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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni

#420

L'Arbre Aux Contes

II y a très longtemps vivait un jeune cheval qui s'appelait Saphir. Ce nom n'allait pas avec son physique car il n'était pas très beau. On ne pouvait pas le monter car il était un peu sauvage. Il avait les crins noirs et le reste du corps gris. A certains endroits sa robe était gris pale. Et sur le dos, ses poils étaient tellement clairs, qu'on voyait sa peau. Ses longues jambes minces étaient recouvertes d'un pelage jaunâtre. Tout ceci le rendait disgracieux aux yeux de ses maîtres. Quant aux sabots noirs qui avaient l'air grignotés par des vers, ils étaient tout poussiéreux. De plus, ce cheval était souvent grincheux.

Ses maîtres qui en avaient assez d'avoir un cheval aussi laid dans leurs prés, l'avaient abandonné. Ils avaient pourtant bien essayé de le vendre... Mais sans succès ! Tous les acheteurs intéressés par un prix aussi bas se précipitaient, mais dès qu'ils le voyaient, ils changeaient de couleur, leurs cheveux se dressaient sur leur tête, ils inventaient une excuse pour refuser cet achat et se sauvaient en prenant leurs jambes à leur cou. Le fermier avait beau baisser le prix, personne ne voulait de leur jeune cheval "immontable". C'est pourquoi ils avaient décidé de l'abandonner au beau milieu d'une forêt lointaine et sombre.

Sans but précis, le cheval s'enfonça plus profondément dans la forêt. Il commença à chercher les seaux d'avoine que ses maîtres avaient l'habitude de lui donner. La nuit commençait à tomber, quand il se rendit compte qu'il ne retrouverait plus le chemin de sa ferme. Saphir était très triste, il aurait préféré être au chaud chez ses maîtres, au lieu d'être dans cette sinistre forêt. Il finit néanmoins par s'endormir. Le matin, il se réveilla en se demandant où il pouvait bien être. Il reprit son chemin et erra toute la journée à la recherche d'un nouveau logis. Il déboucha dans une clairière.

Au milieu de cette immense clairière recouverte d'un beau tapis d'herbe verte et tendre parsemée de petites fleurs violettes, s'élevait un arbre gigantesque. Il avait le tronc blanc d'un bouleau et plusieurs sortes de feuilles. Ses grandes branches noueuses servaient de cachette à des dizaines de nids d'oiseaux. Il ne portait pas de fruits mais gardait ses feuilles toute l'année. Ses grosses racines qui sortaient de terre étaient recouvertes de mousse et servaient de refuge aux lapins.

Epuisé, efflanqué, le cheval décida de rester au pied de cet arbre où, si miraculeusement, il se trouvait tellement bien, comme réchauffé de l'intérieur. Il s'endormit, rassuré de trouver un lieu tel que celui-ci pour se reposer. La mousse de l'arbre semblait tiède.

Le lendemain, il s'éveilla de bonne humeur. Il se sentait bien et était parfaitement remis de son aventure de la veille, mais il préférait rester là, blottit dans la mousse, les yeux mi-clos, à se reposer. Il n'y parvint pas car une chose lui chatouillait les naseaux. Il secoua la tête pour chasser cette intruse, mais elle retomba sur le bout de son nez. Excédé, le cheval ouvrit les yeux. Une fine ombre verte le fit loucher : UNE FEUILLE !

La couleur de cette dernière le fit saliver. Cela changerait un peu des seaux d'avoine habituels. Tout à coup, il éternua et la feuille s'envola. Alors il se leva et s'approcha de la feuille pour la déguster mais au même moment, celle-ci re-décolla. Il fît. quelques pas pour la suivre, mais un souffle de vent l'éloigna un peu plus. " Encore raté ! " se dit le cheval. Il s'approcha, mais cette fois une énorme bourrasque la fit s'envoler. Il décida de la suivre et sortit de la clairière pour s'enfoncer dans la belle forêt verte. La feuille virevoltait dans les airs et semblait danser devant lui. Il commença à trotter car elle prenait de la vitesse, emportée par la bise qui la faisait tournoyer sur elle-même. Soudain, il se retrouva en bordure d'un petit ruisseau gorgé d'eau. Il but un peu pour apaiser sa soif et continua sa poursuite. Il suivit alors un beau chemin, tracé par les animaux de la forêt et longé par de belles fleurs sauvages. La feuille s'arrêta devant une petite chaumière.

C'était une fin de journée agréable et l'horizon commençait à s'assombrir. Lentement, calmement, portée par un léger vent tiède, la feuille se dirigea vers la cheminée. Soudain, elle stoppa au-dessus du conduit et, comme aspirée, pénétra dans la maisonnette. Saphir qui s'était approché d'une fenêtre la vit sortir de l'âtre et se poser sur la petite table à côté du lit où dormait le couple de fermiers.

Le cheval s'installa confortablement devant la maison pour attendre que la feuille s'envole à nouveau et ressorte de cette demeure. Il choisit de rester devant la fenêtre pour surveiller d'un œil vigilant cette feuille qu'il désirait tant déguster.

Tôt le matin, il fut réveillé par le chant du coq alors que le soleil se levait à peine. Bien heureusement pour lui, la feuille était encore là. Quelques instants plus tard, il vit les habitants se lever et se précipiter à leur bureau où ils prirent une feuille de papier ainsi qu'un crayon et se mirent à écrire rapidement de longues phrases. Il s'agissait d'un conte. Le cheval ne comprenait guère la réaction de ces personnes et fut déçu quand il s'aperçut que la feuille ne se décidait pas à quitter la table de chevet.

Il opta pour un retour au pied de son arbre pour tenter sa chance avec de nouvelles feuilles. Il avait tellement faim qu'en chemin, il grignota tout ce qu'il trouva : des petites pommes sauvages, des glands oubliés par les écureuils, des champignons aux formes étranges et des écorces recouvertes de mousse. Pendant son trajet, il observa des papillons multicolores, de jolis petits lapins chocolat et toutes sortes d'insectes.

Arrivé à son arbre. Saphir s'écroula de fatigue et s'endormit profondément en rêvant à des champs d'avoine. Il recommença plusieurs jours de suite à poursuivre les feuilles jusqu'aux chaumières, sans arriver à en attraper une. Il avait de plus en plus faim mais il était tout de même heureux car il avait un arbre auprès duquel il faisait de beaux rêves.

Mais un jour après une très mauvaise nuit, pendant laquelle il avait fait d'horribles rêves, se faisant capturer et ligoter à son arbre par des feuilles gigantesques, notre ami se réveilla de mauvaise humeur. En ouvrant légèrement les yeux, il découvrit un tapis de feuilles roussâtres parsemées de taches blanches et trouées.

Il se demanda ce que faisaient ces feuilles froissées étendues par terre ? Il regarda le sol et, affamé, il se laissa tenter. Voyant que les feuilles ne s'envolaient plus, il décida d'en savourer une. Il ferma les yeux pour mieux apprécier le goût, puis les ouvrit à nouveau. Effrayé, le cheval s'étonna : le décor avait complètement changé, les feuilles avaient disparu. L'arbre... où était-il ?

Il vit quelque chose de brillant en dessous de lui et quand il baissa l'encolure, il découvrit avec fierté ses sabots d'or. Ses jambes autrefois jaunâtres étaient maintenant multicolores comme le restant de son corps. Sa crinière miraculeusement épaissie tombait gracieusement sur son poitrail. Quant à sa queue aux couleurs de l'arc-en-ciel, elle formait un élégant panache.

Il se trouvait au beau milieu d'un champ où poussaient des seaux remplis de pêches sans noyaux, de sucre, de foin et de carottes. Après avoir terminé son septième seau de nourriture, rassasié, il releva la tête et aperçut un chevalier en détresse. Ce dernier tenait un gros bouclier en or gravé d'un serpent avec lequel il tentait d'éviter les flammes d'un dragon. Voyant que la bête n'arrivait pas à tuer le chevalier, une meute de Cerbères venue tout droit des Enfers avait accouru pour l'assister. Saphir chargea les chiens et les assomma à coups de sabots, permettant ainsi au chevalier de vaincre le cracheur de flammes.

Pour le remercier de son aide, le chevalier lui donna trois dents de dragon. Saphir, déçu, se demanda ce qu'il pourrait bien faire avec ça. On lui tapota l'épaule. Surpris, il se retourna. Le choc fut terrible pour lui. Il faillit tomber dans les pommes. Devant lui se dressait une merveille : une superbe jument avec de jolis crins argentés soyeux au toucher. Elle-même était beige très clair : presque blanche. Sa queue tout aussi soyeuse était plutôt couleur crème. Ses crins flottaient sous la douce brise. Le cheval eu le coup de foudre. Elle lui dit : " Garde précieusement ces ingrédients pour... "

A peine la gentille petite jument blanche lui avait-elle parlé qu'un tourbillon de feuilles magiques le ramena au pied de son gigantesque et magnifique arbre. Il remarqua avec tristesse et désarroi qu'il n'était plus un superbe étalon multicolore mais qu'il avait retrouvé sa vieille robe grisâtre et jaunie par la saleté. Le jeune cheval se récapitula cette journée bien chargée et, à ce souvenir, il était encore plus fatigué, harassé, épuisé, vidé de toute énergie. Il fit quelques pas et s'affala au pied de son arbre.

Le lendemain. Saphir se réveilla à l'aube, toujours grognon car il avait de nouveau fait des cauchemars. Ces derniers étaient moins effrayants que ceux de la veille mais il n'était pas plus reposé. En se levant, il vit que le nombre de feuilles avait diminué au pied de l'arbre et qu'elles avaient retrouvé un peu de leur couleur. Saphir se demanda s'il n'avait pas rêvé. Avait-il réellement rencontré cette charmante jument et ce brave chevalier ? Au même moment, il sentit quelque chose s'enfoncer dans son sabot droit. Il recula et vit les présents du chevalier. Il n'avait donc pas rêvé.

Notre héros se doutait que les feuilles avait un lien avec son voyage au pays des contes. Pour vérifier son hypothèse, il décida de manger une nouvelle feuille. Effectivement, il arriva dans un nouveau conte. Il avait retrouvé ses belles couleurs et vit un Yeti essoufflé, poursuivi par des villageois. Ce monstre était vêtu d'une cape bordée d'hermine et d'une couronne en or. Saphir qui suivait la scène du regard pensa que quelque chose ne tournait pas rond. Il décida d'induire en erreur les poursuivants en les conduisant sur une fausse piste. Puis le jeune étalon rejoignit le Yeti pour le questionner.

" Merci pour ta compassion, sans toi j'aurais péri entre les mains de ces paysans, dit d'une voix haletante l'étrange bête.

-Il n'y a pas de quoi, mais que te voulaient ces gens ? interrogea le yearling.

-Mon cousin désirait mon trône et il m'a jeté un sort. Mes sujets, en voyant le Yeti que je suis devenu avec la couronne royale, ont cru que j'avais dévoré leur roi. En remerciement pour ton aide, je t'offre ces trois pincées de poudre de neige noire.

-Je te remercie pour ton cadeau et je te souhaite de retrouver ton apparence. Au fait, n'aurais-tu pas vu une belle jument couleur de neige ?

-Bien sûr, elle se dirigeait vers...

Malheureusement pour lui. Saphir n'entendit pas la fin de la réponse. Le tourbillon de feuilles l'emporta à nouveau devant son arbre.

Le troisième jour, il ne vit que quelques feuilles au pied de l'arbre et celles-ci avaient un nouvel aspect : elles étaient orangées avec du vert par-ci par-là. Le jeune cheval en mangea une et ferma les yeux. Il était pressé de retrouver sa jument. La feuille qu'il dégustait était plus sucrée et agréable que la dernière. Il rouvrit les yeux. Il se tenait devant un carrosse dans lequel une princesse parée de bijoux et vêtue d'une longue robe, pleurait. Il s'approcha d'elle et lui demanda la raison de ses pleurs. Elle lui répondit qu'il manquait un cheval à son attelage, et qu'elle n'arriverait pas à l'heure au château de Gençay.

Saphir lui proposa son aide et un laquais l'attela à côté d'un autre cheval. Il se rendit compte, avec bonheur, qu'il s'agissait de Fleur de Lys, sa jument. Elle était aussi belle que dans le premier conte : sa robe d'un blanc éclatant était à moitié recouverte par ses crins d'argent. Seuls ses yeux avaient une couleur sombre.

Une fois arrivé au château, on mit les chevaux de la princesse (ainsi que "notre " cheval) dans l'écurie royale. Avant d'aller au bal, la princesse offrit trois de ses plus beaux bijoux à Saphir en gage de sa reconnaissance. Puis elle partit retrouver son prince au palais en laissant seuls le cheval et sa compagne. Saphir se rapprocha de Fleur de Lys pour lui déclarer son amour mais elle le devança :

" Je suppose que tu t'es aperçu que l'arbre aux contes n'est pas dans son état habituel ?

-Comment le sais-tu ? Demanda le cheval.

-J'ai remarqué que les contes étaient tarabiscotés. Je sais que tu as récupéré neuf précieux ingrédients et je vais t'expliquer la recette d'une potion pour le guérir.

-Je te remercie mais je voulais que tu saches...

-Patiente un peu, laisse moi finir ! Tu devras piétiner les neuf ingrédients jusqu'à ce qu'ils deviennent verts. Ensuite, répands la potion autour de l'arbre et hennis trois fois en te balançant de droite à gauche."

Une fois de plus, le tourbillon emporta Saphir avant qu'il puisse lui déclarer sa flamme.

Exténué et harassé, il se retrouva à nouveau au pied de l'arbre. Il prit bien soin de se remémorer les paroles de Fleur de Lys. Il sortit les neuf ingrédients et les piétina jusqu'à ce qu'ils deviennent verts, comme le lui avait indiqué la jument. Ensuite, il répandit la potion autour de l'arbre et hennit trois fois en se balançant de droite à gauche. Et l'arbre redevint comme au jour où il l'avait connu. Mais au fond de lui, le jeune étalon regrettait sa magnifique et adorable jument, ainsi que sa superbe apparence !

C'est alors que, comme par magie, sans même avoir fait un vœu, un nuage de vapeur l'enveloppa et lui rendit toute sa beauté. Il se retourna pour admirer sa queue et découvrit, des larmes plein les yeux et le cœur battant la chamade, l'amour de sa vie. Sa silhouette fine et élancée se découpait dans la lumière du soir. Nos deux chevaux tout heureux de se retrouver se lancèrent au grand galop au travers de la clairière.

Essoufflés, fatigués, ils s'écroulèrent au pied de l'arbre. Blottis l'un contre l'autre pour se réchauffer, ils s'endormirent. Après une douce nuit sans rêve, ils se réveillèrent de bonne humeur, très fiers d'avoir guéri l'arbre et heureux d'être ensemble. Saphir proposa alors à Fleur de lys une promenade en forêt.

Après avoir dépassé l'orée de la clairière, illuminée par un grand soleil, les deux amoureux découvrirent ensemble les merveilles qui les entouraient. Les arbres se tenaient majestueusement autour d'eux, seul le bruit de leurs pas sur les feuilles rompait le silence. Saphir voyait d'un autre œil cet endroit qu'il avait si souvent parcouru. Il semblait y avoir quelque chose de magique. Mais, en un instant, comme si le vent se levait, ils virent passer les feuilles de l'Arbre aux contes qui s'envolaient comme dans un couloir et s'enfoncèrent au fin fond de la forêt. Les chevaux ne savaient pas comment réagir face à cette situation.

Ils décidèrent alors de suivre les feuilles. Ils remarquèrent qu'elles se détournaient de plus en plus des petites chaumières. Ils continuèrent néanmoins à les suivre en trottinant. Ce n'est que quand le chemin commença à devenir de plus en plus boueux, sombre, inquiétant et sinistre qu'ils commencèrent à se poser des questions. Soudain, les deux chevaux arrivèrent devant une grotte qui se trouvait dans un coin isolé de la forêt. Saphir expliqua à sa compagne que d'habitude, les feuilles rentraient dans de belles petites maisonnettes fleuries. En s'approchant plus près, ils entendirent des ricanements, inconnus et plutôt mauvais, provenant de l'intérieur de la grotte. Saphir et Fleur de Lys hésitèrent, puis décidèrent d'entrer dans cette mystérieuse caverne.

Au détour d'une galerie, ils découvrirent un affreux petit sorcier, vêtu d'une robe rapiécée et d'un chapeau déformé. Ce dernier avait un visage répugnant : son teint était grisâtre, son nez était crochu, son menton était en galoche, ses cheveux étaient noirs, gras et emmêlés et il avait deux petits yeux porcins. Il était recouvert de pustules et ses dents étaient toutes jaunes. Saphir et Fleur de Lys remarquèrent que le sorcier se frottait les mains en voyant les feuilles qui s'accumulaient devant lui. Ils avancèrent et l'entendirent s'exclamer de sa petite voix aiguë : " Je n'ai pas réussi à détruire cet arbre, mais personne ne pourra plus profiter du pouvoir de ses feuilles ! "

Sans prendre le temps de réfléchir les chevaux se précipitèrent sur le sorcier et se cabrèrent devant lui pour le faire reculer. Celui-ci, effrayé, se sauva ventre à terre. Libérées du pouvoir du sorcier les feuilles reprirent le chemin des chaumières.

Nos deux héros retournèrent dans leur clairière, au milieu de la forêt. Ils décidèrent de rester auprès de l'Arbre aux contes et d'y fonder une famille. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de petits poulains multicolores qui devinrent à leur tour les " Gardiens de l'Arbre " Mais au loin, on pouvait encore entendre un grognement. " Je me vengerai..."

bunni

#421

Histoire du papillon musicien

Il était une fois, un papillon qui s'appelait Joe et qui jouait du cordophone.

Le cordophone, instrument très populaire dans le monde des insectes, était composé d'écorces d'arbres, de nervures de feuilles et de files de toiles d'araignées tendus. On utilise ensuite une brindille appelée cracovribr'. Au frottement de cette brindille, les fils d'araignée de mettent à vibrer et produisent un son inoubliable. Tout le gratin de la haute société insecte se délectait de concerts de cordophones.

Joe ne quittait jamais son cordophone, il dormait avec, faisait ses courses avec, allait voir ses amis avec. Il cordophonait toute la journée, la nuit...dès qu'il pouvait.

Joe avait élu domicile en ville, sur un balcon, dans une petite jardinière peuplée de fleurs ordinaires et près de ses amies araignées qui réparaient son cordophone. Il y était bien. Le soir, assis sur son fauteuil géranium, il se délectait d'un bon morceau de musique en regardant le coucher du soleil sur la ville.

Un jour, Gabrielle la sauterelle entendit parler de Joe et de son cordophone. On lui avait dit qu'il jouait d'une manière merveilleuse et que sa musique réchauffait les cœurs. Elle se mit donc en quête de le rencontrer, d'aller à un se ses concerts ou d'espionner son voisinage à l'affut d'une note perdue. Mais il ne se passa rien! Pas un concert n'était annoncé, pas une note de musique ne s'échappait de son balcon. Le silence total...

Joe le cordophoniste existait-il vraiment? N'étais-ce pas tout simplement un mythe ou une légende?

Elle alla mener son enquête auprès du voisinage. Là elle rencontra José, le grand père cafard du quartier.

-« Ah, ma p'tite dame », lui dit-il, « cela fait plus d'une semaine que personne ne l'a entendu jouer. Moi qui aimait tant l'écouter ça me donne le cafard. Mais, peut être pouvez-vous lui rendre visite? Il habite au cinquième étage. »

Voici donc notre petite sauterelle gravissant les étages à la rencontre de Joe le musicien.

Lorsqu'elle arriva, elle trouva Joe complètement déprimé, abattu, il sanglotait.

-« J'ai perdu mon cordophone », lui expliqua-t-il, en reprenant son souffle. « Hier, alors que je faisait la sieste sur mon géranium préféré, j'ai entendu des pas près de moi. Lorsque j'ai ouvert les yeux, mon cordophone avait disparu. »

-« Tout cela est bien mystérieux, s'écria le jeune sauterelle. Une enquête s'impose. Commençons par rendre visite aux habitants du quartier. »

Ainsi, voilà nos deux compères partis à la recherche du cordophone perdu.

Ils rencontrèrent tout d'abord Léon le bourdon qui vivait sur le balcon d'en face.

-« C'est curieux! », leur dit-il. « Eloi le ver à soie à justement perdu son métier à tisser de la même manière. Peut être devriez-vous lui rendre visite? »

Eloi, le ver à soie vivait dans une boite à chaussures à deux balcons de là. Lors de leur arrivée, Gabrielle et Joe le trouvèrent tout agité.

-« C'est terrible », leur dit-il. « Mon métier à tisser a disparu et le chevalet de mon amie cochenille aussi. »

Cochenille était une jeune peintre adepte d'aquarelles. Elle réalisait de magnifiques tableaux tout en couleurs. Alors qu'elle sortait son puceron domestique, elle s'était fait dérober son précieux chevalet.

Gabrielle, intriguée, se demanda si tout ces vols avaient un lien les uns avec les autres.

-« C'est beaucoup trop fréquent dans le quartier, il y a forcément un seul et même voleur derrière tout ça... »

Au fils de leur enquête, Gabrielle et Joe rencontrèrent ainsi d'autres insectes qui s'étaient fait dérober un précieux objet. Il y avait Juliette, la libellule souffleuse de verre, qui avait perdu son bâton à souffler, Raymond le limaçon écrivain qui n'avait plus sa plume. Aline, la puce acrobate, s'était fait dérober son trampoline...

Le Mystère s'épaississait ainsi et nos deux enquêteurs ne comptaient plus les insectes déprimés, victime de ce mystérieux voleur.

Jusqu'au jour où Gabrielle et Joe, continuant leur tour du voisinage, rencontrèrent maître Youn, le scarabée qui tenait le restaurant japonais du quartier.

-« Il y a un entrepôt près d'ici », leur dit-il. « Depuis quelques semaines, on y entend de drôles de bruits, vous devriez aller voir. »

Chemin faisant, Gabrielle et Joe se mirent à entendre des sons grinçants et stridents qui s'échappaient de l'entrepôt.

-« Mais, c'est mon cordophone! », s'écria Joe reconnaissant le son de son instrument.

Aussitôt, les deux enquêteurs s'élancèrent dans l'entrepôt, bien déterminés à surprendre le vilain malfaiteur, voleur d'objets.

A leur grande surprise, le lieu était rempli d'objets incroyables. Ils y découvrirent le métier à tisser du ver à soie, la canne à souffler de la libellule, le chevalet de la cochenille... le lieu était plein à craquer. Le vilain avait une belle collection de vols à son actif. S'approchant à pas feutrés, ils découvrirent l'identité du voleur qui, ne s'apercevant pas de l'arrivée de nos deux amis, continuait tant bien que mal à apprendre le cordophone.

Il s'agissait du scolopendre. Ce mille pattes venimeux était connu pour ses morsures douloureuses et craint de tous les insectes.

-« Je vous tiens », cria Gabrielle la sauterelle, bondissant sur le scolopendre pour l'immobiliser. Ni une, ni deux, l'insecte se retrouva prisonnier de nos enquêteurs, tentant en vain de se débattre pour s'échapper.

Gabrielle et Joe l'interrogèrent sur la raison de ses crimes.

-« Je suis jaloux », leur expliqua le scolopendre. « Je déteste les autres insectes de mon quartier. Ils ont tous un beau talent: de la peinture, de la musique, du tissage, de l'écriture.... et moi, personne ne m'aime. Je ne sais rien faire, je suis juste bon à empoisonner les gens avec mon venin. Je voulais vous rendre tristes pour que vous compreniez comme c'est dur pour moi d'être un scolopendre. »

Le scolopendre fut remis aux mains des insectes gendarmes. Il fut condamné à rapporter tous les objets volés à leurs propriétaires. Il lui faut également attribué une période de travaux d'intérêt général où il dut tricoter dans un couvent, auprès de mantes religieuses, des pulls et des chaussettes pour les insectes frileux de l'hiver. Notre scolopendre fut tout de même ravi de cette période, il apprenait enfin à faire une activité manuelle et les religieuses étaient très gentilles.

Joe et Gabrielle, furent heureux de se dénouement. La sauterelle put enfin dire au petit papillon la raison de sa venue.

-« On m'a dit que tu jouais du cordophone comme personne », lui expliqua-t-elle. « Je me suis déplacée de loin pour t'entendre. Pourrais-tu m'interpréter un petit morceau? »

Ainsi, Gabrielle put observer Joe le papillon jouant du cordophone et virevoltant dans les airs. Il était éblouissant et sa musique réchauffait les cœurs. Elle comprenait pourquoi il avait une telle réputation.

Cette histoire s'achève autour d'une grande fête, organisée par les habitants du quartier de Joe. On y retrouve cochenille, Eloi le ver à soie, Juliette la libellule, Raymond le limaçon, José le grand-père cafard et bien d'autres encore. Tous organisèrent un grand feu de joie en l'honneur de cette enquête élucidée et du retour de leur précieux objet. Tendez l'oreille, je crois qu'on peut entendre leurs éclats de rire qui résonnent au détour d'une petite jardinière remplie de géraniums.

bunni


Les nénuphars indiens

Il était une fois une sorcière, très loin dans la forêt tropicale en Inde. Elle avait un long nez crochu, des mains tordues et un visage effrayant, plein de rides. Sa chevelure ressemblait à un tas de paille et ses ongles étaient pointus et horriblement crasseux. Bref, elle ressemblait en tout point à la sorcière telle que vous l'imaginez.

Et pourtant cette sorcière n'était pas une sorcière comme les autres: elle chantait magnifiquement. A la voir, on aurait pu croire qu'elle hurlait comme une vieille casserole, mais sa voix était belle et claire comme le cristal. Quand elle commençait à chanter, toute la jungle faisait silence. On aurait dit le chant d'une centaine de cantatrices, incroyablement pur et harmonieux.

La sorcière se trouvait horrible. Elle détestait surtout sa chevelure en broussaille. Mais comment trouver un bon coiffeur, en plein milieu de la brousse!

Elle savait qu'elle possédait un don très particulier. Avec sa voix d'or, elle pouvait ensorceler qui elle voulait. Chaque soir, elle se rendait près d'un petit étang pour y chanter. Près de cette eau tranquille, sa voix envoûtante était plus belle que jamais. Tous les habitants de la jungle retenaient leur souffle. Les oiseaux siffleurs, les grenouilles bavardes, les singes criards.... tous faisaient le plus grand silence.

Lentement, le soir tombait sur la jungle et la lune montait dans le ciel. La sorcière se glissait dans un arbre creux noueux pendant qu'elle chantait, afin d'attirer le premier rayon de lune vers l'étang. Elle voulait que la fée de la lune descende du ciel avec tous les enfants des étoiles pour pouvoir les envoûter, et voler leur beauté ...

Soudainement, on vit la fée de la lune danser à la surface de l'eau, dans une pluie dorée d'étoiles scintillantes. Elle portait une tunique d'argent et une couronne resplendissante sur la tête.

Lorsqu'une étoile atteignait la surface de l'eau, elle se changeait en un enfant des étoiles. Quelque temps plus tard, d'innombrables enfants dansaient autour de la fée de la lune, au son du magnifique chant de la sorcière.

Ils dansèrent toute la nuit à la surface de l'eau, alors que le chant de la sorcière devenait toujours plus clair et puissant. Mais dès que le soleil commença à se lever, la fée de la lune dit : "Il est temps, les enfants. Nous pouvons encore attraper le dernier rayon de lune!'

Et avant que la journée ne commence, ils étaient tous remontés au ciel. La sorcière n'avait pu attraper aucun enfant des étoiles dans la lumière du soleil.

Mais la sorcière ne baissait pas les bras. Chaque soir, elle continuait d'attirer les sublimes créatures sur terre ... et par une belle nuit, elle arriva à ses fins!

Sept enfants des étoiles tombèrent sous le charme du chant envoûtant de la sorcière, sans remarquer que le soleil se levait.

La fée de la lune les appelait désespérément: 'Venez les enfants, venez! Nous devons partir. La nuit reviendra demain!'

Mais les sept enfants des étoiles continuaient à danser et la fée de la lune ne pouvait plus attendre. Elle remonta au ciel avec les autres enfants.

Le soleil commença à briller et la sorcière sortit de sa cachette. Elle continua à chanter en montant sur un rocher:

Soleil capture de tes rayons ardents
L'éclat admirable de chaque enfant
Prends leur beauté, je le veux
Pour que je colore mes cheveux

Les sept enfants des étoiles pâlirent soudainement. Et alors que les rayons du soleil touchaient la chevelure hirsute de la sorcière, elle se changeait en une magnifique masse de boucles blondes.

'J'ai réussi! J'ai enfin réussi!' jubila la sorcière. Elle se pencha et regarda son reflet dans l'eau de l'étang.

Mais la sorcière ne fut pas satisfaite par ce qu'elle voyait. Malgré ses jolies boucles, son visage était toujours celui d'une horrible vieille mégère. Et même si les sept enfants avaient perdu de leur éclat, ils étaient toujours aussi jeunes et saisissants de beauté.

La sorcière en devient folle de colère et de jalousie, et leur lança un sort dans un cri déchirant:

Dans la lumière du soleil, tu danseras
Mais en nénuphar tu te changeras!

En un instant, les enfants des étoiles furent transformés en nénuphars blancs, immobiles à la surface de l'eau. Et ils étaient bien malheureux, eux qui aimaient tellement danser.

La vue de ces sept nénuphars aux pétales refermés offrait un spectacle magnifique, mais bien triste.

Le jour même, le ciel bleu a eu pitié d'eux et leur a donné un peu de sa couleur. Voilà pourquoi les nénuphars indiens ont des reflets bleus, contrairement aux nôtres qui sont d'un blanc éclatant.

Les nuits où la lune apparait, la sorcière revient près de l'étang. On voit les nénuphars ouvrir leurs pétales, et les enfants des étoiles peuvent à nouveau danser dans la lumière de la lune ...

Peut-être un jour pourront-ils remonter au ciel près de la fée de la lune. Et de toutes ces étoiles qui ont été un jour leurs frères et leurs sœurs.

bunni


La gardeuse d'oies à la fontaine

Un jour, il y a très longtemps, le fils d'un puissant comte, errant dans un endroit sauvage, y rencontra une vieille, très vieille femme en train de lier un énorme tas d'herbe fraîche.
--Qu'allez-vous faire de toute cette herbe? qu'il lui demande.
--L'apporter chez moi pour la donner à mes oies.
--C'est bien trop lourd pour vous, laissez-moi vous aider.
--Volontiers, dit la vieille qui, avec une force insoupçonnée dans ce corps chétif, arrima le tas d'herbe sur le dos du jeune homme et ajouta:
--Prenez donc aussi mes paniers de pommes.
--Est-ce loin? demanda le pauvre garçon, écrasé sous la charge.
--Une heure de marche, pas plus... Allez! En route!
Le chemin grimpait durement, le soleil chauffait, les pierres roulaient sous les pieds, l'herbe pesait lourd comme du plomb, les pommes avaient le poids du bronze. ''Je n'en peux plus'', dit le jeune comte, s'arrêtant pour reprendre haleine.
--Ah! Ah! fit la vieille avec un ricanement, jeune et fort comme tu es, ne peux-tu soulever ce que je transporte à tous les jours? Pourquoi s'arrêter? Personne ne viendra te secourir ici .'' Et, ricanant de plus belle, elle prit son élan et sauta debout sur le tas d'herbe. Le garçon chancela: petite et menue comme elle était, la vieille pesait plus lourd qu'un plein tonneau de vin.
''Assez, vieille sorcière!'' cria-t-il tout en cherchant à se débarrasser de son fardeau. Mais c'était impossible: les paniers demeuraient fixés à ses mains, l'herbe attachée à son dos et la sorcière par-dessus. ''Il n'y a pas de joie sans peine, dit celle-ci. Je te réserve une belle surprise, mais il faut d'abord avancer'', et, disant cela, elle lui fouettait les bras et les jambes à grands coups de chardon.
Quand, au sommet de la montagne, la cabane de la vieille femme apparut enfin, le comte était à rendu bout de forces. Ses genoux tremblaient et un brouillard s'étendait devant les yeux. Il remarqua pourtant, au milieu d'un troupeau, une horrible gardienne d'oies, vieille et édentée, qui, sans se soucier de lui, s'élança vers la sorcière, disant:
--Comme vous revenez tard, mère, que vous est-il arrivé?
--Rien de fâcheux, au contraire, mon enfant; cet aimable jeune homme m'a offert de m'aider, et, en sa compagnie, le temps a passé très vite. Ce fut seulement après avoir longuement plaisanté sur les joies de cette promenade que la vieille, enfin, sauta à terre et délivra son porteur. Celui-ci s'écroula, plus qu'il ne s'assit, sur un banc, et il s'endormit aussitôt, anéanti de fatigue
Une main brutale l'arracha à son sommeil quelques instants plus tard. ''Voici ta récompense, lui dit la vieille, si tu en fais bon usage, elle t'apportera du bonheur.''
Le comte regarda ce qui lui était offert: c'était un coffret d'émeraude contenant une unique mais très grosse perle. Il remercia la vieille et partit aussitôt. Sa fatigue s'était dissipée, mais il dut marcher pendant trois jours avant de pouvoir quitter la montagne et il se trouva alors aux abords d'une grande ville, inconnue de lui. Il demanda son chemin et on le conduisit au palais.
Le roi et la reine le reçurent si bien que, n'ayant rien d'autre à leur offrir, il prit le coffret d'émeraude, qu'il posa sur les genoux de la reine. Celle-ci l'ouvrit et aussitôt, devenant très pâle, elle s'évanouit.
Tandis qu'on ranimait la reine, le roi s'empara du coffret, regarda ce qu'il contenait et demanda: ''Comment avez-vous eu cette perle? Je donnerais tout au monde pour retrouver celle qui l'a perdue.
--Je ne sais pas qui l'a perdue, dit le comte, mais celle qui me l'a donnée ne mérite certes pas tant d'empressement.'' Puis il raconta ce qu'il savait de la sorcière.
Le roi l'écouta avec attention et le supplia de le conduire aussitôt auprès d'elle. Quant à la reine, à peine revenue de son évanouissement, elle insista tellement pour se joindre à eux, que tous trois se mirent aussitôt en route.
A la nuit tombante ils s'égarèrent et le comte se retrouva seul, dans une vallée sauvage où il décida de passer la nuit dans les branches d'un gros orme, au-dessus d'un puits abandonné. Il allait s'endormir lorsque, à la lueur de la lune, il aperçut une forme humaine descendant la vallée: c'était la gardienne d'oies. Elle s'approcha du puits, ôta les nattes grises qui couvraient ses cheveux et le masque de peau qui cachait son visage, puis, se penchant sur l'eau, elle mouilla ses mains, ses bras et sa figure. Alors elle apparut, belle comme le jour, avec son teint de lis, ses yeux clairs et le manteau d'or de ses cheveux la couvrant tout entière.
Si grande était la stupéfaction du comte qu'il ne pouvait en croire ses yeux et, écartant les feuilles, il se pencha pour mieux voir. Mais son geste fit craquer une branche et, prompte comme une biche effarouchée, la jeune fille remit son masque et disparut à travers les buissons, tandis qu'un nuage venait voiler la lune et couvrir sa retraite.
Le comte descendit de l'arbre et s'élança à la poursuite de la si belle inconnue. Il ne put la rejoindre, mais sa course le conduisit auprès de l'endroit où s'étaient arrêtés le roi et la reine et, les éveillant, il leur raconta ce qu'il venait de voir. A son récit, l'émotion de la reine s'accrut encore. Incapable d'attendre que le jour se lève, elle décida le roi à reprendre aussitôt leurs recherches, et tous trois marchèrent longtemps à la clarté des étoiles. Arrivés enfin, au sommet de la montagne, ils aperçurent une lumière. La sorcière veillait encore, guettant les arrivants, et au premier coup qu'ils frappèrent, la porte s'ouvrit.
--Que désirez-vous? dit la vieille, hargneuse.
--Madame, lui dit la reine, d'où tenez-vous cette perle?
--C'est une larme que pleurait une pauvre fille, chassée par ses parents.
--Ma fille aussi pleurait des perles, dit la reine.
--Et moi, je l'ai chassée, dit le roi.
--Si ma fille est encore en vie et si vous savez où elle est, s'écria la reine, dites-le-moi, par pitié.
Mais la sorcière refusa de répondre et lui demanda quel crime avait pu commettre son enfant pour qu'elle soit chassée.
''J'avais trois filles, commença la reine, que j'aimais tendrement, mais la plus jeune était ma préférée.''
--Elle était la mienne aussi, reprit le roi, mais un jour, j'ai voulu savoir à quel point mes filles m'aimaient. L'aînée, qui est coquette, m'a répondu qu'elle m'aimait plus que sa plus belle robe. La seconde, qui est coquette aussi, m'a dit qu'elle me préférait à ses plus beaux bijoux. La troisième m'a répondu: ''Je vous aime comme j'aime le sel.'' Alors je l'ai chassée et j'ai partagé mon royaume entre les deux autres.
--Ah! Ah! Ah! s'écria la sorcière. Les aliments sans sel n'ont pas de goût. Votre fille voulait dire que, sans vous, la vie n'aurait plus de saveur, et vous l'avez chassée. Ah! Ah! Ah!
--Hélas! dit la reine. Nous l'avons compris trop tard! Nous avons fait en vain fouiller la forêt et la montagne. Sans doute les bêtes sauvages ont dévoré notre pauvre fille.
--Sans doute, dit la sorcière et, se levant, elle ouvrit une porte et appela: ''Viens, ma fille.''
Ce ne fut pas la gardienne d'oies qui entra, ou plutôt ce fut elle, sous la forme de la magnifique princesse que le comte avait aperçue au bord du puits. Elle se jeta en pleurant de joie dans les bras de ses parents, et ses larmes étaient des perles. Sans mot dire, le comte observait la scène, puis, détachant avec effort son regard de la belle princesse, il voulut implorer la pitié de la sorcière... Mais il ne reconnut plus celle-ci.
Un sourire de joie la transfigurait et il comprit que cette vieille femme si odieuse n'était pas une sorcière, mais plutôt une bonne fée déguisée.
''Puisque vous avez déshérité votre enfant, dit-elle intervenant alors, et puisque, depuis trois ans, je la considère comme ma fille, avant de vous la rendre laissez-moi la doter. Pour fortune, je lui donne ce monceau de perles, qui sont toutes les larmes qu'elle a versé sur vous. Pour demeure, je lui offre cette chaumière où elle a vécu loin de tout danger, sans autre chagrin que votre absence, et pour époux je lui suggère de prendre ce jeune comte dont le coeur est bon, puisqu'il a tour à tour secouru une vieille femme ployant sous sa charge et aussi des parents accablés par le chagrin.''
A peine avait-elle achevé sa phrase que la chaumière se mit à craquer de toutes parts: un splendide palais la remplaça, et le jour levant éclaira la montagne, brusquement devenue fertile et peuplée. Nul ne revit la bonne fée, mais la fille du roi et le fils du comte vécurent longtemps, heureux et puissants dans le lieu même où, autrefois, il avait été si difficile de nourrir un troupeau d'oies.

bunni


La perle rare du géant


Aux temps où géants et lutins vivaient encore parmi les hommes, le seigneur du causse blanc était un géant dont l'orgueil n'avait d'égal que l'avarice.


Il arpentait ses terres arides à grandes foulées en s'appuyant crânement sur une canne haute comme un mât. Elle était taillée d'une pièce dans un chêne centenaire, son pommeau était incrusté d'une énorme perle noire aussi grosse qu'une oule de bonne tenue. Aux yeux de tous, cette merveille symbolisait, à elle seule, la toute puissance du seigneur de céans. Ce dernier, martelant le sol de sa canne et exhibant sa perle obscure aux éclats du soleil, aimait parader, faisant le tour de ses gens pour leur réclamer son dû et ses nombreux impôts. Ces pauvres paysans, brasseurs de caillasses, étaient d'autant plus miséreux que leurs terres, bien froides l'hiver étaient complètement sèches l'été. Les pluies qui les arrosaient parfois, disparaissaient aussitôt dans le sol calcaire, sans que ni bêtes, ni plantes, ni hommes ne profitent justement de leurs eaux convoitées et salutaires.
Or un matin, au cours d'une tournée de taxes, le géant rencontra à la croisée des chemins du Pech de Fourques, un lutin souriant, appuyé nonchalamment sur une canne mal dégrossie dans une branche d'oranger. Après quelques civilités échangées le petit personnage s'adressa ainsi au géant :
"Beau messire, quel magnifique joyau je vois là trôner sur votre canne ! Vous devez être bien heureux de posséder une telle pièce pour orner votre sceptre, mais quel dommage qu'une telle merveille de la nature soit si solitaire dans vos atours d'apparat. Quel serait votre bonheur et votre renommée d'enrichir d'une autre pareille votre feutre, de dix autres votre collier et de vingt autres votre ceinture ? Votre puissance et votre gloire se verraient et se sauraient au-delà des marches du royaume."
"Si fait mon bon petit ami ", dit le géant rêveur et attristé", mais cette perle orpheline est unique en son genre "
"Ah mais qu'à cela ne tienne !" répliqua le lutin enjoué "Il y a ici même sous nos pieds, suffisamment de bonne terre, pour que celui qui sait : quoi quand et comment planter, voit croître et multiplier en abondance les fruits les plus précieux, les plus extraordinaires, les plus surprenants soient- ils. Nous autres lutins, amis des fées, connaissons ces secrets magiques et ancestraux."
"Eclaire-moi donc l'ami, et je te couvrirais d'or et de richesses, à ta suffisance "
"Soit puissant Seigneur! J'ai confiance en ta noble parole ...Pour que ta splendide perle se multiplie, il te suffira de l'enterrer à minuit, un vingt neuf du mois de février, dans un endroit comme ici, désert et bosselé de cailloux. Au-dessus, plante cette branche d'oranger, puis part sans te retourner et ne reviens que sept jours plus tard. Il ne te restera alors qu'à venir cueillir les fruits de l'arbre que tu trouveras en lieu et place. Un sur sept sera une perle du même calibre que celle-ci, pour les plus petites. Quel jour sommes-nous ?" conclut le lutin.
"Le vingt neuf février "répliqua le géant, ravi et réjoui du hasard, de la chance, des fruits promis et de sa bonne fortune.
"Et bien fait ce que bon te semblera pour le mieux de tes intérêts !" claironna le petit être , abandonnant sa canne d'oranger tout en s'échappant en sautillant.
Ainsi le soir même, un peu avant la mi-nuit, le géant, en grand secret, sa canne d'une main, la branche d'oranger de l'autre, se faufila dans la pénombre jusqu'en un lieu adéquat. D'un coup de sa canne en chêne, il ouvrit un trou dans le sol pierreux et y déposa sa perle merveilleuse. Il referma bien le tout en prenant bien soin de planter au-dessus le bois d'oranger. Enfin, il repartit sans se retourner dans la nuit, plein d'espoir et d'impatience...
Au jour dit, fébrile sa longue attente, il retourna sur les lieux ...Mais il ne vit aucun oranger miraculeux, aucun arbre perlier d'aucune sorte. Fou de douleur, il fouilla le sol pour récupérer sa perle, son précieux bien, son âme, son pouvoir. Mais il eut beau planter dix fois, cent fois et plus sa canne en maints endroits, rien n'y fit. Les trous restaient béants, vides de perle.
Alors il courut tout le pays comme un dément, sondant le sol de sa canne mutilée, pleurant toutes les larmes de son corps démesuré après son trésor et son honneur disparus...
Honteux et ruiné, il ne laissait derrière lui qu'une multitude de trous, avec juste en leurs fonds que l'eau de ses larmes et les échos de ses pleurs. Puis un matin, on ne le revit point, en quelque endroit que ce soit .
Cette histoire est vraie de vrai, en voici trois preuves. Depuis cette aventure on ne voit plus de géant dans ce pays. Il n'y a toujours pas d'oranger sur ces terres de causse. Par contre, on peut encore voir les dizaines et centaines de trous, traces des fouilles infructueuses du géant. Les paysans les ont même bâti en puits et citernes .Ils offrent maintenant une autre richesse essentielle dans ces terres calcaires : l'eau...

bunni


La visite de Mère Hiver

Tous en Cercle, et je vais vous raconter une histoire pour une longue nuit d'Hiver...

Il était une fois deux soeurs, nous pouvons les appeler Zelda et Johanna, même si elles ont vécu il y a tellement longtemps qu'on ne se rappelle plus de leurs vrais noms. Zelda, la soeur aînée, était très belle à regarder, mais elle n'était pas très gentille. En fait, comme elle était très belle, elle menait sa vie en s'imaginant que tout le monde devait lui rendre service, et la laisser faire ce qu'elle voulait ; et assez souvent, c'est ce que les gens faisaient.
Johanna, la soeur cadette, était différente. Elle était sympathique avec tous ceux qu'elle rencontrait, et serviable, surtout avec les personnes âgées de son village. Elle leur rendait toujours service, essayait de s'assurer qu'ils avaient assez à manger et qu'ils avaient tout le confort nécessaire à disposition. Johanna était plutôt quelconque à regarder, pas laide, mais certainement pas une beauté non plus. Seules les personnes suffisamment sages pour voir sous la surface des choses remarquaient son esprit magnifique dont la brillance filtrait par ses yeux.
Un jour Johanna et Zelda filaient la laine ensemble près du petit puits qui alimentait en eau leur cottage. Johanna faisait tourner son fuseau pour tordre le fil et le lâcha brusquement. Le fuseau roula sur la margelle et tomba dans le puits.
«Regarde ce que tu as fait ! » dit Zelda. « Tu ferais mieux de descendre dans le puits et de le récupérer. On ne peut pas se permettre de le perdre. »
Johanna avait peur mais elle savait que Zelda avait raison. Il n'y avait pas assez d'argent pour remplacer le fuseau. Alors elle descendit prudemment dans le puits en prenant appui sur les pierres les plus saillantes.
Elle descendit, encore et encore et encore, jusqu'à ce que le Cercle de lumière en haut devienne une minuscule étoile, puis disparaisse. Et pourtant le fond du puits n'arrivait toujours pas. Mais il fallait qu'elle continue, et qu'elle récupère le fuseau ! Alors elle continua.

Après un très long moment, elle sentit finalement le sol sous ses pieds. Surprise, elle cessa de s'accrocher aux pierres. Le puits disparut, et elle se tint soudain au milieu d'un vaste champ de neige argentée. Elle ne pouvait distinguer ni Soleil, ni Lune, mais le ciel au-dessus d'elle semblait briller d'une lumière d'argent, et au loin se trouvait un petit bois d'arbres à l'écorce blanche, qui semblaient briller de l'intérieur.
Johanna commença à marcher vers les arbres, et se trouva soudain sur un chemin qui serpentait entre eux. Elle marcha encore, cherchant partout du regard son fuseau. Elle arriva finalement dans une clairière.
Au centre de la clairière se trouvait un énorme pommier, très vieux. Ses rameaux étaient couverts de neige et alourdis par des pommes rouges.
« Cueille-les, cueille-les ! » dit le pommier. « Mes branches vont se briser sous le poids de tous ces fruits. Récolte-les ! Aide - moi ! »
Johanna regarda autour d'elle et vit un grand panier à ses pieds. « Je vais t'aider », dit-elle au pommier, et elle se mit tout de suite au travail. Elle cueillit toutes les pommes qu'elle put atteindre, puis grimpa dans l'arbre pour ramasser les fruits sur les branches les plus hautes. En récoltant les fruits, elle commença à se sentir étrange et rêveuse, à se rappeler toutes sortes de choses qu'elle avait oubliées, comme si en ramassant les pommes elle ramassait ses propres souvenirs. Elle se sentit très fatiguée, mais ne s'arrêta pas avant d'avoir récolté jusqu'au dernier fruit. Puis elle redescendit, remercia l'arbre pour ses fruits, accrocha le panier sur ses épaules et se remit en route.

Le chemin la conduisit de nouveau dans la forêt d'arbres argentés ; des oiseaux d'argent s'appelaient les uns les autres au-dessus d'elle, et des écureuils d'argent couraient parmi les branches enneigées. Elle était fatiguée et le panier était lourd, mais elle continua, cherchant toujours son fuseau. Elle parvint enfin à une autre clairière.
Dans cette clairière se trouvait un gros four de briques, construit à l'ancienne. Devant le four se trouvait une table de bois, et dessus, des miches de pain encore crues.
«Fais-nous cuire ! Fais-nous cuire ! » crièrent les pains. « Si on ne nous fait pas cuire maintenant, en respectant bien le temps de cuisson, nous serons gaspillés. Aide-nous ! »
«Bien sûr, je vais vous aider », dit Johanna. « Je sais cuire le pain. » Elle posa son panier et mit les miches de pain au four, puis elle s'assit et surveilla la cuisson. Elle se sentit encore somnolente et rêveuse, mais cette fois-ci, elle repensait à toutes les choses qu'elle souhaitait et prévoyait de faire dans sa vie, comme si les miches de pain étaient ses propres espoirs et ses rêves en train de lever. Elle lutta contre le sommeil bien qu'elle soit très fatiguée, et continua de surveiller le pain jusqu'à ce qu'il devienne doré et que la croûte soit craquante. Puis elle le sortir du four, le laissa refroidir, et le posa dans le panier avec les pommes. Elle remercia le four pour le pain et se remit en route.

Elle marcha encore dans la forêt, où des renards argentés filaient entre les arbres et où des sangliers blancs laissaient des traces dans la neige. Enfin elle parvint à une autre clairière, et là, elle vit une maison à nulle autre pareille.
La maison était faite de toutes les choses bonnes à manger qu'elle pouvait imaginer. Les murs étaient en gâteau de miel et en pain d'épice, le toit en glacis de chocolat blanc, les marches étaient en bonbon dur, et les rampes en sucre d'orge.
Johanna avait très faim, mais elle savait que ce n'était pas poli de commencer à grignoter la maison de quelqu'un sans demander la permission, alors elle frappa à la porte, qui était un gros cookie au citron.
La porte s'ouvrit et Johanna vit une femme. A première vue, elle semblait très, très vieille, mais quand Johanna regarda mieux, elle lui parut plus jeune. Son visage était sombre comme le vieux bois, ou comme le jeune ciel nocturne, mais lorsque Johanna clignait des yeux, elle devenait blanche, pâle et argentée comme une pleine Lune ou un champ enneigé. L'espace d'une minute Johanna voulut sauter dans ses bras et se serrer contre elle sur ses genoux, mais la minute suivante, elle se retrouva presque trop effrayée pour parler et soutenir le regard ardent de cette femme.
«Je suis Mère Hiver », dit la femme. « Qui es-tu, toi qui viens frapper à ma porte ? »
«S'il vous plaît, Mère, je m'appelle Johanna », répondit-elle. « Je suis à la recherche de mon fuseau, que j'ai perdu, et je vous apporte un panier de pommes que j'ai cueuilli, et du pain que j'ai fait cuire. »
«Tu as frappé à la bonne porte », dit Mère Hiver. « Tous les fuseaux perdus viennent à moi. Et tu m'as apporté de bonnes offrandes. Je t'aiderai, mais avant cela, il faudra que tu travailles pour moi. Tu dois couper du bois pour me tenir chaud, nettoyer ma maison, et faire mon lit. »
«Avec plaisir, Mère », dit Johanna, et elle se mit immédiatement au travail. Comme elle avait toujours aidé les gens de son village, elle savait couper du bois avec une hache, laver les sols, nettoyer les tables et faire la vaisselle. Mère Hiver observa tout ce qu'elle faisait, très satisfaite.
«Maintenant, il te reste juste à monter à l'étage et faire mon lit », dit Mère Hiver. « Secoue bien ma couette de plume par la fenêtre, et fais-le vigoureusement. Car je suis Mère Hiver, et quand tu secoues ma couette par la fenêtre tu apportes de la neiges dans les endroits du monde qui en ont besoin, et de la pluie dans les endroits du monde qui en ont besoin. »
Alors Johanna monta et secoua la literie de plume aussi fort qu'elle le pouvait, et dans le monde d'en-haut la pluie et la neige tombèrent comme il le fallait.
«Tu dois être fatiguée et avoir faim », dit Mère Hiver. « Viens prendre un peu de soupe et un repas chaud. »
Dans la cheminée, Mère Hiver avait mis un gros chaudron plein de soupe chaude. Elle en tendit un bol à Johanna, qui pendant un instant put jeter un coup d'oeil dans le chaudron. Le breuvage y était noir comme le ciel nocturne, constellé d'étoiles tourbillonnantes et de flocons de neige.
«Dans mon chaudron, tu peux voir tous les rêves et tous les possibles », dit Mère Hiver. « Tout ce qui est arrivé et tout ce qui ne s'est pas encore produit y mijote ensemble. Maintenant, buvons. »
Johanna but, et la soupe avait meilleur goût que tous les bonbons et tous les gâteaux du monde. Elle était nourrissante, rafraîchissante et excitante à la fois, et une seule gorgée suffisait pour être rassasié.
«Voici ton fuseau », dit Mère Hiver en le tendant à Johanna. Lorsqu'elle le prit en main, il était lourd, et lorsqu'elle le regarda, elle vit qu'il s'était changé en or massif. Puis, Mère Hiver et elle mangèrent du pain et des pommes.
«Tu as bien travaillé » dit Mère Hiver lorsqu'il fut temps pour Johanna de partir. « Tu m'as apporté de bonnes offrandes. Tu as nourri mon feu et nettoyé ma maison, et tu as secoué bien fort ma couette de plume ! Quand tu retourneras dans ton monde, tu découvriras que tu a emporté avec toi des dons. Car je suis la Pourvoyeuse et l'Enseignante. »

Johanna revint donc, parcourut tout le long chemin à travers le bois argenté, passa devant le four, passa devant le pommier, jusqu'au vaste champ où un cercle sombre s'ouvrait dans le ciel comme une bouche béante. Johanna brandit son fuseau d'or, et un rayon de lumière s'éleva dans l'obscurité. Elle sentit soudain les pierres du puits sous ses mains et elle grimpa, monta et monta jusqu'à repasser par dessus la margelle.
Zelda s'impatientait près du puits. « Où était-tu ? » demanda - t' elle. « Qu'est-ce qui t'as pris si longtemps ? Et qu'est-ce qui t'es arrivé ? »
Car Johanna avait l'air assez différente de la jeune fille qu'elle était avant de descendre dans le puits. Ses traits n'avaient pas changé, mais à présent son visage semblait briller d'une lueur intérieure, et la bonté de son coeur la rendait vraiment belle. Elle ouvrit la bouche pour expliquer à sa soeur ce qui s'était passé, et tandis qu'elle parlait, de l'or, de l'argent et des pierres précieuses tombèrent de sa bouche et couvrirent le sol.
«Tu as pris du bon temps, à ce que je vois ! » dit Zelda. Elle était très jalouse. « Pourquoi est-ce que tu devrais avoir toutes ces bonnes choses et moi rien ? Je vais descendre dans ce puits moi-même ! »
Et elle enjamba la margelle pour descendre. Elle se retrouva dans le pays argenté, et marcha à travers le bois jusqu'à la clairière au pommier.
«Cueille-moi, cueille-moi ! » dit le pommier. « Mes branches vont se briser sous le poids de tous ces fruits. Récolte-les ! Aide - moi ! »
«Ha ! », dit Zelda avec ennui. « Est-ce que j'ai l'air d'un jardinier ? Tu ne crois pas que j'ai des choses plus importantes à faire que de perdre mon temps à ramasser des pommes ? Qu'elles pourrissent, tes pommes ! »
Et elle passa son chemin.
Elle arriva bientôt à la clairière au four où des miches de pain attendaient d'être cuites.
«Fais-nous cuire ! Fais-nous cuire ! » crièrent les pains. « Si on ne nous fait pas cuire maintenant, en respectant bien le temps de cuisson, nous serons gaspillés. Aide-nous ! »
«Ha ! » dit Zelda avec ennui. « Est-ce que j'ai l'air d'un boulanger ? Tu ne crois pas que j'ai des choses plus importantes à faire que de m'asseoir et de regarder du simple pain qui cuit ? Qu'il soit gaspillé, qu'est-ce que ça peut bien me faire ? » Et elle passa son chemin.

Elle arriva finalement devant la maison de Mère Hiver, faite en toutes les bonnes choses qu'elle pouvait imaginer manger. Elle avait faim, alors elle brisa un morceau de pain d'épices dans un mur et commença à le manger.
La porte de la maison s'ouvrit et Mère Hiver sortit. « Je suis Mère Hiver », dit-elle. « Qui es-tu, et pourquoi viens-tu ici ? Pourquoi manges-tu ma maison sans m'avoir demandé la permission ? »
«Excusez-moi », dit Zelda. « J'avais faim. Je suis venue parce que vous avez donné des choses vraiment merveilleuses à ma soeur et je pense que vous devriez aussi me faire quelques cadeaux. »
«Ah, vraiment ? Vraiment ? » dit Mère Hiver. « Quelles offrandes m'apportes-tu ? »
«Des offrandes ? » dit Zelda. « Je ne savais pas que j'étais sensée apporter des offrandes. Je pensais que c'était vous qui faisiez des cadeaux. »
«Je suis la Pourvoyeuse, en effet », dit Mère Hiver. « Mais les cadeaux se méritent. Tu as grignoté ma maison sans me demander la permission, et tu ne m'as apporté aucune offrande, mais je vais quand même te donner une chance d'obtenir mes cadeaux. Tu devras travailler pour moi. Il faudra couper du bois pour nourrir mon feu et nettoyer ma maison, et faire mon lit. »
«Je suis obligée ? » pleurnicha Zelda. « Est-ce que j'ai l'air d'une femme de ménage ? » Mais elle ne le dit pas très fort. Elle sortir pour couper du bois mais comme elle n'avait jamais pris la peine d'aider qui que ce soit dans ses corvées auparavant, elle ne savait pas comment couper une bûche ni comment utiliser une hache. Après quelques essais à contrecoeur, elle abandonna. Elle rassembla quelques morceaux qui restaient sur le sol et les apporta à l'intérieur. Puis elle essaya de nettoyer le sol mais tout ce qu'elle parvint à faire fut de déplacer la poussière. Elle fit tomber les miettes de la table sur le sol, ce qui le rendit encore plus sale, et fit la vaisselle avec tellement de mauvaise volonté que de la nourriture collait encore aux assiettes quand elle les empila.
«Je peux avoir mes cadeaux maintenant ? » demanda Zelda.
«Tu n'as pas bien travaillé », dit Mère Hiver. « Tu as grignoté ma maison sans permission, et tu ne m'as apporté aucune offrande. Tu n'as pas nourri mon feu, ni nettoyé ma maison. Pourtant je vais encore te donner une chance. Monte à l'étage et fais mon lit. « Secoue bien ma couette de plume par la fenêtre, et fais-le vigoureusement. Car je suis Mère Hiver, et quand tu secoues ma couette par la fenêtre tu apportes de la neiges dans les endroits du monde qui en ont besoin, et de la pluie dans les endroits du monde qui en ont besoin. »
«Oh, d'accord. » soupira Zelda. Elle monta à l'étage et essaya de soulever la couette, mais elle lui sembla trop lourde.
«Elle ne saura jamais si je l'ai fait ou non », se dit Zelda, et elle se contenta de la tapoter un peu sur le lit avant de redescendre. Ainsi, dans le monde d'en haut, il ne plus pas et ne neiga pas, et la terre resta sèche, brune et altérée.
«Je peux avoir mes cadeaux maintenant ? » demanda Zelda avec espoir.
Mère Hiver soupira. « Tu n'as pas bien travaillé. Tu as grignoté ma maison sans permission, et tu ne m'as apporté aucune offrande. Tu n'as pas nourri mon feu, ni nettoyé ma maison, et tu n'as même pas secoué ma literie. Pourtant je vais t'offrir de goûter à ma soupe. »
«De la soupe ! » s'écria Zelda, indignée. « Je ne suis pas venue ici pour de la soupe. Je suis venue pour l'or et les joyaux et la beauté que ma soeur a eues. »
« Très bien » dit Mère Hiver. « Je suis la Pourvoyeuse et l'Enseignante. Retourne dans ton monde, et tu y découvriras que tu as reçu les dons que tu mérites. »

Alors Zelda revint par le long chemin dans la forêt argentée, passa le four et le pommier et le champ enneigé , grimpa dans le puits, et trouva en passant la margelle sa soeur Johanna qui l'attendait.
« Mais qu'est-ce qui t'es arrivé ! » cria Johanna. Car Zelda avait changé. Bien que ses traits soient restés les mêmes, ils semblaient maintenant tirés et pincés, aussi tordus que son esprit. Et lorsqu'elle parla, des nuages de mouches et de moustiques s'échappèrent de sa bouche.
Et ainsi demeura - t' elle jusqu'à la fin de ses jours, ou au moins jusqu'à ce qu'elle ait compris quelques leçons. Qui sait ? Peut-être qu'elle est retournée dans le puits et qu'elle a mieux travaillé cette fois. Car Mère Hiver est l'Enseignante, qui nous donne toujours une seconde chance.

bunni


Une rose enchantée...

Il y a beaucoup d'années, très loin au fond
d'une forêt vivait une vieille dame.
Elle se prénommait Rita.
Son dos courbé, ses cheveux gris, sa figure ridée
faisait croire qu'elle était d'un âge avancé.
Mais certaines gens croyaient davantage que c'était
le chagrin qui l'avait transformée ainsi.
En effet, son mari, Alphonse, avait été emporté par les anges.
Et depuis ce temps, elle avait décidé de vivre au travers de la
nature, les fleurs, les animaux dans une petite maison de bois rond.

Elle possédait très peu de choses.
Un poêle à bois, une petite table, une chaise.
Quelques plats, ustensiles et chaudrons pour cuisiner un peu
car elle ne mangeait pas beaucoup et ne dormait pas beaucoup.
Sa plus grande préoccupation, les fleurs de son jardin.
Elles enjolivaient son coeur et lui adoucissaient la vie.
Mais toutes ces jolies fleurs réclamaient des soins.
Et Rita leur prodiguait les meilleurs soins de ses mains et de son coeur.
Et des fleurs magnifiques grandissaient aux yeux ravis de Rita.

Mais un jour, malgré tous les bons soins de Rita,
le soleil ardent et les rares pluies courbaient toutes
les fleurs, marguerites, narcisses, pétunias, jonquilles
et toutes les plus belles variétés les unes des autres
et lui faisait craindre le pire.

Mais...

Mais au coeur de toutes ces fleurs se cachait une fleur spéciale
et d'une beauté rare.
On la prénommait "rose". Rose se teintait de rouge,
de rose bien sûr, de jaune et une petite nouvelle la bleue.
On prétendait que rose était d'une grande fragilité!
Et pourtant avec un peu d'amour tous les jours, rose tenait bon.
Elle conservait sa forme et sa couleur malgré le soleil ardent
et les rares pluies.
Rita l'eut vite remarqué.
Et c'est avec tout son coeur qu'elle lui offrait son amour.
Rose se sentit si aimée qu'elle donna force et courage
à ses petites soeurettes les fleurs pour tenir le coup
jusqu'aux prochaines pluies.

Et un jour plus merveilleux que tous les autres,
une pluie d'argent tomba durant la nuit.

Rose avertit toutes les fleurs leur donna beaucoup
d'amour et on put voir toutes les fleurs reprendre leurs
formes et leurs couleurs devant les yeux ébahis de Rita.
Toutes ses fleurs revivaient, elles étaient miraculeusement
sauvées par l'amour de rose.
Et tournant son regard, elle vit avec son coeur et ses yeux,
un champs sec et aride, se transformer en un champs de
roses de toutes les couleurs!
Mon Dieu! se dit-elle,
"Les mots sont trop petits pour exprimer les sentiments de mon coeur". Et c'est à ce moment qu'une petite voix dit: "Prends une rose, elle exprime tout l'amour du coeur." Elle cueillit une, une belle rouge, elle huma son parfum, la posa sur son coeur et l'aima. Et c'est alors...que Rose redressa le dos, ses cheveux devinrent blonds comme les blés, ses rides disparurent et retrouva son coeur de jeune fille.
Et de loin, elle put voir la silhouette de son Alphonse.
"Alphonse" cria-t-elle.
Alphonse courut vers sa Rita, la prit dans ses bras et maintenant
plus jamais ils ne seront séparés.

Car l'amour que Rita avait prodigué à sa rose,
rose l'avait redonné à son tour à Rita.
Elle avait fait revivre un grand amour celui de Rita et Alphonse.

Et c'est ainsi que rose devint le symbole de l'amour et de l'espoir!
"Un amour n'est jamais tout à fait perdu lorsqu'il y a l'amour et l'espoir"


bunni


La petite boîte à mots

Il était une fois une source d'où s'écoulaient des mots. Ils arrivaient un peu au hasard, des fois au compte gouttes, d'autres fois à flots, mais ils s'écoulaient sans cesse. Il n'y avait pas de propositions comprenant plus de deux ou trois mots, pas de phrases, pas d'histoires. Les mots grouillaient de partout : ils bourdonnaient là où on s'y attendait le moins et on pouvait tomber dessus n'importe où. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'avaient ni queue ni tête. On ne comprenait rien à rien, tellement ils étaient nombreux et désordonnés.

Mais un jour, Fantaisissimus, un bon sorcier plutôt facétieux, découvrit la source des mots. Lui, il aimait accomplir toutes sortes de sortilèges, même si certains étaient regrettables. Encore qu'il fut un bon sorcier, comme on disait...
Fantaisissimus se passionna pour la Source des Mots sans Queue ni Tête. Il joua un peu avec les mots, les disposa par rangées de dix, puis de cent, il tissa des tapis de mots et fabriqua des petites maisons avec un feu qui brûlait à l'intérieur et une fumée de mots qui sortait par la cheminée. Cela dura un certain temps, jusqu'à ce que Fantaisissimus s'en lasse.

Alors, il pensa créer un sortilège plus compliqué qui puisse durer pour toujours et dont personne ne se lasserait jamais. Il commença par étudier les mots et s'aperçut qu'ils n'étaient pas tous pareils. Fantaisissimus observa qu'il existait des mots très arrogants, qui nommaient touts ce qui se trouvait autour. Il existait également des mots qui entraînaient d'autres mots, qui les suivaient sagement, comme les poussins suivent leur mère. Il y avait des mots qui ne tenaient pas en place et qui faisaient le lien entre les autres mots. Il y avait des mots boiteux, des mots acariâtres, des petits mots, des grands mots, des mots gentils, des mots méchants, toutes sortes de mots.

Comme les abeilles dans une ruche. Ils ressemblaient beaucoup aux abeilles, en effet, car ils volaient partout, piquaient des fois assez méchamment, mais il arrivait aussi que dans leur batifolage, ils fassent couler du miel.

Après avoir observé toutes les espèces de mots, Fantaisissimus se mit à les organiser. Il prit des petites boîtes spéciales et il construisit toutes sortes d'objets faits de mots qu'il rangea dedans. Des fois, ça lui prenait beaucoup de temps pour remplir une boîte, d'autres fois ça allait assez vite. Il aligna ces boîtes sur des étagères et les envoya dans le monde pour faire un cadeau aux hommes.

Les hommes les nommèrent « livres ». Les livres sont comme des petites boîtes où se tiennent tranquilles, bien organisés par Fantaisissimus, beaucoup d'objets faits de mots. En les ouvrant, on y trouve des choses qu'on a du mal à imaginer : des animaux et des rivières, des grands navires, des palais, des fées et des recettes de bons gâteaux, et aussi des choses un peu plus compliquées, qu'il serait difficile de raconter, comme par exemple des leçons de chimie ou de mathématiques.

Des fois, les mots de certaines boîtes courent et sautent partout dans la maison dès qu'on ouvre un livre – pardon ! une boîte de Fantaisissimus. Puis ils reviennent et se tiennent tranquilles jusqu'à la prochaine fois où quelqu'un ouvre la boîte. Et ils peuvent rester ainsi des mois, des années, des décennies, voire des siècles d'affilée. Des fois ils restent jeunes, d'autres fois, ils vieillissent et quand on ouvre la boîte, ils ne sont plus aussi fringants ; ils grincent et ont besoin de réparations.

Alors d'autres mots, plus jeunes, envoyés par Fantaisissimus, viennent à leur secours. Car la source des mots coule sans s'arrêter et l'enchanteur des mots, Fantaisissimus, s'est installé juste à côté d'elle et fabrique toujours ses boîtes magiques.


bunni


Le petit garçon à la rose

C'est l'histoire d'un petit  garçon qui trouva un jour sur son chemin une rose.

Il en caressa les pétales, et la rose qu'on avait coupée se dit : « je n'ai jamais eu autant de vie, depuis que ce petit garçon m'a cueillie ».

Mais il ne l'avait pas cueillie, il l'avait trouvée sans vie sur le chemin de sa vie. Il en est ainsi des choses : où certains pensent qu'on les fit, le hasard fit qu'on les trouva.

Et depuis il aimait sa rose et en rêvait souvent la nuit.

Elle était toute rose - sa rose ; il l'avait mise dans un grand verre d'eau, parce que la tige n'était pas longue et qu'elle n'aurait pas aimé la terre où l'on cachait les êtres et les choses.

C'était une belle rose de l'été.

Le petit garçon s'est dit : « ce sera bien pendant l'hiver : quand je regarderai ma rose, je ne verrai plus que l'été et je n'aurai plus de pluie, ni d'hiver ».

Il ignorait que les petits garçons grandissent après l'été et oublient toutes choses - même les roses qui se fanent quand vient l'hiver.

Le petit garçon s'est endormi - rêvant d'une rose perdue dans un grand verre de cristal transparent.

Au matin le soleil brillait : il regarda la rose endormie, dolente - comme le font toutes les roses, quand le jour se lève.

Il avait tant de choses à lui dire qu'il gardait en lui. Il l'aimait, mais il voulait tout faire très vite : arroser sa rose, écrire des lettres sur une ardoise, calculer et dessiner tous ces panneaux qu'il avait appris – comme on suce un sucre d'orge – dans le livre du code de la route. Il avait envie de lui dire aussi qu'il courait après le vent - parce que le vent courait très vite et qu'on avait le temps de rien faire si on ne le rattrapait pas.

C'est qu'il voulait aller très vite le petit garçon à la rose – parce qu'il savait en son cœur qu'il fallait voler l'ombre des choses, avant que le jour nous les vole.

Parfois il restait silencieux à contempler sa rose - à poser son regard sur l'herbe d'un jardin, sur un oiseau qui vole ; le petit garçon à la rose était très curieux, mais il restait souvent silencieux – parce ce que quand on aime,  on a pas toujours besoin de parler.

A le regarder – ce petit garçon à la rose - on se trompait souvent : on pensait qu'il ne voyait pas, qu'il ne rêvait pas. On s'étonnait de son rire et de ses mouvements de bras qu'il faisait parfois en ivresse, comme un moulin à vent -  sans savoir que c'était pour mieux sentir les vents d'été.

On s'étonnait de cette rose qui restait à le contempler, comme lui l'admirait.

A poser le regard sur la tête de boucles blondes, à se perdre dans des yeux aussi clairs qu'un des plus beaux ciels de l'été, le temps semblait s'être arrêté.

Quand vint la fin de l'automne et que la nature s'endormit, un grand rire résonna. L'enfant, comme chaque jour de l'été - avait couru du jardin de l'ouïe où les oiseaux s'étaient tu jusqu'au jardin des odeurs où vivait sa fleur : il ne semblait rester personne – ni des oiseaux, ni des fleurs.

Pourtant, au bout de l'allée du jardin où il avait couru, il s'arrêta émerveillé devant la rose qu'il avait plantée : la rose vivait, éclatante sous les nuages amoncelés d'un automne frileux. Elle offrait à son regard la roseur de ses pétales, la douceur des parfums d'étés : l'amour qu'il lui  avait donné.

L'enfant émerveillé et muet posa son visage sur les pétales de sa belle amie de l'été.

Ce fut la première fois je crois qu'une rose pleura à l'automne des perles de rosée, parce qu'elle se sentait aimée d'un petit garçon à la rose.


bunni


Le voyage du saule pleureur

Il était une fois un saule pleureur chevelu qui pleurait à froides larmes, sous la pluie, devant une cour d'école. C'est qu'il était tendre, sous son écorce rugueuse, et la misère du monde lui glaçait le cœur.
Mais les gens ne savaient pas que c'était sur eux, qu'il pleurait. Ils disaient:
-Qu'est-ce qu'il a donc, ce larmoyeur , ce triste sire? Avec ses grandes eaux, on dirait une fontaine!
Certains lui donnaient des coups de pied en passant et les enfants lui arrachaient son feuillage à poignées. Alors un matin, il en a eu assez. Il a rassemblé ses racines, son tronc rugueux, ses cheveux verts, ses larmes froides et il est parti. Il avait entendu parler du jardin d'Eden, où tout le monde vivait heureux, au commencement du monde. C'était là qu'il voulait aller.
Facile à dire ! Il était un arbre ! Personne ne lui avait appris à marcher ! Il trébuchait, il tombait, il se relevait, il retombait, il a eu toutes les peines du monde à quitter la ville.
La première personne qu'il a rencontrée était un paysan qui allait au pré chercher ses vaches pour les traire. Il s'est campé devant le saule pleureur en disant d'un ton furieux:
-Dis-donc, toi, a quoi joues-tu? Tu me prends pour un imbécile? Tu voudrais me faire croire que tu marches! Ca ne va donc pas, dans ta tête verte? Tout le monde sait bien qu'un arbre ne peut pas marcher! Donc un arbre ne marche pas! Je vais t'apprendre à te moquer de moi!
Et il lui a donné une grande volée de coups de bâton.
Le deuxième était un ouvrier qui rentrait à bicyclette de l'usine où il avait travaillé la nuit. En voyant l'arbre qui venait vers lui, il a failli se trouver mal. Il est descendu de vélo en disant :
-Un arbre qui marche! Voilà que j'ai des visions ! Je n'ai pourtant pas bu une goutte d'alcool ! Je dois avoir la fièvre et je délire! je suis certainement très malade !
Il tremblait tellement qu'il n'a pas réussi à remonter sur sa bicyclette. Il a continué son chemin à pied, il s'est mis au lit en arrivant et sa femme a appelé le médecin.
Le troisième allait au marché dans sa camionnette. Il a dit:
-Qu'est-ce que je vois de mes propres yeux ? Un arbre qui marche ! Oh ! ça ne peut être qu'un mauvais sujet animé de mauvaises intentions ! Il va peut-être se laisser tomber sur une voiture et écraser d'un coup toute une famille ! Ou peut-être il rêve d'étrangler un enfant avec ses longues branches souples! Il faut le mettre hors d'état de nuire! C'est une mesure d'intérêt général ! Je vais le découper pour le brûler l'hiver prochain dans ma cheminée !
Et il a fait demi-tour pour aller chercher sa tronçonneuse.
Le saule pleureur était à moitié mort de peur. Il avait à peine commencé son voyage et il voyait déjà sa dernière heure arrivée. Il a essayé de courir mais il ne pouvait pas, il s'empêtrait dans ses racines. Il a pris un chemin de traverse mais il savait que l'homme à la tronçonneuse arriverait à le rattraper et dans son cœur, il se préparait à mourir.
C'est alors que le vent est intervenu. Sa plus jeune fille, Petite Brise d'Eté avait beaucoup joué dans le feuillage du saule pleureur. Ils étaient amis. Le vent l'a soulevé dans ses grands bras invisibles, très haut dans le ciel - les gens qui levaient le nez à ce moment-là ont cru voir passer une cigogne ou une oie sauvage égarée - et il l'a déposé loin de là, au bord d'une rivière. L'homme à la tronçonneuse a eu beau chercher, il ne l'a jamais retrouvé.
-Vent, a demandé le saule pleureur, sais-tu où se trouve le jardin d'Eden et pourrais-tu m'y conduire ?
-Désolé ! a dit le vent. Désolé ! Je ne peux pas ! Je sais qu'il se trouve au fin fond de la nuit des temps mais je ne connais pas le chemin qui y mène !
-Tant pis! a dit le saule pleureur. Je marcherai tant que je finirai bien par y arriver.
Il a rafraîchi ses racines et il a décidé d'attendre la nuit pour repartir afin de ne pas rencontrer les hommes. Ils sont trop dangereux pour les arbres qui marchent !
La rivière lui a dit:
-Personne ne va plus au fond de la nuit des temps. Tu n'y arriveras pas plus que les autres. Il faudrait que tu marches à reculons très, très vite. Et même comme ça, je ne suis pas sûre que tu le pourrais. Prends plutôt racine sur ma rive. Tu seras bien, ici.
C'était vrai, l'endroit était tranquille et agréable, mais on ne renonce pas si facilement à poursuivre ses rêves et, dès la nuit tombée, le saule pleureur est reparti.
La lune l'a accompagné un moment. Elle était toute jeune, un mince croissant rose dans le ciel.
-Lune, a demandé le saule pleureur, éclaires-tu le jardin d'Eden et pourrais-tu m'y conduire ?
-Non, je regrette, a répondu la lune. Le jardin d'Eden est très loin derrière nous, au fond de la nuit des temps et mes rayons n'arrivent pas jusque là. Pour y parvenir, il faudrait que le monde se mette à tourner à l'envers et il ne voudra jamais, ça changerait trop ses habitudes. Il va du matin vers le soir, il faudrait qu'il remonte du soir vers le matin. Tu vois un peu les complications! Les gens dormiraient avant de s'être couchés. Ils mangeraient avant d'avoir fait la cuisine. Ils seraient vieux avant d'être jeunes et de retourner dans le sein de leur mère. Les enfants naîtraient avant leurs parents et bien avant leurs grands-parents. Ce ne serait pas pratique du tout et personne ne voudrait en entendre parler. Crois-moi, ton rêve est insensé, tu ferais mieux d'y renoncer. Laisse la vie aller son train et ne te mêle pas de la contrarier !
Mais le saule pleureur n'était pas parti pour s'arrêter si vite et il a continué son chemin.
Maintenant, il marchait bien et d'un bon pas. Il a marché des nuits et des nuits, des semaines et des semaines, des mois et des mois sans trouver le jardin d'Eden. Seulement, à force de marcher, la fatigue l'a gagné. Ses racines se desséchaient , ses branches se cassaient, il n'en pouvait plus et une nuit, il a senti qu'il ne pourrait plus aller beaucoup plus loin. Il se trouvait devant une petite maison blanche avec un jardin superbe, débordant de fleurs. Alors, le saule pleureur a rassemblé ses dernières forces, il a réussi à sauter par-dessus la grille et il s'est allongé sur la pelouse pour mourir.
La maison était habitée par un grand-père, une grand-mère, et deux petites filles qui y passaient leurs vacances. Au matin, les volets se sont ouverts, il y a eu des cris de surprise et tout ce monde s'est précipité autour du saule pleureur.
-Ca, par exemple! Comment cet arbre peut-il se trouver là ? demandait la grand-mère.
-C'est sûrement une fée qui l'a amené ! ont dit les petites filles.
Une fée! La grand-mère pensait qu'il n'y en avait plus sur la terre, qu'elles avaient émigré sur la face cachée de la lune, quand les gens étaient devenus méchants. Mais après tout, peut-être qu'elles revenaient de temps en temps en visite, sans que personne le sache. Elle a approuvé:
-Oui, c'est peut-être une fée. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas pu venir tout seul !
Elle croyait ça, la grand-mère ! Comme elle se trompait! Vous voyez bien qu'en réalité, on n'est jamais sûr de rien !
-En tout cas, a dit le grand-père, il faut vite le planter, il est presque mort, ses feuilles sont toutes flétries !
Il s'est mis à creuser un grand trou près de la terrasse. En un rien de temps, le saule pleureur a été planté et arrosé. Quand il a eu fini, le grand-père lui a tapoté le tronc en disant :
-Vieux frère, va, j'espère que tu vas être tiré d'affaire !
Et le saule pleureur s'est senti tout ragaillardi.
Tous les matins, quand il sortait dans le jardin, le grand-père le regardait et disait:
-Ca a l'air d'aller, vieux frère!
Et tous les soirs il lui apportait deux grands arrosoirs d'eau.
La grand-mère et les petites filles s'installaient sous son ombrage pour raconter des histoires.
Il y avait aussi un chat, Alexandre le Magnifique, qui s'était pris d'amitié pour lui et passait des après-midi entières à ronronner sur une de ses grosses branches.
Le saule pleureur s'enracinait et reprenait vie.
Ce n'était pas le jardin d'Eden, mais ça y ressemblait tellement ! Le saule pleureur a su qu'il était arrivé et que ce petit jardin méritait le voyage. Et maintenant il ne pleure plus jamais à froides larmes, car son cœur d'arbre est toujours plein de lumière et de chaleur !

bunni


La fée aux cerises

Madame Berthier s'apprêtait à descendre pour se rendre à son travail quotidien ; elle enveloppa ses épaules d'un vieux châle élimé ; puis, se retournant vers la couchette d'où son fils chéri, son Hubert, suivait tous ses mouvements, de ses grands yeux fiévreux, elle l'embrassa et lui dit :
"Je pars, mon petit ; mais tu seras bien tranquille, tu ne te pencheras point par la fenêtre, si tu veux prendre l'air... Et je te rapporterai quelque chose de bon pour le déjeuner. Que désires-tu ?
Les prunelles de l'enfant malade brillèrent soudain.
"Oh ! mère, des cerises ; cela seulement me ferait plaisir.
-Des cerises ?... Mais, mon chéri..., nous ne sommes pas en juin, et celles que l'on vend viennent encore de loin.
-Alors elles coûtent trop cher pour nous ? soupira Hubert en détournant la tête. Maman, ne m'achète rien, veux-tu ? Je n'ai pas faim, d'ailleurs."
Hélas ! il n'avait jamais faim, le pauvret.
Cette réflexion de l'enfant, discret et raisonnable, n'empêcha pas la mère une fois dans la rue et frôlant une voiture pleine de primeurs appétissantes de marchander des cerises.
Encore bien pâles, ces premiers fruits de la saison ! mais il pouvait plaire au petit Hubert. Seulement, la vendeuse en réclama un prix si élevé que Mme Berthier s'éloigna tristement, sans pouvoir en acheter.
Ce que gagnait la pauvre veuve, dans sa journée, suffisait à peine à ses deux maigres repas de chaque jour et aux médicaments du malade.
"Que de gens riches sont heureux ! pensait-elle, non sans amertume ; ils peuvent donner à leurs enfants souffrants ce qu'exige leur caprice. Nous, les pauvres, il faut le leur refuser. Hélas !"
Et elle s'en alla au travail.
Pendant ce temps, une gentille fillette blonde rentrait avec sa bonne, une serviette d'écolier à la main. Toutes deux franchirent le seuil d'une belle maison voisine de celle où habitait Mme Berthier.
Arrivée au deuxième étage, la blondinette courut tout droit à la chambre de sa mère occupée à sa correspondance, et qui dit dans un baiser :
"Chérie, tu trouveras à la cuisine un gros colis que t'envoie ta marraine. Ce sont, je crois, des fruits, car elle est à la campagne, dans le Midi. Ouvre le paquet avec Jenny ; moi, je n'ai pas le temps de t'aider."
Ravie, Marguerite obéit et entra dans la cuisine où, avec Jenny, elle détacha la ficelle du colis.
Mme Henner, sa maman, ne s'était pas trompée : la corbeille, envoyée par une marraine très bonne, renfermait des cerises superbes.
Une exclamation, partie d'une fenêtre située à l'étage supérieur, en face de la cuisine, lui fit soudain lever la tête. A cette fenêtre, où flottait un pauvre rideau fané et usé, se montrait un pâle visage d'enfant malingre et souffreteux.
Mais ce qui frappa surtout Marguerite, ce fut le regard d'avidité maladive attaché sur les cerises. Un sourire navrant se dessinait sur les lèvres presque blanches, altérées sans doute, brûlées de fièvre du petit garçon, qui, là-haut, joignait les mains, des mains maigres, émaciées ; toute son attitude angoissée, frémissante de désir, semblait dire :
"Oh ! des cerises !..."
Puis, lassé probablement par cet effort, ou bien ne voulant plus regarder ce qui le tentait si fort et qu'il ne pouvait avoir, il se retira de la fenêtre et regagna son petit lit : sa maman ne lui avait-elle pas recommandé, d'ailleurs, de ne pas se pencher au dehors ?
En bas, dans la cuisine où roulaient les beaux fruits vermeils, Marguerite, soudain pensive, questionna sa bonne :
"Jenny, qui est ce petit garçon ?
-Oh ! répondit la servante, en secouant les épaules avec insouciance, c'est le petit Berthier ; un enfant malade qui ne doit guère s'amuser tout seul, pendant que sa maman travail au dehors.
-Comme il regardait mes cerises !..."
Jenny se mit à rire :
"Je crois bien ; ce n'est pas chez lui qu'on mange de telles primeurs. Ah ! Mademoiselle aura de quoi offrir un joli goûter à ses amies, avec cette belle provision ; ce sera si bon, avec des brioches !"
Mais Marguerite ne l'écoutait plus, elle réfléchissait.
Soudain, laissant là le colis, elle retourna, légère et bondissante, chez sa mère qui eut, à sa vue, un petit froncement de sourcil :
"Eh bien ! qu'y a-t-il, mignonne ? Je t'avais dit de me laisser écrire."
La fillette se pencha et, lui entourant le cou de ses jolis bras, elle lui glissa une prière dans l'oreille.
"Mais oui, ma chérie, répondit Mme Henner ; je te permets toujours d'accomplir une action charitable ; seulement, fais-toi accompagner."
Peu après, Marguerite, suivie de Jenny très étonnée et quelque peu indignée d'une telle prodigalité, grimpait lestement l'escalier noir et raide qui conduisait chez la veuve Berthier.
Au troisième étage, la fillette s'arrêta et, prenant des mains de la bonne la corbeille alourdie par les cerises, elle ordonna :
"Attendez-moi sur le palier, Jenny ; je ne serai pas longue, et maman m'y autorise."
Sans frapper, elle entra chez le petit malade, dont la porte n'était pas fermée à clé, par prudence. Il sommeillait, étendu sur son lit.
Au frôlement que produisit la robe de Marguerite contre sa couchette, il entr'ouvrit un oeil languissant , mais il rêvait, sans doute, car il murmura faiblement :
"Oh ! quelle joie ! la Fée aux cerises ! la jolie Fée !... Si elle venait m'apporter de ses fruits si doux !... Si elle avait deviné mon envie !"
Alors, riant, Marguerite entra dans son rêve, et, jouant le rôle de la fée qu'elle représentait, en effet, avec ses boucles blondes répandues sur ses épaules, avec sa robe claire, et surtout avec son fardeau appétissant, elle répondit en versant sur la couverture le contenu de la corbeille :
"Oui, mon petit garçon, je suis la Fée aux cerises, et je te fais don des beaux fruits que tu désires."
Et, avant que le petit Hubert pût revenir de sa surprise, elle gagna la porte, ses cheveux d'or flottant derrière elle.
Le malade resta persuadé qu'il avait entrevu, très éveillé, une mystérieuse apparition ; et ce fut avec une joie mêlée de respect qu'il commença d'étancher sa soif avec les cerises.
Lorsque Mme Berthier reparut à l'heure du repas, timidement elle apportait à son fils un petit pain mollet, plus une très petite tranche de jambon. Pour payer cet extra, elle se privait elle-même de viande ; et encore ignorait-elle si l'enfant, capricieux depuis sa maladie, consentirait à y goûter.
Et quelle ne fut pas sa stupeur en le trouvant rayonnant, son petit visage transfiguré, au milieu de belles cerises éparses auxquelles il avait déjà fait honneur.
"Qui t'a envoyé ce cadeau coûteux ? demanda l'ouvrière, inquiète.
-Oh ! mère, écoute : je dormais, oui, je dormais, lorsque j'ai vu entrer une demoiselle aux cheveux or, et qui portait péniblement une corbeille pesante... Je l'ai reconnue bien vite, va ; tu te rappelles la jolie Fée que représente mon image coloriée, le dernier cadeau que tu m'as fait, n'est-ce pas ? Eh bine ! c'était elle qui pénétrait chez nous. Bien vite je lui ai dit mon désir d'avoir des cerises, car je mourrais de soif, et tu ne me permets pas de boire l'eau du robinet. Aussitôt, cette belle dame a répandu sur mon lit tous ces fruits, si beaux que je n'en ai jamais vu de pareils, et si doux qu'on devine bien d'où ils viennent. Mange, maman, goûte-les, tu me comprendras... Et, tiens, je crois qu'ils m'ont guéri. Non seulement je ne suis plus altéré, mais il me semble que j'ai faim, que je mangerais avec toi."
Il ne fit pas un repas copieux, le petit Hubert, mais c'était la première fois depuis deux mois qu'il montrait un peu d'appétit, et cela marqua le début de sa convalescence.
Les cerises de la fée l'avaient sauvé.
Secrètement, la mère, des larmes de reconnaissante aux yeux, alla remercier la généreuse fillette dont elle devinait l'intervention charitable.
Beaucoup plus tard, lorsque son fils, devenu un artiste de talent, rappelait un jour l'histoire des cerises, elle lui nomma la charmante Marguerite, la prétendue fée à laquelle il devait une des joies de sa triste enfance.
Hubert était alors en train de devenir un grand peintre. Un de ses grands succès, un tableau qui contribua beaucoup à établir sa réputation et à le conduire à la fortune, fut une toile exquise, intitulée : La Fée aux cerises.
Cette peinture représentait une jolie fillette au visage aussi fin que compatissant ; vêtue de clair, ses longs cheveux blonds répandus sur les épaules, elle semait de cerises magnifiques le pauvre lit d'un petit malade aux yeux ardents, qui joignait les mains avec admiration devant cette aubaine inespérée.

Roger DOMBRE

bunni


Les vagabonds de Lune

Ce soir deux pauvres vieux ont frappé à la ferme. Ils marchaient d'un même pas, parlaient d'une même voix, demandèrent du pain, de la soupe et du vin. La lune brillait à la fenêtre, et la fixant ils ont murmuré,
-Voilà qui me rappelle l'histoire des temps anciens.

Voilà qui me rappelle la première nuit, celle où la Lune était bleue, promesse de magie. Voilà qui me rappelle comme elle éclairait le sommeil d'une petite fille bizarrement jolie et que tous admiraient.

Pourtant la deuxième nuit, la magie disparut. Une lune banale flottait au-dessus du château où le prince criait. Un bébé sans attrait, un cri semblable à des milliers. Comme il était fils de roi, on écrivit dans les annales « Il naquit sous une Lune pareille à milles diamants entrelacés ». C'était un mensonge, et on en resta là.
 
Est-ce pour se venger, que la lune se drapa de noir ? C'était la troisième nuit, nuit de cauchemars et de mauvais présages. Ils tombèrent lourdement sur le cœur du nouveau-né qui gardait les yeux grands ouverts sur l'obscurité.
 
Le nouveau-né devint ministre, un peu sorcier, le prince roi, la petite fille dame. Elle était grande et belle comme le reflet d'une forêt dans un lac, et plus fascinante que l'abîme aperçu dans le creux d'une vague. Quand la nuit venait, son front rayonnait d'une étrange lumière bleue, si belle que le roi n'en supportait pas la vue sans verser des larmes de joies. Il lui offrit une couronne pour se protéger, transforma le château en écrin précieux pour sa Dame bien aimée, la couvrit de joyaux, donna des fêtes à s'en épuiser.

L'argent vint à manquer. On leva des impôts, des armées, on eut des guerres et des famines, sans pourtant tarir l'avidité du roi.

Un soir qu'il pensait à ces nouveaux chevaux qu'il venait d'acheter, le ministre se glissa près de lui et murmura en désignant le ciel,

-Quel dommage sire, qu'il y ait tant d'argent près de nous, et pourtant si lointain.  

Suivant son regard, le roi découvrit la pleine lune étincelante. Il éclata de rire.

-Pourtant, poursuivit le ministre, je suis assez versé dans l'art sombre pour vous offrir cette richesse, si vous la désirez.

Sans y croire, un peu par ennui, le roi accepta. Le ministre s'enferma dans une tour isolée dont ne sortaient que des bruits étouffés et de la fumée. Personne n'osait s'en approcher. On prétendait que des choses cruelles, maudites, s'y passaient. Là-bas on aurait peut être retrouvé les enfants disparus, les amoureux pendus, les assassinés, les malheureux, les affamés.
 
La porte de la tour demeura close sept ans durant. Sept ans, et le ministre en sortit, tenant à la main un minuscule pain noir, son cadeau pour le roi. Une bouchée de ce pain remplirait de trésors dix chambres du royaume. Une bouchée de pain noir, un cœur sombre, un sourire démoniaque. La Dame vit tout cela, et supplia son époux de ne pas y toucher. Le roi la repoussa en riant,  

-Ce n'est qu'un peu de pain, et si argent il donne, nous en avons besoin.
 
Pourtant le roi ne prit qu'une miette, sans oser reconnaître qu'il avait un peu peur. Son château se remplit d'argent, comme le ministre l'avait promis, mais il ne dura pas. Une seconde miette le remplaça. De fragments en fragments, on ne remarqua pas que la Lune se fissurait un peu à chaque nouveau mois.
 
Et la Dame, la Dame ne brillait plus autant qu'aux jours anciens. Elle portait une peine qui voilait sa beauté, une peine qui étourdit le cœur du roi. Il voulut la chasser par force divertissement, mets fins, diamants, et croqua à pleines dents dans le pain noir. Et tant pis si la pâte sombre lui déchirait les entrailles, tant pis si la Lune perdait de grands pans de lumière, tant pis si l'argent prenait tant de place dans le château qu'on ne savait qu'en faire, la place des jardins, et la place des gens. Tant pis si le sourire du ministre grandissait, si la Dame dépérissait.
 
Quand le dernier morceau fut mangé, la Lune disparut du ciel, et la Dame s'éteignit avec elle. Elle n'était plus qu'une femme maigre et grise, couverte d'or et de poussière, dévorée par la peine. Oh, dieu merci le roi ne la vit pas. Il tomba foudroyé par la dernière miette du pain empoisonné.
 
Le sorcier rit beaucoup de voir le roi, si banal, si mort, affalé à ces pieds. Il rit de voir la nuit pareille au jour de sa naissance, un trou noir à la place de la Lune. Il rit d'entendre les hommes hurler de terreur, il rit car il savait que l'argent du palais ne remplacerait pas ce qu'ils avaient perdu.
 
Puis son regard tomba sur la Dame abandonnée là, et son rire s'arrêta. Il eut soudain très mal, très froid, très envie de pleurer. Son cœur sombre explosa. Il emmena la jeune femme dans la tour, l'enchanta, l'y enferma et s'en alla.
 
Les hommes oublièrent que la Lune avait brillé autrefois, que les forêts avaient été belles et les lacs profonds. Ils pensèrent que le monde était gris et poussiéreux, que seul l'argent brillait, et qu'une tour en ruine ne méritait pas de s'inquiéter.
 
Sept fois sept mille ans avaient passé. Sept fois sept mille ans le sorcier avait parcouru le monde pour y cueillir ce qui restait de rêves, de poésie, de beauté. De tout ce temps, il ne rassembla qu'assez pour remplir une sphère plus fine qu'une tête d'épingle, scintillant à peine dans l'obscurité. Alors, il regagna la tour, offrit son trésor à la Dame qui l'attendait.
 
La jeune femme prit la petite boule, et l'épingla dans le ciel noir. Une lumière douce apparut comme la Lune reprenait sa place dans la nuit. Le halo bleu revint sur le front amaigri de la Dame. Le sorcier se mit à pleurer.

-Cela ne suffit pas, dit la Dame, il faut rendre tout ce que tu as volé. Les hommes ont oubliés le monde tel qu'il était. Tu dois maintenant te rendre parmi eux, leur dire que c'est la Lune qu'ils voient là, leur montrer les forêts, les reflets dans les flaques d'eau claires. Tu dois leur montrer et je viendrais avec toi.
 
Puis les vieux se sont tus, et nous avons cru voir un peu de lumière bleue autour de leurs cheveux.  



bunni


L'épilobe en épi, l'amour impossible

Il y a très longtemps, il y avait une famille d'elfes qui vivait au bord d'une grande, forêt verte , dans un rosier tout rose. Les petites elfes jouaient tous les jours en dessous du rosier sauvage, excepté pendant l' été quand il faisait chaud. Alors elles cherchaient du rafraîchissement en dessous de vieux arbres dans la forêt ou elles nageaient dans un petit lac bleu.

En même temps vivait une famille de nains dans un saule noduleux courbé, pas loin du rosier sauvage. Ils ne savaient rien des elfes qui habitaient ce rosier sauvage. Un jour une elfe jouait en dessous du vieux saule, lorsqu'elle voyait, à sa grande surprise, un petit nain en train de grimper hors du saule. A partir de ce jour l'elfe et le nain jouaient chaque été ensemble dans la forêt bien fraîche.

Après quelques années ils n'étaient plus des enfants et ils tombèrent amoureux l'un de l'autre.
Lorsque l'été se terminait, ils se confièrent que tout un hiver sans la présence de l'autre serait trop long, ils voulaient partager chaque instant. Un beau jour d'automne ils racontèrent à  leurs parents qu'ils voulaient vivre ensemble. L'étonnement et la consternation des parents étaient énormes et ils interdirent à leurs enfants de se marier.
"Des elfes et des nains," dit la mère de l'elfe tout doucement, "ne sont pas faits pour se marier."  Le père du nain s'exclama:" Des elfes se marient avec des elfes et des nains avec des nains!"
L'elfe et le nain ainsi attristés demandèrent à la reine des elfes du conseil et essayèrent d'obtenir son  approbation, mais elle dit: "Un nain et une elfe sur le même oreiller, c'est inviter le diable à s'y mêler."
Le nain rentra à son saule et pleura pendant des semaines entières, ce qui changea son saule en un saule pleureur. L'elfe rentra aussi à son rosier au bord du bois et pleura des jours entiers, ce qui créa un petit ruisseau en dessous de son rosier. Les parents du nain voyaient la grande tristesse de leur fils et craignaient qu'il ne soit plus jamais heureux. Les parents de l'elfe se firent également de grands soucis sur la santé de leur fille et craignaient qu'elle ne pleure éternellement pour son grand amour. Ils allèrent au palais pour demander conseil à la reine des elfes. La reine ne supportait pas de voir tant de malheur et un jour d'automne très froid elle vola vers le roi des nains pour discuter. En grande sagesse ils décidèrent ensemble que les deux pourraient vivre ensemble pour toujours, non pas en tant que elfe et nain, c'était impossible. Ils allèrent changer de forme: ils vivraient en tant que plante, la rose du saule, connue sous le nom d'épilobe en épi.

Reconnaissants et heureux, les deux amoureux acceptèrent la proposition. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Comment savons-nous que nos épilobes en épi sont les enfants de cet elfe et de ce nain?
Si vous regardez bien la fleur de l'épilobe en épi, vous apercevrez les petites ailes de l'elfe dans les pétales roses tendres et la baguette magique dans le pistil. En automne vous reconnaîtrez la barbe poilue du nain dans les semences.


(L'épilobe en épi grandit souvent dans des clairières, aux côtés d'un fossé et près de lisières.  Bien qu'elle soit une culture améliorante, elle se multiplie principalement par des rhizomes longs, qui peuvent avoir 25 ans et présentent des cernes annuels! Après la floraison d'été, la plante produit des milliers de semences laineuses, qui sont transportés très loin par le vent. Les semences gardent leur puissance germinative pendant des années entières. Les chevreuils adorent les épilobes en épi.
Si vous voyez peu d'épilobes en épi dans certaines forêts, il y a probablement beaucoup de chevreuils. Et si on voit beaucoup d'épilobes en épi, il y a peu ou pas de chevreuils.)

bunni

#433

Le sentier de nulle part

Chapitre I : Rêveries

Il était une fois...
Dans la grande forêt du pays des légendes... Un chalet qui se dressait fièrement au bord de la rivière. Il était construit en rondins noueux et coiffé d'un toit de chaume. Les barrières, d'un blanc éclatant, pouvaient à peine contenir le flot de fleurs multicolores qui s'épanouissaient au pied de celles-ci.
Il y avait vraiment de quoi faire pâlir d'envie tous les jardiniers de la Terre. De la jonquille à la majestueuse corolle, en passant par la pensée aux teintes veloutées, la rose, le bleuet ainsi que la marguerite que tant d'amoureux ont effeuillée. Il semblait que toutes les variétés du monde, s'y étaient donné rendez-vous.

Pourtant, jamais encore personne n'était venu admirer ce décor fascinant, car cette habitation de rêve était enfouie si profondément dans la forêt, que nul n'en soupçonnait l'existence. Mais qui l'avait construite ? Qui l'habitait ? Et qui l'entretenait ? A l'orée de cette immense forêt, venaient de s'installer un couple très uni, avec leurs trois enfants.

Suzette venait juste d'avoir treize ans. Elle était l'aînée. Rémy, venait juste d'avoir neuf ans. Quant à Johan (dit jojo), avec ses six ans, il était le cadet.
Aujourd'hui, vendredi, la classe terminée à l'école du village, ils rentrèrent chez eux, et les devoirs accomplis, ils passèrent la soirée à regarder la nuit tomber sur l'intriguante forêt. Papa avait donné l'autorisation  d'aller s'y promener à l'entrée le lendemain matin. Déjà, les deux gamins s'imaginaient d'innombrables aventures. Bien sûr, cette promesse valait à condition que : ils soient accompagnés de Suzette, et ne pas s'éloigner plus loin que la vue ne permette de distinguer leur habitation.

Cette nuit-là, les rêves des trois enfants furent peuplés de songes les plus extravagants. Jojo s'engageait sur le sentier forestier et, à peine en avait-il franchi le seuil, qu'il se trouva nez à nez avec un grand dragon bleu luisant, qui le regardait béatement. Visiblement, le monstre était aussi étonné que lui. Jojo, en preux chevalier de six ans, fit face au gigantesque animal et lui dit : "Ote-toi de mon chemin, sale bête !"

Quelques instants plus tard, Jojo emmenait en laisse le dragon bleu. Celui-ci, à chaque pas, ouvrait la gueule pour laisser échapper un flot de bonbons multicolores aux enrobages succulents, qui retombaient en pluie sur le tapis de feuilles. Pendant ce temps, Rémy s'était déjà enfoncé plus en avant, car à neuf ans, on est toujours le premier dans l'aventure. Ayant contourné un gros chêne, il découvrit un merveilleux cheval blanc qui, broutant quelques trèfles, attendait son chevalier Rémy.

Le garçon enfourcha aussitôt son destrier et s'en alla délivrer Lise. Une compagne de classe dont il était follement amoureux, et qui était retenue prisonnière d'un mystérieux crapaud géant qui désirait l'épouser. Pendant les péripéties de ses frères, Suzette flânait au bord d'un vieux puits entouré de toutes parts d'animaux affectueux.

Elle tendit la main pour caresser le faon qui s'était allongé à ses côtés, lorsqu'une douce et chaude voix retentit derrière elle.
-Bonjour, belle demoiselle !  
Je suis le prince de cette forêt, embrassez-moi et je redeviendrai le beau jeune homme que j'étais, avant que la sorcière ne me jette ce mauvais sort. L'adolescente tourna la tête en direction de son interlocuteur. A la vue de l'énorme rat noir qui la regardait fixement de ses yeux rouges, Suzette poussa un hurlement de frayeur.
-Au secours !

Ce cri eut pour résultat de désarçonner Rémy de son fier étalon, qui s'enfuit au galop.
Un étrier accrocha au passage la laisse du dragon bleu qui, étant donné son poids, bascula en avant et se laissa traîner sur le ventre. Rémy voltigea dans les airs en hurlant avant de retomber lourdement sur le sol et perdit connaissance. Quand il revint à lui, il était assis sur la descente de lit, et se frottait les fesses. Jojo fouillait la chambre, tentant de retrouver au moins les quelques bonbons qu'il avait mis en poche.
Tandis que Papa et Maman, accourant à toute vitesse pour voir ce qui se passait, dirent en choeur :
-Eh bien ! En voilà un réveil bruyant !
-De toute façon, il est l'heure de vous lever car il  fait déjà jour.

Chacun vint s'installer autour de la grande table afin de prendre son petit déjeuner. Comme tous les samedis, celui-ci se composait de tranches de pain grillées accompagnées de miel ou de confiture de framboises. Le tout arrosé de lait chaud.

Aujourd'hui, c'était pour les enfants un événement, pour la première fois, ils iraient seuls à l'orée de la forêt.

Chapitre II : Désobéissance

Au fond de la forêt, le chalet de rondins entouré de fleurs, semblait encore plus irréel entouré de la brume matinale percée par les premiers rayons du soleil. D'ailleurs, tout ce qui l'environnait, semblait ne pas exister. On aurait pu le croire créé de toutes pièces par un magicien romantique. Tout y semblait si parfait.

La rivière longeant le logis engendrait un glougloutement mélodieux, que semblait accompagner volontairement le chant des oiseaux, le tout guidé par un chef d'orchestre imaginaire.
-Bottés comme il se doit pour une promenade en forêt, Suzette, Rémy, et Jojo, écoutaient distraitement les dernières recommandations de leurs parents.
-Compris les enfants ? Obéissez bien aux conseils de votre grande soeur ! Dit maman.
-D'ailleurs, ajouta papa, lorsque je sifflerai, cela voudra dire qu'il est temps de rentrer pour le repas.
Bien trop excités, les trois gais lurons s'étaient déjà éloignés, lorsqu'ils répondirent en coeur : ok p'pa !
Sans bien sûr avoir retenu grand-chose de ce qui venait de leur être dit.

Un peu plus tard, ils avaient déjà atteint les limites permises, et n'apercevaient  dès lors plus l'habitation que comme une petite maison de poupée.
Après s'être amusés un peu à "chat perché", croisés quelques branches en guise d'épées, et observés plusieurs champignons aux formes bizarres, ils connaissaient leur nouveau terrain de jeu comme leur poche.
-Bon ! Et maintenant, que faisons-nous ? , Questionna Rémy.
-Allons voir un peu plus loin ! , Proposa Jojo.
-Ouais, bonne idée ! , Répondit Rémy.
-Regardez, fit ce dernier, il y a trois sentiers, face à nous !
Donc si nous empruntons celui du milieu, nous ne saurions nous égarer, et s'il se divise à nouveau, nous faisons demi-tour. Voilà ! De cette façon, nous ne pouvons nous égarer.

-Pas question !, Gronda Suzette en qui les parents avaient placé toute leur confiance. D'ailleurs, si nous nous éloignons encore, ajouta-t-elle, jamais nous n'entendrons le sifflements de papa. Alors ce sera la punition garantie pour nous tous.
-Bof ! , Par ce calme, on entendrait respirer une huître à un kilomètre, répondit Rémy.
Afin d'appuyer  les arguments de son frère, Jojo ajouta : écoutez, on entend même notre chat miauler. Oui, oui ! , Il a raison,  donc rends toi compte de la puissance des sifflements de papa, insista Rémy.
-Non, non ! , C'est inutile, persista Suzette. Je suis d'accord, on entendrait certainement les appels, mais ce serait désobéir aux ordres de maman et papa.
-Bon ! , Dit Rémy, reste donc là bébé, nous les hommes, nous allons faire un tour.
Sur ces mots, les deux galopins s'enfuirent en riant en direction du sentier central. Venez ici, garnements hurla Suzette.
Hooo..., vilains, je le dirai à maman, cria-t-elle.

En quelques secondes, les deux gamins avaient disparus, comme avalés par la végétation abondante. Restée seule, la fillette ne savait si elle devait rentrer chez elle prévenir ses parents, ou poursuivre ses petits frères. Elle réfléchit quelques instants, et se dit : si je rentre, ces deux petits voyous sont capables de s'égarer pour de bon. Et dans ce cas, comment savoir ou ils seront allés se nicher ?

Suzette décida donc que la meilleure solution était de retrouver Rémy et Jojo au plus vite. Et sitôt, elle s'engagea sur le sentier du milieu, et fut rapidement absorbée par le feuillage touffu. Ayant parcouru quelques centaines de mètres, la fillette héla :  
-hoéééé ! Où êtes-vous ? ...Rémyyy...Jojo... !
Mais, à ses appels, seuls répondirent quelques cris stridents d'animaux effrayés.
-Ecoute ! , Dit Rémy en s'adressant à Jojo, Suzette s'est enfin décidée à nous suivre.
Laissons la donc nous chercher un peu, ajouta-t-il.
Ne voyant là, qu'un jeu amusant, les deux garçonnets  s'enfuirent  et s'enfoncèrent ainsi, encore un peu plus profondément dans l'inconnu.
Mais hélas, comment auraient-ils pu savoir, qu'ils venaient de s'engager sur le sentier de nulle part.

Chapitre III : Un monde étrange

Fuîîît...fuîîît...fuîîît...   !
-Bon sang ! Mais où sont-ils donc ? S'exclama papa qui venait d'envoyer, pour la cinquième fois, le signal convenu.
-Viens ! Dit maman, allons les chercher, car ils sont certainement trop occupés à leurs jeux.  
Tous deux se dirigèrent dans la direction qu'avaient prise quelques heures auparavant, le trio de joyeux drilles. Dès qu'ils furent arrivés sur les lieux où, normalement les enfants devaient se trouver, le couple s'inquiéta sérieusement. Rien... personne... pas un bruit, si ce n'est  le bruit de l'envol de quelques oiseaux effrayés par leur présence.

A nouveau, ils appelèrent les petits. Papa eut beau siffler à en perdre haleine, aucune réponse ne leur parvint. Commençons par le sentier de gauche, dit maman. Et nous prendrons celui du centre ensuite et terminerons par le dernier à droite, ajouta le père.
Ainsi fut décidé. Ayant parcouru une distance d'environ  deux cents mètres, l'étroit chemin se terminait en cul-de-sac.
-Faisons demi-tour, et essayons le suivant dit papa.

Entre-temps, Suzette avait réussi à rejoindre ses frères.
-Eh ! Venez voir, le sentier se divise en deux à présent, et forme une fourche, s'exclama Rémy.
-Brrr ! Il y fait encore plus sombre,  répondit Jojo.
-Maintenant ca suffit ! Dit Suzette. Il est plus que temps de rentrer.
-D'accord ! Maugréèrent les deux gamins.
Les enfants  reprirent en sens inverse le chemin qu'ils avaient parcouru. Quelle ne fut pas leur surprise, en découvrant au bout d'une dizaine de mètres, à nouveau la même fourche divisant le sentier.
-Comme c'est étrange dit Suzette, pourtant le chemin était droit lors de notre passage précédent.
-Retournons un peu en arrière, dit-elle nous avons du ne pas remarquer qu'il y avait deux directions.

Mais  un peu plus loin, toujours la même fourche se présentait devant eux. A présent, une brume envahissait les lieux, réduisant la portée du regard à seulement dix ou quinze pas. Mon dieu ! Nous sommes perdus ! Quel est soudain ce monde étrange qui nous entoure ? , Murmura Suzette.

Chapitre IV : Le sentier de nulle part

Les parents étaient maintenant depuis des heures, à la recherche des enfants, et devenaient de plus en plus inquiets. La nuit ne tarderait pas à tomber, ce qui leur rendrait la tâche encore bien plus difficile. La mère proposa à son mari : "et si nous retournions voir à la maison ? Peut-être ont-ils trouvés leur chemin et nous attendent bien confortablement chez nous."
Ainsi fut fait. Mais arrivés à la maison, rien, personne. Tristement, papa se munit d'une torche électrique, et ils repartirent aussitôt fouiller les bois. Il faisait à présent totalement nuit. Près de deux heures s'étaient écoulées depuis qu'ils s'étaient de nouveau engagés sur le sentier central.

-Bon sang ! Tonna le père, ce sentier ne finit donc pas par aboutir quelque part ?
A peine venait-il de prononcer ces mots, qu'à faible distance, il aperçut une faible lueur blanchâtre se mouvant lentement dans le faisceau de la lampe torche.
-C'est vous les enfants ? Crièrent-ils en coeur.
Mais leur appel demeura sans réponse.
-Allons voir de plus près dit ! La maman.
Peu après, ils se trouvèrent face à un véritable mur de brume épaisse. Ils s'y engagèrent, mais impossible de distinguer quoi que ce soit dans cette purée de pois, ils durent donc rebrousser chemin.

-Essayons,  en attendant que la brume se lève, de fouiller le sentier de droite, dit papa.
L'aube pointait, lorsqu'ils revinrent à l'orée de l'immense forêt, et hélas, sans résultat.
Il restait donc le sentier central comme seul espoir d'aboutir quelque part.  
-Vas donc te reposer ma chérie, dit le père à son épouse, moi je retourne à l'endroit ou se trouvait cet épais brouillard, qui nous à empêchés d'aller plus loin. Et surtout, ne t'inquiète pas trop, Suzette est très capable de se débrouiller. Certainement, qu'ils se sont un peu égarés, et surpris par la tombée de la nuit, ils se sont trouvés un abris en attendant l'aube.

Sur ces paroles réconfortantes, le pauvre homme repris seul la direction de la forêt. Plus tard, horreur, le mur de brume était toujours là. Ce qui empêcha le pauvre père d'aller plus en avant. Les recherches furent remises au lendemain, mais cette fois encore était planté là, l'épais brouillard. Et le surlendemain aussi. Et encore le jour suivant, et la semaine suivante également. Deux  semaines maintenant s'étaient écoulées.

Chaque jour, le père accablé se trouvait face à la brume infranchissable. Ce soir encore donc, il devrait annoncer à son épouse que ce sentier ne menait décidément ...nulle part.

Chapitre V : Le naufrage

L'hiver se faisait plus rude de jour en jour. Désespérant retrouver leurs enfants, papa et maman, décidèrent de mettre une barque à l'eau dans la rivière qui traversait le bout du sentier de droite. Aujourd'hui, en plus du froid, la neige était venue étendre son manteau blanc.

Ils ramaient depuis près d'une heure, exténuée, la mère demanda à son époux de s'arrêter un peu. L'homme, ayant abordé la berge, amarra la barque. Il tendit une couverture sur des branches basses, construisant ainsi, un frêle abri pour son épouse. Après s'être alimentés, et pris un peu de repos, ils décidèrent de reprendre immédiatement les recherches avant que la nuit ne les en empêche. Maman était occupée de replier la couverture, lorsque papa s'écria : "Vite, la barque va se détacher !"

Le courant était assez violent, et un énorme tronc d'arbre dérivant, était venu percuter la frêle embarcation. La corde était tendue à se rompre. L'homme las et engourdit par le froid cinglant, tenta de retenir la barque. Mais la corde, soudain céda sous la tension.
Le père tenta de sauter dans la barque. Mais à bout de force, il la manqua de peu, et se trouva emporté par le courant.

La mère, affolée courut vers le bord de la berge. Le spectacle qui s'offrit à ses yeux, lui déchira le coeur. La corde s'était nouée malencontreusement autour du bras de son mari, et l'entraînait dans les eaux tumultueuses. Soudain, l'embarcation chavira, et en quelques secondes, tout fut englouti par les flots glacés.

-Non... pas ça... !
Je n'en peux plus, sanglota la pauvre femme. D'abord mes enfants, maintenant, mon mari, cette satanée forêt m'as pris tous ceux que j'aimais. De désespoir, elle se laissa tomber à son tour dans les remous en furie. Au contact de l'eau glacée, elle perdit immédiatement connaissance.

Chapitre VI : La corne de brume

-Tiens... quelle est cette barque devant notre chalet ?
-Mon dieu ! Venez vite, il y a deux corps allongés sur la berge.
L'homme reprenait connaissance lentement, et la femme venait d'ouvrir les yeux. Le froid avait cédé la place à la douce chaleur du soleil de printemps.

-Youpiiie ! C'est papa et maman, hurlait Jojo en direction du chalet. Eh ! Bien, fais les donc entrer, dit une grosse voix grondant comme le tonnerre. Et passant la tête par la fenêtre, l'énorme dragon bleu cracha un flot de fleurs multicolores en direction des nouveaux visiteurs.

-Mais...   ! Mais... ! Où sommes-nous ? Que s'est-il passé ?
Papa et maman, avaient à présent repris tous leurs esprits.
De joie de revoir leurs enfants sains et saufs, tous deux éclatèrent en sanglots Ils accompagnèrent Suzette jusque dans le chalet mystérieux.
-Soyez les bienvenus messieurs dames, en mon modeste refuge de solitude ! Dit le grand rat noir qui les accueillait. Visiblement, Suzette ne l'avait pas encore embrassé pour qu'il redevienne Prince.
-Moi, je m'en vais chasser le dîner sur le champs, dit le chevalier Rémy, en enfourchant son cheval blanc.

-Et moi, dit Jojo, je vais prévenir toute la population, de votre venue parmi nous dans la forêt magique du sentier de nulle part.

Sur ces mots, il empoigna une espèce de longue corne de brume, et se mit à souffler de toutes ses forces. Tous furent contraint de se boucher les oreilles.
-Aïe... ! Jojo, s'il te plaît, arrête ce bruit est insupportable, demanda papa.
Mais Jojo, soufflait de plus belle. Papa avait tellement mal aux tympans, qu'il tenta de récupérer l'instrument. En se dirigeant vers son petit garçon, il s'emmêla les pieds dans la longue queue du rat noir. Il bascula par-dessus la chaise ou maman était assise, et fit une pirouette avant de tomber dans les pattes du dragon bleu.

Un raffut du tonnerre s'ensuivit. Papa battait l'air de ses bras, et maman le regardait étonnée. Elle arrêta le réveil matin.

Elle alla ensuite relever son mari qui, allongé sur la carpette à côté de la table de nuit renversée, continuait à brasser l'air de ses bras largement écartés. Suzette, Rémy, et Jojo, firent irruption dans la chambre de leurs parents.
-Ouais... ! C'est enfin samedi, allons nous préparer pour la ballade en forêt, s'écrièrent-ils joyeusement.
Entre-temps, papa s'était assis sur le bord du lit, et se demandait encore s'il avait vraiment rêvé.
-Et si nous y allions tous, proposa-t-il avec l'air le plus sérieux du monde.
Sait-on jamais !

bunni


La Demoiselle Nacrée

Il y avait une fois, dans une famille, trois soeurs, trois jeunes filles qu'on
appelait la Demoiselle Dorée, la Demoiselle Argentée et la Demoiselle Nacrée.
Elles étaient toutes les trois d'une très grande beauté, et l'on n'eût pas
trouvé à la ronde de garçon qui n'eût pas souhaité la main de l'une ou l'autre
des trois. Seulement, la Demoiselle Dorée et la Demoiselle Argentée avaient de
grandes prétentions, et ne pensaient qu'à un fiancé riche et bien né, tandis que
la Demoiselle Nacrée souhaitait que son futur ait avant tout le coeur honnête et
bon.
Un beau matin, la Demoiselle Dorée prit son petit seau d'or pour aller chercher
de l'eau. Elle ouvrit la porte et fit un bond d'horreur. Sur le seuil gisait un
mendiant tout enveloppé de loques, si bien qu'on n'en voyait même pas bien le
visage.
-Qu'est-ce que tu fais là, espèce de mécréant ? s'écria la Demoiselle Dorée.
Ote-toi de mon chemin !
-Aide-moi un peu, demoiselle, répondit le mendiant d'un ton nasillard, avec mes
vieux os, je me relève difficilement.
-Aide-toi toi-même, personne ne t'a demandé de te mettre là ! déclara la
péronnelle, le nez en l'air. Mon père veut de l'eau à mettre dans son vin, ma
mère en a besoin pour son thé et moi, je veux me laver les cheveux. Soit je
t'enjambe, soit je te marche dessus, mais je ne te toucherai pas. Et j'ai
toujours fait ce que j'ai voulu !
Elle fit comme elle avait dit. Elle enjamba le mendiant, mais ce faisant elle
lui marcha sur la main. Le mendiant releva la tête. Ses yeux sombres lancèrent
des éclairs, examinant la jeune fille d'un air sévère. Quand la Demoiselle Dorée
revint à la maison, le mendiant avait disparu.
Le lendemain matin, la Demoiselle Argentée sortit de la maison, son petit seau
d'argent à la main, pour aller chercher de l'eau. Sur le seuil, le même mendiant
était encore affalé. La jeune fille recula.
-Qu'est-ce que tu fais là sur notre seuil, roulé dans tes haillons dégoûtants ?
Ote-toi de mon chemin !
-Cela ne peut se faire si vite, belle enfant, répondit le mendiant d'un air
contrit. Tous les os de mon corps sont douloureux. Aie, je te prie, la
gentillesse de m'aider à me relever.
-Tu n'es pas fou ? demanda la jeune fille en se retirant avec répugnance. Te
donner la main, à toi, je te demande un peu ! Ote-toi de là, te dis-je, sinon je
te marche dessus. Et déjà, sans attendre, elle enjamba le mendiant. Ce faisant,
elle lui heurta la tête de son seau d'argent. Des yeux de braise regardèrent
fixement la jeune fille, puis le mendiant disparut.
Au matin du troisième jour, c'est la Demoiselle Nacrée qui alla puiser de l'eau.
Elle portait un petit seau de nacre qui, au soleil, lançait toutes les couleurs
de l'arc-en-ciel. En voyant le mendiant tout pelotonné devant la porte, elle fut
surprise.
-S'il vous plaît, pourriez-vous me laisser un peu de place pour passer ? lui
demandait-elle, et sa voix était pleine de timidité.
-Volontiers, mais ce n'est pas si facile. Tous mes os me font mal. Tout seul,
je ne pourrai pas me relever.
- Tenez, je vais vous aider, dit aimablement la Demoiselle Nacrée. Elle tendit
la main au mendiant, mais comme c'était difficile, de soulever un tel poids !
Pour un peu, elle serait tombée elle-même. Elle se disait qu'elle ne pouvait pas
faire voir au malheureux combien il était lourd pour elle, pour ne pas le vexer.
Alors elle sourit et dit :
-Vous voyez, grand-père, vous êtes resté un peu trop longtemps sur la pierre,
cela vous a engourdi, mais bientôt vous vous sentirez frais et dispos.
-Pour un peu je te croirais, rien qu'à t'écouter, répondit le mendiant en
hochant la tête. Et pour ta bonté je te souhaite de rencontrer le plus riche
fiancé de la région.
-Riche ou pas riche, dit la Demoiselle Nacrée en riant, l'important c'est qu'il
ait le coeur bon !
-Il s'en trouve de pareils, bredouilla le mendiant qui boitillait toujours aux
côtés de la jeune fille, l'accompagnant jusqu'à la fontaine. La Demoiselle
Nacrée prit de l'eau avec un récipient et quand son seau fut plein, elle voulut
le mettre sur son épaule.
-Attends, je vais t'aider à le soulever, dit le mendiant en se précipitant et
boum, patatras ! Il renversa le seau et toute l'eau se répandit par terre :
-Ne t'en fais pas, grand-père, riait la jeune fille, moi-même, j'ai renversé
plus d'une fois mon seau ! Elle le remplit à nouveau, et le mendiant le souleva.
-Un peu plus haut, grand-père, si ce n'est pas trop lourd pour vous, le
pria-t-elle.
-Volontiers, dit le mendiant qui souleva le seau si haut que la jeune fille ne
pouvait le prendre pour le déposer sur son épaule.
-Ne vous fâchez pas, grand-père, mais comme ça le seau est trop haut, je n'y
arrive pas, lui dit-elle sur un ton d'excuse.
-Cela ne fait rien, essayons encore, dit le mendiant qui pencha tellement le
seau qu'il inonda le dos de la jeune fille. Je suis désolé d'être si maladroit,
dit-il, navré.
-Mais non, vous n'êtes pas maladroit. Cela arrive à tout le monde, de manquer
quelque chose, lui dit la jeune fille pour le réconforter. Le mendiant la
regarda, pensif. Il souleva une fois de plus le seau et patatras ! le seau lui
glissa des mains et tomba, se brisant en mille morceaux. Cette fois, la jeune
fille ne put se contenir et fondit en larmes. Le mendiant l'examina encore très
attentivement.
-Ce n'est pas votre faute, grand-père, lui dit-elle en sanglotant, vous vouliez
m'aider, mais maintenant, à la maison, on va se fâcher. Un seau de nacre comme
celui-là, on n'en trouve plus nulle part !
Dans les loques déchirées, les yeux sombres eurent un éclat de tendresse.
-Peut-être pourrai-je te le réparer, ton seau, dit le mendiant d'une voix
douce. Vite il rassembla tous les morceaux de nacre, les remit en place et en un
clin d'oeil, le seau était là devant la jeune fille, tout rempli d'eau claire.
Le mendiant lui aussi s'était changé soudain. Il se redressa avec souplesse,
souleva aisément le seau et le déposa délicatement sur l'épaule de la jeune
fille en lui disant d'une voix ferme et mélodieuse au point d'en faire
l'frissonner la jeune fille :
-Tu pourrais faire quelque chose pour moi ?
-Tout ce qui sera en mon pouvoir, répondit de bonne grâce la Demoiselle Nacrée.
Je ne sais ce que j'aurais fait, sans votre aide. Maman n'aurait pas cessé de me
gronder à propos de ce seau brisé.
-Veuille demander chez toi qu'on me laisse passer la nuit à la cuisine.
-Cela, je ne sais pas si maman le permettra, dit la jeune fille, assez ennuyée.
Elle ne supporte pas les mendiants. Mais je vais l'en prier.
-En paiement, tu peux lui laisser ce qu'elle trouvera dans le fond de ton seau,
dit en riant le mendiant à la jeune fille fort étonnée. Qu'est-ce qu'il peut
bien y avoir au fond du seau ? Cet homme-là n'est pas un mendiant ordinaire. Ce
seau de nacre était irréparable, et en un clin d'oeil il était comme neuf. Qui
sait si ce n'est pas un esprit bienfaisant ?
La jeune fille reporta enfin son seau d'eau à la maison. Elle demanda à sa mère
si elle ne pourrait laisser un vieux mendiant passer la nuit au chaud, à la
cuisine.
-Pas ce vieux pauvre dégoûtant qui se couche depuis trois nuits sur notre
seuil, sans doute ? demanda la mère, déjà irritée. La Demoiselle Nacrée baissa
la tête, et alla vider son seau d'eau dans une grande bassine de cuivre. Quelque
chose tinta, et au fond de la bassine on vit briller de l'or. En silence, elles
se regardaient l'une l'autre. La mère plongea la main dans l'eau et en retira
une lourde bague d'or. La Demoiselle Nacrée se rappela les paroles du mendiant.
-C'est pour vous, maman, pour payer la nuit du mendiant dans la cuisine,
dit-elle bien vite.
Un mendiant qui distribue de l'or ! s'étonna la mère. Eh bien, qu'il dorme cette
nuit dans la cuisine !
Au cours de la soirée, comme d'habitude, toute la famille était réunie. Le père
buvait du thé, la mère filait la laine de ses moutons et les filles bavardaient
à propos de tout et de rien. Bientôt la conversation tomba sur les prétendants.
-Moi, je veux au moins un prince indien, sinon je ne me marie pas, déclara la
Demoiselle Dorée.
-Il ne doit pas précisément être indien, notre prince me suffirait, estima la
Demoiselle Argentée. Et toi, qui voudrais-tu épouser ? demanda-t-elle à la
troisième soeur. La Demoiselle Nacrée gardait le silence.
A ce moment-là, la porte s'ouvrit et le mendiant fit son entrée. Il dit :
-Je connaîtrais bien un fiancé pour la Demoiselle Nacrée. Le prince Mipam
lui-même serait heureux d'épouser une si bonne et si belle demoiselle.
-Qui est-ce ce prince Mipam ? demandèrent les deux premières soeurs. Il est
aussi puissant et aussi riche que le prince indien ?
-Peut-être est-il encore plus riche et plus puissant, dit le mendiant d'un air
énigmatique en appuyant le regard de ses yeux sombres sur la Demoiselle Nacrée,
et s'adressant particulièrement à elle, il poursuivit :
-Mipam serait heureux de t'épouser et avec lui tu serais heureuse comme avec
personne d'autre. Crois-moi, Demoiselle Nacrée. Quand je m'en irai d'ici, suis
les traces de mon bâton et je te mènerai jusqu'à lui. Le veux-tu pour époux,
Demoiselle Nacrée ?
La jeune fille, se rappelant le seau de nacre miraculeusement réparé, fit un
signe de tête d'assentiment. Le mendiant fit demi-tour et passa la porte. La
Demoiselle Nacrée se hâta à sa suite.
-Où cours-tu? Tu es devenue folle ? lui cria sa mère. Un mendiant ne peut te
procurer comme époux qu'un autre mendiant.
Mais la Demoiselle Nacrée était déjà sur le  seuil de la maison. Le mendiant
avait disparu. Seule une rangée de trous sombres, dans la terre, était visible
dans le clair de lune, et se perdait au loin. La jeune fille courut en suivant
cette piste.
-Eh bien, va si ça te chante ! lui cria de loin sa mère courroucée. Mais dans
ce cas ne reviens plus jamais à la maison !
La Demoiselle Nacrée suivit toute la nuit les traces du bâton du mendiant. Enfin
la lune pâlit, et à l'horizon apparurent les lueurs roses de l'aurore. La jeune
fille constata qu'elle était arrivée à une vaste prairie. Un berger y gardait
des milliers de moutons.
-Est-ce qu'un vieux mendiant n'est pas passé par ici ? lui demanda la
Demoiselle Nacrée.
-Non, mais notre seigneur Mipam est passé. Tous ces moutons lui appartiennent.
La jeune fille poursuivit son chemin et bientôt elle se retrouva au sein d'un
énorme troupeau de yaks.
-Tu n'as pas vu passer par ici un vieux mendiant ? demanda-t-elle au pasteur.
-Je n'ai vu personne d'autre que notre seigneur Mipam, qui vient de passer. Ces
yaks sont à lui.
«Où était passé le mendiant ? » se demandait la jeune fille. « Ne serait-il pas
lui-même le seigneur Mipam ? Alors je me marierai probablement avec un vieux
mendiant ? » Elle marcha donc, allant toujours plus loin. Elle rencontra un
troupeau de chevaux.
-N'as-tu pas vu passer par ici un vieux mendiant ? demanda-t-elle au meneur de
troupeau.
-Pas un mendiant, non, c'est notre seigneur Mipam qui est passé par ici il y a
un instant. Ces chevaux lui appartiennent.
Pendant ce temps-là le soleil était sorti de la brume matinale, et éclairait
tout le  paysage. La jeune fille s'arrêta soudain, émerveillée. Devant ses yeux
se dressait un admirable château d'or, tout scintillant dans les rayons de
l'astre du jour. Devant l'entrée, un vieillard aux cheveux blancs l'attendait en
souriant.
-C'est un temple à Bouddha ? demanda timidement la jeune fille.
-Mais non, lui répondit affublement le vieillard, c'est le palais du seigneur
Mipam. Notre maître t'attend.
La jeune fille s'avança. Là où son pied touchait la terre, aussitôt poussaient
des fleurs par touffes, qui s'épanouissaient et embaumaient d'un parfum divin.
Quand elle entra dans le palais, un immense tapis de fleurs éclatantes se
déroula devant ses pas, et un beau jeune homme venait tout droit à sa rencontre.
Ses yeux sombres brillaient de bonheur, et une série de serviteurs le suivaient,
avec de nombreux présents tous plus magnifiques les uns que les autres. Le beau
jeune homme prit doucement la jeune fille par la main en lui disant :
-Je suis Mipam. Je suis ce vieux mendiant. Me prendras-tu pour époux comme tu
l'as promis ?
La Demoiselle Nacrée avait les yeux fixés sur le beau jeune homme, et ne pouvait
en détacher son regard. Elle crut que son coeur allait éclater de bonheur. Comme
en un rêve, elle fit signe que oui, et Mipam, la tenant toujours par la main,
l'introduisit dans son palais. Là, elle se revêtit une robe qui avait toutes les
couleurs brillantes de l'arc-en-ciel, se para de coraux et de pierres précieuses
scintillantes, puis elle prit place sur un siège d'argent, Mipam s'assit sur un
siège d'or, et ils choisirent le jour heureux de leurs noces.
Après ? Eh bien après, ils ont vécu très longtemps, heureux, car ils sont restés
très amoureux l'un de l'autre.