un carrosse arriva, tiré par un attelage de six chevaux. Un domestique en apportait un septième, celui-ci était pour Hans. À ce moment, une princesse, qui n'était nul autre que la petite chatte bigarrée que Hans avait servie sept années durant, descendit du carrosse. Elle entra dans le moulin, et demanda au meunier où se trouvait Hans. " Hé bien! dit le meunier, nous ne pouvons pas lui permettre de rester à l'intérieur. Il est si déguenillé qu'il a dû s'installer dans le basse-cour! " Alors, la princesse demanda à ce qu'on aille le chercher immédiatement.

On alla donc le chercher, et Hans se présenta devant elle vêtu de ses vieilles guenilles. Là, le domestique sortit de magnifiques vêtements; Hans dut se laver et s'habiller. Lorsqu'il eut terminé, il ne pouvait y avoir plus beau prince que lui. Là-dessus, la princesse exigea qu'on lui fasse voir les chevaux que les autres apprentis avaient rapportés. Mais l'un était aveugle, et l'autre paralysé. Elle fit apporter le septième cheval par l'un de ses valets, et lorsqu'il le vit, le meunier s'écria: " Mille tonnerres! Jamais je n'ai vu un tel cheval! " " Il est pour Hans ", dit la princesse. " Si c'est son cheval, alors c'est à lui que je donnerai mon moulin ", dit le meunier. Mais la princesse lui répondit qu'il pouvait garder son moulin.

Elle prit son cher Hans par la main, le fit monter avec elle dans son carrosse et, ensemble, ils s'éloignèrent. Ils se dirigèrent d'abord vers la maisonnette que Hans avait construite avec les outils d'argent. Mais la maisonnette s'était transformée en un immense château, couvert, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, d'or et d'argent. Puis, ils célébrèrent un grand mariage et vécurent riches et heureux pour le reste de leur vie.

bunni

#440

Les âmes des fleurs

Toutes les fées vous le diront, les fleurs ont une âme. Et surtout, ne dites pas que les fées n' existent pas, elles se cachent, parce que les humains ne croient plus en elles. Alors, elles se sont réfugiées en maints endroits, comme la forêt de Dartmoor en Angleterre.
Chaque Anglais, a même eu la chance d' en voir, mais cela remonte à longtemps, car notre époque est bien trop dépourvue de rêve et de sens du merveilleux pour cela.

                     Nous en avons cependant quelques portraits;

J' en ai eu une près de mon berceau; elle avait décidé de rester près de moi. Elle s' appelait " Ma Mère " et était une reine. Elle était mariée à un enchanteur, roi merveilleux, qui s' appelait " Mon Père ".

Donc, les âmes des fleurs existent, et je crois que je les ai vues. Elles ne sortent que la nuit, quand elle est bien noire, elles sont blanches et fugitives. Elles surgissent d' un mystérieux hiver, éclatent dans le ciel en formes gracieuses, et se dissolvent lentement, comme à regret.
Et, elles se mettent à rêver.

Dans leur songe, elles se parent de couleurs, jaune , rouge , rose , bleue... D' autres restent blanches, mais se fardent d' une discrète touche de lumière colorée;  Certaines mélangent les couleurs et ressemblent à des ailes de papillons tropicaux;  Elles se voient dans un monde vert et bleu, où le soleil brille, où l' air est doux et chaud.

                   Dans ce monde de lumière, des géants prennent soin d' elles, et, comble de merveille, ils leur apportent généreusement, l' eau magique qui les fait vivre. Et ils leur donnent des noms de poésie.

                   En échange, elles donnent de la beauté, le frémissement de soie quand souffle le doux zéphyr qui les berce.
 Les fées viennent les visiter, et virevoltent autour d' elles, faisant vibrer leurs ailes diaphanes, faisant d' un coup sec de baguette magique, relever la tête à celles qui piquent un peu du nez Les géants ne les voient pas. Etrange !

                   Et puis, elles se réveillent dans un monde redevenu noir. Elles se regardent, incrédules; finies les couleurs éclatantes, les voilà blanches à nouveau. Parfois, un papillon blanc au nez de lumière, les accompagne un moment.
Mais, ce sont des âmes joyeuses, et elles reprennent leur sarabande, sachant bien que le songe reviendra.Les fées leur ont enseigné la sagesse et dévoilé un grand secret de l' Univers : le cycle de la vie, qui, toujours renait après un semblant de mort, car elle est la plus forte.

                   Alors, dansez en toute sérénité, âmes des fleurs, car tout recommence sans cesse, de toute éternité.




bunni

#441

ZOÉ ET GÉDÉON

Bzzzzzzz ... Bzzzzzzzzzz (faire comme si une abeille tourne autour du conteur) ... Bzzzzzzzz

(elle tourbillonne et se pose).

Tiens ? !  On dirait Zoé, la petite abeille amie de Gédéon.  Gédéon, ce petit garçon, ... ce charmant galopin qui rit du soir au matin.  Jamais il ne pleure, il est toujours de bonne humeur.

Vous ne connaissez pas Gédéon ?  Alors, il faut absolument que je vous raconte son aventure.  Gédéon n'est pas un garçon comme les autres.

Voilà.

L'endroit où se passe son histoire n'est connu que de quelques personnes seulement.  C'est un lieu étrange, une contrée très éloignée.

Là où vit Gédéon, sur sa drôle de petite planète, le soleil, les villes, les magasins, les jardins, les maisons, les plantes, les animaux ... même les humains ... sont GRIS.  Sur cette planète, tout est triste et gris comme le ciel quand il ne fait pas bon.  Personne ne sourit, les gens sont tristes et grognons; les villes sont polluées et ne sentent pas bon.  Tout sur cette planète est triste et gris ... sauf Gédéon !  Les cheveux orange vif, les yeux verts luisants, les lunettes cassis et le sourire aux dent, rien chez Gédéon n'est pareil.

Il vit dans sa maisonnette jaune citron.  Les portes et les volets rouge groseille sentent bon le fruit mûr.  On dirait que l'intérieur de son petit nid est peint de pulpe de pastèque fraîche et d'éclats de tournesols.  Les fauteuils, les armoires, les vases, les couverts, les essuies vaisselle, tout, absolument tout est coloré.  Même la cuvette des W-C.

"Quelle joie, quel bonheur,

la vie en couleur."

Dans cette atmosphère bigarrée, Gédéon ne peut être que le plus joyeux des garçons.

D'ailleurs, si vous vous approchez de ses carreaux, vous pouvez le voir sautiller, tournoyer et danser ... tout seul ... par simple plaisir.

"Quelle joie, quel bonheur,

la vie en couleur.

Tout semble merveilleux à l'intérieur de cette maison.  On croirait que rien ne peut arriver à Gédéon ...

Sa bonne humeur et son amour dues couleurs rendent ses voisins très jaloux, eux qui ne vivent que pour l'argent, n'ont plus de temps ni pour s'amuser, ni pour décorer leur appartement.

-"J'en ai plus qu'assez !  Y m'embête, celui-là, avec sa bête chanson !"

-"Oui, moi aussi.  Y m'casse les oreilles !  Faut qu'ça cesse !"

-"On n'en peut plus !  Faut agir !  Ça ne peut plus continuer !"

-"Silence ... Silence !  Calmez-vous.  J'ai une idée." dit le plus vieux. "Cette nuit, deux d'entre nous pénétreront chez Gédéon;  Pour s'assurer qu'il ne se réveillera pas, ils lui feront respirer un coton de chloroforme.  Pendant qu'il dormira profondément, ils repeindront le moindre recoin de sa maison en GRIS: les fauteuils, les armoires, les vases, les couverts, les essuie vaisselle, la cuvette des W-C., ses cheveux, ses yeux, ses lunettes, son sourire.  Tout doit être repeint.  Fini les couleurs !"

-"Ouais !  Bonne idée !"

-"A bas les couleurs !"

-"Silence !  Qui se porte volontaire ?"

-"Euh ... Ben euh ... c'est-à-dire que ..."

-"Personne ?  Bon !  Scritch et Richie, vous irez !"

Le soir venu ...

-"O.K.  On a tout.  Coton chloroforme, peinture grise, rouleaux, pinceaux.  Il ne reste plus qu'à attendre qu'il s'endorme.  Gnèk !  Gnèk !"

Ting ... ting ... ting ... (les lumières s'éteignent)

-"Ça y est !  Tout est éteint.  On peut y aller."  Sur la point des pieds, les deux compères entrent chez Gédéon.

-"Quelle ... joie ... rrr ... rrr ... quel bonheur ... rrr."  Gédéon a déjà rejoint le pays des songes.  Lentement, les deux lascars montent à l'étage.  Gniiik ... Gniiik ... Gniiik ...  

 
-"Chloroforme !" ... Iiiiii (la porte s'ouvre).  Plouc plouc plouc ... Frrrt frrrrrt frrrt ...  

-"La vie ... en ... cou ... leurrrrr ..... rrrrr"  

-"Gnèk ! Gnèk ! Gnèk !"

Bip bip bip Il est l'heure de se lever. Bip bip bip Il est l'heure de se lever. Jamais le réveil de Gédéon n'a sonné si longtemps.  Bip bip.  

-"Aowww ... Quel étrange nuit ... quel cauchemar !"  Gédéon se frotte les yeux, les ouvre ...  

-"Qu'est-ce que ? ... Que s'est-il passé ?  Mon Dieu !  Mes fauteuils, mes cheveux, mes armoires, mes lunettes, tout, tout est gris !"  Gédéon ne reconnaît plus  

sa maison.  "Oh mon Dieu !  Quel désarroi !  Quel malheur !  Plus une seule couleur !  Que vais-je devenir?"  

Les jours passent.  Gédéon est triste. Ce gris le rend maussade.  Il ne danse plus, ne sourit plus.  Il n'est vraiment pas comme avant.  

-"Notre plan a merveilleusement bien fonctionné !  Notre petit d'homme arrête enfin de nous casser les oreilles.  Regardez-le, il est aussi gai qu'une lavette !"  

-"Bien joué, les gars ! Beau travail !"  

-"Ouais. Allez, tournée générale ! A la mauvaise santé de Gédéon !"  

-"A la mauvaise santé de Gédéon !"  

Gédéon n'est pas beau à voir.  Il n'a plus de goût pour rien, plus d'envies.  La seule chose qui l'intéresse, c'est acheter des fleurs pour dire d'égayer sa triste maison.

-"Des fleurs grises, ce n'est pas très beau ... mais bon ... c'est déjà ça ...  Allez, zouf !  Dans l'eau, mes amies."  

Il dépose le bouquet dans son vase ....  

-Bzzzzzzz ! Bzzzzzzz ! Za va pas, non ?  Tu as failli me noyer.  Prends garde, zinon, moi, Zoé, la plus vieille des zabeilles, ze vais te piquer."  

-"Oh, je m'excuse, petite abeille.  Je ne t'avais pas vue.  Mais ... mais ... ooh !  Que tu es jolie. Toutes ces couleurs sur ton dos !  Vermillon, indigo, violet, mauve, fuchsia ...  Jamais je n'en avais vues d'aussi éclatantes.  Où as-tu trouvé tout cela ?"  

-"Quelle queztion !  Ben z'est nous qui les fabriquons, tiens !  Mes zamies et moi, depuis des zentaines d'années, à la ruche-usine."  

-"Comment ?"  

-"Prenez 3 gouttes de pétales de rose, 4 grains de pollen de margurite, verzez le tout dans z'une alvéole; mélanzez avec vos zailes juzqu'à obtenzion d'une pâte uniforme et hop !  Grâze à l'énerzie que nous dégazons, les gris se tranzforment en couleur."  

-"C'est magique !"

-Le zeul petit problème !  Nous fournizons tellement d'énerzie pour la préparazion que nous n'en zurvivons pas.  Mais, bon, z'est la vie ! On est là pour za !  Demain z'ezt à mon tour.  Za fait longtemps que ze butine, demain, ze devrai battre des zailes.  Mais, tiens, z'ai une idée.  Tu vas m'aider, toi à économizer un peu de mes forzes.  Ze te propoze un marché.  Tu nous zaides à récolter les ingrédients, on ze charze de les tranzformer et t'offre nos zalvéoles remplies de couleurs.  Bien zûr, tu continueras à aider mes zamies, même zi ze ne zuis plus là."  

-"D'accord, marché conclu !"  Commençons dès maintenant !"  

Gédéon se lance dans la grande aventure.  Il va chez le fleuriste, achète de gros bouquets, revient chez lui, presse les pétales, en récolte le jus, le place dans de mini-capsules, les donne à ses amies abeilles.  Dans la ruche-usine, ces demoiselles s'en donnent à coeur joie.  De toutes leur petite force, elles battent des ailes, dégagent le maximum d'énergie ... lentement ... s'éteignent une à une.  Au revoir, Zoé.  

Tous les jours, c'est le même train-train: fleuriste-maison-ruche - fleuriste - maison - ruche - fleuriste - maison - ruche ...  Le manège commence franchement à intriguer le fleuriste.  

-"Il y a quelque chose de louche là-dessous.  Jamais on ne m'a acheté tant de fleurs en si peu de temps.  Demain, il viendra comme tous les jours.  Je lui vendrai  

sa marchandise, puis je le suivrai discrètement.  Je dois savoir ce qu'il mijote."  

Le lendemain ...  

-"Bonjour, Msieu l'fleuriste.  Vous me mettez comme  

d'habitude ?"  

-"Bien sûr, Monsieur Gédéon, bien sûr."  

Comme prévu, une fois servi, une fois sorti, Gédéon se fait suivre par le curieux.

-"Maison ... pétales gris ... jus de rose ... capsules ...  

abeilles ... ruche-usine ... couleurs !  Mon Dieu ! Des milliards de couleurs !!! C'est impossible !  Il faut absolument empêcher ça!  Je reviendrai demain, muni d'allumettes.  Je reviendrai et je brûlerai la ruche usine !!!"  

Le lendemain ...  

-"Bonjours, Msieur l'fleuriste. Vous me mettez comme d'habitude ?"  

-"Bien sûr, Monsieur Gédéon, bien sûr."  

Servi, sorti, Gédéon ne remarque pas le fleuriste derrière lui.  

-"Maison ... pétales gris ... jus de rose ... capsules ... abeilles ... ruche-usine ... couleurs ... allumettes ... ruche-usine ... CRACK ... FEU !!!  Gnaf ! gnaf ! gna !"  

D'un seul coup, une immense flamme embrase la ruche-usine.  Ça crépite, ça bourdonne, ça chauffe ... chauffe ... ça explose ... VOUF !  

-"Qu'est-ce qui se passe ?"  Depuis sa maison, Gédéon assiste à un étrange phénomène.  "Mon Dieu, la ruche-usine !  Mais ... mais ... Oooh! Comme c'est beau, c'est magnifique !" Gédéon n'a jamais rien vu d'aussi beau.  

Au lieu de détruire la ruche-usine, l'énergie puissante des flammes, d'un coup d'allumette, avait transformé les alvéoles de pétales cachés depuis des centaines d'années en un splendide feu d'artifice.  

Au-dessus des jardins, des maisons, des magasins, des milliers de petites lumières scintillent.  Les maison sont aussi belles que celle de Gédéon.  Au-dessus des villes et de la planète, plus rien n'est triste
et gris.  Les gens rient, dansent, chantent.    

Quel joie, quel bonheur  

que la vie en couleurs !  

La prochaine fois que vous verrez un feu d'artifice, regardez.Peut-être apercevrez-vous l'âme des petites abeilles et celle de Zoé ...

bunni


La petite peur

Le monde n'est-il par une heure pour nous, une heure contre nous ?
Et puis, quoi, c'est notre monde ... 

Il était une fois, lovée confortablement au creux d'un doux ventre dodu, replet, avec quelques doux plis accueillants, une petite peur recroquevillée sur elle-même.
C'était une petite peur ordinaire, banale, du type "je n'oserai jamais".  La mine normalement effrayée, les yeux inquiets, la gorge serrée, l'estomac noué, les genoux flageolants, elle s'accrochait la plupart du temps de toutes ses petites pattes au ventre rassurant pour surtout ne pas risquer d'en sortir.   

Pourtant ... 

Pourtant, les veilles de pleine lune, exceptionnellement, elle s'offrait une grande inspiration d'audace et décrispait ses pattes crochues pour soulever le store du nombril. 

C'était une petite peur curieuse ! 

Elle écarquillait les yeux sur le monde extérieur:
          Il y avait là LE SOLEIL, rayonnant, dans toute sa majesté, sa splendeur
                    Pouf ! Un nuage noir passait l'assombrir ...
          Il y avait là L'AMOUR et sa plénitude:
                    Et soudain une rupture et des larmes de sang ...
          Il y avait là L'AMITIE et son cortège de joies:
                    Et puis une trahison, des déceptions ...
          Il y avait là LA VIE
                    Il y avait là ... LA MORT 

Le monde n'est-il pas une heure pour nous, une heure contre nous ?
Et puis, quoi, c'est notre monde ... 

Vite, la petite peur baissait le store du nombril, se roulait en boule, se cramponnait de plus belle, en arrachait le ventre - oh elle ne le faisait pas exprès - qui se tordait de douleur ... 

-"Eh, dis-donc, toi, la peur, là, tu ne pourrais pas prendre un peu de vacances, aller voir dehors si j'y suis ?  Ça fait un bout de temps maintenant que tu m'égratignes, ça commence à bien faire."
Le ventre, tout bon enfant qu'il est, commence à en avoir assez de ces malaises, ces élancements, ces crampes, ces tiraillements. "Je sais, je sais, d'aucuns diront que je me plains d'aise. J'ai des copains qui abritent jusqu'à douze, quinze peurs qui cohabitent, tu imagines les journées qu'ils passent ! Mais tout de même ..."
-"Benh, tu sais, notre destin à nous, les peurs, c'est de naître dans les ventres et de nous y accrocher."
-"Ah, benh, ça, c'est la meilleure !  Qui est-ce qui t'a mis des sornettes pareilles en tête ?  Tu n'es pas du tout obligée de rester, et d'ailleurs, tu n'es pas née ici !"
-"Je ne suis pas née ici ?"
-"Non, ma crispée.  Les petits garçons ne naissent pas dans les choux, les petites filles ne naissent pas dans les roses et les petites peurs ne naissent pas dans les ventres !"
-"Benh, je viens d'où, alors ?"
-"C'est veille de pleine lune, soulève le store, regarde ..." 

Au dehors, là, devant les yeux curieux de la petite peur, un enfant intrépide se lance dans la grande aventure de ses premiers pas.  Autour de lui, le cercle des personnes qui l'aiment le plus au monde:
-"Attention, tu vas tomber !"
-"Pas trop vite, sois prudent."
-"Attention, le coin de la table !"

La petite peur frémit, baisse le store.
-"Et alors ?"
-"Alors ?  Ce qu'on apprend au berceau dure jusqu'au tombeau.  Une petite peur vient de naître dans le ventre de ce bébé."
Pourtant, c'est par des chutes que l'on apprend à marcher.
Et toutes les fois qu'il tonne le tonnerre ne tombe pas.     

Le monde n'est-il par une heure pour nous, une heure contre nous ?
Et puis, quoi, c'est notre monde ... 

-"Ah bon ?  Je suis née comme ça, moi ?"
-"Oui, enfin, avec des variantes, en tous cas. 'Attention, ça brûle !' 'Attention, ça pique !'  'Attention, ça mord !'  'Attention ça sent mauvais !' 'Attention, il est noir, jaune, juif, gitan, artiste, différent ... !'  Tout ça souvent avec les meilleures intentions, en étant persuadé de protéger le propriétaire du ventre.  'C'est pour ton bien !'  La version la plus répandue reste 'Que vont penser, ou dire, les Gens ?!'  La maîtresse, le policier, monsieur le curé, le contrôleur, les voisins, les copains, maman, pépère, marraine, le patron, le raton laveur ..."
-"Ah ?"
-"Absolument ! Et c'est comme ça qu'alors qu'on le voudrait pourtant très fort, on n'ose pas réciter un poème devant la classe, marcher seul dans la rue, porter un bonnet vert quand tout le monde en porte un noir, dire à son père qu'on a un amoureux, à sa femme qu'on a pris un café avec un collègue, on dit 'oui' quand on voudrait dire 'non' ...  On craint d'échouer, décevoir, rater, être rejeté, jugé ...  Mais ça, ma tremblante, jugé, on l'est toujours !  Même moi, tiens, là, avec mes plis ...  On en oublie de vivre intensément !"
-"Qu'est-ce que je dois faire, alors ?"  Il est bien plus naturel à la peur de consulter que de décider.
-"Ah, ça, ma bouleversée, tu fais ce que tu veux.  Le plus grand secret du bonheur, c'est d'être bien avec soi.  Mais j'en ai connu de plus troublées que toi qui sont parties ... Alors, on a voyagé, porté des bérets multicolores, chanté faux avec délectation, écrit et récité des tas de poèmes, rencontré des gitans et des S.D.F. riches d'humanité, dit 'non' et 'non' et encore 'non', vécu des passions torrides, belles et tristes, tenu tête à des contrôleurs de toutes sortes ...
-"Wouaahh !  mais toi, tu voudrais que je parte ?"
-"C'est vrai, depuis le temps qu'on se connaît, malgré les soucis que j'endure avec toi, si tu me quittes, il y aura un vide, c'est physique ...  mais - ne le prends pas mal -  il y aura surtout une libération !"
-"Mais comment m'y prendre ?"
-"Quand tu manges un gâteau rond, commences-tu par le centre ?  Vas-y doucement, petit pas par petit pas, fais-toi confiance, rebondis sur tes échecs, avance, avance ...  Surtout, fais provision de caresses à l'âme, de compliments, d'encouragements, fais fi des critiques gratuites, des préjugés qui meurtrissent.  Et aime la vie toute entière." 

Le monde n'est-il par une heure pour nous, une heure contre nous ?
Et puis, quoi, c'est notre monde ... 

Ainsi a procédé la petite peur, doucement, gentiment, bousculée par le ventre qui voudrait lui donner des ailes.  Un jour, une veille de pleine lune, dans une inspiration d'audace plus profonde que les autres, elle est sortie ... 

Et le ventre s'est étiré, étalé, a repris ses aises ... 

Oh, elle revient bien de temps en temps se blottir au creux des entrailles, la petite peur, on ne s'arrache pas si facilement aux vieilles habitudes, c'est difficile de ne jamais se retourner, mais c'est pour mieux repartir encore, avec à chaque fois une confiance plus grande basée sur l'expérience. 

Je sais de quelle petite peur il est question dans cette histoire mais ne comptez pas sur moi pour vous donner son nom, étaler sa vie sur la place publique, ce n'est pas mon genre ... 

Ce dont je suis sûre, c'est qu'elle a bien fait de partir. 

L'autre jour, un ami, un têtu, me prétendait mordicus que son ventre n'avait jamais abrité ce type de petite peur, de type 'je n'oserai jamais'.  J'en doute. 

Et vous, le soir, quand vous êtes allongé dans votre lit et que tout est calme, n'avez-vous jamais entendu dans ces zones (montrer le ventre) des bruitages incongrus, des glouglous, des gargouillis plus ou moins harmonieux ? 

Le ventre et la peur conversent, discutent, et parfois même se disputent ! 

Le monde n'est-il par une heure pour nous, une heure contre nous ?
Et puis, quoi, c'est notre monde ...
La vie, ça n'est jamais ni si bon ni si mauvais qu'on croit. 
                                                                                                                   F I N

bunni


La Rose de la Béroche

Du temps passé, du tout vieux temps, du temps si lointain que nos grands-parents eux-même en ont perdu la mémoire, de grandes roselières envahissaient les rives du lac de Neuchâtel.

A l'abri des roseaux, loin des regards indiscrets, une jeune fille aux cheveux dorés venait souvent se baigner.

Elle s'appelait Rose.
Un jour qu'elle nageait dans l'eau claire près d'un saule, elle s'entendit appeler.
Elle retourna sur la berge et y découvrit une grande dame toute vêtue de blanc qui lui dit:

-"Bien le bonjour, ma belle enfant! Je suis en voyage dans ce pays et je dois me rendre sur l'autre rive du lac. Pourrais-tu m'y transporter?"

Rose courut chercher la pirogue que son père lui avait creusé autrefois dans un tronc de chêne.
Elle aida la dame à embarquer et entreprit courageusement la longue traversée. Pendant le voyage, la Dame Blanche l'interrogea sur sa vie et sur celle de ses proches.
La jeune fille répondit volontiers:

-"L'un de mes frères est mort cette année du mal de ventre. Mon père a si mal au dos qu'il ne peut plus se tenir droit. Quant à ma pauvre mère, elle tousse tant qu'elle ne dort plus. La vie est difficile chez nous, ma belle dame. Mais que peut-on y faire? C'est le destin!"

Quand elles eurent accosté, la Dame Blanche pria Rose de l'accompagner dans les prés. Elle ramassa un bouquet de plantes de toutes sortes: de la sauge, de l'argentine, de la belle-étoile, de la reine-des-prés, qu'elle entrelaça de branches de tilleul et de frêne.

-"Pour te remercier de ta peine, voici des plantes aux mille vertus: grâce à elles, tu pourras guérir tous ceux que tu aimes!"

De retour chez elle, Rose confectionna des infusions et des cataplasmes dont la Dame Blanche lui avait confié le secret.
Quand son père rentra des champs, tout courbé à cause de son mal, elle le frictionna avec une de ses pommades merveilleuses, puis lui fit boire une potion et, dès le lendemain, il était de nouveau droit comme un jeune homme.
Grâce aux soins de sa fille, la mère put enfin passer une nuit calme.
Comme une traînée de poudre, le bruit se répandit dans le village: la Rose de la Béroche savait guérir!

A partir de ce jour, ce fut un défilé ininterrompu dans la pauvre cabane: les mères amenaient leurs petits enfants fièvreux, les paysans blessés accouraient pour que Rose pansât leurs plaies, les vieillards perclus de rhumatismes se pressaient chez elle pour retrouver la souplesse de leurs vingt ans.

Or, tout le pays appartenait à un chef très cruel qui demeurait dans une grotte, une "cave", qui domine La Béroche.

De son antre, il pouvait surveiller les alentours.
Comme il ne bougeait guère de devant sa porte, il était gras comme un blaireau.
C'était à lui qu'il fallait demander le droit de ramasser les châtaignes, les glands, les faînes, les pommes sauvages et tous les petits fruits que produit la nature; à lui qu'il fallait acheter la permission de chasser les lièvres et les perdreaux, les sangliers et les chevreuils; à lui qu'il fallait louer les parcelles à esserter pour les transformer en champs et les cultiver en blé et en avoine, en carottes et en poireaux.
Chaque jour, tous les villageois des environs devaient lui apporter tribut et lui rendre hommage.

Mais depuis que la Rose avait le pouvoir de guérir, les gens de son village négligeaient leurs devoirs envers leur chef.
Celui-ci ne tarda pas à le remarquer.
Il entendit chanter les louanges de la guérisseuse et on lui parla d'une Dame Blanche qui l'avait dotée de mystérieux pouvoirs.
Il sentit alors germer en lui la pire jalousie que vous puissiez imaginer:

-"Qui aura peur de moi s'ils ne craignent plus la maladie? Et cette fille, m'a-t-elle seulement demandé la permission de soigner mes gens? Je dois agir, et vite!"

Le gros chef s'éloigna de sa grotte d'un pas pesant. Quand il arriva tout grommelant à la hutte de Rose, celle-ci était seule et pilait des plantes. Elle lui fit bon accueil et s'enquit de sa santé.
Cela ne fit qu'aviver la colère de l'homme qui ordonna brutalement:

-"Suis-moi immédiatement, et mène-moi à l'endroit où tu étais quand l'étrangère t'a hélée!"

Apeurée, la jeune fille le conduisit à la roselière, sous le grand saule.

-"Que faisais-tu quand tu as entendu cette femme?"

-"Je nageais dans l'eau claire!"

-"Eh bien, nage donc!"
Grogna-t-il en lui lançant un regard sombre et menaçant.
Elle obéit et commença à nager.
Alors le mauvais bougre entra dans le lac, lui posa la main sur la tête et l'enfonça longuement sous l'eau.

Son forfait accompli, il remonta tout tranquillement chez lui, soulagé, et s'assit devant l'entrée de sa grotte, comme à son habitude.

Quand la nuit tomba, la mère de Rose s'inquièta de l'absence de sa fille. Elle sortit avec un brandon et alla chez les voisins, mais personne ne put la renseigner. Enfin, après de longues et vaines recherches, on abandonnait tout espoir, quand un enfant s'écria:

-"Mais je l'ai vue, la Rose! Elle allait vers le grand saule avec le chef!"

Guidés par le garçonnet, la mère et les voisins descendirent vers le lac. Soudain, la femme aperçut quelque chose de blanc qui flottait entre les roseaux:

-"Regardez! C'est sa couronne de marguerites! Rose! Rose, réponds-moi, ma petite fille!"

Las! Ce n'étaient pas des fleurs mais le corps de son enfant qui flottait sans vie entre les roseaux!

La pauvre femme en poussa un tel cri que toute la Béroche en frémit de terreur. De partout, les gens accoururent pour apprendre quel malheur était arrivé, et beaucoup de poings impuissants se levèrent en direction de la "cave" du tyran. La mère éplorée ne cessait de se lamenter:
-"Sois maudit, chef cruel! Tu as tué ma Rose, mon enfant! Ah! Si seulement quelqu'un osait!"

A ces mots, un coup de tonnerre éclata et, dans un éclair, la Dame Blanche apparut. Elle s'inclina vers le corps de la jeune morte et murmura d'une voix douce:

-"Rose! Rose tu étais! Rose tu seras pour l'éternité!

Aussitôt, les joues pâles de Rose devinrent pétales satinés et ses cheveux dorés étamines d'or, cepandant que l'air s'embaumait d'un parfum inconnu; son corps s'allongea en une tige souple et légère qui grimpa le long du rocher, s'y agrippant grâce à de fines épines; au bout de ses doigts s'ouvrirent des feuilles vertes et brillantes: Rose était églantine, la rose sauvage dont chaque partie guérit.

Assis devant le feu, au seuil de sa grotte, le chef noyait son crime dans un pichet de cidre. Les villageois, du lac, apercevaient sa silhouette solitaire qui se découpait sur le brasier.

La Dame Blanche tendit la main dans sa direction et proféra ces paroles:

-"Chef cruel! Ours tu as été! Ours tu seras pour l'éternité!"

Aussitôt, un coup de tonnerre fit trembler la terre. Au même moment, le maître de la Béroche sentit ses jambes s'enfoncer dans le sol et la fourrure qui le réchauffait lui coller à la peau. Puis le froid gagna inexorablement ses membres jusqu'à ce que son coeur fût enserré dans une prison de pierre.

Le lendemain, à l'aurore, des paysans lourdement chargés montaient vers la grotte du chef: l'un portait un sac de blé, l'autre une bouteille de cidre frais, le troisième un cuissot de chevreuil: tous allaient payer leur tribut.

Quand ils arrivèrent devant la grotte, ils s'arrêtèrent, intrigués: à l'endroit où le chef avait souvent coutume de paresser au soleil se dressait un ours de pierre couvert d'une toison de mousse. Ils appelèrent, personne ne répondit. Le plus courageux des trois s'aventura jusqu'à l'entrée de la grotte; mais il y entrevit des formes blanches qui flottaient dans l'ombre; saisi par la panique, il prit la fuite, suivi de ses compagnons qui abandonnèrent là leur chargement.

Les compagnes de la Dame Blanche, les filles, comme on les appelait, avaient élu domicile dans l'antre du monstre. C'est pour cela que cette grotte a pour nom la Cave aux Filles et que plus aucun Bérochau n'y a habité.

Et c'est depuis ce temps-là, par ma foi, que la rose fleurit à la Béroche, dans les jardins et dans les haies, embaumant l'air et enchantant les coeurs.

   

bunni


Le coeur sans bruit

-Pourquoi le temps se renverse -t-il ?


Jonathan, un petit bonhomme le corps à l'envers, suspendu à une balançoire, laissait tomber cette question à l'oreille du sol. Joanie était cette écoute, luisait de toutes les dents de ses sept ans dans

cette danse quand Jonathan jouait avec le temps, le coeur agrippé à son tee shirt.

-C'est la balançoire. Elle est magique. Quand elle s'envole, le temps
tourne à la renverse.

Le coeur au bout du tee shirt avait un secret, il était sans bruit, démonté. Jonathan s'envolait toujours plus bas pour remonter les

aiguilles de la vie.
Mécanique arrêtée, perdue dans une fissure à l'endroit où gèle la pluie.

-Dis, Joanie, plusieurs saisons se mêlent au mouvement de la balançoire. A l'an vert, une averse, et à l'an droit, un pan de soleil dans le bois oscillant.

Jonathan confondait souvent l'horizontal et le vertical. Il avait la langue à gauche.

-Écoute l'ombre du bois grignoter le temps, graviter aux corps vieillis de deux enfant aux gestes gelés.

La balançoire valsait avec Jonathan penché, valsait à remonter les bretelles des ombres lâches.

-Joanie, je  t'envoie mon tee shirt, garde le au  chaud dans ton

parterre d'étoiles. Toi, tu sais faire chanter le maintenant.


La petite fille comprenait ce tee shirt au coeur endormi. Jonathan, elle le savait, devait faire sourire les ombres d'enfants arrêtés.
-Jonathan, tisse bien les bouts de temps. Le jaune attend le réveil de la fissure.

Ici je défile –de haut en bas. de gauche à droite. Des collections d'images. Être au milieu. Ne plus savoir où. Petite, j'allais de bas en haut sur ma balançoire. Si seulement j'avais pu toucher le ciel.
Un pas au centre. Sauter. Un bonheur. L'attraper d'une main. L'oiseau s'envole. Courir derrière. Le rattraper peut-être. Revenir aux images. Quelque part dans le ciel. Petite, j'avais peur que le ciel ne s'écarte. Qu'aurait-il bien pu y avoir derrière?

Trembler dans le noir. Puis tendre la main. S'étourdir sur soi-même. Retourner parmi. Que d'étoiles. Toujours les mêmes. De loin en loin. Recommencer. Petite, j'avais peur dans le noir. Alors on me racontait des histoires pour que viennent les rêves.
Petite, quand il neigeait, je disais que c'était la lune qui tombait en miettes. Insouciance –Revivre des intensités. Passer à côté. Regarder les miettes.

Juliette Clochelune, Cécile Guivarch

bunni

#445

LE CIL DU LOUP

Si tu ne vas pas dans les bois,
jamais rien n'arrivera, jamais ta vie ne commencera.

-Ne va pas dans les bois, disaient-ils, n'y va pas.
-Et pourquoi donc ? Pourquoi n'irais-je pas ce soir dans les bois ?
demanda-t-elle.
-Dans les bois vit un grand loup, qui mange les humains comme toi.
Ne va pas dans les bois, n'y va pas.

Bien sûr, elle y alla . Elle alla malgré tout dans les bois et bien sûr,
comme ils avaient dit, elle rencontra le loup.

-On t'avait prévenue, fît le choeur.
-C'est ma vie, rétorqua-t-elle  . On n'est pas dans un conte de fées.
Il faut que j'aille dans les bois . Il faut que je rencontre le loup,
sinon ma vie ne commencera jamais.

Mais le loup qu'elle rencontra était pris au piège.
Dans un piège était prise la patte du loup.

-Viens à mon aide, viens à mon secours ! Aïe,aïe,aïe ! s'écria le loup.
Viens à mon aide, viens à mon secours et je te récompenserai comme
il se doit . Car ainsi font les loups dans ce type de contes.
-Et comment serais-je sûre que tu ne vas pas me faire mal ?
interrogea-t-elle _c'était son rôle de poser des questions . Comment serais-je sûre que tu ne vas pas me tuer et me réduire à un tas d'os ?
-La question n'est pas le bonne, dit ce loup-ci.
Tu dois me croire sur parole . Et il se remit à gémir et à crier :

Oh, là, là ! aïe, aïe, aïe !
Belle dame
Il n'y a qu'une question qui vaille
Ououououououh
eheheheheheh
laaaaaaaam !

-C'est bien, le loup, je prend le risque . Allons-y ! Et elle écarta les mâchoires du piège . Le loup retira sa patte, qu'elle pansa avec des herbes et des plantes.
-Oh, merci, aimable dame, merci, dit le loup, soulagé.
Et, parce qu'elle avait lu trop de contes d'un certain type, le mauvais, elle s'exclama :
-Allons, finissons - en . Tue-moi. Maintenant.
Mais ainsi le loup ne fit  - il pas . Pas du tout.
Il posa la patte sur son bras.
-Je suis un loup qui vient d'ailleurs,
un loup qui vient d'un autre temps, dit-il.
Et il s'arracha un cil, puis le lui offrit en disant :
-Sers - t'en avec discernement. Désormais tu sauras ce qui est bon et ce qui ne l'est guère ; il te suffit de voir par mes yeux pour voir clair.
Tu m'as permis de vivre
Et pour cela
je t'offre de vivre ta vie
comme jamais tu ne le fis.
Souviens-toi, belle dame,
Il n'y a qu'une question qui vaille
Ououououououh
eheheheheh
laaaaaaaaam
Ainsi revint-elle au village
Ravie d'être encore en vie
Et cette fois, quand ils disaient
"Reste ici, marions-nous"
Ou "Fais ce que je te dis"
Ou " Dis ce que je te dis de dire,
Surtout n'aie aucun avis"
Elle portait à son oeil le cil du loup
Et voyait à travers lui
Leurs véritables motivations
Comme elle ne l'avait jamais fait.
Alors quand le boucher
Posa la viande sur la balance
Elle vit qu'il pesait son pouce avec.
Et quand elle regarda son soupirant
Qui soupirait "Je suis parfait pour toi"
Elle vit que ce soupirant-là
N'était pas bon pour elle
De sorte qu'elle fut à l'abri
Sinon de tous les malheurs du monde
Du moins d'une grande partie.

Plus encore : non seulement cette nouvelle façon de voir lui permit de distinguer le cruel et le sournois, mais son coeur ne connut plus de limites, car elle regardait tout en chacun et l'évaluait grâce au don du loup qu'elle avait sauvé.

Et elle vit les gens de bonté vraie
Et elle s'en approcha
Elle trouva le compagnon
De sa vie et resta près de lui,
Elle distingua les êtres de courage
Et d'eux se rapprocha,
Elle connût les coeurs fidèles
Et se joignit à eux,
Elle vit la confusion sous la colère
Et se hâta de l'apaiser,
Elle vit l'Amour briller dans les yeux des timides
Et tendit la main vers eux
Elle vit la souffrance des collets montés
Et courtisa leur sourire,
Elle vit le besoin chez l'homme sans parole
Et parla en son nom
Elle vit la foi luire au plus profond
De la femme qui la niait
Et la raviva à la flamme de la sienne.
Elle vit TOUT
Avec son cil de loup,
Tout ce qui est vrai,
Tout ce qui est faux,
Tout ce qui se retournait contre la vie
Et tout ce qui se tournait vers la vie,
Tout ce qui ne peut se voir
Qu'à travers le regard
Qui évalue le COEUR avec le COEUR

C'est ainsi qu'elle apprit que ce que l'on dit est vrai : le loup est le plus avisé de tous.Et si vous prêtez l'oreille, vous entendrez que le loup, lorsqu'il hurle, est toujours en train de poser la question la plus importante.

Non pas " Où est le prochain repas ?"
Ni "Où est le prochain combat ?"
Ni "Où est la prochaine danse ?"
Mais la question la plus importante
POUR VOIR A L'INTERIEUR,
pour estimer la valeur de TOUT ce qui vit,

Ououououououh
eheheheheh
laaaaaaaaam ?
Ououououououh
eheheheheh
laaaaaaaaam ?
Où est l'âme ?
Où est l'âme ?

Va dans les bois, va.
Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien n'arrivera,
jamais ta vie ne commencera.
Va dans les bois, va
Va dans les bois, va
Va dans les bois, va.

bunni


Les Colombes en épicéa

Au pays des gens de Lune, aux confins des étoiles, vivait Bois de Lune. Bois de Lune était surnommé ainsi car son métier consistait à nettoyer le ciel de toutes les branches d'arbres qui gênaient le spectacle interstellaire : il était bûcheron en quelques sortes. Avec ses branches coupées, Bois de Lune fournissait Jean de la Lune, dont l'activité principale était de fabriquer des nuages. Jean de la Lune habitait une sorte de grotte tout en haut d'une immense montagne et faisait du feu de tous bois puis éclaboussait son antre avec une bonne giclée d'eau qui se transformait instantanément en nuage. Il en faisait des gros, des petits et même, de temps en temps des moyens, selon le moment et même parfois suivant son humeur. Par une cheminée, les nuages s'envolaient au gré du vent pour agrémenter nos ciels. L'été, ils étaient bien blancs et joufflus, l'hiver et l'automne, tristes et gris et au printemps ... tout guillerets. La lune ne se formalisait pas de cela, et au contraire aimait jouer à cachecache derrière les nuages de Jean de la Lune ... C'est amusant de penser que, pendant que l'un s'évertuait à dégager la face de la lune, l'autre se plaisait à la cacher ! Mais l'un et l'autre étaient de grands amis et ne trouvaient rien d'assommant à leurs labeurs.

Bois de Lune avait aussi un ami, Pierrot, qui lui, ne faisait rien d'autre que rêvasser. Assis sur une branche en attendant que Bois de Lune vienne la couper, il chantait dans l'espoir de séduire Colombine mais c'est surtout la Lune qu'il faisait sourire. Un jour, Bois de Lune rencontra Belle de Lune et en tomba aussitôt amoureux fou. Bien sûr, Belle de Lune était la plus jolie qui soit dans le firmament et Bois de Lune ne resta pas de marbre devant elle. Après des études compliquées de cosmotologie, Belle de Lune était devenue esthéti-Lune et chaque jour rendait la grande dame plus belle encore. Comme cela, si d'aventure la Lune obtenait un rendez-vous avec le soleil, elle aurait une excuse d'être en retard et lui,
serait conquis, l'astre d'or !

Après une lune de miel qui dura cent lunes, ils s'installèrent ensemble et bientôt eurent un enfant : Fleur de Lune vint au monde une belle nuit étoilée et fut suivie de Poisson-Lune qui avait une figure de poisson-chat, Pied de Lune, qui aimait par-dessus tout jouer au football, Lune Rousse à la chevelure ...blonde et enfin Petite Lune qui s'appelait ainsi parce qu'ils avaient préféré cela à Pierrette ou Léontine.

Dans le pays des gens de Lune, Bois de lune avait une réputation de bon travailleur et de bon père de famille. Les dimanches, il emmenait toujours toute sa petite maisonnée au Lunapark, et si le temps était pluvieux ... un peu à cause de Jean de la Lune, ils jouaient tous ensemble à une partie de Cosmo-poly. Lorsque Bois de Lune avait un peu de temps libre, pour occuper ses mains il fabriquait des oiseaux en fines lamelles de bois, au plumage déployé. Il les fabriquait à partir de 2 petits morceaux de bois, de l'épicéa de préférence, qu'il assemblait à mi-bois pour former d'une part la tête, le corps et la queue et d'autre part les ailes. Plus les ailes et la queue étaient ouvertes en éventail, et plus il était heureux de sa trouvaille.

Bois de lune les laissaient s'envoler afin d'embellir l'endroit. Comme par magie, le vent les déposait dans un souffle léger, sur une branche que Bois de Lune n'avait pas encore coupée. Mais un jour, l'un d'eux se fit prendre par une bourrasque plus forte et après un long ... long ...très long voyage dans les nuées, se retrouva au pays des Carpates. L'oiseau, comme tout bon oiseau qui soit, se posa de lui-même sur une branche d'arbre. Il attendit là qu'une personne chaleureuse veuille bien le récupérer,
bien vite car le froid et la neige commençaient à l'engourdir et l'oiseau ne voulait pas succomber dans une contrée aussi inhospitalière.

C'est à cet endroit que le petit Ivan le trouva. C'était une fin d'après-midi dans la forêt que la lune éclairait du mieux possible et dans laquelle Ivan essayait vainement de semer un loup qui en voulait à son effronterie, l'oiseau de bois lui apporta chance car le loup, à une croisée de chemins, prit la mauvaise direction et rattrapa un malheureux garçon, surnommé Piotr et qui n'avait jamais rien fait au loup ... sinon de crier à tort et à travers qu'il était dans le coin. Mais c'est une autre histoire.

Trouvant l'objet attirant, il le rapporta à sa mère qui habitait un grand château comme celui de la belle au bois dormant et lui indiqua que poursuivi par le loup, la chance lui avait souri au moment de sa rencontre avec l'oiseau. La grande duchesse, car c'était une grande duchesse, recueillit l'oiseau de bois et en garnit aussitôt une vitrine, car elle pensait qu'il fallait la meilleure protection qui soit pour un tel porte-bonheur. En outre, elle décida de ne plus jamais s'en séparer.

Bien plus tard, devenue bien âgée, la grande duchesse fit un long ... long ...très long voyage car elle devait faire une cure dans une station thermale de montagne pour soigner ses maux. Elle avait choisi de venir voir sa cousine, elle-même grande duchesse de Savoie. Bien évidemment, pour se garantir de toutes les mauvaises fortunes qu'un tel voyage pouvait présenter, elle prit soin d'apporter avec elle son oiseau de bois.

Dans le grand Duché de Savoie, elle visita le Val d'Abondance et elle fit la connaissance d'un pays tellement souriant, et de tant de gens charmants, qu'elle décida de s'y installer définitivement. Avant de mourir, la grande duchesse convoqua le maire du village dans lequel elle avait trouvé autant de bonheurs pour ses vieux jours et lui offrit son oiseau de bois.
Et depuis ce temps, on perpétue dans la vallée, la tradition de fabriquer des milliers de colombes en épicéa. La colombe est placée à l'intérieur des chalets, suspendue près de la cheminée, dans la cuisine ou dans la pièce commune. On dit encore aujourd'hui qu'elle porte bonheur.

Jean La Fiarde

bunni


Reinette


Il était une fois, dans un royaume lointain, une jolie petite fille, prénommée Reinette. Elle habitait dans un magnifique pommier où poussaient les meilleures pommes du pays. Son papa avait construit dans cet arbre une petite cabane. C'est là qu'elle passait le plus clair de son temps.

Au printemps, lorsque son arbre s'habillait d'un nuage de fleurs blanches, Reinette était aux anges. Elle comptait patiemment les petites fleurs tout en pensant à la fabuleuse récolte qui se préparait. Cette année promettait d'être une des meilleures. Les jours de pluie, elle surveillait tristement son pommier et ramassait, le cœur lourd, les petites fleurs fanées qui n'avaient pas résisté aux assauts du vent. Les jours de beau temps, armée d'un grand roseau, elle chassait les oiseaux qui venaient picorer les pommes nouvelles nées.

En juin, elle délaissait un moment son arbre pour aider à la cueillette des cerises. Mais, la pomme, était vraiment son fruit préféré. Ce fruit était magique. On pouvait le transformer en compote, confiture, tarte, jus, gelée ou cidre et, en profiter toute l'année.

Par un bel après-midi d'automne, Reinette se prélassait dans son pommier en croquant une pomme. Un silence étrange l'arracha de sa rêverie. Pas le moindre chant d'oiseau, pas le moindre bourdonnement d'insecte, pas le moindre bruissement de feuille... Inquiète, Reinette passa discrètement la tête au travers du feuillage et aperçu quelqu'un au pied de son arbre. C'était une vieille femme très laide, très sale qui sentait terriblement mauvais. Elle s'était allongée à l'ombre du pommier et s'était endormie. Contrariée, Reinette avait repris sa rêverie mais le cœur n'y était plus. L'heure tournait et la vieille femme dormait toujours. Son terrible ronflement faisait frémir l'épais feuillage de l'arbre. Les oiseaux n'étaient toujours pas revenus. A présent, une colère sourde animait Reinette et, n'y tenant plus, elle jeta sur l'intruse son dernier trognon de pomme !

Un vent terrible secoua le pommier et un rire effrayant résonna dans tout le royaume. Reinette avait très peur. Mais, cachée dans l'épaisseur du feuillage, rien ne pouvait lui arriver. Cependant, une sensation étrange commençait à l'inquiéter : son corps était parcouru de fourmillements, sa tête lui faisait affreusement mal. En réalité, la vieille vagabonde n'était autre qu'une très méchante fée qui lui avait jeté un sort : Reinette était devenue un ver !

Elle pleura beaucoup puis, épuisée, s'endormit sur son arbre. A l'aube, rien n'avait changé et, en plus, elle mourrait de faim. Elle se mit à dévorer une pomme bien verte en creusant son tunnel et, s'endormit contre un pépin.

Pendant ce temps, toute la maison la cherchait.

-"Reinette ! Reinette ! Où es –tu ? "

Mais, personne ne répondait. Le silence régnait sur le jardin.

Quand Reinette se réveilla après sa sieste, elle eut l'idée d'aller voir sa marraine qui était fée. Mais, cela lui pris beaucoup de temps car c'était un petit vermisseau et qu'elle avait très peur de se faire manger par un oiseau. En plus, sa tante ne la reconnut pas et voulut l'écraser.

-"C'est moi, marraine ! C'est moi, Reinette ! "

La fée faillit s'évanouir. Elle lui demanda comment tout ceci était arrivé. Enfin, après avoir bien réfléchi, elle lui proposa une solution.

-"Si tu veux redevenir Reinette, tu devras faire un très long voyage d'un an. Mais avant, il faut que tu attendes un peu pour devenir un beau papillon car, la vilaine fée ne t'a pas transformée en ver mais en chenille. Je vais donc t'installer dans mon plus beau pommier pour que tu grandisses en paix. "

Aussitôt dit, aussitôt fait. Au bout de quelques semaines Reinette devint, en effet, un superbe papillon multicolore qui s'envola très haut dans le ciel.

Elle arriva, un jour, au milieu d'une petite clairière couverte de fleurs très parfumées et de toutes les couleurs. Elle butina, butina, butina, car elle avait grand faim et s'endormit à l'ombre d'un coussin de violettes.

Un beau papillon bleu la surprit pendant son sommeil. Ebloui par tant de beauté, il tomba aussitôt amoureux d'elle. Quand elle ouvrit les yeux, il la demanda tout de suite en mariage. Mais Reinette se mit à pleurer car elle ne voulait vraiment pas finir sa vie en papillon. Lui, pleura aussi car il ne comprenait pas pourquoi son aimée ne voulait pas de lui. Elle décida de poursuivre sa route, le cœur gros car, elle trouvait que ce papillon bleu était vraiment très beau et très gentil. Aussi, au moment de lui dire adieu, elle lui proposa de la suivre. Ils continuèrent ensemble le grand voyage et devinrent vite inséparables.

Voilà qu'un jour, ils se retrouvèrent dans le jardin de Reinette ! Quelle joie ! Ils s'installèrent dans le fameux pommier où tout avait commencé et, Reinette, raconta enfin son histoire au beau papillon bleu. L'histoire terminée, Reinette se mit à pleurer car elle aimait vraiment son ami. Malheureusement, si son enchantement se terminait maintenant, ils ne se reverraient plus jamais. Le papillon bleu écouta calmement puis, se mit à rire aux éclats quand Reinette commença à pleurer.

-"Sèche tes larmes mon aimée car ton histoire est mon histoire aussi. Si tu veux que nous retrouvions notre véritable apparence, il nous faut trouver une recette inédite pour préparer les pommes. "

Ils passèrent tout le jour à réfléchir sous le regard moqueur des abeilles. Lassée par leur bourdonnement incessant, Reinette lança une pomme dans leur ruche. Le fruit habillé de miel retomba dans l'herbe fraîche.

-"J'ai trouvé ! " hurla Reinette. "Nous allons tremper une pomme dans du caramel à la vanille et nous l'appellerons Pomme d'Amour en souvenir de notre aventure ! ".

C'est alors que nos deux papillons se transformèrent en une très belle jeune fille et en un très beau jeune homme. Ils se marièrent très vite et, devinez quel fut leur métier ?

Ils firent le tour du monde dans une roulotte vert pomme en vendant aux enfants leurs délicieuses pommes d'amour.


FIN

bunni


La montagne et le papillon

Il était une fois un papillon qui habitait sur une grande montagne.
Il parlait à qui voulait bien l'entendre de son changement, de l'état de chenille, à celui d'insecte volant, et décrivait cela comme une aventure extraordinaire. Il disait :
-«Quelle chance, nous avons, nous, les papillons, de connaître deux états dans notre vie ! Je ne connais personne qui puisse autant changer dans toute sa vie. C'est fabuleux ! C'est comme si nous vivions deux vies dans une ! »
Les autres animaux écoutaient le papillon déclamer son aventure, mais c'était son histoire à lui, et cela ne les intéressait pas plus que ça...
Mais un jour, la montagne elle-même, lassée d'entendre les discours pompeux du papillon, daigna lui adresser la parole. De sa grosse voix caverneuse, elle lui tint ses propos :
-«Petit papillon... Tu n'es pas le seul à te métamorphoser intégralement. J'en connais d'autres dont le changement est encore plus impressionnant. »
-«Hein ? Quoi ? Qui parle ? » s'étonna le papillon, en cherchant autour de lui, celui qui lui avait adressé la parole.
-«C'est MOI ! La montagne... » continua l'émergence.
-«La montagne ? Mais je ne savais pas que tu pouvais parler toi aussi ! Alors comme ça, tu connais d'autres animaux qui peuvent changer eux aussi, de corps dans leur vie... »
-«Il ne s'agit pas d'animaux, mais d'autres formes d'êtres vivants... » répondit la montagne.
-«Mais de qui veux-tu donc parler ? Ah, forcément, si tu connais des extra-terrestres... Mais bon, ce ne sont pas des êtres de notre planète, alors... on peut tout imaginer ! »
-«Non, c'est terrestre... » reprit la montagne.
-«Alors là, j'ai beau me creuser la cervelle, je ne vois pas... » dit le papillon, en se grattant la tête.
-«C'est MOI » annonça la montagne.
-«Toi ? Mais ce n'est pas possible, tu es tombée sur la tête. Heu, pardon, je dis des bêtises... Mais toi, voyons, tu es une montagne, tu es le symbole de l'immobilité. Tu es là depuis des générations de papillons... Je sais bien que tu ne bouges pas. » s'exclama le papillon.
-«Tu te trompes. Je change, et même beaucoup, mais ce n'est pas dans ton échelle de temps. C'est tout. » continua la montagne.
-«Tu me racontes des histoires. Les montagnes, ça ne change pas. C'est là depuis toujours, même qu'on en fait des cartes, et qu'elles sont toujours positionnées au même endroit... » ricana le papillon.
-«Encore une fois, tu te trompes » gronda la montagne, « il y a très longtemps, je n'étais pas ainsi, j'étais complètement plate. »
-«Alors là, je ne te crois pas... » l'interrompit le papillon.
Mais la montagne continua le fil de son histoire.
-«Oui, c'était juste après la formation des continents sur la terre. Nous étions toutes aplaties, à flotter d'un seul tenant sur l'océan. Puis, il y a eu ces mouvements et des plaques sont venues nous bousculer. Des morceaux se sont détachés et sont partis à la dérive. Nous, nous continuions à être poussés très fort, si bien que, prises en étau entre deux grandes forces, nous avons dû émerger et, petit à petit, monter vers le ciel, jusqu'à devenir ce que nous sommes aujourd'hui. »
Alors là, le papillon en eut le souffle coupé.
-«Mais alors, tu continues de bouger ? » questionna-t-il.
-«Bien sûr » dit la montagne, « je grandis encore, et même j'avance... »
-«Ca alors ! » s'exclama le papillon, « jamais, je ne me serais douté... »
-«Vois-tu » poursuivit la montagne, « je me transforme aussi, mais en un temps beaucoup plus long que toi. Ainsi, il ne faut pas t'en tenir à ce que tu vois, ou à ce qu'on t'a dit, qui s'avère forcément très restreint. Je suis la montagne et je suis en pleine mutation, même si cela est pour toi, comme d'ailleurs pour la plupart des gens, difficile à imaginer... »
Le papillon en resta abasourdi. Son aventure paraissait finalement plutôt modeste, eu égard à celle vécue par la montagne.
Qui plus est, ses champs de vision et de perception semblaient bien réduits pour capter les mouvements autrement plus amples de l'univers.
Il se sentit complètement dépassé, et en même temps plus humble.
Désormais, il n'éprouva plus le besoin de parler sans arrêt de sa particularité de papillon.
Il avait conscience de n'être qu'un parmi tant d'autres et d'obéir à des lois biologiques qui le dépassaient largement.
Ainsi, il vécut heureux, en harmonie avec sa chère montagne.

bunni


Le soleil engendra les poissons qui engendrèrent le vent


-Conte pour qui ? lança le conteur.
-Conte pour tous, répondirent en chœur les auditeurs.
-Qui l'a raconté ?
-Le caméléon.

Le conteur se frotta le crâne comme pour réchauffer sa mémoire, toussa deux ou trois fois pour s'éclaircir la voix, puis entama son récit.
Il est vrai, dit-il, que sur l'origine des mots et des choses personne n'en sait autant que le caméléon. Lui seul fut capable, dans les temps les plus reculés, de parcourir terre et ciel. Je vais donc vous livrer ce dont il m'a fait part.
Autrefois, il y a très longtemps, l'Homme ne connaissait pas le feu. Il ignorait de même ce qu'était le vent, car il ne l'avait jamais entendu souffler.
Le firmament n'était pas très haut au-dessus de nos têtes. Nous pouvions le toucher de la main en nous haussant sur la pointe des pieds.
Les royaumes du Soleil et de la Lune s'étendaient à perte de vue. Ces deux génies y vivaient en bonne harmonie. Chacun prenait soin de ses nombreux enfants et faisait bénéficier les êtres humains de ses largesses. Le Soleil envoyait ses rayons sur la terre pour la réchauffer sans la brûler. Grâce à lui, ses habitants pouvaient faire chauffer de l'eau et cuire leurs aliments.
Cependant, les enfants de la Lune enviaient la progéniture du Soleil et, ne fut-ce l'interdiction de leur mère, ils se seraient empressés d'aller jouer avec eux.
Un jour, n'y tenant plus, trois enfants de la Lune, désobéissant à leur mère, s'approchèrent trop près du Soleil. Ils furent brûlés, carbonisés et ne revinrent plus.
Mère Lune se douta bien vite de ce qui était arrivé. Elle prépara sa vengeance...
Un beau soir de pleine Lune, elle s'empara de l'un des enfants du Soleil et le plongea dans la mer. Comme il était brûlant, le froid de l'eau lui fit dégager une abondante vapeur, émettre un souffle puissant. En même temps, celui-ci se répandit aux alentours comme une brume persistante.
Mère Lune pensant que la punition était suffisante voulut retirer l'enfant du Soleil de l'eau.
A sa grande surprise, elle vit qu'il se transformait. Ses yeux se fermèrent, sa bouche s'aplatit et s'ouvrit. Le premier poisson, Huêvi, qui signifie enfant du Soleil, venait d'apparaître.
Satisfaite de cet exploit, Mère Lune voulut le reproduire une seconde fois. Elle réussit à persuader le Soleil de faire prendre un bain à ses enfants à lui, disant qu'elle ferait de même pour les siens.
Mais dès que les fils du Soleil entrèrent dans la mer, obéissant à un signal discret de la Lune, la tempête se leva. Les vagues chevauchèrent des montures fougueuses. Elles se couvrirent d'écume blanche, se bousculant les unes les autres comme pour jaillir hors de l'océan. Elles se dressèrent de plus en plus haut jusqu'à recouvrir tout ce qui respire.
Les enfants du Soleil n'échappèrent pas à la plongée générale. L'eau éteignit le feu qui constituait leur corps.
Les enfants du Soleil se sentirent heureux et se mirent à s'agiter en tous sens. Ils ne voulurent plus jamais sortir de l'eau. A leur tour ils étaient devenus poissons, Huêvi. Quand ils s'aperçurent que cette nouvelle manière d'être était irréversible, ils poussèrent tous ensemble un soupir, d'étonnement et de soulagement. Le souffle qui s'échappa au même moment de leurs bouches allongées, fut assez puissant pour parcourir toute la terre. Puis celui-ci s'installa comme un phénomène permanent, ne cessant de tourbillonner autour d'elle. Ce fut là l'origine du vent.
Depuis lors, par jour de grand vent, les pêcheurs sortent leurs filets. Ils espèrent une pêche fructueuse car le vent et les poissons sont toujours de connivence. Ils n'ont pas oublié dans quelles circonstances ils sont apparus pour la première fois en ce monde.