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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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alouette2

                               
                     Mots passants, mots perdus

Perdu dans tes pensées, cherchant partout tes mots
Passant, n'oublie pas que notre vie est brève.
Passant, la route est longue . Il n'est jamais trop tôt
Pour retrouver les mots naguère prononcés
Et aujourd'hui perdus

Passant ton pied soulève du chemin la poussière
Le ciel est embrumé de souvenirs perdus
Les mots que ton amie a prononcés en rêve
Tu croiras, pour de vrai, les avoir entendus. 

                                 ** ** **

                             (exercice de style)

bunni


La brocanteuse des mots

Depuis toujours, Eloïse avait la passion des mots.

Son premier contact avec des mots dignes d'intérêt eut lieu grâce aux contes du soir. Ce furent d'abord la princesse dans sa robe de satin, le prince et son fier destrier, les châteaux envahis de ronciers. Puis avec la lecture, elle découvrit que les personnages qui attisaient son imagination ne portaient pas le même nom que tout le monde. Le loup avait un « p », signe de sa pyrophobie, la charmante fée ne se défaisait jamais de sa gracieuse féminité grâce à ce « e » surnuméraire, quand à la clé du donjon, elle la préférait largement dotée d'un « f », qui allait vraiment mieux à la barbe terrifiante de Barbe Bleue. Elle aimait déjà beaucoup les petits points insolents de son prénom mais pris la ferme décision de rajouter un beau H en tête. Héloïse, voilà un prénom qui avait de l'allure.

Ainsi commença sa quête des mots extraordinaires. Par exemple, elle aimait que le bruit du vent dans le carillon tintinnabule. Non qu'elle ait à ce point l'oreille musicale, c'était plutôt l'idée qu'il soit possible, à la fois de tinter et de buller qui la faisait rêver. L'étymologie la concernait peu, mis à part l'attrait évident d'un tel mot, garant de tant de mystères révélés... Rien ne l'attirait plus que les mots inconnus dont elle pouvait à loisir inventer le sens... Sa grand-mère couturière l'approvisionnait en termes fabuleux : qu'était-ce que le plumetis ? Elle rêvait déjà d'un envol de plumes mordorées pour sublimer les plus beaux chapeaux. Sans parler du passepoil qu'elle n'osait prononcer, un mot à la fois obscène et désopilant, qui la faisait rougir et rire intérieurement. Une fois le sens du mot découvert, c'était une grande joie, comme pour fantasmagorie, tout à fait à la hauteur de son imagination, ou bien alors une cruelle désillusion... Elle se souvient encore de son amère déception après la découverte de ce qu'était vraiment l'arithmétique... Un mot scandé, merveilleux, douze lettres, presque un alexandrin de signes, pour nommer l'univers des fonctions arides, des intégrales froides, des théorèmes absurdes. Finalement seule la tangente de la géométrie la tentait pour l'évasion instantanée qu'elle suggérait... Elle voyagea pourtant peu : elle préférait rêver à des contrées étrangères plutôt que de les connaître en vrai... L'Equateur allait peut-être se révéler aussi décevant que le plumetis, alors mieux valait imaginer Quito qu'être aussi triste que le jour où elle avait découvert qu'il s'agissait juste d'un motif de broderie.

Quand elle croisait un mot exceptionnel, elle le répétait à l'envie dans la conversation; ses parents s'en amusaient, ses amis l'écoutaient d'une oreille indulgente sans toujours la comprendre ; bientôt elle réalisa que cette passion devait rester privée. Elle commença alors à écrire ses mots préférés sur de jolis petits papiers, puis à les entreposer dans de grands bocaux transparents. Ainsi se constitua une collection de mots, faite de vraies strates géologiques : tout au fond ses découvertes d'enfants, carambolage, ornithorynque, scintiller, puis ses obsessions orthographiques, appât, forêt, hôte, et puis sur le dessus les mots désuets et ravissants qu'elle ne pourrait plus jamais utiliser, babillement, philatélisme, niguedouille. Ceci devint son loisir secret.

Et puis un jour elle décida de devenir brocanteuse (métier qu'elle avait en tête depuis l'enfance, pensant qu'il y avait forcément un lien avec la brodeuse, la carafe à décanter et ce merveilleux accessoire oublié, le broc à eau). Quand elle su qu'il s'agissait de vendre des meubles qui avaient déjà vécu, et si possible de raconter leur histoire, elle se dit qu'elle pourrait sans doute être heureuse. Elle commença donc par des meubles, puis des objets : des coiffeuses volantées de dentelles, de la porcelaine ornée d'arabesques arachnéennes, des tableaux bucoliques et champêtres. Chaque nouveau client était une occasion de se perdre dans la beauté du vocabulaire. En réalité, elle s'aperçut qu'elle ne faisait pas commerce de meubles mais de mots. Et il y avait urgence. Ses amis qui la regardaient d'un air amusé il y a dix ans ne communiquaient plus avec elle que par textos syllabiques, les livres et leurs pages granitées avaient été remplacés par des liseuses aseptisées, ses parents eux-mêmes avaient renoncé aux belles cartes postales, témoignages d'un monde oublié.

Elle libéra donc des étagères et y entreposa ses précieux bocaux. Ainsi vinrent de nouveaux clients : un amoureux transi à qui elle donna le papier « dulcinée », un enfant à la recherche d'un bel animal à qui elle lui proposa le « paon », un hypochondriaque à qui elle conseilla une « balnéothérapie » et qui sortit guéri, rien qu'en prononçant le mot. Autant de clients qui repartirent avec un petit papier dans la main, tel un sésame pour affronter la vie et son effroyable modernité.

Héloïse ne rencontra pas de prince avec qui partager sa passion des mots, peut-être l'attendait-il à Quito. Elle continua cependant depuis sa boutique à saupoudrer ses phrases de mots merveilleux et pendant un siècle on vint de loin pour goûter au pouvoir des mots, enfermés dans de si jolis bocaux.

L. M. G.

bunni


Le secret des oeufs de Pâques

Il était une fois un petit pays tranquille où, lorsque le printemps s'annonçait, les gens, dans chaque village, organisaient un grand marché. Ils enfilaient leur costume de fête et s'installaient sur la place principale pour vendre ce qu'ils avaient produit de meilleur ou de plus beau :
des couronnes de brioche ou de pain doré,
des oeufs,
des outils de bois sculpté,
des ceintures de cuir ...
La nature elle-même participait à l'événement. Les pommiers s'habillaient de blanc, les papillons défroissaient leurs ailes et les fleurs leurs pétales.
Un jour, au centre d'un de ces villages, comme d'habitude à cette époque, des fermières comparaient les oeufs de leur poulailler. C'était à qui aurait les plus gros, les plus ronds ou les plus blancs.
Seule une vieille femme se taisait. Elle ne possédait pour toute fortune qu'une petite poule maigrichonne qui ne lui avait donné que trois petits oeufs pas plus gros que des billes.

La vieille femme soupirait :
Je suis pauvre, ma poulette, que je t'ai mal nourrie et que tes oeufs sont tout juste bons à offrir aux enfants pour jouer aux billes.
Comme il faut cependant que je vende quelque chose afin de gagner quelques sous, c'est toi que je vais être obligée de mettre à l'étalage...

A ces mots, la petite poule se mit à crier :
Pitié, ma bonne dame ! Je ne veux pas finir rôtie. Si vous me gardez, je vous promets de pondre l'année prochaine les oeufs les plus extraordinaires !

La vieille femme n'en crut rien, mais elle se laissa attendrir et rentra chez elle avec sa poulette. Une année passa. Et la vieille femme, de plus en plus pauvre, n'avait que quelques poignées de riz à donner à sa petite poule en guise de nourriture.
Le jour du marché approchait et la petite bête dépérissait. Elle comprit qu'elle ne pouvait pondre des oeufs plus gros que ceux de l'an passé et , désespérée, elle alla se cacher dans un champ pour se lamenter :
Que vais-je devenir si je ne suis pas capable de donner à ma maîtresse que trois petits oeufs tout juste bons à offrir aux enfants pour jouer aux billes ? Cette fois, elle sera forcée de me vendre, et je finirai dans l'assiette d'un gros fermier !
Tout à sa peine, elle ne se rendit pas compte que les fleurs et les papillons l'écoutaient
Nous ne laisseront pas faire cela ! chuchotèrent-ils.
A la nuit tombée, les fleurs se couchèrent sur le sol, formant une sorte de litière multicolore au creux de laquelle se blottit la petite poule. Puis les papillons étendirent leurs ailes sur elle comme une couverture bruissante et bariolée.
Au matin, lorsqu'elle se réveilla, la poulette se sentit fraîche, dispose, et même si ragaillardie qu'elle se mit à chanter et pondit une demi-douzaine d'oeufs.
Et ces oeufs-là n'étaient pas ordinaires ! Ils n'étaient toujours pas bien gros, mais ils possédaient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Et même, à y regarder de près, on pouvait voir sur leur coquille de très jolis dessins comme on peut en admirer sur les ailes des papillons.
Toute heureuse, la petite poule courut chercher sa maîtresse. Celle-ci examina les oeufs un par un avant de les ranger dans son tablier :
Tu as tenu ta promesse. Ce sont bien les oeufs les plus extraordinaires que l'on puisse voir ! J'ai eu raison de ne pas te vendre !

Le jour du marché, les oeufs de la vieille femme attirèrent les curieux. On se bouscula pour les acheter et la pauvre fermière récolta plus de pièces d'argent qu'elle n'en avait jamais eues dans sa vie.
Depuis ce jour, chaque année, dans ce petit village, puis dans tout le pays, et même dans les contrées voisines, les gens essayèrent de copier les oeufs de la vieille dame en peignant et décorant les leurs. Mais ils ne réussirent jamais à les égaler en couleurs et en délicatesse, car la petite poule, les fleurs des champs et les papillons gardèrent bien leur secret.
C'est ainsi que, chaque année, lorsque s'annonce le printemps, on prit dans ce petit pays et ensuite dans le monde entier l'habitude de décorer les oeufs ....

bbchaton

La Princesse au petit pois


Il était une fois un prince qui voulait épouser une princesse, mais une vraie princesse. Il fit le tour de la Terre pour en trouver une mais il y avait toujours quelque chose qui clochait ; des princesses, il n'en manquait pas, mais étaient-elles de vraies princesses ? C'était difficile à apprécier ; toujours une chose ou l'autre ne lui semblait pas parfaite. Il rentra chez lui tout triste, il aurait tant voulu rencontrer une véritable princesse.
Un soir, par un temps affreux, éclairs et tonnerre, cascades de pluie que c'en était effrayant, on frappa à la porte de la ville et le vieux roi lui-même alla ouvrir. C'était une princesse qui était là, dehors. Mais grands dieux ! de quoi avait-elle l'air dans cette pluie, par ce temps ! L'eau coulait de ses cheveux et de ses vêtements, entrait par la pointe de ses chaussures et ressortait par le talon... et elle prétendait être une véritable princesse !

« Nous allons bien voir ça », pensait la vieille reine, mais elle ne dit rien. Elle alla dans la chambre à coucher, retira toute la literie et mit un petit pois au fond du lit ; elle prit ensuite vingt matelas qu'elle empila sur le petit pois et, par-dessus, elle mit encore vingt édredons en plumes d'eider. C'est là-dessus que la princesse devait coucher cette nuit-là. Au matin, on lui demanda comment elle avait dormi.
« Affreusement mal, répondit-elle, je n'ai presque pas fermé l'œil de la nuit. Dieu sait ce qu'il y avait dans ce lit. J'étais couchée sur quelque chose de si dur que j'en ai des bleus et des noirs sur tout le corps ! C'est terrible ! »

Alors ils reconnurent que c'était une vraie princesse puisque, à travers les vingt matelas et les vingt édredons en plumes d'eider, elle avait senti le petit pois. Une peau aussi sensible ne pouvait être que celle d'une authentique princesse.
Le prince la prit donc pour femme, sûr maintenant d'avoir trouvé une vraie princesse, et le petit pois fut exposé dans le cabinet des trésors d'art, où l'on peut encore le voir si personne ne l'a emporté. Et ceci est une vraie histoire.

bunni


Sur les pas de la nature

Il existe en Bretagne, au plus profond de la forêt de Carnoët, un tout petit village dont les maisons sont faites de bois, de feuilles et de fleurs. Leur toiture, elle, est en paille, pour accueillir les oiseaux et offrir un berceau aux oisillons. Le village se fond dans la forêt ; lui et la forêt ne font qu'un. Découvrons maintenant qui habite ces charmantes maisonnettes...

Au milieu de la nature, protégé par les arbres, ce petit village est peuplé d'enfants venus du monde entier, des quatre coins du globe comme on dit bizarrement. Des visages blancs, noirs, jaunes, rouges, se mélangent à la faune et se confondent avec la flore. Ici, tout le monde est différent et tout le monde se ressemble, car si les dents ont la même couleur chaque sourire est unique. Parmi ces sourires, il y a autant de petites filles que de petits garçons...

Les petites filles portent de jolies robes d'un jour, faites de mille pétales multicolores. Ces robes ont été confectionnées par leurs amies les araignées, qui sont, comme chacun le sait, de talentueuses couturières. Qu'elles sont belles et rayonnantes ces petites filles dans leurs robes aux couleurs de l'arc en ciel ! Quand elles se tiennent la main, on dirait un champ de fleurs au milieu de la forêt...

Les petits garçons, eux, arborent fièrement des costumes de feuilles mortes, amidonnées à la bave d'escargots. Qu'ils sont beaux ! Qu'ils ont l'air fort ces petits garçons dans leur costume ! Ils ont la majesté des grands arbres. Merci les arbres, les fleurs, les araignées et les gastéropodes de permettre aux enfants de s'amuser dans de si beaux apparats ! Tous les yeux de la forêt peuvent ainsi en profiter.

En effet, chaque après-midi, les fillettes et les garçonnets, main dans la main, forment une ronde, rient, chantent, jouent sous le regard amusé de leurs amis et voisins, les animaux, les insectes, les plantes, bref tous les habitants de la forêt. On commente la tenue des enfants, on rigole en les regardant jouer. C'est la distraction de la journée. Mais à quoi jouent-ils précisément ces fillettes et garçonnets ?

Les enfants, pour amuser la galerie, imitent la façon de marcher des animaux vivant dans la forêt. C'est leur jeu préféré ! Tous, ensemble, à l'unisson, prennent le même pas. Par exemple, pour imiter le cerf, les enfants courent en se penchant sur le côté. Ce qui provoque un éclat de rire général chez les biches et les faons. N'est-ce pas ainsi que court le cerf dans la forêt ?! Trouvez le temps, un jour, de l'observer gambader ; vous verrez, les enfants le connaissent à merveille.
Et ainsi les enfants deviennent cerf...

Pour imiter la vipère, les enfants ondulent en marchant. Leurs têtes restent droites, seuls leurs épaules et leurs torses sont en mouvement. Ce spectacle met en appétit les pics noirs et les rouges gorges perchés sur une branche d'un vieux chêne. Les mulots, eux, frissonnent, quelque peu effrayés par l'imitation d'un serpent.
Et ainsi les enfants deviennent vipère...

Pour imiter les crapauds, les enfants sautent les pieds joints en gonflant les joues. « Cowa cowa » prononcent-ils en étouffant un fou rire. Sous le regard compatissant des grenouilles, les crapauds, vexés, s'empourprent de honte.
Et ainsi les enfants deviennent crapauds...

Certains enfants imitent des animaux qui ne vivent pas dans la forêt de Carnoët mais ailleurs, dans d'autres pays lointains. Il y a le lion, par exemple, que les enfants imitent en marchant sur la pointe des pieds puis en sautant furtivement en avant. Ils grimacent et rugissent en cœur. La démarche est nonchalante, à l'instar de tous les félins.
Et ainsi les enfants deviennent lion...

Pour imiter l'éléphant, les enfants marchent d'un pas lent et lourd. Ils simulent la trompe avec leur bras. Sous le poids de leurs pieds, on entend BOUM BOUM comme un vrai pachyderme déambulant dans sa savane.
Et ainsi les enfants deviennent éléphant...

Les imitations se succèdent ; les enfants deviennent des animaux. Le jeu dure toute l'après-midi, à la grande joie de la forêt et de tous ses habitants. Puis vient le soir et le silence de la nuit. Une journée de joie s'achève ; les rayons du soleil laissent la place à la lumière blanche de la Lune et aux scintillements des myriades d'étoiles. Les enfants s'allongent au sol et regardent le ciel.

Vous l'avez constaté, tout le monde s'amuse dans ce petit village perdu au fin fond de la forêt de Carnoët. La vie, là-bas, est douce et chacun est heureux. Mais dites-moi : aimeriez-vous savoir où se trouve ce village ? Je suis sûr que oui. Eh bien sachez qu'il existe un village semblable dans toutes forêts du monde ! Pour découvrir celui qui vous attend, si cela vous tente, marchez dans la forêt près de chez vous en imitant les animaux qui l'habitent et, peut-être, un jour, vous découvrirez son emplacement. Car voyez-vous, pour connaître les secrets de la nature, il faut savoir marcher sur ses pas...

Cyrano

bunni


Ainsi font font font

Hier matin, dans mon jardin, j'ai voulu planter des choux.

Mais pour le coup, je ne savais pas comment faire ! Heureusement, une poule sur un mur, qui picorait du pain dur m'a dit : « On les plante à la mode à la mode, à la mode de chez nous ». Vous saviez, vous ? Alors je les ai plantés avec le coude et j'ai remercié la poule : je lui ai donné une pomme de reinette... ou une pomme d'api. D'api rouge ou d'api gris ?... Ah oui, gris. Gris souris. Comme la souris verte... qui était grise au départ mais qui a tellement eu peur d'être attrapée qu'elle en est devenue toute verte !

D'ailleurs, j'ai essayé de l'attraper mais elle courait dans l'herbe... et vite hein ! Elle est passée par ici. Alors je me suis dit : elle va faire comme le furet, elle repassera par là ! Et j'ai attendu. J'ai écouté le Coucou dans la forêt lointaine. Il répondait au Hibou. Mais je n'entendais pas bien. Il y avait du vent. Un vent frais, vent du matin, vent qui souffle au sommet des grands pins.

Il faisait même bouger mon beau sapin, roi des forêts. Ceux qui sont déjà venus chez moi le connaissent bien. Il est immense, très haut, avec un tronc énorme et de grandes grandes branches. On y est bien à l'abri quand il fait mauvais. Il peut abriter le grand cerf et le lapin qui se serraient la main, le p'tit cheval dans le mauvais temps, le petit homme Pirouette cacahuète, et les crocodiles qui s'en allaient à la guerre.

Ils auraient mieux fait de rester chez eux ceux-là. Ben oui, ils voulaient attraper l'Alouette ! Ils chantaient dans leurs crocs : « Alouette, gentille alouette. Alouette je te plumerai ! » ! Ils voulaient lui plumer la tête, le cou, le dos, les ailes... ils voulaient la manger oui ?!!!
Alors vite, j'ai appelé le Roi. Le bon roi Dagobert. Mais il avait mis sa culotte à l'envers, et c'est pas très pratique ça ! Et puis il a trainé en route. Il voulait se promener dans les bois pendant que le loup n'y était pas. Et pendant ce temps, les crocos avaient coupé les lauriers !

J'ai préféré partir, avec l'alouette, et le petit homme qui avait une drôle de maison en carton que la pluie avait abîmé. Et nous nous sommes dit : « Nous n'irons plus au bois les lauriers sont coupés, la belle que voilà ira les ramasser ». Mais la Belle ne voulait pas. C'était la Mère Michel qui a perdu son chat. En fait il n'était pas perdu du tout. C'est la Mère Michel qui avait un peu perdu la boule. Alors le petit homme est resté avec elle.

J'ai donc continué mon chemin avec l'Alouette parce que je voulais passer par la Lorraine avec mes sabots. Des sabots tout neufs, tout propres. Pas comme les sabots tout crottés de la pauvre Hélène. En plus les trois capitaines l'ont appelée vilaine. Elle aurait dû les nettoyer à la claire fontaine, là où je me suis promenée. J'ai trouvé l'eau si claire que je m'y suis baignée. C'était très agréable parce qu'en plus, sur la plus haute branche un rossignol chantait... et l'Alouette est partie avec lui !

Il était temps pour moi de rentrer à la maison. J'ai cherché du regard mon point de repère : le moulin. Le fameux moulin qui va trop vite. On a beau le dire au meunier mais il n'entend rien : il dort !

D'ailleurs, il était temps que je dorme moi aussi, parce qu'il faisait nuit. Je n'y voyais plus rien. Juste le clair de la lune et mon ami Pierrot... qui m'a prêté sa plume et sa chandelle pour écrire en quelques mots... cette histoire !

K.

alouette2

Bravo bunni,
Sul' pont des Arts ,prends garde  à ton chapeau!

Fougère

Fable du petit homme qui voulait être plus grand


Il était une fois un tout petit homme qui en avait assez d'être le plus petit des hommes de son village. Un matin, il décida d'aller voir le sage de son village et lui expliqua qu'il voulait grandir et devenir plus fort. Le sage lui montra la plus haute des montagnes et lui dit :
— Tu vois cette très haute montagne là-bas ? Jamais aucun homme n'est parvenu à atteindre son sommet. Si tu parviens à la gravir, tu seras le plus grand et le plus fort des hommes.
Alors, le petit homme se rendit au pied de la montagne et, une fois arrivé, perdit aussitôt tout espoir : elle était si haute et il était si petit, et si faible ! Il repensa néanmoins aux paroles du sage et décida d'essayer tout de même.
Il y avait deux sentiers : l'un était droit et beaucoup plus rapide, l'autre montait en zigzaguant autour de la montagne et semblait beaucoup plus long que le premier. Le petit homme était pressé de devenir le plus grand des hommes, aussi par logique choisit-il le premier chemin, le plus court et le plus rapide. Pourquoi se compliquer la vie ?

Il commença alors à grimper la montagne escarpée, mais au bout d'une heure, il n'eut plus la force de continuer et s'assit sous le soleil. Là, il se lamenta en disant que jamais il ne serait le plus fort et le plus grand des hommes.
Soudain, il entendit une petite voix qui semblât sortir de nulle part :
— Moi, j'ai la réponse que tu cherches.
Surpris, le petit homme chercha autour de lui et aperçut une toute petite coccinelle posée sur un caillou.
— De quoi parles-tu ? lui demanda le petit homme, pris de curiosité.
— J'ai la réponse à ta question... lui répéta évasivement la petite coccinelle.
Et la maligne petite bestiole s'envola quelques mètres plus loin. Le petit homme s'élança aussitôt à sa poursuite, s'éloignant peu à peu de son chemin car il voulait absolument comprendre ce qu'avait voulu dire la coccinelle.
Il la suivit ainsi quelques minutes, jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il trottait sur un nouveau chemin, beaucoup moins escarpé que le premier. Curieux, il voulut de nouveau interroger la petite bête, mais celle-ci avait déjà disparu. Il poursuivit le chemin en inspectant chaque caillou à la recherche de la coccinelle. Il marcha ainsi pendant des heures et des heures, jusqu'à arriver dans un terrible brouillard.
Il s'assit là et se mit à pleurer.
— Je suis perdu ! J'ai perdu la trace de la petite coccinelle et en plus de ça, je n'arriverai jamais à gravir cette montagne : elle est bien trop grande et je suis bien trop petit !
Il ne voyait même plus le sommet avec ce brouillard qui était si épais ! Épuisé, il s'endormit.

Quelques heures plus tard, le petit homme se réveilla et découvrit avec stupeur que le sommet ne se trouvait en réalité qu'à quelques mètres au-dessus de lui !
N'en revenant pas, il grimpa jusqu'au sommet de la montagne et comprit qu'il se trouvait au-dessus des nuages.
— Ce n'était pas si compliqué ! déclara une petitex qui lui était devenue familière.
La petite coccinelle était là, posée sur son épaule.
— Tu as voulu prendre la solution qui te paraissait la plus simple alors tu as choisis le chemin le plus court. En agissant ainsi, tu n'as pas réfléchi : le chemin le plus long était moins escarpé et tu ne t'es même pas rendu compte que tu grimpais. Puis tu as baissé les bras alors que tu étais tout près du but, parce que tu étais persuadé de ne pas y parvenir. En étant trop pressé, on ne prend pas le temps de réfléchir et on fait souvent les mauvais choix. Il ne faut jamais se décourager : rien n'est impossible et il n'y a qu'avec de la volonté qu'on parvient aux sommets. Regarde, tu as relevé le défi et tu l'as remporté : tu es plus fort que ce que tu croyais.
Parfois il faut juste de la persévérance et une bonne dose de courage. Même si le chemin est long et difficile et que cela te paraît insurmontable, il mène toujours au but si tu décides de ne jamais abandonner.
Maintenant te voilà le petit homme le plus haut de tous les hommes
!

bunni




Des mots plein les poches

Motus a cessé de parler le jour où son père est parti. Plus un son n'est sorti de sa bouche. Il est resté longtemps à regarder sur le chemin pour voir si son père revenait. Mais seuls les cailloux étaient visibles et parfois un papillon voletant dans les airs à l'affût de fleurs, sa gourmandise. Les jours passèrent, les semaines, les mois, les saisons. Sur le chemin se déversa la pluie, des feuilles mortes, la neige. Motus continua à se murer dans son silence et personne n'arriva à lui faire prononcer ne serait-ce qu'un seul mot. Alors, au village, on se contenta de ses sourires timides, de ses pleurs, de ses gestes qui devinrent familiers.
Motus était un solitaire et il errait dans les rues. Un jour vint une conteuse dans le village. Sur les affiches de spectacle trônait en lettre rouge et or son nom de scène... « l'Aventurière ». Le jeune Motus sourit. Cette aventurière semblait posséder tous les mots et les histoires du monde, avoir rencontré beaucoup de gens. Il se dit que peut-être, elle saurait où était son père.
Le premier spectacle était un après-midi pluvieux. Motus se moqua de la pluie, des gouttes qui ruisselaient sur son visage et ses habits, le trempant jusqu'aux os. Il se risqua au dehors pour y assister. Sa mère heureuse de le voir enfin désirer quelque chose s'empressa malgré le mauvais temps de lui donner la pièce pour payer son entrée de spectacle. Elle le vit partir pour la première fois depuis bien longtemps un large sourire aux lèvres presque en courant de ses petites jambes menues.
Motus était tout en joie. L'aventurière était comme un puits inépuisable d'histoires. Elle avait parcouru bien des contrées et fait mille et une rencontres magnifiques, parfois magiques. De sa bouche sortaient un tas de mots exquis que Motus buvait de son esprit vif et qu'il garda au fond de lui comme des trésors inestimables. Il apprit que dans certains pays les gens parlaient une autre langue bien différente de la sienne, que des maisons touchaient le ciel et qu'on les appelaient des gratte-ciel, qu'ils existaient des animaux féroces et sauvages bien pires que les renards qui chopaient les poules de sa mère à la tombée de la nuit, que d'autres étaient immenses et lourds et que leur simple arrivée faisait trembler le sol comme pour un tremblement de terre : les éléphants ! Motus resta tout le long du spectacle attentif et émerveillé devant la scène à écouter L'Aventurière. Parfois elle encourageait le public à participer avec elle mais quand ses yeux se posaient sur Motus elle fut surprise de son silence.
À un moment donné, l'Aventurière se mit à chuchoter en regardant Motus. D'abord surpris, il se mit à tendre l'oreille pour l'entendre. Elle avait les mains dans ses poches et soudain les en retira. De vrais mots avec de vraies lettres en sortirent comme une rivière enchantée, formant l'histoire d'un homme qui avait promis la lune à son fils pour lui prouver tout son amour. Les mots défilaient joyeusement comme la partition d'une douce mélodie et sortirent alors, la lune, les étoiles, une échelle, le ciel, la nuit...
L'homme avait grimpé à l'échelle pour décrocher un morceau de lune tout au bout du chemin de pierres, une nuit où les étoiles semblaient plus discrètes qu'à l'accoutumée mais durant laquelle le clair de lune offrait une belle clarté aux alentours. La lune, au fur et à mesure des échelons, avait paru de plus en plus grande et grosse mais l'homme arriva au bout de l'échelle et, tendant les bras, cru pouvoir la toucher mais il n'en fut rien. Elle était lointaine, si lointaine et lui avait eu l'illusion qu'il serait capable d'en prendre rien qu'un morceau pour l'amour de son fils. La tristesse l'envahit. Il redescendit les échelons un à un puis arrivé tout en bas, il n'eut pas le courage de se confronter au regard déçu de son fils. Il prit la décision de partir de par le monde pour trouver la solution à son problème et de ne revenir que le jour où il aurait enfin décroché un beau morceau de lune.
Motus, rêveur, prit cette histoire pour sienne et conclut que cet homme était son père. Il se mit à sourire puis à rire aux éclats. Il était soulagé. Son père était parti parce qu'il l'aimait très fort. La nuit était tombée durant le spectacle et les étoiles scintillaient telles des diamants dans le ciel. La lune était présente également, perchée dans l'immensité, offrant une clarté douce dans les rues du village. Motus la regarda avec intensité et soudain...
— Papa ! Je t'aime aussi ! se mit-il à crier, le cou tendu.
Les enfants du village sursautèrent, mais l'Aventurière eut un sourire malicieux. Les mots retrouvèrent le chemin de ses poches qui se gonflèrent comme des ballons de baudruche. Elle fit sa révérence au public, regarda Motus et cligna d'un œil, satisfaite. Elle s'approcha de Motus, lui demanda d'ouvrir sa main et déposa un drôle de cailloux dans sa paume ouverte.
— De la part de ton père...

L.E.

bunni




Amelia Brise

« En ce bas monde, on en a jamais fini », dit Madame Amelia Brise.
Son chemin avait croisé celui d'Auguste Glandier par un matin brumeux de novembre.
Auguste Glandier habitait le bois depuis une centaine d'années. Son feuillage s'était épaissi au fil du temps, son tronc avait grandi, son écorce avait durci.
Auguste occupait désormais le poste de gardien de la faune et de la flore. Les humains l'avaient classé Patrimoine Mondial de l'Humanité. Personne ne pourrait abattre l'auguste chêne.
Il soutenait donc à Amélia Brise, hache de bûcheron de son état depuis maintenant vingt ans, que l'homme respectait la nature.
Amélia, qui avait vu suffisamment de bois tendre passer sous sa lame acérée, savait qu'il n'en était rien.
- Croyez-vous que mon bûcheron m'aurait posé sur votre tronc par hasard, cher Auguste ?
- Pas par hasard, chère Amélia. Son geste est un signe de paix, une offrande. Il vous offre à moi, il vous lègue à la forêt toute entière !
- Grand utopiste que voilà ! s'exclama, Amélia. J'ai coupé, élagué, écimé assez d'arbres dans ma triste vie d'outil, pour savoir qu'on ne m'a jamais oubliée quelque part. Encore moins offerte à la nature ! Je coûte cher, sage chêne centenaire, ajouta-t-elle d'un ton tranchant. Je ne suis peut-être pas immortelle comme vous, s'indigna-t-elle de surcroît, mais tant qu'il y aura des arbres, il y aura des haches. Des haches et des coupeurs de tronc.
- Vous vous émoussez, très chère, avait répondu Auguste, de toute sa hauteur, en agitant les branches d'un air dédaigneux. L'Homme a accepté la trêve et votre inaction vous tourmente.
- Que nenni, avait répliqué Amélia avec tout le respect qu'elle savait devoir à Auguste, consciente que leurs contacts physiques se limiteraient à cet interlude poli. Vos utopies sont fort mignonnes mais avez-vous assisté à un quelconque recul de la déforestation, depuis que vos racines grandissent dans cette forêt ? Que sont devenus vos frères, plantés en même temps que vous. Des tables basses ? Des commodes ? Des vaisseliers ?
Amelia Brise fit craquer son immense manche. Cette position, lame en bas, était par trop inconfortable. Quand son bûcheron allait-il revenir ?
Auguste s'était tu. Sa dernière remarque coupante lui avait fait de la peine. Amélia sentait un léger écoulement de sève atteindre l'extrémité de son manche. Elle pouvait sentir l'odeur du bois meurtri.
Elle en connaissait un bout.
Elle, qui avait voulu passer sa vie au rayon outillage d'une quincaillerie, entourée de ses copines, toujours impeccable, jamais achetée pour accomplir sa besogne criminelle... Elle, qui avait rêvé de devenir la première hache pacifiste...
Elle était devenu la fidèle compagne d'un bûcheron cogneur et avait accompli à maintes et maintes reprises, ce pourquoi elle avait été assemblée...
A son âge, après avoir changé de lames trois fois, avoir été dépolie puis repolie, émoussée puis aiguisée, elle savait qu'elle n'aurait jamais fini. Elle avait perdu ses illusions et accepté sa dure destinée.
Etre seule contre un chêne centenaire protégé, à l'optimisme forcené ne la ferait guère changer d'avis.
Auguste Glandier s'agitait de nouveau.
Soudain Amélia chuta et s'étala dans l'herbe. L'herbe, qui lui chatouillait la lame, lui donnait envie de fendre et pourfendre, de sectionner et sanctionner, de battre et abattre...
- Ainsi allongée dans l'herbe, Dame Amélia, votre bûcheron aura du mal à vous retrouver, dit Auguste en secouant son feuillage de plus belle.
- Aïe ! Auguste, vos glands sont en train de me tomber sur le manche. Cessez donc ce petit jeu douloureux, je vous prie, débita-t-elle.
- Pas question que vous coupiez ma forêt, mes frères, mes cousins... Tous croient en moi.
- Est-ce une raison pour me faire mal ?
- Ne soyez pas si affûtée, Madame. Installez-vous sur la mousse qui pousse à mes pieds, laissez-vous chaudement envahir de mes fruits. Voyez comme la vie est douce auprès des miens. Laissez donc votre lame rouiller et votre bois pourrir. Communiez avec la nature.
Le voilà devenu fou, pensa Amélia, à moitié enfouie sous les glands d'Auguste. La sève lui ai montée à la cime.
Elle commençait tout de même à envisager la fin de sa vie de choc, à croire qu'Auguste avait raison à propos de la trêve...
Non ! Elle n'était pas une vulgaire paire de ciseaux à bouts ronds ! Elle était Amélia Brise, la briseuse de troncs, celle à qui l'on faisait appel pour faire son stock de bois pour l'hiver, une fidèle cognée, une hache de compétition.
- Auguste, vos stratagèmes sont inefficaces, je le crains.
- Qui poussera verra, répondait majestueusement Glandier.
- C'est tout vu, triompha Amélia, sentant soudain la main ferme et rugueuse de son bûcheron se poser sur son manche. Il l'avait retrouvée et l'emmenait sur son épaule en sifflotant.
- Adieu Auguste Glandier, chêne centenaire protégé. Je retourne à mes découpes et vous souhaite longue vie. Mais vous le voyez bien, foi de hache et foi d'Amelia Brise, qu'on en a jamais fini ?

H.B.

bunni




Cosmogonie (tiré des contes et légendes de la Nation Dragon)

Il était une fois un point.

C'était un point sans prétention, et sans autre but ni raison que d'être.

Toutefois, à l'intérieur de ce point, il était deux forces.

L'une, qui s'appelait Entropie, se satisfaisait de ne rien faire, et employait son énergie à faire que tout ce qui existait, c'est-à-dire le point, continue à n'être qu'un point.

L'autre, dont le nom était Expansion, ne voyait pas les choses du même œil. Elle savait au fond d'elle-même que d'autres possibilités existaient, et que le point n'était pas une fin en soi, mais un départ.

Aussi, alla-t-elle voir sa sœur Entropie et l'entretint de son envie.

Mais Entropie était têtue, et ne voulut rien savoir.

Elle argua du fait que tout ce qui n'était pas le point n'était pas, et qu'il était par conséquent insensé d'aller voir ailleurs ce qu'il y avait, puisqu'il n'y avait rien.

Frustrée, Expansion tenta de la contrer en lui tenant un raisonnement savamment mûri depuis fort longtemps.

Puisque le point était tout, il n'appartenait qu'aux deux sœurs, Entropie et Expansion de s'unir dans un unique effort pour que le point devienne Energie. Ainsi, elles seraient non plus deux mais trois sœurs, et ensemble elles seraient ainsi capables de créer des choses magnifiques dans le néant qui attendait patiemment qu'on vienne s'occuper de lui.

Elles pourraient abolir les frontières du point, et donner à Infini, leur géniteur, toute la place dont il avait besoin pour exister, et par là-même retrouver leur mère Eternité.

Toujours aussi bornée, Entropie resta catégorique, et fit la sourde oreille, continuant à contempler béatement la désolante monotonie de l'immobilisme.

Devant l'obstination de sa sœur, Expansion se retira, et médita encore sur la meilleure manière de convaincre Entropie.

Mais, Expansion était d'une nature vive, et les énergies qui coulaient en elle, ne trouvant aucun exutoire, commençaient à mettre sa patience à rude épreuve.

Vibrante d'émotions difficilement contenues elle revint une nouvelle fois à la charge.

Cette fois la conversation dégénéra en dispute, et les deux sœurs en vinrent à se confronter. Expansion, dont la puissance n'avait pas de raison d'être, laissa libre court à sa colère, et pour la première fois de son existence laissa les énergies qui étaient en elle se répandre hors de son corps.

Entropie, dont la majeur partie de la puissance était occupée à contrôler l'intégrité du point et à réguler ses courants de force afin de les réduire le plus possible, encaissa la rage et la frustration de sa sœur de plein fouet.

Surprise, elle recula et perdit le contrôle.

Toutes les énergies du point, se retrouvant sans joug, s'unirent à celles d'Expansion, et soudain le point ne fut plus assez grand pour les contenir toutes.

Il explosa.

Le néant découvrit la lumière, et cela lui plut.

Tant et si bien qu'il décida de la laisser le parcourir sur son intégralité et se répandre partout. C'était une lumière blanche, pure, et qui apportait chaleur et réconfort.

Ce fut ainsi que le néant s'aperçut qu'en réalité il se sentait bien seul.

Cela ne lui convenait pas. Il se saisit donc de tous les débris du point et les sema partout, dans chaque recoin de vide qui composait son corps sans matière.

Et pour être certain que la lumière ne le quitterait jamais plus, il souffla sur chaque braise de l'explosion originelle pour les entretenir et les maintenir allumées.

Ces brasiers devinrent des soleils, et chacun d'eux s'employa à réchauffer toutes les particules qui n'eurent pas la chance de s'allumer.

Quant aux deux sœurs, Expansion et Entropie, elles ne sont plus revues depuis. La première parcourt le néant, qui se fait désormais appeler l'univers, répandant sa joie et son exubérance partout où elle passe.

Entropie, elle, passe son temps à essayer de retrouver les conditions du début, quand le point n'était qu'un point, et que rien de nouveau ne pouvait exister.

Eternité et Infini se sont retrouvés, et ils partagent ensemble le même chagrin pour Entropie, car ils savent que le bonheur lui est à jamais interdit.

Mais, pour rétablir l'équilibre, ils ont engendrés le Tisseur, et l'ont doté d'un magnifique Métier.

Il entremêle les fils des existences et des évènements, pour qu'un jour, quand la Tapisserie sera finie, la Famille qui vivait dans le point puisse à nouveau être réunie.

D.V.

bbchaton

La déesse chang


Sur la demande de l'Empereur Céleste, Yi abattit les neuf soleils, châtia le démon des eaux Hebo et tua nombre de monstres et d'animaux féroces. Le peuple l'aimait et le vénérait. Yi voyageait beaucoup, se liait d'amitié avec la population et menait une vie paisible.

Un jour, alors qu'il chassait dans les bois, Yi traversa un ruisseau et aperçut sur l'autre rive une jeune fille puiser de l'eau avec un tube de bambou.

Un jour, alors qu'il chassait dans les bois, Yi traversa un ruisseau et aperçut sur l'autre rive une jeune fille puiser de l'eau avec un tube de bambou. Sa longue course l'avait assoiffé. Il s'approcha de la jeune fille et lui demanda à boire. Devinant qu'il était le héros Yi, elle l'accueillit aimablement, lui offrit à boire et lui cueillit une belle fleur en témoignage de son respect. Yi choisit alors dans ses trophées une magnifique peau de renard et lui en fit cadeau.

En bavardant avec elle, il apprit qu'elle s'appelait Chang E. Ses parents avaient été tués par des animaux sauvages. Depuis, elle vivait seule.

Yi se prit de pitié pour elle et Chang E le respectait beaucoup. les deux jeunes gens tombèrent amoureux l'un de l'autre. Peu de temps après, Yi et Chang E se marièrent et devinrent inséparables.

Très attachés l'un à l'autre, ils menaient une vie heureuse, et Yi oublia complètement de retourner au ciel.

Trois années plus tard, l'Empereur Céleste ordonna à Yi de retourner au ciel.

Lorsque l'Empereur Céleste apprit que Yi s'était marié sur Terre et ne voulait pas revenir au ciel, il se mit dans une grande colère. Dès lors, il fut interdit à Yi de remonter au ciel, mais il se consola en trouvant qu'il était plus heureux sur terre. Ainsi continua-t-il à vivre sur la Terre.

Mais Yi savait que la vie des êtres humains a ses limites. Un jour, il dit à sa femme :

- Quand j'étais au ciel, j'ai entendu dire que dans les monts Kunlun, à l'Ouest, habite la Reine-mère d'Occident. Elle possède une pilule d'immortalité. Je vais aller la chercher.

Ils étaient très tristes de cette première séparation mais, pour vivre éternellement tous les deux, ils étaient prêts à affronter le danger et la mort. Yi prit son arc et ses flèches, enfourcha un bon cheval et se dirigea vers l'Ouest.

Après avoir surmonté d'innombrables difficultés, Yi arriva enfin au pied des monts Kunlun. Yi arriva enfin au pied des monts Kunlun.

La Reine savait que Yi était un héros céleste qui avait délivré le peuple de nombreux fléaux. Aussi l'accueillit-elle avec beaucoup de respect.

Ayant appris le but de sa visite, la Reine ordonna à l'Oiseau à trois pattes, gardien des pêches d'immortalité, d'apporter une calebasse contenant une pilule d'immortalité fabriquée à partir d'un des fruits de l'arbre d'immortalité. Cet arbre ne donnait des fruits qu'une fois tous les trois mille ans ; c'est pourquoi ces pilules étaient très rares et extrêmement précieuses.

- Emporte cette pilule, dit la Reine, c'est la seule qui me reste. Néanmoins, c'est largement suffisant pour ton épouse et toi : Prenez-en chacun la moitié, et vous deviendrez immortels. Mais attention, si l'un de vous deux l'avale entière, il s'envolera au ciel et ne pourra jamais plus redescendre sur Terre.

- Je ne suis venu chercher la pilule d'immortalité que pour vivre éternellement avec Chang E, répondit l'Archer céleste. Puis il prit la calebasse, remercia la Reine et partit.

Lorsque Yi retrouva Chang E, il lui raconta tout ce qui s'était passé et lui confia la pilule d'immortalité.

Je suis passé par mille épreuves pour aller la chercher. Si nous la partageons, nous deviendrons immortels tous les deux. Mais si l'un de nous l'avale entière, il ira au ciel sans espoir de retour. Garde-la précieusement, nous la partagerons un jour faste prochain et nous vivrons ensemble éternellement heureux.

Chang E mit la calebasse dans sa poche avec précaution

Yi habitait sur la Terre depuis longtemps déjà et un grand nombre de jeunes gens venaient le voir pour apprendre le tir à l'arc. Yi leur enseignait consciencieusement son art. Lorsque le maître est compétent, ses disciples sont brillants, dit le proverbe. De fait, la plupart de ses élèves devinrent de célèbres archers.

L'un d'entre eux s'appelait Feng Meng. C'était un bon archer, mais un homme ambitieux et jaloux. Il caressait l'espoir que son maître mourût avant lui, afin de devenir le meilleur archer du monde.

Un jour que Yi était allé chasser, Feng Meng en profita pour pénétrer chez lui et menaça Chang E de son arc.

- Donne-moi vite la pilule d'immortalité, lui ordonna-t-il, sinon je te tuerai.

Surprise, Chang E lui demanda :

- Feng Meng, tu es le disciple de Yi ; pourquoi... ?

Je ne considère plus Yi comme mon maître. Devrais-je toujours rester un archer de second ordre toute ma vie ? Non, car il mourra avant moi ! rétorqua Feng Meng en riant sarcastiquement.

Chang E était rouge d'émotion et de colère.

- Allons, dépêche-toi de me donner cette pilule ! Cria Feng Meng en brandissant son arc d'un air menaçant.

Chang E pensa à toutes les épreuves que son mari avait dû traverser pour aller chercher la pilule d'immortalité. Elle ne devait pas laisser Feng Meng s'en emparer. Alors Chang E sortit de sa poche la pilule et, au moment où Feng Meng tendait la main, la porta rapidement à la bouche. Elle l'avala et s'élança vers la porte.

Chang E avait déjà franchi le seuil lorsqu'elle se sentit toute légère et s'envola vers le ciel. En pensant à son mari resté sur terre, elle décida de se réfugier sur l'astre le plus proche, la Lune. Dès lors, le Palais lunaire, dans lequel vivait désormais Chang E, brilla d'un éclat nouveau.

Lorsqu'à son retour de la chasse, Yi apprit ce qui s'était passé, une immense tristesse l'envahit. Il regarda la Lune et pensa à sa femme Chang E ; des larmes inondaient ses joues.

Devant l'ingratitude que Feng Meng lui avait témoigné, Yi fut rempli de colère. Il prit son arc et ses flèches et sortit à la recherche de son disciple.

Feng Meng s'était caché dans un bois derrière la maison de Yi. Lorsque celui-ci passa à la hâte devant lui sans le voir, il lui assena un violent coup de bâton sur la tête. Yi s'affaissa, mortellement blessé.

Lorsque les disciples de Yi découvrirent le crime de Feng Meng, ils arrêtèrent ce dernier immédiatement, l'attachèrent à un grand arbre et le transpercèrent chacun d'une flèche. Son ambition démesurée l'avait mené à sa perte.





bunni



Le cèdre, les étourneaux et le vent

Il était une fois un très vieux cèdre qui avait pris racine dans une contrée si lointaine que nul n'en avait jamais entendu parler.
Il vivait heureux et en paix, entouré de ses amis : le vent, la pluie, la neige, le soleil, la lune ; de jour comme de nuit, au rythme des saisons, dans le doux silence de la nature. Notre cèdre savourait ainsi tranquillement les siècles qui s'écoulaient sans heurts.

Or, voilà qu'un matin de printemps, le cèdre entendit un drôle de remue-ménage dans le ciel. Une famille nombreuse de joyeux étourneaux vint s'installer sur ses plus hautes branches.
Le vieux cèdre, très étonné de cette visite inattendue, se réjouit d'accueillir de nouveaux amis. Ils offriraient un peu de distraction dans sa vie si paisible, si calme. Ce n'était pas pour lui déplaire. Le cèdre s'ennuyait-il un peu sans l'avouer ? L'histoire ne le dit pas mais on peut le penser.
Le vent qui traînait dans la région ce jour-là, susurra quelques mots de bienvenue aux oiseaux et l'arbre frémit aussitôt de toutes ses feuilles pour l'approuver. Les étourneaux, ravis de l'accueil, tout excités par le long voyage qu'ils venaient d'accomplir et la découverte de cette contrée dont nul, nous le rappelons, n'avait jamais entendu parler, commencèrent à raconter leur vie. D'où ils venaient, la distance qu'ils avaient parcourue, leur souhait de s'arrêter pour un repos bien mérité, les branches si attrayantes de ce cèdre planté tout seul au milieu de nulle part etc etc etc...
Le cèdre écoutait, écoutait, écoutait encore. Il aurait aimé à son tour raconter sa propre histoire mais les étourneaux pisotaient à qui mieux mieux, ne lui laissant pas le temps de placer un seul mot. Un peu étourdi par tant de bla-bla, le cèdre s'endormit malgré lui, pendant que les oiseaux continuaient de raconter, raconter, raconter...Le sommeil du vieil arbre fut agité de rêves turbulents où ses petits amis parlaient tous en même temps sans jamais s'arrêter. Le lendemain, et le jour d'après, et tous les autres jours qui suivirent, les étourneaux s'activaient, chantaient, s'apostrophaient, riaient, se posaient des questions, se donnaient des réponses, sifflaient à pleins poumons. Et cui-cui-cui et pia-pia-pia et ti-ti-tit et bla-bla-bla...
Le pauvre vieux cèdre, qui après réflexion, n'aimait rien tant que sa tranquillité, avait mal à la cime et regrettait un peu le temps où nul ne connaissait cette contrée.

Un soir d'été, le soleil se coucha plus tôt que d'habitude dans l'espoir vain de museler la famille à plumes. Le vent vint s'enrouler autour du tronc de son vieil ami.
— Que se passe-t-il, fils de la terre ? Tu as l'air épuisé, chuchota Eole (ainsi se nommait le vent).
— Nos petits amis sont charmants, je n'en disconviens pas, mais beaucoup trop bruyants. Depuis qu'ils ont élu domicile dans mes bras, le repos ne m'est plus accordé, soupira Yggdrasil (ainsi se nommait le cèdre).
Et pendant que le vent jouait entre les feuilles de l'arbre pour le réconforter un peu, celui-ci ne pensait plus qu'à une seule chose, un seul mot, un seul état, qui lui manquait tant pour être parfaitement heureux comme avant.
Il y pensait si fort que l'une de ses plus basses branches toucha le sol sans qu'il ne s'en rende compte. Sous la pression du vent, l'extrémité de cette branche se mit à tracer des signes sur la terre blonde et grasse. Le vent, intrigué par ces gracieux petits dessins alignés les uns à côté des autres, voulut les voir de plus près. Il se ramassa sur lui-même et descendit donc à la base du tronc. Il effleura les traces que l'arbre avait dessinées sans le vouloir.

Il passa une première fois sur les signes et devina que cela avait quelque chose à voir avec les pensées de son ami. Il passa une deuxième fois et comprit que ces signes formaient un mot, celui auquel l'arbre pensait si fort. Il passa une troisième fois et murmura des sons étranges.
Le cèdre, tout à coup attentif aux mouvements du vent, lui demanda ce qu'il pouvait bien baragouiner. Les étourneaux, toujours curieux de tout, aile contre aile, bec entrouvert, se taisaient enfin (ce qui paraît assez incroyable pour le mentionner).
Sans répondre immédiatement, le vent, à chacun de ses passages, s'imprégnait de ces traces et en percevait peu à peu la signification. Au septième passage, le vent, un peu magicien à ses heures, déchiffra les signes et de son souffle chuintant prononça :
— S - I - L - E - N - C - E... Silence, silence, silence...
La miraculeuse invention se répandit dans l'azur, cloua le bec des petits oiseaux et délivra le cèdre de sa punition.

— Mais comment as-tu fait pour savoir ce que je pensais ? s'extasia le vieux cèdre.
— Parce que tu l'as écrit, mon ami ! répondit le vent.
— Pardon ?... Qu'ai-je fait ?
— Tu viens de créer quelque chose qui n'existait pas, dont le monde entier se servira quand la parole fera défaut, quand on voudra se faire entendre sans crier, quand la voix ne suffira plus, quand le désir de garder une trace de ce que l'on pense sera nécessaire, commenta le vent.
Et il partit aussitôt propager la révélation à travers d'autres contrées inexplorées.

C'est ainsi que naquit l'écriture.


K.B.

bbchaton

Le chat et le petit lézard

Il était une fois un chat qui avait faim. Il avait vraiment, vraiment, très très faim. Un jour qu'il sortait pour avoir de quoi se mettre sous la dent, il découvre somnolant sur un rocher un petit lézard couleur de sable. Sans réfléchir, il saute sur lui. Le petit lézard lui dit :
- Chat, toi tu es sot. Tu veux manger un lézard sans chair ni os, alors que si tu m'écoutes, je te dirai comment tu peux faire pour avoir un gros poisson.
- Je n'ai pas le temps d'attendre, répond le chat et j'ai trop faim. Je vais te manger.
- Attends, insiste le petit lézard, attends et écoute-moi.

Alors le chat finit par l'écouter. Le petit lézard lui dit :

- Vois l'arbre qui est sur la rivière là devant. Mets-toi sur l'une de ses branches et attends. Une mouche volera à côté de toi, tombera dans l'eau et aussitôt une grenouille sortira de l'eau pour la manger.

- Mais tu te fous de moi ou quoi, tu m'avais parlé d'un gros poisson et maintenant...

- Attends, coupe le petit lézard, ton gros poisson arrive. Après la grenouille un petit poisson sortira à son tour pour dévorer cette grenouille et c'est à ce moment précis que ton gros poisson sortira pour manger le petit poisson. Comme tu es juste au-dessus sur la branche de l'arbre tu n'auras qu'à tremper les pattes pour l'attraper !

Alors là le chat accepte la proposition du petit lézard mais avant de partir il prend soin de boucher tous les trous qui étaient à côté du lézard, puis se tournant vers lui il lui dit : « Je vais faire ce que tu as dit, mais si tu mens c'est toi que je dévorerai ». Puis il grimpe sur la branche de l'arbre.

Aussitôt les choses se déroulent comme l'avait prévu le petit lézard. Lorsqu'arrive le tour du gros poisson, le chat trempe ses pattes pour l'attraper mais le poisson est beaucoup plus fort que lui et l'entraîne dans l'eau !!! Tout le monde sait que le chat aime le poisson mais déteste la nage. Il se met à crier au secours en se noyant.

Le petit lézard était là observant toute la scène. Au moment où le chat se noie, il lui lance : « Ô chat, toi aussi, tu finiras dans le ventre du gros poisson ».

Mon conte est fini celui qui respire le premier ira au Paradis.

bbchaton

Le bateau rouge 

Dans une grande ville portuaire où accostaient des navires venus du monde entier, une petite fille vivait dans un grenier. En dehors de l'école, elle ne sortait jamais, ne connaissait ni le vent de la mer, ni les effluves d'écume ni le sel des vagues ni la douceur du sable. Personne ne s'occupait d'elle. Ses compagnons, c'étaient des ombres et des grains de poussière neigeant dans la lumière. Parfois les voix atténuées des passants dans la rue. C'était comme ça, c'était sa vie.
Elle était sage et ne pleurait jamais. Elle s'inventait des mondes de liberté, de fleurs, d'herbe et d'espaces sans limite où des amis joueraient avec elle. À l'école, tout le monde l'ignorait. Comme elle ne sortait pas au soleil, sa peau était devenue transparente. Elle avait des jambes de laine et ressemblait de plus en plus, avec sa figure pâle, à une poupée de chiffon. Elle devenait jouet mécanique, qui n'ouvrait la bouche que pour réciter les leçons apprises en classe. Comme elle ramenait de bonnes notes, ses parents, qui travaillaient toute la journée, ignoraient qu'elle souffrait. Son cœur était tout gonflé de solitude mais ses larmes y étaient enfermées à double tour.

Un soir, penchée sur ses cahiers dans un coin du grenier, elle entend quelqu'un frapper à la lucarne. Un bruit de petites pattes qui tapent pour rentrer. Elle ouvre, et que voit-elle ? Un chat. Un énorme chat noir. Son poil luit dans la nuit. Il entre comme chez lui, vient se frotter contre elle. Elle a trouvé un ami. Il ne s'embarrasse pas de politesses. Ni s'il te plaît, ni merci. Ils sont amis et c'est tout. Ses yeux sont de couleur changeante, comme les mers qu'il a traversées.
Tout le monde a peur de cet énorme chat. Il ne se laisse toucher par personne excepté par son amie. Si d'autres veulent l'approcher, il devient un vrai fauve aux griffes acérées comme des poignards et aux dents de prédateur. Mais pour la petite fille, il n'est que velours et douceur. Ils se parlent en silence, se confient des secrets. C'est ainsi qu'elle apprend qu'il vient du bateau rouge, un imposant cargo arrivé la veille dans le port. L'équipage parle une langue que personne ne comprend. Ce sont des marins violents et frustes, prompts aux insultes et aux coups de couteau.
Le bateau est d'une beauté étrange. Sa cargaison se compose d'alcools rares et de tissus précieux. Mais sa présence inquiète et agite les esprits. Dans la ville, on murmure que cet alcool rend fou et que ceux qui portent les luxueuses étoffes meurent dans l'année. D'ailleurs, depuis l'arrivée du navire, une vague de violence a envahi la ville. Des enfants sont violés et retrouvés égorgés dans les ruelles du port.

Ces événements tragiques n'influençaient en rien la petite fille. Son désir de partir était très fort. Un jour, elle dit au chat :
— Le bateau rouge part ce soir. Allons vite au port, nous pourrons nous embarquer sans être vus.
— Ne prends pas ce bateau, il est maudit, répondit le chat.
Alors, par la lucarne du grenier, ils virent se dérouler une scène étrange. Des enfants tristes et silencieux traversaient la passerelle en file indienne. La petite fille reconnut des camarades de classe, ceux qui avaient été assassinés récemment. Étaient-ils vivants ou morts ? C'étaient des ombres d'enfants. Puis, toujours en silence, le bateau quitta la rive, s'éloigna et devint aussi petit qu'un fruit lisse au point de rencontre de la mer et du ciel.

Le lendemain en classe, la petite fille osa parler du bateau rouge. Elle dit que les enfants que l'on croyait assassinés y avaient embarqué la veille au soir. La maîtresse la traita de folle et tous ses camarades se moquèrent d'elle. Ils prétendirent qu'il n'y avait jamais eu de bateau rouge dans le port et que tous étaient blancs. Quant à leurs malheureux camarades, ils reposaient au cimetière.
— Tu vois, j'avais raison, dit le chat. Tu ne devais pas prendre ce bateau. Il transporte les âmes des enfants victimes d'une mort violente. Ce n'est pas ton destin.
Les jours et les saisons passèrent. La fillette parlait toujours de s'en aller.
— Reste encore avec moi, répondait son ami. Le temps de ton départ viendra bientôt. Je te dirai quel bateau prendre.

Un matin, en regardant par la lucarne, ils virent un paquebot blanc qui venait d'accoster au port.
— Voilà, c'est celui-ci, dit le chat. Viens avec moi, je t'accompagne sur le quai. Parmi les voyageurs qui descendaient du navire, un jeune anglais remarqua la beauté de la jeune fille et en tomba aussitôt amoureux. Ils firent connaissance, s'aimèrent et décidèrent de s'embarquer pour l'Angleterre, où ils avaient choisi de vivre.

Dès cet instant, le chat disparut. La jeune fille le chercha partout. Elle interrogea les marins, les passants et les commandants des bateaux. Personne n'avait remarqué de chat noir aux yeux couleur de mer. Enfin, un petit garçon vint à sa rencontre et s'adressa à elle :
— Moi, déclara-t-il, le grand chat qui parle, je l'ai vu. Il est parti hier soir sur un grand bateau rouge.
— Ce n'est pas vrai, interrompit son père. Le bateau était blanc, pas rouge ! Et bien entendu, le chat ne parlait pas ! Mon fils raconte n'importe quoi !
— Si, dit l'enfant avec assurance. Il est monté sur un bateau rouge. Et avant de partir, il a dit que ton enfance était finie et qu'il était venu t'aider à la traverser.

S.