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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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mathurine

La légende du colibri (légende amérindienne)

Face à un feu de forêt, tous les animaux paniquent et ne savent pas quoi faire.
Pourtant, le colibri, le plus petit des oiseaux, agit. Il tente d'éteindre le feu.
Il va à la rivière, remplit son petit bec, et arrose le brasier.
Les autres animaux se moquent de lui et disent que ces gouttes d'eau ne servent à rien.
L'oiseau leur répond : "Je le sais, mais je fais ma part".



Le racisme et la haine ne sont pas inscrits dans les péchés capitaux. Ce sont pourtant les pires. Jacques Prévert

bunni


L'arbre qui ne voulait pas perdre ses feuilles

Un arbre poussait près d'une rivière. Droit, grand, fort, beau. Arrive l'automne... Tous les autres
arbres commencent à perdre leurs feuilles. Notre arbre, lui, aime tellement les siennes qu'il n'a pas
envie de les laisser partir. Il les retient, les retient, les retient... Peu à peu, malgré ses efforts, ses
feuilles perdent leurs belles couleurs. Forcément. C'est l'automne... Autour de lui, les autres arbres
ont déjà tous perdu leurs feuilles. Notre arbre, lui, a toujours les siennes, bien serrées contre lui.
Elles sont brunes maintenant. Toutes racornies. Et toutes craquelées. Malgré cela, notre arbre ne
veut toujours pas les laisser s'en aller. Dans le vent froid, il frissonne...
Ce n'est pas le vent. C'est un sylphe, un lutin des airs. Il saute à la pointe d'une branche et la secoue
comme un jouet. Les feuilles mortes, en tremblant, font un bruit de hochet.
« Grand et bel arbre ! dit le sylphe. Laisse tomber tes feuilles ! Au printemps prochain, il t'en
repoussera de nouvelles, toutes fraîches et belles.
-Non, dit l'arbre. Je veux garder celles que j'ai.
-Je connais une formule magique pour t'aider à changer de manteau, insiste le sylphe. Répète-la trois
fois et tes vieilles feuilles mortes se transformeront en un magnifique feuillage, vert, vif, éclatant :

Sohû, Sohû, Sohû, (« sohou sohou sohou »)
Irhney, Irhney, Irhney, (« irneï irneï irneï »)
Shenjû, Shenjû, Shenjû ! ( « chênjou chênjou chênjou » )

-Non, répond l'arbre. Je ne veux pas de ta formule. Je veux rester comme je suis. »
Le sylphe s'en va. Arrive une ondine, une petite fée des eaux. Elle pousse les gouttes de branche en
branche et les fait tinter, en tombant, comme un carillon de cristal.
« Grand et bel arbre ! dit l'ondine. Laisse tomber tes feuilles ! Au printemps prochain, il t'en
repoussera de nouvelles, toutes fraîches et belles.
-Non, non, dit l'arbre. Je veux garder celles que j'ai.
-Je connais une formule magique pour t'aider à changer de manteau, insiste l'ondine. Répète-la trois
fois et tes vieilles feuilles mortes se transformeront en un magnifique feuillage, vert, vif, éclatant :

Wûny, Wûny, Wûny ( « vouni vouni vouni » )
Throïyû, Throïyû, Throïyû (« troïou troïou troïou »)
Bhotsû, Bhotsû, Bhotsû, (« botsou botsou botsou »)
Irhney, Irhney,Irhney ! (« irnêï irnêï irnêï »)


-Non, non, répète l'arbre. Je ne veux pas de ta formule. Je veux rester comme je suis. »

L'ondine s'en va. Arrive un gnome, un esprit de la terre. Il saute sur les racines de l'arbre dans une
danse rythmée : ses pieds frappent la terre en cadence et jouent du tam tam, bong, bong ... ! Les
sons roulent et rebondissent tout le long de l'écorce.
« Grand et bel arbre ! dit le gnome. Laisse tomber tes feuilles ! Au printemps prochain, il t'en
repoussera de nouvelles, toutes fraîches et belles.
-Non, non, dit l'arbre. Je veux garder celles que j'ai.
-Je connais une formule magique pour t'aider à changer de manteau, insiste le gnome. Répète-la
trois fois et tes vieilles feuilles mortes se transformeront en un magnifique feuillage, vert, vif,
éclatant :

Kûiva, Kûiva, Kûiva, (« kouyva kouyva kouyva »)
Nao Ûzi, Nao Ûzi, Nao Ûzi, (« nao ouzi nao ouzi nao ouzi »)
Sivo Reho, Sivo Reho , Sivo Reho ! (« sivo rého sivo rého sivo rého »)


-Non, non et non !, s'énerve l'arbre. Je ne veux pas de ta formule, ni de celle de l'ondine, ni de celle
du sylphe. Je vous dis que je veux rester comme je suis !! »
Le gnome s'en va. Arrive la neige. Elle enveloppe tous les arbres de son grand manteau blanc, si
épais, si doux. Sur notre arbre, les feuilles mortes chargées de neige commencent à peser lourd, très
lourd...
Si lourd qu'une de ses branches craque et finit par se briser... puis une autre...
Autour de lui, les autres arbres resplendissent dans leur pur manteau étincelant. Lui seul est lourd,
cassé, blessé...
Arrive le soleil. Il illumine toute la forêt, les beaux arbres et les arbres abîmés ensemble. Il dit à
l'arbre qui n'avait pas voulu perdre ses feuilles :
« Tes branches sont cassées, elles ne repousseront plus, mais tu peux guérir. Si tu lâches tes feuilles
maintenant, il est encore temps, d'autres te viendront au prochain printemps. Je ne te donnerai pas
de formule magique. Tu en connais déjà assez. Choisis maintenant celui que tu veux être. »
Ce printemps-là, au milieu de la forêt, un arbre aux branches cassées se couvrit de feuilles vert
tendre parmi tous les autres. Ainsi le refit-il chaque année. Aujourd'hui, ses blessures ont disparu.

bunni


Un mot si simple

Un sage menait une vie tranquille dans son humble maison.
      Une nuit, alors qu'il lisait en toute quiétude, un voleur s'introduisit chez lui, armé d'un grand sabre tranchant. L'air menaçant, l'homme ordonna au sage de ne pas bouger, puis se mit à soulever les tapis, vider les tiroirs, retourner les coussins à la recherche d'argent.
      Au bout d'un moment, le vieux sage lui dit tout en continuant à lire :
      — Je vous prie de mettre un peu moins de désordre. L'argent que vous cherchez est dans le tiroir de cette table. Prenez ce dont vous avez besoin.
      L'inconnu prit l'argent dans le tiroir et s'empara ensuite d'un grand vase incrusté de jade.
      — Je vois que vous aimez beaucoup ce vase, lui dit le sage. Puisque vous y tenez tellement, je vous le donne pour vous faire plaisir.
      Le voleur, ne voyant rien d'autre à prendre, s'apprêtait à sortir lorsque le sage l'appela :
      — Vous oubliez quelque chose, lui dit-il en souriant, vous n'avez pas dit merci.
      L'homme, surpris, remercia le sage et s'enfuit dans la nuit profonde.


      Quelques jours plus tard, les gardes de l'empereur frappèrent à la porte du sage. Ils tenaient, derrière eux, le voleur fermement ligoté.
      — Nous avons appréhendé cet homme, dirent-ils. Il a avoué avoir dérobé ce vase chez vous. Si cela est vrai, nous le mettrons à mort comme la loi l'exige.
      — Oui, dit le sage, je reconnais bien ce vase, mais cet homme ne l'a pas volé. Il est venu chez moi il y a quelques jours, je lui ai donné un peu d'argent et lui ai offert le vase. Je m'en souviens très bien, il m'a dit merci.
      Les gardes de l'empereur, étonnés, relâchèrent le voleur. Celui-ci, rempli de gratitude envers le sage, le remercia du fond du cœur. Et il prit la résolution de ne jamais oublier le petit mot si simple qui lui avait sauvé la vie :
      « Merci »


J.C & L.R

bunni


Le fa de Monsieur Lutin

Il était une fois dans une petite mélodie, un Fa qui s'entendait très bien avec toutes ses voisines, les Do, les Ré, les Sol et même avec le Do dièse qui a pourtant mauvais caractère. Ce Fa était gâté. Le compositeur lui avait donné le premier rôle. C'était lui la vedette. Hé bien malgré tout il s'ennuyait. il rêvait à J.S.Bach. Il rêvait de Jazz, de Java. Il rêvait d'Amérique et de tour du monde. En somme c'était un Fa aventurier.
- Mais tu as tout ce qu'il te faut ici ! La mélodie, le rythme, tu as des amis, lui répétait le compositeur.
- Je veux voir du pays, je veux changer d'air, lui répondait le Fa.
- Ma musique ne te plaît plus alors ! ?
- Je veux voir du pays.
- Mais sais-tu ce que tu risques, pauvre innocent ? Mais de te faire avaler par un micro, entortiller dans une bande magnétique, numériser dans un studio et tu finiras comme le La, mon beau La 442 pour lequel j'avais composé de si jolies fugues et qui a fini sur l' étagère... des CD, lui disait le compositeur.
- Je veux voir du pays, lui répondait inlassablement le Fa.
Alors comme le Fa ne voulait rien entendre, le compositeur changea de ton. Il alla chercher sa grosse clef de Sol et ferma la portée...
Mais bon le Si qui avait longtemps joué Johnny Be Good dans un groupe de rock lui expliqua qu'avec un bon bémol on peut ouvrir n'importe quelle portée. Avec l'aide d'un trombone le Si fabriqua l'objet, ouvrit la portée et c'est ainsi que le Fa s'en fut.

Sa première idée fut d'aller au conservatoire où paraît-il étaient conservées les œuvres des grands compositeurs et effectivement c'est là pour la première fois qu'il joua J.S.Bach son idole. Il joua aussi Schubert, Beethoven et bien d'autres. il fut même employé par l'orchestre Poitou-Charentes pour interpréter le Boléro de Ravel. C'était merveilleux. Le soir il aimait se rendre au concert écouter ses collègues ou bien il rentrait dans une de ces boîtes enfumées où l'on joue un jazz endiablé.
C'est justement un de ces soirs-là, alors qu'il était en compagnie d'une belle guitare manouche que pour la première fois il l'aperçut dans un coin sombre...posé sur une patte avec ses yeux de mouche...immobile tel un crocodile à l'affût d'un zèbre assoiffé...il était là... le micro. Il en fut si troublé qu'il fit une fausse note. Tout le monde le regarda mais lui ne pensait qu'au La, le beau La 442 figé sur l'étagère, décédé. Alors il décida qu'il ne se laisserait pas dévitaliser, ni numériser, ni entortiller et il se battit toute la nuit. Il fut dans tous les chorus, toutes les improvisations et ce n'est qu'au petit matin quand il vit le jour se lever qu'il s'abandonna. il eut une dernière pensée pour le compositeur, la petite mélodie et ses copines et puis le micro le croqua.
Coda.
Enfin le micro l'aurait croqué et il aurait certainement disparu dans un fichier informatique si le Si n'était pas arrivé. A toute vitesse, 320 à la noire. Le Si, armé d'un bémol, s'était fait une magnifique double croche et il attrapa le fa au vol avant qu'il ne soit pris au piège. Ils filèrent tous les deux se mettre à l'abri d'un point d'orgue et là ils se regardèrent longuement puis s'embrassèrent amoureusement. Ensuite naturellement ils s'installèrent dans un confortable Domisiladoré avec un très joli Solsiré et ils eurent beaucoup de petites cadences parfaites.

Jean-Jacques Luteau

bunni


Le jour où j'ai perdu mon temps

Ce matin j'ai perdu mon temps.
    Je l'avais enroulé dans mon mouchoir et enfoncé dans la poche de mon pantalon.
    Il a dû tomber quand j'achetais mon café et quelqu'un l'aura ramassé.
    Je retourne à l'épicerie pour mettre une petite annonce :


J'AI PERDU MON TEMPS ICI,
CE MATIN À HUIT HEURES MOINS LE QUART.
SI VOUS L'AVEZ TROUVÉ
APPELEZ-MOI AU 3699.
FORTE RÉCOMPENSE.



    Assis devant le téléphone, j'attends.
    Le temps file, les aiguilles de l'horloge s'emballent et je me sens de plus en plus mal.
    Je n'ai plus de temps à perdre.


    À 11h45, le téléphone sonne. Je réponds.
    — Je reviens de lire votre annonce. J'ai trouvé votre temps ce matin. Il était par terre devant les choux de Bruxelles. Quelle est la récompense ?
    Je réfléchis.
    — Que diriez-vous de partager mon temps ?
    — Votre temps ? Vous rigolez, je l'ai déjà !
    Je regarde autour de moi.
    Je vois le frigo, mon lit et une lampe.
    Puis mon regard se pose sur mon bras.
    — Je vous donne ma montre. Elle est de grande marque.
    — Rendez-vous devant l'épicerie dans un quart d'heure. Vous me reconnaîtrez à mon chapeau melon.


    À midi cinq, l'homme arrive en courant.
    — Dépêchons-nous, je n'ai pas beaucoup de temps !
    Je m'affole :
    — Pas beaucoup de temps ?? Mais... vous avez le mien ?
    — Bien sûr ! Le voici.
    L'homme au chapeau melon me tend mon temps.
    J'ôte ma montre et je la lui remets.
    — Magnifique ! dit-il en l'attachant à son poignet.
    Et il repart en courant.


    Je suis soulagé. Mon temps est intact, il n'en manque presque pas.
    Je le glisse soigneusement dans ma poche.
    Puis, je fixe une dernière fois l'homme qui court toujours.


    C'est étrange, il semble plus vieux.
    Son dos s'est brutalement courbé et ses cheveux sont devenus blancs.
    Il ne court plus, il marche avec une canne.
    Tout à coup, il regarde l'heure sur ma montre de grande marque.
    Ses jambes, ses bras, son visage s'effacent.
    En quelques secondes, il devient aussi transparent que l'air.
    Et il disparaît.


    Seule ma montre reste sur le trottoir.
    Je la ramasse et je rentre chez moi.
    En prenant mon temps.


A.D.L

bunni


Rikiki

Les êtres surnaturels ont toujours occupé une grande place dans la vie des gens de la campagne. Les feux follets, les loups-garous semaient l'effroi sur les routes désertes. Mais les lutins, petits êtres facétieux, jouaient des tours plutôt que de faire peur. Ils se glissaient dans les écuries, s'emparaient des meilleurs chevaux et leur faisaient faire pendant la nuit des courses furibondes. Cette histoire d'un lutin fanfaron et rigolard nous vient de la vallée du Richelieu et se passe la veille de Noël.

Le terme « habitant » qui définit le héros, Jean-Mathurin Sansfaçon, est particulier au Québec. Dès 1617, on désignait ainsi celui qui se fixait à demeure en Nouvelle-France. Par contraste, les Français qui occupaient un poste d'administrateur, d 'officier ou de missionnaire, étaient appelés des
« hivernants » car ils retournaient en France après un certain séjour dans la colonie naissante.


Ce soir-là, la veille de Noël, Jean-Mathurin Sansfaçon n'avait pas le cœur à la fête. Terré près de son âtre dans lequel pétillait une maigre bourrée* de hêtre, ce pauvre habitant parlait à son chien, Finaud. Il avait envoyé sa femme, Julie, et les quatre petiots se reposer là -haut en attendant la messe de minuit. Lui qui cultivait honorablement son petit lopin de terre sur les bords du Richelieu avait eu une bien mauvaise année.

Une petite récolte de pas grand-chose à cause de la grêle et des pois à moitié pourris dont un quêteux ne voudrait point. Et la boucherie d'il y a trois semaines :

- Deux pauvres gorets maigrichons qui m'ont donné du lard maigre et jaune que c'en est une vraie pitié, racontait-il à son chien.

Tandis qu'une méchante pluie froide fouettait les carreaux, Jean-Mathurin Sansfaçon, rallumant sa pipe, lança à Finaud d'un air découragé :

- Et pas une goutte de Jamaïque pour recevoir les amis ! Juste des cretons pour le réveillon ! Et puis, as-tu regardé le temps qu'il fait dehors, Finaud ? Il mouille à siaux et nous sommes dans la boue, la veille de Noël, au lieu d'être dans la belle et bonne neige du bon Dieu ! C'est pas tout, continua-t-il. Y a encore ce lutin de malheur, qu'est toujours à me faire endêver. Encore ce matin j'ai trouvé mon cheval Fend l'Air tout blanc d'écume, tremblant sur ses jambes avec la queue et la crinière tout emmêlées. Il a dû galoper toute la nuit jusqu'à Chambly, aller et retour. Ces lutins-là, vois-tu Finaud, c'est pire que tous les fifollets et les loups-garous mis ensemble. On n'arrive même pas à s'en débarrasser. Ah ! si je pouvais en tenir un, une bonne fois dans le creux de ma main, je lui tordrais le cou avec plaisir, surtout celui qui ne me lâche pas et qui est toujours à se promener sur Fend l'Air !

Jean-Mathurin s'aperçut tout à coup qu'un courant d'air froid lui coulait sur le dos. La porte arrière venait de s'ouvrir et quelque chose hors du commun s'y glissait, car Finaud était allé se blottir piteusement dans un coin, la queue entre les jambes. Jean-Mathurin n'était pas un couard et pourtant il ne pouvait pas se décider à tourner la tête. Et voici qu'il entendit une petite voix, légère comme un son de flûte, qui paraissait venir de dessous la terre et qui disait à peu près ceci :

- Bien le bonsoir et joyeux Noël à mon ami Mathurin !

Jean-Mathurin finit par se retourner et voici ce qu'il vit : un petit homme pas plus haut qu'une botte qui, juché sur un tabouret, fixait sur lui des petits yeux de furet aiguisés comme une flamme et animés d'une lueur narquoise et moqueuse. En somme, la plus drôle de petite frimousse qu'on pût imaginer. Et il faut voir comment cette personne était vêtue. Manteau de velours vert semé de fleurs de lis, justaucorps de soie rose lamé argent, veste de satin orange, culotte et bas de soie blancs avec des amours de petits escarpins vernis, rien que ça !

Jean-Mathurin en resta tout ébahi et il n'avait d'yeux que pour la coquine de petite moustache, dont les deux pointes pouvaient faire deux fois le tour de la tête du petit bonhomme.

- Eh bien ! fit l'apparition, tu as fini de me reluquer ? Tu as voulu me voir, me voici ! Et alors, tu vas me mettre dans le creux de ta main, et couic ! Comme tu disais tout à l'heure, plus de lutin et Fend l'Air pourra désormais passer ses nuits tranquille à
l'écurie !

Mon Dieu ! c'était le lutin ! En oui ! cette petite merveille vêtue de velours et de satin était là devant lui. Et dire que Jean-Mathurin s'était tout le temps imaginé que ce devait être plutôt une sorte de petit griffon noir avec les pieds fourchus et une barbe de bouc ! Mais il savait bien que c'était quand même le mauvais esprit qui se dissimulait sous cet attirail plaisant.

Alors il s'élança et étendit la main avec le geste de faire « couic » au diablotin, comme il se l'était promis.

Sa main s'abattit dans le vide. Du lutin, plus la moindre trace. Pftt ! la vision avait disparu et Jean-Mathurin, promenant son regard autour de lui, ne vit plus rien que Finaud qui poussait de petits hurlements plaintifs dans le coin.

- Eh bien, voyons. C'est donc comme ça qu'on reçoit ses amis ! fit la même petite voix de flûte. Et moi qui, cette veille de Noël, pour te faire honneur, ai sorti mon costume de gala au grand complet.

C'était le lutin, de nouveau en chair et en os, plus fringant et plus moqueur que jamais. Sans attendre, il se mit à parler tandis que Jean-Mathurin restait cloué sur place par la terreur et la stupéfaction.

- Tu ne sais donc pas que je suis le prince Rikiki, fit le lutin, investi de l'autorité suprême sur tous les lutins du Richelieu et qu'alors je peux rendre visite à des personnages bien plus importants que toi. Quand je veux, je me fais invisible et plus rien ne peut m'atteindre. Les lutins, vois-tu, se glissent partout, sur terre, dans l'air et dans les eaux. Et avec le petit bâton que je tiens dans la main, je possède le don de te rendre invisible toi aussi, Mathurin, en dépit de ta grosse carapace. Tu dois être raisonnable et rentrer ta colère. Tout ça pour quelques promenades qu'il m'a pris fantaisie de faire sur le dos de ton Fend l'Air qui, entre nous, est une vieille rosse et ne fend plus rien du tout depuis longtemps. L'autre nuit, c'était moi qui étais le plus mal monté, à tel point qu'au retour je fus laissé en route. Tous les autres, chevauchant de beaux poulains pleins de feu, sont rentrés bien avant moi, le prince Rikiki auquel tout doit obéir en ces parages.

Puis il s'attendrit et continua :

- Mais c'est égal, Jean-Mathurin, je t'aime tout de même parce que tu es la meilleure pâte d'habitant que je connaisse à dix lieues à la ronde. Et sache que je te protège, sans que rien n'y paraisse. Te souviens-tu du jour où ton petit dernier, le Jules à la tignasse frisée, avait failli se faire encorner par un taureau ? En bien ! c'est moi qui ai sauté sur le cou de la bête et grâce à mes pouvoirs lui ai fait passer l'envie de se jeter sur le petit. Et ce soir même, je viens encore te prouver mon bon vouloir en t'apportant un beau présent de Noël. Regarde. Le lutin sortit de sous son manteau un sac de toile et en tira sous le regard émerveillé de Jean-Mathurin du beau boudin bien gras.

- Du boudin ! s'écria Jean-Mathurin, non sans une nuance de dépit qui n'échappa pas au lutin.

- Eh bien, oui, du boudin, et du beau, je m'en flatte ! Mais tu n'es pas content ? Je t'apporte un réveillon de roi et tu ne me sautes pas au cou ?

- Du boudin, dit le pauvre homme ! Ce n'est pas un présent de Noël.

- T'imagines-tu, reprit le lutin, que j'allais t'apporter un sac de pièces d'or ?

- La richesse ne fait pas mal, répondit Jean-Mathurin, quand on sait s'en servir. Prends en exemple le seigneur de Saint-Charles qui me donne envie d'être à sa place quand je le vois passer avec ses deux beaux chevaux noirs.

- Sais-tu que j'ai le goût de te prendre au mot, Jean-Mathurin, et de t'y mettre, à la place du seigneur de Saint-Charles...

Il hésita un moment puis, rejetant brusquement son manteau il continua son discours :

- Je vais faire encore mieux que ça pour te prouver que les lutins aiment à rendre service, à plus forte raison la veille de Noël. Tu peux formuler trois souhaits et tu les auras. Le premier est déjà tout trouvé puisque tu veux être à la place du seigneur de Saint-Charles, poursuivit-il en lançant un petit rire aigu.

- Ça ne fait pas de mal de le souhaiter, dit Jean-Mathurin.

- Bon, c'est accordé. Et le deuxième souhait ?

- Eh bien, si ça ne te fait pas de différence, je voudrais de l'élixir de longue vie dont on parle dans les livres et qui fait vivre aussi longtemps que Mathusalem.

- Holà ! s'écria le lutin. Pourquoi pas me demander de t'apporter la lune, tant que tu y es. Mais j'ai promis, je tiendrai parole. Va pour l'élixir. Et le troisième ?

- C'est simple : je voudrais être heureux. Mais là, tu sais, heureux pour de vrai, comme qui dirait sans penser à rien, sans soucis, comme Finaud quand il a mangé tout son plein et qu'il dort auprès du feu.

- Pas mal imaginé, riposta le lutin. Qui aurait jamais cru que tu voulais tout ça dans ta grosse caboche ? Me voilà bien pris, moi, qui t'ai promis mer et monde. Mais, foi de lutin, je n'en démordrai pas. Allons d'abord chez le seigneur de Saint-Charles.

Jean-Mathurin sortit avec le lutin. Le temps se mettait rapidement à la gelée et dans le ciel piqué d'étoiles, les derniers nuages noirs s'enfuyaient, chassés par un vent de tempête.

- Joli temps pour voyager, observa Rikiki. D'autant plus que le vent porte du côté de Saint-Charles et que nous y serons dans un instant. Mais je ne pense pas qu'il soit souhaitable de te transporter dans les airs, ça te tournerait les sangs. Grimpe donc sur Fend l'Air avec moi derrière et allons à Saint-Charles !

Fend l'Air pour une fois mérita son nom et détala comme une ripousse. Sur la grande route durcie par le gel, les sabots du cheval résonnaient d'un martèlement sonore et cadencé. En une petite demi-heure on était rendu et l'instant d'après on était sous les fenêtres brillamment illuminées du seigneur de Saint-Charles. Et comme Jean-Mathurin, après avoir attaché son cheval sous une remise, faisait mine de vouloir entrer, le lutin dit :

- Un instant, espère un peu, tu ne t'imagines pas qu'on entre comme ça chez le seigneur ! Et avant d'entrer, je veux d'abord te montrer si la chose en vaut la peine. Et pour cela nous allons nous rendre invisibles et entrer sans être vus.

Le lutin toucha Jean-Mathurin du bout de son bâton et subitement le brave homme se sentit évanouir en fumée. Puis, le lutin à son tour disparu, ils se trouvèrent tous les deux subitement transportés à l'étage supérieur du manoir, dans la chambre même du seigneur.

Sa Seigneurie sommeillait dans un fauteuil, l'un de ses pieds posé sur une chaise et tout enveloppé de bandages qui en faisaient une chose informe. Un domestique en livrée mettait la dernière main aux préparatifs du souper de son maître et d'en bas venaient les échos d'une jolie musique mêlée à des éclats de voix et de verres. Suivant les traditions d'antan, on célébrait là la veillée de Noël en bonne compagnie.

Les deux nouveaux arrivés se tenaient immobiles dans leur coin, invisibles à tous, et Jean-Mathurin se demandait bien quel tour lui réservait encore une fois son compagnon quand un énergique juron de Sa Seigneurie lui fit soudain dresser les oreilles.

- Enfer et damnation ! clamait le seigneur, a-t-on juré de me laisser crever de faim !

- Que Votre Seigneurie prenne patience, répondit le domestique.

Aussitôt arriva un autre domestique portant sur un plateau d'argent plusieurs petits plats couverts.

- Que m'apportes-tu ? demanda le seigneur en guignant d'un œil soupçonneux les plats fumants.

- Ce soir de veille de Noël, le médecin vous permet, en plus du biscuit et du verre de lait habituel, une assiette de gruau.

Le domestique n'acheva pas ses paroles car le seigneur, oubliant son attaque de goutte, se leva d'un bond de son fauteuil et asséna un formidable coup de canne au plateau en envoyant voler les plats à tous les coins de la chambre. Le pauvre serviteur se courba pour les ramasser mais le seigneur fit pleuvoir sur son dos une grêle de coups en hurlant :

- Cornes du diable ! Corbleu ! On me donne du gruau. La peste t'étouffe avec ta
tisane ! Ventre-saint-gris, c'est un salmis de canard qu'il me faut ce soir et avec du bourgogne ! Tu entends, suppôt d'enfer ? Ah ! tu m'apportes du gruau pour mon souper de Noël !

Et les coups de canne de pleuvoir avec un redoublement de fureur sur le pauvre serviteur qui tentait de se protéger du mieux qu'il pouvait avec le plateau d'argent.

Attirés par le bruit, les gens d'en bas accoururent avec, à leur tête, madame la seigneuresse elle-même et ses deux filles. Elles eurent toutes les peines du monde à coucher Sa Seigneurie dans son lit, elle dont les traits convulsés et la bouche couverte d'écume témoignaient de la violence de la crise par laquelle elle venait de passer.

- En bien, demanda Rikiki à Jean-Mathurin, t'y mets-tu, oui ou non, à sa place ?

- Allons-nous-en, fit ce dernier. Je te tiens quitte.

- Et d'un, observa Rikiki.

Jean-mathurin et Rikiki redevinrent visibles et enfourchèrent Fend l'Air pour retourner à Saint-Denis. Au bout d'un certain temps, Jean-Mathurin dit :

- Ah ! On peut dire qu'il jure en grand celui-là ! Quel discours !

- Un homme dans sa position ne peut se contenter d'un pauvre « batêche »* comme toi. Il a des mots à sa hauteur, le seigneur de Saint-Charles.

- Et moi qui voulais me mettre à sa place ! s'écria Jean-Mathurin. J'aime mieux m'occuper de l'élixir.

Fend l'Air reprit son train d'enfer et Rikiki le mena dans une sorte de chemin perdu qui avait l'air d'aller nulle part. Au bout, une pâle lumière clignotait dans une petite maison basse. Rikiki arrêta son cheval devant la maison et Jean-Mathurin s'écria :

- Mais, c'est la maison du père Corriveau ! Et mon élixir ?

- Tu vas l'avoir, fit Rikiki, et tu vivras tant et tant que le ménage Corriveau te semblera de la première jeunesse. Tiens, approche de la fenêtre et regarde ces vieux-là ! Hein ? C'est beau la vie !

Jean-Mathurin mit son nez à la fenêtre. Il vit devant la cheminée un homme et une femme tous deux si courbés, si maigres et si ratatinés qu'on aurait pu croire que leurs os allaient bientôt se rejoindre et dégringoler par terre. La peau sur leurs os étaient jaune comme un vieux parchemin et sur leur crâne se dressaient quelques touffes de cheveux blancs. Les yeux avaient un regard d'une fixité effrayante. La femme était assise et l'homme debout parlait tout haut. Rikiki et son compagnon tendirent l'oreille.

- Encore un Noël, ma femme , disait le vieux, où le bon Dieu n'a pas voulu de nous. Quand donc viendra-t-il nous chercher, depuis le temps qu'on l'attend ? Nos enfants sont tous partis et maintenant, personne ne s'occupe de nous. Ah ! quel malheur. Même la mort nous oublie...

Rikiki se sentit tiré par un pan de son manteau.

- Allons-nous-en ! souffla Jean-Mathurin.

Ils quittèrent donc la maison. Rikiki ne cachait pas son enthousiasme :

- Ah ! c 'est beau de vivre vieux. Te vois-tu débriscaillé* comme ce vieil homme, toi qui fauches encore tes deux arpents entre les deux soleils ? Tu vas battre, avec l'élixir, les cent ans bien sonnés du père Corriveau.

- Assez de l'élixir. Je te tiens quitte aussi de ce souhait-là, cria Jean-Mathurin. Je préfère aller retrouver tous mes gens au cimetière quand mon tour sera venu. Si le troisième souhait qu'il me reste n'est pas plus drôle, j'aime autant m'en retourner chez nous.

- Pas du tout ! lança le lutin. Le dernier souhait, j'y tiens. Tu en seras si heureux que tu en crieras d'aise.

Et comme le lutin faisait mine de détaler sur Fend l'Air sans l'emmener, Jean-Mathurin cria :

- Bougre de sort ! Tu ne vas pas me laisser sur le chemin sans monture ?

- La marche au grand air te fera du bien, répondit Rikiki. Tu trouveras ton cheval à l'écurie. Bonne nuit !

Jean-Mathurin eut beau pester et tempêter, le lutin disparut avec son cheval dans la nuit.

Notre homme mit près d'une heure avant d'atteindre le dernier bout de la route qui menait chez lui. Il se doutait bien que l'heure était tardive et il se dépêcha car il lui fallait aller chercher Julie et ses trois petits pour les mener à la messe de minuit.

Un froid sec et piquant le talonnait et il ressentait une jolie rage contre le lutin qui lui avait fait rater deux souhaits sur trois et qui maintenant le laissait en plan sur la grande route en plein cœur de minuit.

Tout à coup il ressentit un élancement à la joue comme si on lui avait enfoncé une aiguille dans la chair. Surpris, il s'arrêta net et se tint le visage dans la paume.

« Le froid, sans doute, pensa-t-il, ou quelque rhumatisme. » Il accéléra la marche car il lui tardait d'arriver à la maison. Il n'avait pas fait trente pas qu'un second élancement le cloua sur place. Cette fois, c'était un coup d'épée qui lui transperçait la joue. Il se tint la tête à deux mains en gémissant. La douleur lui serrait la mâchoire et il ne put s'empêcher de crier :

- Aïe ! Aïe ! qu'est-ce que j'ai là !

Puis, soudain, il se souvint de sa femme qui s'était ainsi lamentée à tous les saints un soir d'hiver, aux prises avec un méchant mal de dents. Mais ce n'était pas possible : ses trente-deux dents étaient bien saines ... et pourtant l'horrible douleur le tenaillait. Tout en continuant de souffrir il se mit à imaginer que c'était peut-être encore un tour de Rikiki. À cette pensée, il redoubla de rage.

- Ah ! le galapiat ! Si je le tiens, je vais lui tordre le cou ! Il courut d'une seule traite jusqu'à sa maison dont il ouvrit la porte d'une violente poussée.

- Qu'est-ce que t'as, mon vieux ? demanda Julie qui finissait d'habiller les petits près de l'âtre.

- Ce que j'ai...

Et il ne termina pas car il venait d'apercevoir, juché sur l'escabeau, cet infernal Rikiki qui riait et riait jusqu'aux pointes de ses petites moustaches et se tapait les cuisses de bonheur, rien qu'à voir la face ahurie de Jean-Mathurin.

- Ah ! mon crapoussin s'écria celui-ci, c'est ce que tu appelles me mettre à l'aise : j'en ai la bouche emportée !

- Attends pour voir...

Rikiki esquiva le coup que lui destinait Jean-Mathurin et demanda :

- Tu te sentirais donc bien heureux si tu étais débarrassé de ton mal ?

- Batêche ! Finiras-tu, un jour, de faire endêver* le pauvre monde ?

- Mais, bougre de bêta, fit le lutin, tu oublies ton troisième souhait. Tu voulais être heureux ? En bien ! c'est fait.

Le mal de Jean-Mathurin disparut subitement et il resta là, au milieu du plancher, les yeux agrandis d'un bonheur indicible.

- N'ai-je pas tenu parole ? Pour bien apprécier ton bonheur, il te fallait d'abord passer par l'épreuve ; et cette épreuve je te l'ai donnée en te gratifiant d'un mal de dents... de cheval ! Et maintenant que te voilà redevenu gai luron comme avant, j'espère que tu feras honneur à mon réveillon ?

Le boudin ! Jean-Mathurin l'avait oublié. Il en avait maintenant l'eau à la bouche. Mais il fallait partir :

- Vite, les enfants, faut y aller !

- À l'année prochaine, fit le lutin qui s'apprêtait à prendre congé.

- Si tu veux, dit Jean-Mathurin. Mais les souhaits c'est fini : Je n'en formulerai plus.
Ah ! ça non, je te le promets.

- À la bonne heure, dit le lutin. Vois-tu, mon cher Mathurin, pour être heureux en somme, rien ne vaut la bonne vieille recette qui consiste à être tout bonnement content de son bonhomme de sort.

Ces paroles dites, Rikiki sauta de l'escabeau et enfilant la cheminée, il disparut dans un peu de fumée.

Le Noël de Jean-Mathurin et de sa petite famille fut, bien que modeste, la plus heureuse des fêtes.

bunni


Bernie et Étincelle

Le soir, lorsque les enfants sont couchés et que la nuit a volé les couleurs dans toute la maison, vient pour les jouets l'heure d'un repos bien mérité.
Finies les guéguerres sur la moquette du salon, les rase-mottes d'avion au-dessus des plantes vertes... Les poupées ferment leurs petits yeux de porcelaine, les dînettes cessent de tintinnabuler, et les petites autos rentrent au garage, sous les franges du canapé. Puis tout le monde sombre dans un profond sommeil.

Mais ce soir, dans la chambre de Kelly et Valentine, bien sagement assis sur une étagère, deux petits jouets ne trouvent pas le sommeil. Deux petits pantins de tissu et de peluche, qui ont le cœur gros ; de ne pas avoir été regardés de la journée, de ne plus plaire et d'être abandonnes, là, depuis des jours et des jours.

Les jouets sont comme ça : ils sont nés pour jouer, ils aiment rire, ils aiment que les enfants les aiment. Quelle tristesse pour eux de se sentir abandonnés !

Eh oui ! Bernie et Étincelle ont le cœur gros ce soir. Il y a trop longtemps qu'ils s'ennuient sur cette étagère, figés dans l'oubli et la poussière.

Bernie ? C'est l'ours en peluche, un bel ours brun, comme ceux de la forêt, avec de beaux yeux ronds et noirs comme du charbon, un gros nœud rouge autour du cou. Avant c'était le roi des jouets, aujourd'hui c'est tout juste s'il ne sert pas de ballon de foot ou de chiffon pour essuyer le tableau.

Étincelle est un petit pantin de tissu, joyeux et turbulent. Dans son bel habit bleu électrique, il brille comme une étincelle. Il a, bien dessiné au coin des lèvres, son éternel sourire de charme, mais le cœur n'y est plus, son habit est passé, et il a le regard triste des jouets abandonnés. Tous deux sont là, blottis l'un contre l'autre, et pensent la même chose : "Il y a tellement de jouets, et il y a tellement de jouets maltraités, ce n'est pas juste qu'il y ait tant de malheureux !"

Alors, un beau soir de pleine lune, Bernie et Étincelle ont décidé de changer leur destin.
Ils sont descendus de leur étagère ; à pas de velours, ils ont traversé la chambre endormie, puis, sans un bruit, se sont glissés par la fenêtre dans le jardin enneigé, pour s'enfoncer dans la nuit froide, ne laissant derrière eux que les traces menues de deux petites peluches fuyant une maison qui ne les aime plus.
Au contact de cet air de liberté, Bernie retrouva les instincts sauvages de ses ancêtres. Et nos petits amis pénétrèrent les bois noirs qui bordaient le village.

La liberté se paya cher ; les premiers jours furent terribles. Transis et fatigués, les deux compères traversèrent des forêts immenses au péril de leur vie.

La nuit, Bernie, avec son épaisse fourrure, protégeait Étincelle du froid, et lorsqu'ils trouvaient du bois sec, Étincelle, qui portait bien son nom, allumait un petit feu.

Il en fut ainsi longtemps. Jusqu'au soir où, alors qu'ils n'en pouvaient plus de fatigue, ils se trouvèrent nez-à-nez avec une pauvre maisonnette, croulant sous un épais chapeau de neige.

Curieux, ils s'approchèrent. Par la fenêtre où filtrait une chaude lueur, ils virent un vieil homme. Qu'il avait l'air vieux avec sa grande barbe blanche, ses longs cheveux bouclés, son habit rouge et ses grandes bottes ! Il était assis devant sa cheminée, l'air bien triste, et de grosses larmes coulaient sur ses vieilles joues.

Comme il avait l'air gentil et bien malheureux, Bernie et son copain s'approchèrent.
- Pourquoi pleures-tu, grand-père ? Pourquoi es-tu si malheureux ?
- Vois-tu petit, répondit le vieux d'une voix chaude, je suis le père Noël des enfants pauvres. Noël n'est plus très loin, et tous attendent que je remplisse leurs souliers. Mais je suis moi-même si pauvre, que je n'ai plus de jouets à leur donner ; je suis un père Noël sans jouets pour ses petits, voilà pourquoi je suis triste.

Bernie devint songeur. "Pauvres gosses", pensa-t-il. Mais il eut soudain une idée géniale qu'il soumit illico au père Noël.
- Formidables, vous êtes formidables !

Le père Noël sautait de joie, dansait, chantait...
- Vite, au traîneau, Noël est dans deux jours, il n'y a pas une minute à perdre, je veux être à l'heure pour ce qui sera le plus beau Noël de mes petits chéris.

Comme une comète, dans un nuage d'étoiles, le beau traîneau rouge et or du père Noël fendit la nuit en direction du village.
Ce qui se passa ensuite n'arrive que dans les contes...

Maison après maison, Bernie et Étincelle invitèrent tous les jouets abandonnés à les suivre. Et l'on vit bientôt, venant de toutes parts, des tas et des tas de jouets escalader le traîneau. Peluches, soldats de plomb, poupées et camions de bois...

Le père Noël fut submergé, et c'est à peine si les rennes purent s'envoler à nouveau avec leur précieuse cargaison.

De retour chez le père Noël, sans perdre une seconde, tout le monde se mit au travail. On sortit colle, peinture, ciseaux, marteaux... Tous se mirent au boulot. L'atelier du père Noël bourdonnait comme une ruche ; on peignait un soldat par-ci, on réparait un avion par-là, ici on habillait une poupée... Les valides aidaient les estropiés et tous ces petits jouets étaient ravis de s'entraider pour retrouver un air de neuf.

Quand Noël arriva, le père Noël avait une hotte pleine jusqu'au ciel de jouets, tous plus beaux les uns que les autres, de quoi faire pâlir d'envie le plus riche des pères Noël.

La fête fut merveilleuse pour tous les enfants pauvres. Debout sur les toits, notre vieux père Noël entendait monter par les cheminées les cris de joie des enfants, ivres de bonheur. Ils étaient heureux et riaient, et les jouets étaient heureux et riaient aussi.

Fatigué mais ravi, le père Noël, à la fin de la nuit rentra chez lui. Mission accomplie ! Mais de nouveau seul, il eut soudain un gros coup de cafard.
- Personne ne fait jamais de cadeau au père Noël, se dit-il, et c'est bien triste, me voilà de nouveau seul jusqu'à l'année prochaine.

À peine avait-il fini sa phrase que nos deux héros apparurent dans la pièce. Et Étincelle annonça :
- Ne sois pas triste père Noël, Bernie et moi sommes décidés à rester avec toi. Et chaque année, nous irons dire aux jouets que l'on abandonne de venir nous rejoindre pour faire le bonheur des petits enfants pauvres.

JP.R

bunni


La surprise des Lutins


Le père Noël s'éveilla en sursaut. Il était tout énervé.
« Oh! Mon Dieu » s'écria t'il.

« Est-ce que j'ai passé tout droit? »

« Ai-je trop dormi? »

« Quelle heure est-il? »

« Noël est-il déjà passé? »

Il gratta sa tête recouverte de ses magnifiques cheveux blancs puis il bondit hors de son lit. Tout excité, le père Noël se dépêcha à enfiler son manteau, ses pantalons et ses bottes.

« Ma tuque. Où est ma tuque? » cria t'il.

 Juste à ce moment, la porte s'ouvrit et la Mère Noël entra. Quand elle vit le Père Noël s'agiter comme il le faisait, cherchant dans tous les coins de sa chambre, elle mit les mains sur ses hanches et éclata de rire très fort.

 « Père Noël, pour l'amour du ciel, qu'es-tu en train de faire? » s'écria t'elle entre ses gros rires. « Je ne t'ai jamais vu t'énerver comme ça depuis la fois où tu es descendu dans une cheminée où le feu n'était pas encore éteint. »

 « C'est pas drôle !» répliqua le Père Noël, s'arrêtant brusquement. « J'ai trop dormi. Là, je suis en retard pour ma tournée de Noël et je ne trouve
pas ma tuque. »

 « Calme-toi, mon cher mari » dit la Mère Noël gentiment. « Tu n'es pas en retard. Il te reste beaucoup de temps avant que tu ne doives partir pour la distribution des cadeaux . Je venais justement te réveiller.  C'est le temps de ton repas
de la veille de Noël. »

 Le Père Noël eut un soupir de soulagement et il tapota doucement l'épaule de sa femme. « Merci beaucoup, ma chère » dit-il chaleureusement tout en se dirigeant vers la salle à manger. Après quelques pas, il s'arrêta.

 « Je serais peut-être mieux d'aller superviser le chargement  du traîneau avant de manger » dit le Père Noël, semblant  inquiet. « Je ne voudrais vraiment pas être en retard. Combien de temps me reste t'il? Ai-je vraiment le temps de profiter de mon repas? Est-ce que je peux prendre mon  temps ou dois-je manger très vite? Quelle heure est-il? »

 Mère Noël plaça une main sur l'épaule du Père Noël et gentiment le poussa vers sa chaise. Lui souriant gentiment, elle lui dit : « C'est le temps de manger maintenant. Détends-toi et déguste ton repas. Il te reste beaucoup de temps avant de devoir partir. »

 Le Père Noël prit une grande respiration , s'assit et commença à manger. Juste comme il finissait d'avaler la dernière cuillérée de la délicieuse soupe au poulet que la Mère Noël lui avait faite, Atchoum et Coquin entrèrent dans la maison. Atchoum était le chef des lutins du Père Noël. Coquin était l'assistant d'Atchoum et le plus petit des lutins.

 « Votre traîneau est prêt, Père Noël » dit Atchoum fièrement.

 « Oui, monsieur, Monsieur le Père Noël, monsieur,» ajouta Coquin.
« Tout est prêt pour partir. »

 « Est-ce maintenant le temps de partir?» demanda le Père Noël bondissant de sa chaise. « Je savais bien que je prendrais trop de temps pour manger. Je suis probablement en retard. Il est probablement minuit passé. J'arriverai jamais à finir ma tournée avant l'aurore. »

 « Père Noël, Père Noël, tu t'énerves encore pour rien» gronda Mère Noël par la porte ouverte de la cuisine.  « Tu as encore vingt minutes avant qu'il ne soit l'heure de partir. Il est seulement 11 :40. Tu as le temps de manger
ton gâteau de Noël. »

 « Ouf!» soupira le Père Noël tout en essuyant ses sourcils ruisselants avec son mouchoir. Puis en se rassoyant calmement, il se tourna vers Atchoum et Coquin. « Merci beaucoup d'avoir rempli le traîneau, » leur dit-il.  « Pourquoi n'allez-vous pas tous les deux dans la cuisine. La Mère Noël va vous préparer un petit casse-croûte et quelque chose
de chaud à boire .»

 « Merci Père Noël , » dit Atchoum.

 « Merci, Père Noël, monsieur, » ajouta Coquin et les deux lutins se dirigèrent
vers la cuisine.
 
 « Wow, Atchoum, Le Père Noël est sûrement très nerveux »  dit Coquin quand ils eurent fermé la porte de la salle à manger.

 « Il l'est toujours à ce temps-ci de l'année» répondit Atchoum.

« Il s'inquiète beaucoup de ne pas arriver à temps pour  Noël. Le Père Noël désire que chaque bon garçon et chaque  bonne fille reçoivent tous les cadeaux qu'ils méritent, Il ne  veut absolument pas qu'aucun d'eux ne soit privé de son  cadeau parce qu'il a pris du retard et qu'il ne peut finir sa tournée à temps. »    

 « Je comprends,» répondit Coquin.

 Quand la Mère Noël vit les deux lutins entrer dans la cuisine, elle leur sourit et leur dit «  Il y a du chocolat chaud et des biscuits sur la table pour vous et les autres lutins. »  

 « Merci, » dirent Atchoum et Coquin tout en s'avançant vers la table.  

 Emportant le pichet de chocolat chaud et le cabaret de biscuits, Atchoum et Coquin sortirent de la maison et se dirigèrent vers la salle de repos, où les autres lutins les attendaient tout en surveillant le traîneau.
 
 « Le Père Noël est vraiment fantastique,» dit Atchoum.  « Il travaille fort durant toute l'année juste pour être capable de donner des cadeaux
aux enfants à Noël. »  

 « C'est l'homme le plus merveilleux de la terre entière, »  ajouta Coquin.

 Juste à ce moment, Coquin s'arrêta brusquement dans le sentier.

 « Qu'est-ce qu'il y a? » demanda Atchoum, s'arrêtant à son tour.

 « Je viens juste de penser à quelque chose qui ne m'avait  
jamais préoccupé avant. »

 « Quoi? » demanda Atchoum intrigué.

 « C'est à-propos du Père Noël» dit Coquin. « As-tu réalisé  qu'il donne des cadeaux à tout le monde mais que jamais  personne ne lui en a fait? »
 
 Atchoum réfléchit une minute.  «Tu as raison, Coquin!» s'exclama t'il.  « Aussi allons-nous lui préparer une surprise, un cadeau de Noël pour lui cette année.  Après son départ pour sa grande tournée, nous réunirons les lutins et  nous déciderons ce que nous allons lui donner. »

 Les deux lutins avaient bien hâte que le Père Noël parte pour sa grande tournée afin de faire part aux autres lutins de leur idée.  Les vingt minutes leur semblèrent une éternité, mais finalement, le Père Noël grimpa dans son traîneau
rempli de surprises.

 « Est-ce maintenant le temps de partir?» demanda le Père  Noël nerveusement tout en prenant la bride pour guider son  attelage de rennes. «Est-ce le temps maintenant? Quelle heure est-il? »

 « Il est exactement minuit » répondit la Mère Noël. « C'est
Noël et c'est le temps de partir, mon cher. »

 « HO! HO! HO! Joyeux Noël» cria le Père Noël à sa  femme. « Joyeux Noël à tous,» dit-il aux lutins rassemblés  autour de son traîneau.  Puis saisissant la bride fermement,  il cria « Allez, Fougueux! Allez, Danseur! Allez, Comète et Fouineur. »

 Les rennes magiques sortirent le traîneau de l'atelier. Quand ils eurent atteint la porte, ils bondirent dans les airs d'un saut puissant. Plus haut, toujours plus haut dans le  ciel montaient les rennes. Plus haut, toujours plus haut  dans le ciel montaient le traîneau et le Père Noël.  En un clin d'oeil l'équipage et son conducteur avaient disparu dans l'immensité du ciel.

 Durant ce temps, la Mère Noël ferma les portes de l'atelier,  souhaita un Joyeux Noël aux lutins et retourna dans sa cuisine.  

 Aussitôt qu'elle fut partie, Atchoum et Coquin appelèrent les autres lutins et tous se réunirent dans un coin.

 « Pourquoi nous réunissez-vous en secret si rapidement? » demanda un lutin appelé Farceur.

 « Tiens bien ta tuque, Farceur »  dit Coquin.  « Atchoum va tout vous expliquer maintenant. »
 
 Atchoum sourit à ses compagnons lutins, puis il leur expliqua à-propos de l'idée d'un cadeau pour le Père Noël. Tous les autres lutins approuvèrent l'idée et se mirent à applaudir.

 « Y a juste un problème, » dit Farceur après que le brouhaha se fut calmé.

 « Oh, Farceur, tu trouves toujours un problème à tout, » dit Coquin.

 « Un moment,» dit Atchoum. « Écoutons-le. Quel est le problème Farceur? »

 « Oui, quel est le problème, Farceur? » répétèrent les autres lutins.

 « Le problème est» dit Farceur, « que pouvons-nous bien offrir au Père Noël.  On ne peut lui donner n'importe quoi. Ça doit être quelque chose qu'il n'a jamais eu et quelque chose qui lui rendra vraiment service. »

 « Hé, on n'avait jamais pensé à ça » dit Atchoum en soupirant.

 « Peut-être que si on se met tous à réfléchir très fort,» dit Coquin, «qu'on trouvera une idée géniale. »

 Et tous les lutins se mirent à réfléchir. Atchoum réfléchissait. Farceur réfléchissait. Coquin réfléchissait. Tous les lutins pensaient, pensaient et pensaient.

 «Nous pourrions lui donner un chapeau melon»  suggéra Farceur.

 « Chou! » répliquèrent tous les lutins en choeur en réponse à l'idée de Farceur.

 « Que diriez-vous d'un long sous-vêtement rouge pour le garder au chaud durant sa longue randonnée? » s'exclama Atchoum.

 « Chou! » répondirent à nouveau les lutins.

 « J'ai trouvé!» s'écria Coquin tout excité. » Je sais exactement ce qu'il faut offrir au Père Noël. Et c'est quelque chose dont il a réellement besoin! »

 « Quoi? » demanda Atchoum.

« Quoi? » s'écria Farceur.

« Quoi? » répétèrent tous les autres lutins.

 Coquin s'approcha d'Atchoum et lui murmura quelque chose à l'oreille. Atchoum sourit puis s'approcha de Farceur et lui répéta dans l'oreille ce que Coquin lui avait dit. Farceur sourit et murmura à son tour dans l'oreille du lutin près de lui et le secret continua à circuler d'une oreille à l'autre entre tous les lutins. Dès que tous furent au courant, les lutins sourirent et donnèrent leur consentement.

 « Bien sûr, tout ça dépend de Curieux,» dit Coquin. Puis se tournant vers l'inventeur qui imaginait tous les jouets à ressorts du Père Noël, Coquin lui demanda, « Crois-tu que tu peux faire ce travail, Curieux? »

 Les yeux de Curieux étincelaient. « Je suis capable » s'exclama t'il tout excité. « Allons à l'atelier et commençons à travailler tout de suite ».

 Avec des cris de joie, tous les lutins suivirent Atchoum, Coquin, Curieux et Farceur à l'atelier. Puis, durant toute la nuit, ils travaillèrent en secret pour préparer la surprise du Père Noël. Finalement, juste comme l'aube se pointait, le travail fut fini.

 « Enveloppons-le vite!» s'écria Atchoum en regardant par la fenêtre. « L'équipage du Père Noël s'en vient pour atterrir! »

 Aussi vite qu'un éclair, Coquin et Curieux enveloppèrent le cadeau du Père Noël et le donnèrent à Atchoum, qui le cacha  derrière son dos. Alors tous les lutins se regroupèrent joyeusement autour du Père Noël qui venait d'atterrir et trouvèrent celui-ci en train d'embrasser la Mère Noël.

 « Joyeux Noël, Père Noël! » lancèrent les lutins pendant qu'Atchoum s'avançait vers lui pour lui remettre son cadeau.

 « Mon Dieu! Qu'est-ce que c'est? » demanda le Père Noël tout surpris.

 « C'est un cadeau de Noël, » dit Farceur.

« C'est de la part de tous les lutins, » ajouta Coquin.

« Nous espérons qu'il vous plaira, » dit Atchoum, grimaçant
d'une oreille à l'autre.  

« C'est quelque chose dont vous avez besoin, » dit
joyeusement Curieux.

« Merci à vous tous, merci beaucoup» dit le Père Noël. » Je me demande bien ce que c'est. » Tout souriant, il retournait le petit cadeau enveloppé dans ses mains.

« Hum! La boîte est aussi longue qu'un crayon et aussi large qu'un dollar en argent. Que peut-il bien y avoir dans ce paquet? Qu'est-ce que ça peut être? De quel cadeau ai-je réellement besoin? »

 « Ouvrez-le» crièrent les lutins. »

 Le Père Noël enleva le ruban puis il retira le papier d'emballage. Quand il souleva le couvercle de la boîte, il trouva à l'intérieur une magnifique montre de poche de Noël  avec une chaîne.

 « Vous la remontez en janvier, » dit Curieux, « et elle va fonctionner jusqu'au mois de décembre».

 « Elle ne fait pas tic-tac, » cria Farceur. « Elle fait ding-dong, ding-dong, comme les cloches de Noël. »

 « Maintenant vous saurez toujours quelle heure il est, »
ajouta Atchoum

 « Et le meilleur de tout ça, » dit Coquin «elle a une alarme  spéciale comme ça vous ne serez jamais en retard pour  Noël. Mais ce n'est pas une sonnerie ordinaire. Cette alarme joue un chant de Noël. »

 Le Père Noël regarda la montre, puis les lutins. Un grand sourire remonta les coins de sa bouche et deux petites  larmes coulèrent sur ses belles joues  quand il murmura, « C'est le plus beau cadeau qu'on m'ait donné! »  

bunni


Le loup sentimental

Lucas vivait heureux, entouré de tous les siens.
     « Je suis grand, déclare-t-il un jour à ses parents. Il est temps que je mène ma vie. »
     « Je savais que ce jour viendrait », soupire son père.
     « Comme tu vas me manquer », s'attriste sa mère.
     « Tu es le soleil de ma vie, dit sa grand-mère en le serrant contre elle. Reviens vite nous voir. »
     « Prends cette montre, bougonne son grand-père. Je sais qu'elle t'a toujours fait envie. »
     « Oh ! non Grand-père, c'est vraiment trop ! »
     « Pas d'histoire, on ne désobéit JAMAIS à son grand-père », rétorque le vieux loup.
     « Nous allons chanter pour fêter ton départ », s'écrient ses jeunes frères qui s'exécutent aussitôt.
Au revoir, grand frère, au revoir !
Cachons notre désespoir !
Chantons, chantons pour oublier
Que tu vas bientôt nous quitter !

     « Allons, fiston, il est temps de partir, dit son père. Tiens, voici la liste de tout ce que tu peux manger. »
     « Et ne te laisse pas trop attendrir », ajoute sa mère.

Lucas quitte la forêt. Bientôt il commence à avoir faim.
     Au détour d'un bosquet, il rencontre une chèvre accompagnée de ses cabris.
     « Qui êtes-vous ? » s'enquiert-il poliment.
     « Je suis la chèvre et voici mes sept petits chevreaux. »
     « Hum, vous figurez en bonne place sur ma liste, constate Lucas. Je vais donc vous manger ! »
     « Dans ce cas, s'écrie la chèvre, tu dois tous nous manger. Sinon, ceux qui resteraient seraient inconsolables. »
     « Je vois, dit Lucas, ému. Mais à la réflexion, je n'ai pas assez faim. Au revoir, madame. »
     Lucas poursuit son chemin.
     « Je n'aurais peut-être pas dû laisser partir un si bon déjeuner », songe-t-il.
     Soudain, il tombe nez à nez avec une petite fille toute de rouge vêtue.
     « Qui es-tu ? »
     « Je suis le Petit Chaperon rouge », répond la petite fille en tremblant.
     « Hum, tu es sur ma liste. Je vais donc te manger. »
     « Par pitié, monsieur le Loup, ne me mangez pas, supplie le Petit Chaperon rouge. Mèr'Grand serait trop triste ! Elle dit que je suis le soleil de sa vie ! »
     Lucas est troublé.
     « Ma grand-mère dit exactement la même chose. Disparais vite avant que je ne change d'avis ! »

Lucas reprend sa route, l'estomac dans les talons.
     « Je suis vraiment trop sentimental », se dit-il.
     Mais il aperçoit bientôt trois porcelets rosés, potelés et grassouillets.
     « Pourvu qu'ils soient sur ma liste ! »
     « Qui êtes-vous, Messieurs ? »
     « Nous sommes les trois petits cochons. »
     « Parfait. Vous êtes sur ma liste, je vais donc vous manger ! »
     « Permets-nous au moins de chanter une dernière fois », implorent les trois petits cochons.
     Lucas acquiesce. Mais en les écoutant, il ne peut s'empêcher de songer à ses frères.
Au revoir, mes frères, au revoir !
Cachons notre désespoir !
Chantons, chantons pour oublier
Que nous allons nous quitter !

     « Filez avant que je ne me ravise », grogne-t-il tout bouleversé.
     « Je suis beaucoup trop sentimental », ronchonne-t-il. Son ventre gargouille de plus en plus.

« AH ! AH ! te voilà ! » fait une voix derrière lui.
     Lucas sursaute. Un petit garçon le dévisage avec aplomb.
     « Qui es-tu ? »
     « Mon nom est Pierre. »
     « Hum, tu es sur ma liste », se réjouit Lucas.
     « Toi aussi, tu es sur ma liste, dit Pierre. J'ai désobéi à Grand-père pour venir te chasser et... »
     « ON NE DÉSOBÉIT JAMAIS À SON GRAND-PÈRE, TU M'ENTENDS ? » hurle Lucas de sa plus grosse voix.
     Pierre, épouvanté, prend ses jambes à son cou.
     « A-t-on déjà vu un loup aussi sentimental ! se désole Lucas. Je n'ai rien mangé depuis des heures. Maintenant, je ne ferais qu'une bouchée de la famille Chèvre, du Petit Chaperon rouge, des trois cochons – sans parler de cet effronté de Pierre ! »
     Tout à ses pensées, Lucas arrive devant une vieille maison délabrée.
     « Avec un peu de chance, je trouverai bien quelque chose à me mettre sous la dent. »
     Il frappe à la porte... qui s'ouvre sur un géant à l'air menaçant.
     « FICHE LE CAMP, SALE BÊTE ! » crie le colosse... et il lui claque la porte au nez.
     Le sang de Lucas ne fait qu'un tour.
     Fou de rage, tenaillé par la faim, il se rue dans la maison... et dévore l'ignoble individu.
     « Ah ! Je n'ai jamais si bien mangé ! » se dit Lucas en se pourléchant les babines.

Soudain, il entend de drôles de gémissements.
     Il lève les yeux et voit, au fond de la pièce, une cage dans laquelle sont enfermés... des petits enfants !
     Il déverrouille la porte.
     « Qui êtes-vous ? »
     « Moi, je suis le petit Poucet, et voici mes frères. Et nous tenons à vous remercier de tout notre cœur ! Grâce à vous, l'ogre ne nous mangera pas ! »
     « Ah ! s'exclame Lucas en riant. C'est votre jour de chance. Sauvez-vous vite ! »
     Puis, sur la liste que lui a donnée son père, de sa plus belle écriture, il écrit le mot : "OGRE".

G.d.P

alouette2

Bravo Bunni pour le choix de ce conte!

bunni

                           

                                                            


Les mots roses et les mots gris


      Un jour, on ne sut trop pourquoi cela arriva brutalement, les mots roses disparurent de la planète.
     Les mots roses ? Ce sont les mots gentils, « Merci », « Après toi », « Je t'en prie », « Tu comptes tellement pour moi ». Des mots si sucrés qu'ils sont comme des fils de barbe à papa dans le cœur. Était-ce l'œuvre du Magicien Gris qui n'aimait que le salé, le piquant, l'amer ? Non... C'étaient les hommes qui préféraient, va savoir pourquoi, les mots piquants, amers, salés !
     À cette époque, sur la Terre, il y avait des boutiques de mots roses et de mots gris. Les marchands de mots roses vendaient des « Je t'aime », « Je pense à toi », « Merci beaucoup », « S'il te plaît », « Après toi, je t'en prie »... Pour les marchands de mots gris c'était plutôt « Crotte de bique », « Face de rat crevé », « Pue-du-bec »...

     Au début, on acheta beaucoup plus de mots roses que de mots gris. Les marchands de mots roses faisaient des affaires, et la Terre embaumait d'une délicieuse odeur de barbe à papa. Les marchands de mots gris se morfondaient, car on ne venait chez eux qu'une ou deux fois par an, pour les grandes brouilles.
     Pourtant, un jour, curieusement, les hommes se mirent à acheter des mots gris. Il y avait la crise de l'emploi, la grève des cœurs. Les patrons achetaient beaucoup de « Allez vous faire voir ailleurs, vous êtes viré, mon vieux », « Merci pour ce que vous avez fait, mais prenez la porte ». Il y avait les guerres entre les familles, les divorces, les couples qui ne s'entendaient plus. La jalousie entre frères, les bouderies... On achetait des « Je ne t'aime plus », des « C'est fini ». Dans les magasins de mots roses, il y avait des invendus de « Merci », de « S'il te plaît », « Je t'en prie », « Je t'aime »...
     – Au diable les mots doux, disaient les hommes. Ils coûtent cher et ne t'apportent rien.
     Les marchands de mots roses, désolés, ne savaient plus où les entreposer.
     Les boutiques roses fermèrent les unes après les autres : « Tout doit disparaître », « Fermé pour cause de deuil », « Soldes en gros », « Quinze mots roses pour le prix d'un ». Mais, même à prix modiques, ils n'intéressaient plus personne.
     Les boutiques de mots gris, elles, prospéraient. Car, c'est bien connu, les vilains mots sont contagieux. Lances-en un dans une cour de récréation, tu en recevras dix ! On créa même des boutiques spécialisées en gros mots, rires gras, insultes noires. Et les marchands gris travaillaient jour et nuit pour dénicher les perles rares, les mots les plus horribles et les plus méchants ! « Hippopotame aux dents noires », « Tu pues la morue », etc.

     Craignant d'être à sec, ce qui arrive en temps de guerre, les gens se mirent à faire des conserves de mots gris. On les congela par douzaines, on les empila dans les placards de la cuisine, dans les armoires, sous les lits.
     Et, hop, à la moindre brouille, au plus petit ricanement, à la moindre querelle, on allait puiser dans son stock : « La ferme ! », « Ta tête en accordéon », « Caille déplumée », « Relent de maquereau », « Haleine d'oignon », « Sinistre crétin », et « J'en passe ».
     Les anniversaires se déroulaient dans les pires insultes. On chantonnait : « Mauvais an-ni-ver-saire, mauvais an-ni-ver-saire » en lançant une bombe de gros mots au milieu de la fête. Chez les grands, pour fêter la nouvelle année, on trinquait avec du jus de chaussettes noires en ricanant :
     – Mon vieux, je te souhaite une année pourrie... Et surtout, une très mauvaise santé !
     Et, quand on ouvrait les cadeaux, c'était un concert de gémissements :
     – Mais comme c'est moche ! Comment as-tu trouvé une idée aussi nulle ? C'est vraiment le cadeau que je redoutais le plus.
     Avant l'école, les enfants se ruaient dans les magasins gris pour remplir leurs poches de gros mots, en prévision de la cour de récréation. Avant les vacances, on venait aussi, chez les grands, remplir ses bagages de mots gris, ricanements imbéciles, que l'on jetait par la portière sur l'autoroute, entre les sandwiches et le café, pendant les embouteillages : « Hé ! face de rat ! T'as eu ton permis dans une pochette-surprise ? »
     Sur Terre, l'atmosphère était glaciale. Le Soleil qui craint l'impolitesse et les volées de bois vert, refusait désormais de sortir. Il se souvenait d'autres temps, où on l'accueillait à bras ouverts :
     – Oh ! Il fait beau ! Comme ça fait du bien ! Merci mon bon Soleil... Oh, mon Dieu, j'adore le Soleil.
     Au lieu de quoi il entendait, aujourd'hui :
     – Fait chaud... Fait trop chaud... Ah là là, keskifait cho.

     Alors, les nuages envahirent le ciel et la Terre sombra dans une période glaciaire. Tout le monde eut froid : on refusa désormais de se déshabiller, on ne faisait plus de câlins, on ne faisait plus de bébés. Comme la Terre était triste, sans fleurs ni mots roses !

     Pourtant, quelque part, un petit garçon ne voulait pas se résoudre aux mots gris. Peut-être parce que, dans sa poche, subsistait un petit mot rose à moitié gelé.
     « Moi, disait Pierre, je ne veux pas de ce monde où plus personne ne chante ; où on ne dit ni bonjour, ni merci, où il fait froid, toujours froid. Je vais revoir le Soleil. »
     Le petit garçon marcha longtemps, escalada des collines gelées, des petites et des hautes montagnes, des volcans éteints. Enfin, après des mois et des mois, fourbu, gelé, épuisé, il arriva tout près des nuages.
     – Toc, toc, fit-il, je cherche le Soleil.
     – Oh oh, dit le nuage en chef, qui avait pris possession du ciel gris. Voyez-vous ça... un petit bonhomme ridicule qui cherche môssier le Soleil ? Mais le Soleil n'y est plus pour personne ! Depuis que les mots gris ont pris le pouvoir, c'est nous, les nimbus et cumulus, qui sommes les chefs.
     Il bomba le torse et lui ferma la porte au nez.
     Le petit garçon s'assit, tout étourdi. Comment se défendre ?
     Il n'avait pas emporté l'ombre d'un mot gris dans sa poche. Alors, il se mit à pleurer.
     Le nuage le regarda, surpris : il n'avait vu personne pleurer depuis longtemps ! Dans cet univers glacial tous les yeux étaient gelés, les cœurs étaient froids.
     – Arrête immédiatement ! gémit le nuage. Sinon je vais faire tomber une averse ! (Car les nuages ont très facilement la larme à l'œil).
     Finalement, chamboulé de l'intérieur, il décida de l'aider.
     – Tiens, lui dit-il. La petite tache jaune, là-bas, c'est le Soleil.

     Pierre ouvrit les yeux et vit, en effet, une boule de billard perdue dans l'étendue bleue : c'était le Soleil qui était en train de disparaître, à force de mauvais traitements.
     À bout de forces, le petit garçon se rendit encore vers la petite boule jaune.
     – Bonjour, dit-il au Soleil. Je suis venu te chercher. Tout est devenu gris sur la Terre. Nous avons froid, nous avons mal. Nous ne rions plus jamais, nous ne disons plus jamais de mots gentils. Il faut que tu reviennes.
     Le Soleil leva un minuscule œil.
     – Il n'est pas question que je revienne. Les impolitesses et les incivilités, ça me tue. Bonsoir, je retourne me coucher.
     – Non ! supplia le petit garçon. On gèle, sur Terre, sans toi ! Nos maisons sont froides et nos cœurs gelés. Reviens, je t'en prie.
     Et le petit garçon sortit de sa poche son petit mot rose tout gelé : « On t'aime. »
     – Mmm, mmm, fit le Soleil qui en eut un peu de rose aux joues. Tu dis cela pour me flatter, n'est-ce pas ?
     – Non, soupira le petit garçon.
     – Évidemment, dit le Soleil en haussant une épaule. Évidemment ! Comment vivre dans un monde tout noir, où chacun hurle, vocifère ? Où personne ne dit « merci », « s'il te plaît », « c'est très bon », etc. ? Ça fait froid partout dans le cœur. Je me souviens d'une époque... où il y avait des mots roses partout, de la lumière partout dans les cœurs. En tenant la porte, on se disait « merci », et pas « crotte de bique ». Ah, c'était le bon temps.
     Et le Soleil et le petit garçon se mirent à soupirer ensemble, en pensant à la « période rose ».
     – Il faut que tu reviennes, insista Pierre.
     – Je suis d'accord pour un essai, bougonna le Soleil. Mais jette d'abord ces mots roses sur la terre. Ainsi, mon retour sera plus agréable.

     Le Soleil donna au petit garçon tout un stock de mots roses : « Je t'en prie », « C'est vraiment gentil », « S'il te plaît », « Je t'aime très fort », « Mon amour adoré », « Amour de ma vie », « Après toi », etc. Le petit garçon les glissa dans ses poches, dans sa bouche, dans son chapeau, dans son écharpe, dans ses chaussettes, partout ! Autant qu'il pouvait en tenir. Il revint sur Terre et les distribua au petit bonheur la chance.
     Soudain, dans les embouteillages, on se remit à déplier les petits papiers roses : des « Après vous, je vous en prie », « Comme il fait beau, n'est-ce pas ? », « Allez-y, je ne suis pas pressé ! »...
     Dans les cours de récré, on entendit à nouveau des rires gentils, des « Toi, t'es mon meilleur copain », des « Bien sûr, tu peux jouer avec nous, avec plaisir ! »... À la maison, les enfants recommencèrent à dire des mots roses : « Merci, maman », « S'il te plaît », « Excuse-moi, je n'y pensais pas »... Pendant les goûters d'anniversaire, on chantait gaiement, et on se remettait à formuler des vœux de bonheur et de santé pendant les réveillons de fin d'année.

     Le Soleil recommença à briller et à se coucher dans son nuage rose tous les soirs.
     Et, je te le jure, les marchands de mots roses se remirent à faire fortune ! On créa même d'autres magasins spécialisés : en sourires, en soupirs de bien-être, en politesse, en courtoisie, en civilité... Ça fit un peu comme de la barbe à papa dans le cœur.
     Quant aux mots gris, devant tant de bonheur, ils détalèrent de toutes leurs pattes grises et velues. Et quand l'un d'eux venait pointer le bout de son nez, je te le garantis, il ne restait jamais très longtemps...

S.C 

bunni


Au bord de l'étang

Dans les yeux de l'amour, il ne fait jamais nuit. Si, dans les miens, danse un soleil de minuit et que mille étoiles scintillent de gaieté, souviens-toi de l'éclat d'une perle confiée :

La lune, ce soir-là, goutte sa lassitude sur le miroir d'un lac aux pleurs de solitude ; ses rayons d'acier traversent le silence de la nuit immobile et des eaux en dormance. Sur le bord de l'étang, sans malice ni ruse, heureux et complices, un poète et sa muse partagent leurs rimes en rêvant d'infini, en repoussant l'Enfer pour vivre au Paradis.

Sous la buée des jours, sous les vapeurs de pluie, des émaux de lune effacent l'ennui, au-delà de la glace un regard et un coeur, le visage de L'autre et l'envie de bonheur. Ils connaissent le mot qui les associe, ce mot les rapproche mais les éloigne aussi. Tués par les dieux, ils renaissent toujours au pays de l'émoi : deux âmes et l'Amour.

Allongés sur l'herbe, ils sourient à la vie. Le poète amoureux, sortit de sa poche une perle de nacre, la lune en minuscule, qu'il offrit à sa muse au coeur du crépuscule. Comme une vestale, elle veilla sur la perle jour et nuit sans faillir. Poursuivie par les rats, sangsues et charognards, jaloux de son butin, elle s'enfuit pour pleurer.

Et les mois passèrent, entre exils et retours. La perle confiée rayonnait alentours jusqu'au funeste jour où un vent violent l'emporta tout au fond du lac aux sentiments.

Les abords de l'étang avaient perdu leurs charmes. Le poète et sa muse, à leurs mots qui désarment ajoutèrent l'insolence, les adieux dans les yeux et, l'amour engloutit mettait le feu au lac.

C'est l'espoir dans le coeur, l'avenir dans les mains, que le poète retourne, la nuit, respirer son parfum. Il supplie les dieux de lui montrer la route que sa Muse a suivie pendant ses mois de doute. Il leur fait le serment de conquérir son coeur usé et fatigué, noyé sous trop de pleurs, de détruire Narcisse et cesser de se croire le nombril du monde.

Ses voeux, à peine émis, le ciel s'assombrit. Eole éructa sa force et sa furie, les ramures tremblèrent, les flots se déchirèrent sous un doigt de foudre montrant une plaie dans l'eau.

De cette blessure naît un oiseau blanc. Il fixe le poète et lui dit doucement : « Je suis ton égérie, celle que tu réclames ; les dieux m'ont faite oiseau à l'âme d'une femme. Quand tu sauras m'aimer, femme je reviendrai, dans tes bras je mourrai, dans tes yeux je vivrai. »

Ne me demandez pas la fin de cette histoire mais, aux abords de l'étang, il paraît que le soir....

M.

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bunni



LA PETITE HISTOIRE...

...DES CRÊPES


Sortons nos binocles de savant pour vous narrer l'histoire de la crêpe de l'Antiquité à nos jours. Eh oui, la crêpe n'est pas née de la dernière pluie ! Même s'il faut bien avouer que son ancêtre romain n'avait pas grand-chose à voir avec la fine crêpe à la farine de froment qu'on déguste volontiers à la Chandeleur ou en d'autres occasions. C'était alors une bonne grosse galette mitonnée à l'aide des céréales du coin qu'on mélangeait à de l'eau.

L'ancien français parle ainsi de «crespe» pour se référer à une pâtisserie dont le genre n'est pas franchement bien défini...  Au XIIIe siècle on trouve par exemple la mention d'une préparation qui mélange des œufs, du beurre ou de la graisse, de la farine et sans doute du sel, parfois du vin... Ragoûtant, non ? Et pourtant, cela peut à l'époque servir de bout de pain quotidien !

Pendant ce temps-là, en Europe, le sarrasin est ramené d'Orient : même si on l'appelle aujourd'hui blé noir, il y a tromperie sur la marchandise puisqu'il ne s'agit pas d'une céréale mais d'une plante ! Arrivée sur notre continent à la fin du Moyen-âge, cette «plante des cent jours» qui fleurit en trois mois apprécie les sols acides et humides. Au risque de déplaire aux Normands et Bretons, c'est donc par chez eux qu'on la cultive le plus !

Mais la Bretagne n'a pas le monopole du sarrasin puisqu'on le produira aussi en Auvergne, dans le Limousin ou même dans les Pyrénées.

Autant de régions ayant chacune leur galette ou crêpe de sarrasin : en Auvergne on trouve ainsi le bourriol, aliment de base du travailleur de la région, tout comme la galette bretonne qui est le plat du pauvre ou du paysan... avant que la galette-saucisse n'envahisse les stades de foot aujourd'hui!

En tous cas, à l'époque, pas de fioritures ni de garniture, galettes et crêpes se mangent telles quelles, jusqu'au XIXe et XXe siècles où l'on y sème toutes sortes de gourmandises.

La légende voudrait par exemple que la crêpe Suzette soit née à la fin du XIXe siècle d'un accident de cuisine dans un palace de Monaco, en présence du Prince de Galles et de son amie Suzette, qui aurait donné son nom au délice sucré !

Glace, chocolat, amande, la complète,... Aujourd'hui la crêpe, salée ou sucrée, blé noir ou froment, se déguste à toutes les sauces ! Et l'on ne va pas se crêper le chignon pour savoir qui de la galette au sarrasin ou de la crêpe au froment était là en premier : origines communes et terroirs variés font évoluer les recettes au fil du temps. Alors pensez juste à tenir une pièce de monnaie dans la main pendant que vous les faites sauter dans la poêle, il paraîtrait que ça porte bonheur...

CP.

bunni


Le carnaval de Météo-citrouille

Aujourd'hui, c'est Carnaval. Tous les enfants se sont déguisés et défilent dans les rues en jetant des confettis dans tous les sens. La fanfare accompagne le cortège d'une musique tonitruante. Batman et Blanche-Neige se donnent la main, tandis qu'un peu plus loin, Robin-des-bois poursuit en courant un petit fantôme tout blanc qui se prend les pieds dans son grand drap. Quant au marchand de barbe-à-papa, il regarde le ciel d'un air inquiet car, juste au dessus du défilé, un énorme nuage noir rempli de pluie menace la fête.

C'est Météo-citrouille, la sorcière des nuages. Confortablement accoudée sur le rebord de son étrange vaisseau flottant, elle est venue assister à l'évènement. Du haut de son nuage, elle reste bien cachée mais ne perd pas une miette du spectacle. La sorcière a bien vu que le marchand de barbe-à-papa la regardait d'un air effrayé et elle en est très heureuse. Elle se demande précisément si elle ne va pas s'amuser à pleuvoir quelques grosses gouttes, juste sur lui...

Mais elle n'a pas le loisir d'y réfléchir davantage car, tout à coup, un étrange et puissant grondement résonne dans le ciel, tout près d'elle. A peine Météo-citrouille a-t'elle le temps de se retourner, que le nez d'un énorme avion heurte son nuage et le renverse. La sorcière bascule dans les airs, suivie de son fidèle balai qui tournoie dangereusement au-dessus de sa tête. Elle vole longuement dans le ciel, avant d'atterrir avec un grand "plouf !" dans la cuve de barbe-à-papa au dessus de laquelle elle s'était garée. La voilà toute rose, des pieds à la pointe crochue de son chapeau !
- " Saperlipopette !!! vocifère la sorcière en colère. On n'a jamais vu un pilote d'avion aussi stupide !!! De quoi est-ce que j'ai l'air maintenant ? " Et, relevant à pleines mains sa jupe couverte de fraise, elle enjambe le bord de la cuve sous les regards admiratifs des enfants.
- " Ouah ! Il est chouette ton déguisement !, dit une petite indienne avec des yeux émerveillés, comment as-tu pu faire ça ? "
- " Je suis sûr que c'est sa maman qui a tout fait ! " rétorque un Mickey décoloré, visiblement jaloux.
Météo-citrouille n'en croit pas ses oreilles. Ces petits vauriens croient donc qu'elle fait partie du défilé ! Comme si elle était déguisée ! Furieuse, à grandes enjambées, elle se glisse dans le cortège en laissant derrière elle de grosses empreintes de barbe-à-papa. Les enfants sont ravis.

La sorcière est très embêtée. Dans sa chute, elle a perdu son balai, et sans lui, il lui est impossible de remonter sur son nuage. Il lui faut à tout prix le retrouver. En avant, en arrière, à gauche, à droite, elle tourne dans tous les sens à la recherche de son précieux compagnon quand, soudain, un grand monsieur se dresse devant elle, les deux poings plantés sur les hanches.
-" Ecoute, ma petite demoiselle, ce n'est pas parce que tu portes ce joli déguisement que tu dois faire n'importe quoi ! Si tu veux continuer à défiler, tu dois suivre les autres et marcher dans le même sens... Sinon, je vais être obligé de demander à tes parents de te ramener à la maison... "
Cette fois, Météo-citrouille commence vraiment à bouillir. Elle a bien envie de montrer à tous ces imbéciles qu'elle est une vraie sorcière, et de les transformer pour de bon en gros crapauds bien baveux...

Heureusement pour eux, au beau milieu du défilé, elle aperçoit soudain son cher balai, dans les mains d'une petite fille qui lui ressemble un peu, avec un grand chapeau pointu et une robe noire pleine de toiles d'araignée. Aussitôt, elle bondit dessus et arrache le balai des mains de la fillette qui se met à hurler et à la traiter de voleuse.
"Est-ce que ce ne serait pas cela que tu cherches ma petite ? - "Vite, pense Météo-citrouille, quittons ce détestable endroit !" Cependant, elle a beau faire et murmurer mille formules magiques, le balai refuse net de décoller. Ce n'est pas le sien. La sorcière se sent très bête et tout le monde commence à la regarder d'un drôle d'air. Les ennuis ne vont pas tarder, il serait vraiment temps pour elle de regagner son nuage. D'ailleurs, le grand monsieur qui l'embêtait tout à l'heure vient à nouveau vers elle. Il est très rouge et ses grandes moustaches tremblent à chacun de ses pas.
-"Est-ce que ce ne serait pas cela que tu cherches ma petite ? lui demande-t'il très gentiment en lui tendant un balai tout à fait semblable à celui qu'elle vient de lâcher. Je l'ai trouvé planté dans le parasol du marchand de barbe-à-papa... Décidément, je trouve que tu fais bien des bêtises aujourd'hui..."

Puis le grand monsieur tapote avec bienveillance la joue sucrée de Météo-citrouille qui n'en revient pas. Elle qui croyait faire peur ! Elle n'ose pas imaginer ce que pourraient penser ses copines en la voyant dans une telle situation...

La sorcière dépose un gros baiser collant sur la bonne joue rouge du grand monsieur, puis enfourche dignement son balai et, à la stupeur de tous, s'envole dans le ciel... Une bonne odeur de fraise traverse un instant les airs tandis que la petite bonne femme toute rose disparaît derrière son énorme nuage rempli de pluie.

Depuis ce jour, tous les ans, les enfants attendent le retour de celle qu'ils ont appelée la sorcière Carnaval. Le marchand de barbe-à-papa est devenu très riche et le grand monsieur moustachu parle tout seul dans les rues en regardant les nuages. Quant à Météo-citrouille, elle n'aime plus du tout assister aux défilés du Mardi-Gras et prend désormais bien garde de ne pas croiser la route des avions...

V.C