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Contes d'ici et d'ailleurs

Démarré par bunni, 18 Septembre 2012 à 00:22:36

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bunni


Les melons de Coucourdan

Vous n'auriez pas trouvé, dans toute la riche contrée de Cavaillon, où les melons sont si justement célèbres, ni en nulle autre contrée au monde, une plus belle melonnière et, partant, de plus beaux melons, que celle de Coucourdan.
Mais aussi, où eussiez-vous trouvé un jardinier plus soigneux pour ses melons que Coucourdan lui-même ?
On eût dit, en vérité, que ces honnêtes cucurbitacées étaient conscientes des soins passionnés que le bonhomme leur prodiguait et qu'elles s'efforçaient de croître en arôme et en miel pour lui témoigner leur reconnaissance de sa culture, que dis-je ? De son culte fervent ! Aussi Courcourdan vendait-il ses melons tant et tel prix qu'il voulait.
Vous n'allez pas croire que c'était seulement pour la vente que Coucourdan apportait tout d'ardeur au développement de ces fruits, ah ! que non pas !
Coucourdan, que voulez-vous était gourmand, et surtout de melons ; voilà pourquoi, ne les trouvant jamais assez savoureux, assez sucrés, il améliorait sans cesse les produits de son jardin.
Par un des premiers soirs de l'été dernier, Coucourdan, dans sa melonnière, contemplait d'un oeil paterne ses melons, dont un été précoce et sec semblait vouloir hâter la maturité.
La journée avait été torride et les melons, étalés dans le terrain meuble, exhalaient déjà une bonne odeur capiteuse et musquée. Les narines du bonhomme se dilatèrent et humèrent avec volupté cet arôme exquis.

"Ah ! ah ! se disait Coucourdan avec une joie gourmande, nous allons pouvoir nous régaler de bonne heure cette année !"
Avisant deux melons énormes et dorés, à l'écorce rebondie et craquelée de fines arabesques, sa main experte sonda leurs flancs encore chauds du soleil de juillet.
"C'est pour demain ! fit-il allègrement. M. le juge paix m'en a déjà offert cent sous des deux ; mais serait-il juste que mes premiers melons fussent pour d'autres que Coucourdan. Hé ! je me moque bien de ton écu, juge !"
Et déjà il se pourléchait à l'idée du festin qu'il s'en promettait.
Or, le lendemain matin, jugez de la stupéfaction de Coucourdan, lorsque, s'étant rendu à sa melonnière, il s'aperçut que ses deux melons caressés et convoités la veille avaient disparu !
"Ah ! pour celle-ci, en voilà une qui compte ! grogna-t-il. Ces satanés rats ! Oh les gourmands ! oh les gueux !"
Mais, après examen, il dut convenir que les rongeurs incriminés n'étaient pour rien dans le méfait, car ces animaux, qui ne peuvent pourtant emporter dans leur trou des melons de quatre et six livres et plus, mangent ce fruit sur la plante ; or, l'exament révéla clairement à Coucourdan que ses deux pauvres melons avaient été bel et bien coupés, non sans adresse même. De plus, les écorces éparses dénotaient : premièrement, que le coupable n'appartenait pas au genre animal ; deuxièmement, que c'était bel et bien un être humain ; et, troisièmement, que cet être humain avait impudemment dévoré ses victimes sur place, en toute quiétude.
Coucourdan songea aux voisins ; mais, c'étaient tous d'honnêtes gens et fort à l'aise ; quelque passant, peut-être ?... Mais son jardin était enclos ! Enfin, à bout de suppositions et de conjectures, le bonhomme se gratta la tête et, de là, porta tout naturellement ses mains sur un gros melon qu'il venait de voir, tout roux, et juste à point pour le lendemain. Cela parut le consoler, et il renvoya son festin au jour suivant.
Ah ! ouitche. Le lendemain, Coucourdan, accouru dès l'aube à ses melons, vit, avec une surprise doublée de fureur, que le pillard nocturne avait encore visité sa melonnière !
Dans une rage extrême, le malheureux jurait, pestait, menaçait !
Ah ! si son voleur se fût trouvé là, qu'en eût-il fait, grand Dieu ! qu'en eût-il fait ?
Enfin, en parcourant son verger, soigneusement abrité des atteintes du mistral par de hautes et sombres haies de cyprès, Coucourdan constata que ses melons mûrissaient à l'envi. Ca et là, il sarclait, émondait, échenillait à mesure avec soin, tout en murmurant de sourdes imprécations.
"Et tout cela, grommelait-il, tant de peines, de soins pour qu'un filou, un... assassin !vienne me manger mes melons ? Nous verrons bien !
Pris d'une soudaine résolution, le bonhomme rentra, détacha d'un clou, où il rouillait, un vieux fusil qu'il frotta, récura, chargea. Puis, la nuit venue, il s'embusqua derrière une haie de son verger et, déterminé à tout, l'oeil et l'oreille au guet, il attendit.
Il attendit longtemps, bouillant d'impatience de châtier le coupable, frémissant au plus faible murmure, à la moindre bise... rien !
Les crapauds et les grillons en leur langage se disaient "Que fait-il, le grand Coucourdan, dans l'herbe jusqu'au menton ?"
Les escargots écarquillaient dans sa direction leurs longues cornes et les belles-de-nuit du jardin disaient aux papillons nocturnes : "Allez donc voir ce que fait Coucourdan, là bas, derrière la haie, et revenez nous le dire."
Et Coucourdan guettait, le point ferme sur son fusil, l'oeil aux aguets, les dents serrées.
Enfin le jour parut, sans que rien d'anormal fût venu davantage troubler la quiétude de l'aube, qui ouvrit sur Coucourdan ses yeux candides.
Néanmoins notre homme passa encore la nuit suivante à l'affût et, comme il ne vit pas non plus le moindre maraudeur, il pensa que son voleur s'était enfin lassé ; lassé lui-même de monter la garde au lieu de dormir, il occupa son lit la nuit qui suivit.
Mais voilà que le lendemain matin  - n'était-ce pas vraiment infernal ! - Coucourdan qui avait, au saut du lit, couru à ses melons, constata avec une douleur exaspérée que le maraudeur avait repris ses incursions dans sa melonnière. Il était encore volé !
"Monstre de coquin de sort !" gémit le pauvre Coucourdan.
Après s'être beaucoup lamenté et gratté la tête, le bonhomme parut soudain saisi d'une lumineuse inspiration.
Il alla fureter dans le hangar où il serrait ses outils et en ressortit bientôt, tenant triomphalement deux énormes pièges à blaireaux.
"Ah , ah ! disait-il, cette fois, je le tiens, le voleur, je le tiens !"

Coucourdan plaça, bien dissimulés sous les larges feuilles rampantes, les deux pièges de chaque côté du melon le plus beau et le mieux à point, après quoi il se frotta joyeusement les mains d'un air vainqueur.
Le soir, Coucourdan s'endormit tranquille, persuadé qu'il tenait enfin son voleur.
Il le tenait, en effet !...
... Minuit sonne lentement et gravement au village. Tout dort dans la ferme. Au dehors, sous la clarté bleue de la lune, une ombre furtive, rasant les haies, se glisse, d'un pas dénotant la connaissance parfaite des lieux vers la melonnière de Coucourdan.
Les crapauds et les grillons se taisent, interdits ; les escargots braquent leurs yeux vers l'intru, et les belles-de-nuit haussent leurs têtes curieuses pardessus la barrière de roseaux qui les enclot et disent aux papillons : "Encore lui ?"
Arrivée parmi les melons, l'ombre, sans hésiter, se penche, cherche, tâte, puis arrache ardiment le plus beau de tous.
Soudain, l'ombre pousse un cri, un horrible cri de détresse qui déchire le silence nocturne ; le maraudeur avait mis le pied sur un des pièges, il était pris !
La lune, qui s'était cachée comme pour se voiler la face devant le forfait, s'échappant alors de son nuage, éclaira la figure épouvantée de... de Coucourdan ! Coucourdan lui-même ! Son melon en mains, et la mine ahurie ! C'était lui son propre voleur !
Mais comment ? Eh, parbleu ! Coucourdan était... somnambule, et, préoccupé tout le jour, cette année plus que jamais, par ses melons, troublé jusqu'en ses rêves par la gourmandise, le bonhomme se levait la nuit et, tout endormi, il se rendait à sa melonnière pour manger ses melons.
Lorsque, complètement réveillé par la douleur, et après s'être copieusement gratté la tête... et aussi la jambe où le contact du piège se faisait sentir, Coucourdan put rassembler ses idées et comprendre son cas, il partit d'un franc rire.
Alors, s'étant débarrassé de sa douloureuse entrave, Coucourdan retourna à son lit, non sans avoir, par compensation, dévoré le délicieux melon cueilli dans cette étrange aventure.
Seulement, pour ne plus courir le risque de s'enrhumer dans ses sorties noctures, Coucourdan, à dater de cette nuit mémorable, cueillit chaque soir son melon le plus beau et le plus parfumé et le plaçait près de son lit, avant de se coucher.
Et, naturellement, au matin de chaque lendemain, il n'en restait plus que les graines et l'écorce.
Ah ! ce sont de fameux melons que les melons de Coucourdan !

bunni


La Rose

La branche d'héliotrope qui devait orner la belle tapisserie ne grandissait pas sensiblement ; grand'mère était un peu paresseuse ce jour-là, et le petit chat noir assis devant elle s'en était sûrement aperçu, car le regard malicieux de ses yeux verts, émeraudes enchâssées dans du jais, ne quittait pas la mains souvent immobile de la travailleuse.
- Il  est quatre heures, dit, celle-ci en se levant, je ne travaille plus.
Elle roula soigneusement son ouvrage tandis que le minois du chat exprimait parfaitement cette idée : "La tapisserie avancera tout autant."
L'aïeule s'approcha alors d'une de ces commodes antiques, dont les tiroirs ventrus laissent échapper lorsqu'on les ouvre une légère odeur de rose et sont de vraies mines à trésors surprenants, pour les petits enfants admis à y puiser. N'étant parvenue à ouvrir un de ces énormes tiroirs qu'avec beaucoup de difficultés, grand'mère l'enleva pour découvrir l'obstacle. Au fond du meuble, sa main rencontra un petit livre un peu froissé dont les pages jaunies, la couverture pâlie attestaient le grand âge.
Dès qu'elle eut tourné les premiers feuillets, elle tressaillit songeuse tourna les yeux vers le portrait de grand-père. Le sourire bienveillant du vieillard, si beau encore sous ses cheveux blancs, semblait répondre à ses propres pensées et longtemps elle s'attarda dans cette douce contemplation.
Ensuite elle lut avec un intérêt incompréhensible pour Minet, qui trouvait ce vieux livre bien moins beau que ceux de la bibliothèque, les aventures de la Belle au Bois dormant, celles de Peau d'Âne et tous les autres contes qui avaient charmé son enfance.
Mais le jour baissait lentement et elle allait fermer le livre quand elle trouva entre deux pages une fleur fanée, séchée depuis de longues années.
- Que je suis heureuse, dit-elle doucement, la voilà cette rose que j'ai tant cherchée, un des plus précieux souvenirs de lui.
Grand'mère alors ferma les yeux pour mieux penser et tout à coup il lui sembla qu'on parlait près d'elle. La voix fine et claire qui troublait le silence de la chambre venait de la pauvre fleur flétrie.
- Je suis bien laide, n'est-ce-pas maintenant ? disait la rose. Te souviens-tu de ma beauté qui a passé, comme la tienne du reste, ma chère Claire, mais beaucoup plus vite ? Tu es grand'mère et dans toute ta longue vie j'ai tenu une petite place. Veux-tu savoir mon histoire ? Je naquis dans le jardin où tu t'es promenée tant de fois et où tes petits enfants jouent aujourd'hui. J'étais belle alors (je puis le dire sans orgueil, je suis si vieille), mes pétales rosés s'entr'ouvraient avec grâce, retenus par un mignon corset vert, une tremblotante perle de rosée étincelait sur mon sein, ma tige gracile n'avait que de petites épines brunes qui faisaient ressortir ma fraîcheur, trois feuilles d'un vert sombre délicatement découpées me protégeaient.
"Je n'avais jamais vu le jardinier ; et l'arrivée d'un jeune homme dans la grande allée m'étonna beaucoup, mais des fleurs presque fanées et très instruites m'apprirent que c'était M. Georges, le neveu du propriétaire.
"M. Georges s'approcha de moi, me regarda attentivement, puis d'un coup sec me sépara du rosier en disant joyeusement :
"- Je n'ai jamais vu cette espèce de rose, il n'y en a du reste qu'une, elle fera très bien dans mon herbier ; puis il m'emporta.
"A peine née je quittais le beau jardin où j'aurais tant aimé à vivre, et à ma douleur venait encore s'ajouter la crainte, car sûrement je courais un grand danger. J'ignorais ce que c'était un herbier, mais les roses mes voisines, tout en se cachant affolées sous les feuilles, pour ne pas partager mon sort, m'avaient crié que c'était le plus effroyable instrument de supplice, que mon ravisseur, jeune savant comme je le sus plus tard, avait déjà été le bourreau de fleurs nombreuses dont on avait connu les souffrances grâce aux racontars d'un moineau qui avait volé sur les fenêtres du terrible M. Georges.
"Au bout de quelques instants je sentis un certain bien-être, on venait de me placer dans vase de cristal plein d'eau fraîche. J'étais sur une table couverte de livres dans une chambre simplement meublée. Le jeune homme lisait et paraissait m'avoir oubliée ; je commençais à me rassurer quand on frappa à la porte.
" - Entrez ! cria-t-il avec un peu de mauvaise humeur.
"Une domestique pénétra dans la chambre.
" - C'est vous, Marie, que désirez-vous ?
" - Monsieur Georges, n'est-ce pas vous qui avez cueilli une rose presque blanche dans la grande allée ? Celle-ci, tenez, ajouta la femme à cette demande un peu brusque et en me désigant.
" - Puisqu'elle est ici, ce ne peut être que moi ; quel inconvénient voyez-vous à ce que je cueille les fleurs qui me plaisent ?
" - Aucun, monsieur, mais Mlle Claire l'avait vue et désirait la mettre dans ses cheveux pour le bal de ce soir. Elle m'envoie vous la demander.
" - Je ne puis la lui donner, cette fleur est rare, je tiens à la conserver, ma cousine en prendra une autre.
" - Mais, monsieur, toutes les autres sont rouges, et comme mademoiselle est blonde elle ne peut les mettre.
" - Elle est si jolie qur tout doit être bien sur elle ; du reste elle peut choisir une autre fleur qu'une rose.
" - Mais, monsieur...
" - C'est assez discuté pour une telle babiole, je ne cherche pas à contrarier Claire, mais je ne peux sacrifier une rose que je ne connais pas, pour un caprice. Expliquez-lui que c'est impossible.
"La femme de chambre sortit en murmurant.
"Alors, perdant tout espoir d'échapper à l'herbier, je détestai celui qui tuait les roses et faisait pleurer les jeunes filles, car certainement cette jolie cousine Claire (il avait dit qu'elle était jolie) allait beaucoup pleurer.
"Je dois avouer aujourd'hui en toute sincérité, que la douleur de Claire me touchait, que j'étais tout simplement triste et irritée de rester dans cette chambre silencieuse, d'y mourir pour le plaisir d'un savant, quand j'aurais pu me faire admirer sur la tête d'une belle danseuse.
"Je passai une nuit pleine d'angoisse, craignant à tout instant de me sentir arracher un à un mes pétales si délicieusement rosés.
"Le jour vint enfin, M. Georges se remit à travailler. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant la femme de chambre si mal accueillie la veille entrer précipitamment sans frapper.
" - Monsieur, dit-elle vivement, venez, mademoiselle est malade, elle a sans doute eu froid en entrant hier et depuis elle a la fièvre.
"Georges pâlit et sortit immédiatement en posant à la domestique de nombreuses questions sur l'état de la malade et j'en conclus qu'il était moins mauvais que je l'avais supposé.
"Quand il revint, il paraissait préoccupé.
" - La rose, la rose, dit-il tout haut, pourquoi répète-t-elle toujours ces mots dans son délire ?
"Puis après un moment de réflexion :
" - J'avais oublié ce détail. Pauvre enfant, elle a dû être bien contrariée, j'ai été souverainement rididcule ; jamais elle ne m'aurait rien refusé aussi brutalement. Mais cette rose est peut-être fanée.
"Non, je n'étais pas fanée, mais plus ouverte encore que la veille, je lui parus plus belle encore. Il me prit et m'emporta. Comme j'étais heureuse d'échapper à l'herbier et de faire plaisir à la pauvre Claire ; puis, comme toutes les jeunes roses, j'étais très curieuse et désirais vivement la voir.
"Elle me sembla bien plus jolie que je ne l'avais espéré, la cousine de M. Georges, et je compris combien une fleur devait être fière d'orner ses beaux cheveux blonds.
" - Clairette, dit le jeune homme en souriant, la voici cette rose, voulez-vous me pardonner ma sottise ?
" - Je vous pardonne, méchant, mais avez-vous réellement l'héroïsme de sacrifier les intérêts de la science à un caprice ?
" - J'arriverai certainement à trouver une autre rose semblable, et si je n'y parviens pas ce sera la juste punition d'avoir fait pleurer vos beaux yeux.
" - J'accepte alors et je vous remercie.
"Claire guérit rapidement et me mit dans le petit livre de contes où le cousin Georges lui avait appris à lire, lorsque je fus un peu fanée. Je m'y desséchai, heureuse d'avoir contribué à faire plaisir à une créature aussi bonne que la jeune fille pour qui je n'ai cessé d'être un précieux souvenir.
"Les années passèrent, Claire, devenue la femme du cousin Georges, me regarda souvent en souriant. Un jour des larmes tombèrent sur moi tandis que je tremblais dans ses mains blanches, le compagnon de toute sa vie, ce savant à qui j'avais donné mon estime après en avoir été tant effrayée, venait de mourir. Puis les visages roses des petits-enfants rappelèrent à l'aïeule le visage souriant du cher disparu, et de nouveau elle me revit ave joie.
"Un domestique maladroit me fit tomber derrière ce meuble et c'est par pur hasard que..."

A ce moment grand'mère, la jolie Claire de l'histoire racontée par la rose, s'éveilla. On avait apporté la lampe et le portrait du grand-père, vivement éclairé, avait toujours son doux sourire, il avait sans doute entendu ; frêle souvenir du passé, la rose semblait sur le livre fané un papillon endormi. Grand'mère allait reprendre ses réflexions, mais des cris joyeux se firent entendre dans l'antichambre, la porte s'ouvrit violemment, deux blondes fillettes et un bambin aux cheveux bruns rebelles, tombèrent dans les bras de l'aïeule qui crus sentir s'effeuiller sur elle un bouquet de roses, fraîches comme celle offerte jadis à la mignonne Clairette.

bunni


Le moustique amoureux de la lune

Il était une fois un moustique du gentil nom de Syllabus qui décida de quitter sa communauté moustiquaire pour atteindre la Lune. Cela faisait longtemps qu'il en parlait à tous ses proches, et ceux-ci lui bzzzaient au nez. Tous les soirs, avant d'aller piquer les humains, il regardait mélancoliquement le bel astre, qui, croyait-il, lui faisait un signe amical et l'invitait à le rejoindre. Un soir, il n'y tint plus, et profitant d'une excursion nutritive avec ses compères, il leur faussa compagnie.
Il enfourcha sa moto volante qu'il réparait depuis plusieurs mois et s'élança droit vers le ciel, vers sa secrète amie de toujours, vers son idéal féminin s'il en est, j'ai nommé : la Lune.

«Petit moustique, qui gratte, qui pique,
Qui vous chatouille et vous irrite,
Si tu ne veux que je te mastique,
Dis-moi donc : où cours-tu si vite ? »

Un mystérieux garçon, aux cheveux blonds et au regard bleu limpide, debout sur une minuscule planète, considérait notre héros avec des yeux ronds. Je vous le donne en mille, c'était le Petit Prince ! Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas été dérangé après toutes les aventures qu'il avait vécues ! De son cœur de prince, il invita notre pauvre Syllabus à se reposer un peu sous son toit. Ils passèrent ainsi quelques mois heureux, le Prince enseignant au moustique la botanique, sa connaissance des étoiles, et surtout, à rêver. Un matin, cependant, Syllabus alla voir son ami tout bouleversé : « Prince, tu m'as dit qu'il fallait croire au merveilleux et à ses rêves, que le réel et l'irréel n'étaient des choses séparées que pour les grandes personnes et ceux qui ne savent pas regarder. Je suis bien chez toi, mais dans mon lit d'étoiles et de fils dorés, je pense tous les soirs à ma douce Lune, et malgré moi, des larmes roulent sur mes joues sèches. Laisse-moi repartir »
Un moustique qui pleurait ! C'était bien la première fois que le Petit Prince voyait cela ! La planète était trop petite pour eux deux de toute façon. Le Petit Prince quitta son ami, non sans lui avoir offert un voile merveilleux qui permettait à celui qui le mettait sur ses yeux de voir ses rêves et le monde se confondre en une seule chose. « Au moins, tu passeras de bonnes nuits ! Tant que ton rêve ne sera pas réalisé, ce voile te donnera des visions merveilleuses. Il disparaîtra quand tu auras trouvé ton bonheur. Pars, pars, va voir mes amies Ourses, peut-être pourront-elles t'aider dans ta laborieuse quête ! Car ton amie la Lune n'est pas facile à approcher, mais je vois bien que tu ne seras en paix que quand tu lui auras ne serait-ce que parlé. »

«Petit moustique, qui gratte, qui pique,
Qui t'a donné ce voile magique ?
Si tu ne veux que je te mastique,
Dis-moi donc : où cours-tu si vite ? »

D'une voix grave et bourrue, la Grande Ourse toisait notre Syllabus d'un air méfiant. Les moustiques, comme le lui rapportaient ses amis ours terrestres, venaient déranger dans leur sommeil les animaux, faisaient pleurer les oursons, bref, elle n'en avait pas une très haute estime. Elle écouta son histoire, et, hargneuse, lui répondit : « Tu es jeune, tu rêves ! Moi, cela fait bien longtemps que je ne rêve plus ! Je t'aiderai si tu arrives à me faire rêver ».
Notre Syllabus sortit alors le voile que lui avait offert son ami, en couvrit les yeux de l'ourse grognarde... « Merveilleux ! s'écria-t-elle, je vois des sapins, des bouleaux, des chênes, tous les arbres que j'ai toujours voulu voir sur Terre ! Une dizaine d'oursons gambadent autour de moi en riant, je mange du bon miel, je me roule dans l'herbe fraîche ! Mais, qui vient ici me parler ? Le grand ours de la forêt ! Que dit-il ? " Ma fille, tu scintilles dans le ciel, tu permets aux touaregs de se repérer, aux marins perdus de reprendre espoir, tu remplis de joie le cœur des enfants et des adultes. Toute la communauté ourse terrestre prie en te regardant tous les soirs. Ne sois donc pas mélancolique et envieuse, mais fière de ce que tu symbolises " » D'un seul coup, la forêt, le miel, les oursons, le grand ours disparurent, et Syllabus eut en face de lui une ourse aux étoiles mouillées de larmes. « Merci, petit moustique. Grâce à toi, je sais maintenant ce que je vaux et combien ma place est importante. Ma compagne la Petite Ourse n'en sait pas plus que moi pour ce qui est de ton rêve, mais je veux t'aider : prends ce pot de miel céleste pour apaiser toutes les blessures et ce rayon de lumière qui t'aidera dans ton expédition. Bonne route. Va voir l'étoile du Berger, c'est un guide sûr ». Après l'avoir serré tendrement dans ses étoiles, la Grande Ourse regarda notre Syllabus s'envoler avec une larme au coin de sa casserole.

«Petit moustique, qui gratte, qui pique,
Tu brilles d'une lumière fantastique...
Je t'aiderai si tu m'expliques,
Dis-moi donc : où cours-tu si vite ? »

Un bâton à la main, debout sur son étoile, le berger de tous les bergers fixait notre moustique d'un air interrogateur et doux. Syllabus se sentit tout de suite à l'aise. Ce berger, sage et bon, connaissait tous les êtres vivants sur la Terre, et prit soin du moustique comme de son propre mouton. « Tu es bien fatigué. Reprends des forces. Si tu veux plaire à ta Lune, tu dois apprendre à t'occuper des êtres qui t'entourent. Vois ce mouton : il est fragile, chétif, il faut le nourrir, le laver, le caresser, et surtout, l'aimer. » Imaginez-vous ? Un moustique qui a appris à piquer, à sucer le sang de tout animal qu'il voyait passer devant lui, qui ne pensait qu'à la satisfaction de sa propre faim, utilisant le corps des autres sans ménagement, se mettre à caresser des moutons ? Cela vous semble peut-être incroyable, mais rien n'est impossible à qui a du cœur. Timidement, de sa petite patte velue, Syllabus caressa la laine bouclée de l'agneau qui arrêta de bêler. Le berger lui confia alors son souci : ce mouton avait une patte malade, il ne pouvait plus marcher. Lui qui naguère bêlait de toute son âme, ne disait plus un mot, et restait couché tout le jour sur un nuage. Syllabus, mû par une inspiration soudaine, sortit alors le miel offert par les Ourses, et l'appliqua doucement, tendrement, sur le membre souffrant. Miracle ! L'agneau se leva, et, tout joyeux, courut rejoindre ses amis en bondissant. Syllabus était tout ému, et des larmes lui roulaient sur les joues.
«C'est la joie de faire du bien à son prochain », lui dit gentiment le berger. « Maintenant, apprends à les calmer en chantant ». Syllabus, suivant son maître, se pencha à l'oreille d'un mouton et siffla doucement. Croyez-moi ou non, le sifflement qui nous dérange la nuit a d'abord été une jolie berceuse ! Tous les autres moustiques empruntèrent ce tic à notre Syllabus, et en firent mauvais usage...
Il passa ainsi plusieurs mois sur l'étoile du Berger. Il ne savait toujours pas quelle direction prendre, mais son cœur était en paix. Un matin, cependant, le berger vint le voir et lui parla en ces termes : « Mon cher ami, ta présence à mes côtés me fait du bien, mes moutons t'aiment et te connaissent. Mais tu dois repartir, la belle Lune t'attend » Ce disant, il lui tendit son propre bâton de berger : « Prends-le. Pèlerin du chemin de la Sainte Lune, vole, et tu trouveras ton chemin. »

Avec son pot de miel, son voile, son bâton, son rayon lumineux, le petit moustique était bien lourd sur sa vieille moto terrestre... A peine deux années lumières plus loin, « prout, prout, vrrr, sotch »... Avancer, reculer, et même s'arrêter, sa moto ne pouvait plus rien faire ! Tous ses amis le voyaient peiner de loin, mais hélas ! Ni la Grande Ourse, ni la Petite Ourse, ni le berger, si naturels et authentiques, ne connaissaient quelque chose en mécanique. Syllabus, plein de courage, alla alors voir Vénus, aux longs cheveux bruns et bouclés qui le regardait en riant...

«Petit moustique, qui gratte, qui pique,
Je ne connais pas la mécanique,
Mais si tu as une patte énergique,
Viens démêler mes cheveux magnifiques »

Magnifiques, mais nombreux ! Et sombres, sombres ! Perdu dans ces boucles et ces ondulations, presque étouffé par leur masse, Syllabus se sentait dans un vrai labyrinthe. Heureusement, il sortit le rayon lumineux offert par la Grande Ourse. Une grande clarté se fit, et, comme par magie, tous les filaments noirs se dressèrent, se démêlèrent sous sa douce pression. Vénus le regarda avec stupeur : « Tout autre moustique aurait péri dans mes cheveux. Tu possèdes beaucoup de courage. Voilà. Vulcain, mon mari, dieu de la forge, pourra certainement te réparer ta machine. Mais fais bien attention : c'est un véritable four. Tu seras attiré par sa lumière, mais brûlé vif si tu t'en approches. Ferme les yeux en arrivant chez lui. Et mets ce parfum à la citronnelle. Il te protégera contre la chaleur, et Vulcain, en reconnaissant son odeur, te sera tout de suite favorable. »

«Petit moustique, qui gratte, qui pique,
As-tu des pouvoirs magiques ?
Dans mon feu ardent qui brûle et qui crépite,
Tu restes vivant et stoïque.
Dis-moi : que cherches-tu dans mon gîte ? »

«Et quelle bonne odeur ! C'est sûr, tu as vu ma déesse aux longs cheveux, Vénus la belle ! » Boîteux, le fier Vulcain avait un sourire moqueur aux lèvres : qui était ce moustique, prêt à se brûler les ailes pour une information ? Il avait franchement envie de rire ! Mais la gravité de notre héros lui rendit tout son sérieux. Son jugement tomba : « Ta moto est inutilisable. Trop vieille, trop lourde, tout est à jeter ! ». Syllabus sentit le sol se dérober sous lui : son rêve s'écroulait ! Il ne pouvait même plus rentrer chez lui ! Touché par les larmes de l'insecte, le dieu de feu proposa : « Ecoute, tu m'es sympathique. Voici un vélo volant, léger, très rapide, adapté à ta taille de guêpe si j'ose dire... Fabriqué dans le fer et le feu, il est indestructible. Laisse-moi ta moto, je vais l'exposer dans mon musée. » Et il fit tout ce qu'il avait dit. Sous la moto, il mit une plaque dorée avec l'inscription « Le fidèle destrier du valeureux moustique en quête de la Sainte Lune, mort pour l'honneur». On dit qu'il gagne bien sa vie, car tous les moustiques qui sont partis à la suite de Syllabus passent visiter le musée de Vulcain. Ce musée est inclus dans le « tour du ciel » plébiscité par la communauté moustique comme excursion estivale à faire entre amis ou en famille. Des moyens de transport modernes se chargent de porter vos bagages, n'hésitez plus à passer un été aventureux et riche en expériences. Appeler le « tour du ciel en quarante jours seulement » au bzz-bzz-bzz-bzz. Mais laissons cela et revenons à notre Syllabus.

Avec son vélo volant, notre Syllabus filait plus vite que le vent. Le jour, il se reposait de nuage en nuage, la nuit, une étoile lui servait d'oreiller. Les miettes de ciel et de planète étaient sa nourriture, et il voyait sa chère Lune se rapprocher d'année lumière en année lumière. Mais, malheur ! Quand il fut tout près de sa bien-aimée, il se heurta à un mur invisible : une fine couche bleuâtre et lumineuse entourait l'astre comme un rempart infranchissable. Etre si près et si loin à la fois ! Quelle tristesse ! Il roula en vélo sur cette barrière en long en large et en travers, mais il ne put rien y faire : enfermée à tout jamais dans sa cage bleutée, la Lune semblait même dormir à points fermés, et sa blancheur ressemblait à la pâleur d'une morte. A bout de force, Syllabus s'arrêta, descendit de son vélo, s'assit sur une petite météorite qui passait par là, enfouit sa tête dans ses mains et pleura, pleura, pleura. Une plainte de moustique, un sifflement si lancinant et insupportable qu'il réveilla Jupiter lui-même, le dieu des dieux, qui n'aimait pas être réveillé au milieu de sa sieste, il faut bien le dire !

«Petit moustique, qui gratte, qui pique,
Ne sois pas si pathétique.
Lève-toi de cette météorite
Et rentre chez toi au plus vite ! »

Avec son tonnerre et ses éclairs, Jupiter avait de quoi impressionner. Mais notre Syllabus était tellement désespéré qu'il ne fit que lui demander : « Pourquoi ne puis-je pas entrer ? Qu'a donc ma reine argentée ? ». « Ta reine argentée ? Dame Lune tu veux dire ? Eh bien, elle est un peu malade. Depuis quelques années. On dit que c'est une dépression atmosphérique. Elle se plaignait de ce que plus personne sur la Terre ne la regardait. Elle disait que plus personne ne rêvait d'elle depuis qu'un homme avait irrespectueusement posé les pieds sur sa peau, et ravalé son rang de fée des rêves à celui de simple satellite. Bref, un bon sentiment d'infériorité. Ajoute un peu de solitude, un sentiment d'inutilité... Je te passe les détails ! De la nuit à la lendenuit, elle s'est murée dans le silence, elle qui aimait tant bavarder et chanter. Elle a fermé tout accès à son château, et s'est endormie pour une nuit sans fin. Nul ne sait quand elle se réveillera ! Mais tel que c'est parti, cela n'est pas près d'arriver. Il faudrait vraiment quelque chose d'assez fort pour la tirer de son sommeil. Même ma foudre ne fait bouger aucun des traits de son visage glabre. Et Hélios, le soleil, son meilleur ami, c'est bien simple, il est tombé dans un chagrin immense. Oh, il continue son travail, bien sûr, il passe la voir chaque nuit, mais il a perdu tout cœur à l'ouvrage, et vraiment, il fait peine à voir. Bref, l'univers ne tourne plus très rond depuis que dame Lune brille de feux éteints et endormis. Mais tu n'y peux rien, petit moustique, et ta place est parmi les tiens ! »

Syllabus ne pleurait plus. Il écoutait, médusé, le récit du dieu des dieux. Il comprenait maintenant les remarques du berger, les mises en garde des Ourses : la Lune était malade ! Sa reine pensait que plus personne ne rêvait d'elle... Oh, si elle savait ! Certes, il n'était qu'un moustique, mais la valeur n'attend pas le nombre de centimètres ! Que pouvait-il faire pour la réveiller ?
«Un peu de lumière tout d'abord ! » Sortant son rayon magique, il le pointa sur la couche bleutée qui commença à se fendiller... Tout joyeux, notre Syllabus arpenta le mur invisible qui, à chaque coup de rayon, perdait sa force, jusqu'à disparaître ! Mais sa belle dame avait encore les yeux fermés, et dormait sans se soucier de son amant au cœur tendre. Syllabus se mit alors à siffler doucement, comme il le faisait avec les moutons de l'étoile du Berger, et il fredonna ces paroles :

«Belle Lune,
Réveille-toi,
Un moustique est venu chez toi,
Un moustique rêve encore de toi,
Un moustique veut entendre ta voix.

Je suis petit mais je suis malin
Je te chanterai des refrains,
Je te parlerai de mon chemin,
Je te ferai des caresses, des câlins
De toi chaque jour je prendrai soin.
Et si personne ne veut te voir
Je te contemplerai tous les soirs
Tu seras ma vie, mon miroir
Mais je t'en prie : lève-toi enfin ! »

Au fur et à mesure qu'il chantait, il lui semblait que la Lune bougeait, que le sol se soulevait, comme si la Lune s'étirait après un long sommeil. Elle semblait plus brillante, de la pâleur colorait à nouveau son visage. Elle ouvrit enfin les yeux et considéra notre héros avec beaucoup de surprise. Elle lui dit avec une pointe de mépris : « Un moustique ? Quelle drôle de chose ! J'attendais un prince, ou une planète au moins ! Tu dis que tu peux prendre soin de moi ? Prouve-le ! J'ai tellement mal à tous mes cratères, ils se sont plissés avec mes soucis. J'ai mal partout, à la tête surtout... Voyons, toi, tu pourrais faire quelque chose ? ». Il faut avouer que Syllabus était un peu déçu de la réaction de celle qu'il aimait depuis toujours. Mais elle était tellement importante, et lui si insignifiant ! Alors, très lentement, avec mille précautions, il appliqua le miel offert par la Grande Ourse sur les cratères endoloris de la Lune, dans un silence quasi religieux. Une sorte de grand soupir de soulagement lui répondit. D'une voix radoucie, Dame Lune s'exprima en ces termes : « Merci, cher Syllabus. (Comment connaissait-elle son nom ? pensa le héros.) Je voulais voir si ta détermination irait jusqu'à affronter mon mépris. Tu t'es montré très courageux, et j'attendais depuis longtemps ta venue. Peu d'êtres humains auraient eu l'audace d'entreprendre ce que tu as fait. Sois le bienvenu. » Les yeux écarquillés d'admiration, Syllabus écoutait sa reine avec un sourire aux lèvres.

Ils passèrent alors de longs mois heureux. Syllabus chantait, sa Lune lui souriait, et son sourire revint illuminer la terre de ses croissants. Le moustique roulait avec son vélo sur sa peau pour la masser, il lui racontait des histoires de moustique qui la faisait rire aux éclats de telle sorte que les bêtes et les hommes sur la Terre levaient alors la tête avec inquiétude vers l'astre qui semblait secoué de convulsions. Elle lui enseignait son savoir de l'univers, des galaxies, de l'histoire des hommes qu'elle suivait depuis la nuit des temps. Un soir, après un de ses enseignements, elle s'interrompit dans son discours et devint toute grave et toute pensive. « Syllabus. Ecoute-moi jusqu'au bout sans m'interrompre. Tu es le moustique le plus merveilleux que j'ai jamais rencontré. Et mon cœur de Lune vibre chaque fois que je t'écoute et te vois. Cela fait plusieurs mois que je retarde ce que je devais te dire, par pur égoïsme, pour te garder toujours auprès de moi. J'ai des larmes aux yeux quand je te vois t'endormir en pensant que notre bonheur a une fin. Ce n'est pas moi qui dicte les lois de l'univers, la place de chaque étoile, le rôle de chaque être vivant. Si tu avais été une planète, nous aurions pu nous aimer des années-lumière et des années-lumière ! Mais tu dois retourner sur Terre : ta communauté, et tous les êtres vivants ont besoin de toi. Tu m'aimes et tu sais rêver. Nombre d'êtres humains ne savent plus faire attention au mystère de la nuit, contempler la beauté des astres, aimer tout simplement, croire que le surnaturel et le merveilleux sont possibles. Pars, va, conte tes aventures aux hommes oublieux pour qu'ils retrouvent la joie de rêver. C'est la volonté du roi de la Terre et du ciel, le même qui t'a amené jusqu'à moi. ». Syllabus était triste, bien sûr, mais en lui-même il savait que ce retour était inévitable. Il caressa de sa patte timide sa bien-aimée et murmura dans un souffle : « Donne-moi une chanson que je puisse emporter avec moi. A chaque fois que je la chanterai, je sentirai ta présence à mes côtés. »
Alors d'une voix triste à faire soupirer les rhinocéros, la reine de la nuit fredonna :

«Un moustique et une Lune s'aimaient
Elle était sa lumière, il était son berger
Elle était son repos, son souci et sa joie
Il la faisait rire et pleurer quelquefois
Leurs nuits étaient peuplées de miel et de beauté.
Le moustique est reparti sur la Terre
Emportant avec lui des souvenirs amers,
Des larmes de cristal imprégnées de mystère,
Des fragments de bonheur et des miettes d'amour.
La Lune le contemple en secret chaque jour,
Et scintille pour lui quand le soir vient son tour.
Si le brave moustique a quitté son amie
C'est pour rappeler aux âmes endormies
Que le rêve contient une part de vérité
Et jette sur le monde un fin manteau doré
De confiance, de surprise, d'amour et de bonté.
Alors, quand au soir le sommeil vous saisit
Pensez à Syllabus et sa Lune chérie. »

Après une dernière étreinte, Syllabus repartit sur son vélo volant, la chanson de sa belle tintant à ses oreilles. A tous les moustiques qui n'étaient pas partis en pèlerinage, il apprit cette chanson. Et, tous les soirs, quand la Lune commence à se montrer, les moustiques partent en mission : faire rêver les humains. Alors, si vous entendez un moustique près de votre oreille, au lieu de taper, écoutez plutôt ! Et si vous avez l'ouïe fine, vous reconnaîtrez peut-être la chanson des amours du moustique et de la Lune.

bunni


Le garçon qui voulait voir la mer

Il était une fois un garçon nommé Igor, qui voulait voir la mer.

Drôle d'idée me direz-vous, quand justement on habite au centre d'un continent aussi éloigné du Pacifique que de l'Atlantique.
La mer ? Personne ici ne pouvait se l'imaginer, personne n'y était jamais allé.
On ne connaissait que le grand fleuve, les rivières, les innombrables sources, et ma foi, on s'en trouvait très bien. Sauf Igor !

L'un de ses cousins, marin au service de l'empereur, avait tenté de lui décrire la mer, et depuis, Igor en rêvait la nuit, et même le jour, quand il travaillait aux champs ! Il avait une immensité bleue dans la tête. Il ne pouvait se confier à personne car on l'aurait traité de fou. Alors, il mitonnait son idée tout seul :
"Un jour, je partirai, je marcherai droit devant moi, le temps qu'il faudra. Mais j'y parviendrai."

Un matin de printemps, il ne put y tenir davantage, et il partit. A tous il dit qu'il allait chercher un trésor, un filon d'or ou une mine de diamants. Les gens de sa famille hochèrent la tête : cet enfant-là n'avait jamais été comme les autres. Mais après tout, puisque c'était son idée ...

Quand il eut perdu de vue le clocher de son village, Igor s'arrêta. Il ne savait même pas quelle direction prendre. A tout hasard, il décida de marcher vers l'ouest : on lui avait dit que lorsque le soleil se couchait, il s'enfonçait dans la mer. Il avait douze ans, de grands cheveux noirs et les poches percées.

Il marchait ; ses pieds le portaient le long des collines et des plaines.
Comme il n'avait pas d'argent, il était obligé de s'arrêter souvent, afin de gagner son pain.
Il fut successivement pâtre sur les flancs d'une montagne, gardien de dindons, montreur d'ours, garçon d'écurie ...
Quand il avait amassé quelques sous, il saluait la compagnie et reprenait sa route. Quelquefois, il questionnait ceux qu'il croisait :
-Savez-vous si elle est encore loin ? demandait-il ?
-Et qui ça, mon garçon ?
-La mer, bien sur !
Les gens haussaient les épaules, hochaient la tête et s'éloignaient.

A ce rythme, il n'avançait guère et les années passaient. Il avait fini par franchir les frontières de son immense pays. Et il était devenu un homme.
Un jour, Igor s'arrêta dans une ferme pour aider aux moissons. La fille de la maison était si belle qu'il en oublia sa quête. Elle s'appelait Madrépore et avait les yeux bleus, si bleus, qu'il ne pensa plus au bleu de l'océan.
Ils se marièrent au printemps ; un garçon naquit l'année suivante puis une fille et une autre encore. Pour assurer l'avenir de ses enfants, il plantait un noyer à chaque naissance. En apparence, Igor s'était transformé en riche fermier, conscient de ses devoirs.
En apparence seulement, car lorsqu'il était seul, lorsque le travail de la terre lui laissait quelque répit, son vieux désir le reprenait, plus fort que jamais.
Mais quoi, il lui fallait bien élever ses enfants !
"Quand ils seront grands, je repartirai " se disait-il !

Les années passèrent. Les noyers qu'il avait plantés pour la naissance de l'aîné donnaient maintenant de l'ombre, les cheveux noirs d'Igor avaient grisonnés, puis blanchi. Bientôt, il maria ses enfants.

Puis, un triste jour, il enterra Madrépore aux yeux bleus. Alors, au milieu de sa peine, le vieux désir revint en lui, aussi frais, aussi ardent que lorsqu'il avait douze ans : la mer l'attendait.
Il partagea ses biens, embrassa ses enfants, et les enfants de ses enfants, puis se remit en route vers l'ouest.

Oh ! Il n'avançait plus au même rythme, il avait oublié les chansons qu'il fredonnait autrefois, mais il cheminait, il cheminait !
Un jour enfin, il crut sentir dans le vent une odeur inconnue faite de sel et d'iode. Ce soir-là, il dormit sous un chêne et se leva avec le soleil. Le cœur battant, il avançait. Sans crier gare, la mer, d'un coup fut devant lui ! Plus belle encore, plus immense et plus bleue que tout ce qu'il avait imaginé durant sa vie.
-Je suis arrivé, murmura-t-il en s'asseyant sur un rocher.

Que dire de plus ?

Il était une fois un vieillard aux cheveux blancs, nommé Igor, et qui contemplait la mer.

                                                                   

bbchaton

Le cheval gris

s un homme pauvre qui avait deux chevaux. Il était charretier. Un beau jour un de ses chevaux creva et l'autre resta seul. La vie lui devint difficile car il tira seul le chariot lourd. Il était vite lassé de ce double travail et un soir quand son maître le détela, il partit comme l'éclair.

«Il est parti, il n'y a rien à faire, il est parti, il reviendra quand il s'ennuiera. Je n'irai pas le chercher», pensa le charretier.

Le cheval courut, courut jusqu'à la grotte du loup où il se coucha devant l'entrée.
Le vieux loup dit à son cadet:

«Va voir le temps dehors!»

Le fils aurait voulu sortir mais il n'arriva pas à cause du cheval gris. Il retourna en courant:

«Dehors, c'est le plein hiver, mon père.

-L'hiver? Comment ferait-il l'hiver quand nous sommes en été?»

Le vieux loup envoya donc son fils aîné:

«Va voir le temps dehors, mon fils!»

Il revint, lui aussi, en courant et dit:

«En effet, il fait l'hiver, mon père, l'entrée est tellement enneigée que je ne peux pas sortir.

-Alors je vais voir moi-même.»

Il fit ainsi et vit qu'un cheval gris était couché à l'entrée. Il était inerte comme s'il était crevé. Le loup tenta de le déplacer mais il ne parvint pas. Enfin, il attacha sa queue à celle du cheval pour le tirer un peu plus loin. Quand il attacha bien fortement les deux queues, le cheval gris sauta et partit comme une flèche.
Il courut jusqu'à la maison. En arrivant, il se mit à hennir.
L'homme sortit de la maison et se réjouit que son cheval ait apporté un loup. Il frappa l'animal à la nuque, l'écorcha, vendit sa peau et acheta un autre cheval. Le cheval gris n'était plus seul et ne tira plus seul le chariot.



(Conte du Nord de la Hongrie)

bunni


L'arbre entêté

Il était une fois un arbre au beau milieu d'un verger. Curieux de tout, il regarda bien vite le monde qui l'entourait, les fleurs qui s'ouvraient le matin et se refermaient le soir, les oiseaux qui sifflaient en sautant de branche en branche, le paysan qui venait tôt le matin cueillir les fruits des arbres...

Une année s'écoula et, ayant grandi, il était devenu un petit rameau portant quelques tiges. Il se rendit compte qu'il n'était pas un brin d'herbe comme il l'avait cru tout d'abord, mais un arbre et se mit à observer plus attentivement ses aînés.

Mais, se regardant, il s'aperçut que son écorce ne ressemblait à aucune de celles qui les habillaient, que ses branches n'avaient pas la même forme que les leurs. Alors, il eut peur, peur de n'être pas assez grand, peur de n'être pas assez beau, peur de ne pas porter assez de fruits, il eût peur que les autres, pommiers, poiriers, mirabelliers... n'acceptent pas sa différence et il décida de ne produire ni feuille, ni fleur, ni fruit.

Le jardinier plus d'une fois projeta de le couper pour en faire du bois de chauffage, mais trop occupé par ailleurs, il remit chaque fois cette tâche à plus tard. Un matin pourtant il vint, armé d'une grande hache et commença par couper le lierre qui enserrait l'arbre. Du lierre, il y en avait tellement que cela lui prit toute la journée et qu'une fois de plus, il remit l'abattage à plus tard.

Petit à petit, à force de ne produire ni feuilles, ni fleurs, ni fruits  Il ne restait plus de l'arbre au milieu du verger qu'un tronc et des branches. Voyant l'état dans lequel il se trouvait, l'arbre se décida enfin à laisser pousser tout au long de ses branches de belles petites feuilles d'un vert tendre, à laisser éclore au bout de chaque rameau de mignonnes petites fleurs blanches contrastant joliment avec le brun de la ramure et le vert du feuillage.

Quelques temps après, le paysan  revint avec sa hache et découvrant à la place du tronc inutile un magnifique cerisier, ne trouva plus aucune raison de le couper. Il le laissa donc, trop heureux du miracle qui s'était produit.

Depuis ce jour, l'arbre vit heureux au milieu du verger, il n'est pas comme les autres, ni plus beau, ni plus grand, mais tout aussi utile.

Aussi, tous les ans, à la belle saison, les enfants du paysan viennent avec une échelle et, s'éparpillant dans sa ramure, se gavent de ses fruits et le réjouissent par leurs rires.

Antoine Lang

bunni


La jeune fille et le petit esprit du feu Hopi

C'était aux temps où les animaux et les êtres humains parlaient le même langage, au temps où l'on communiquait avec les esprits des éléments, en ces temps des commencements, une étrange maladie ne touchant que les enfants en bas âges s'était abattue sur un village Hopi.

Les enfants ne parlaient pas, ne riaient pas, ne bougeaient pas. Leur regard éteint semblait regarder dans le vide et les adultes ne savaient plus que faire pour communiquer avec eux.

Un ancien s'est alors souvenu que l'on disait que le petit esprit noir du feu connaissait les remèdes à toutes les maladies. Cependant que l'on ne se réjouisse pas trop car il avait très mauvais caractère et était très exigeant sur la qualité des cadeaux que l'on devrait lui faire afin de l'amadouer.

Les gens du village se sont rassemblés et ils ont donné leurs plus belles poteries pour offrir au petit esprit noir du feu.

Les jeunes hommes choisis pour cette mission ont revêtus leurs plus belles parures et sont partis à la recherche du petit esprit noir du feu.

Ils étaient à peine sortis du village qu'ils ont croisé Coyote qui leur a demandé où ils allaient. Ils lui ont répondu :

-« Ô toi, vil joueur de tours, passe ton chemin : notre mission ne te regarde pas porte-malheur ! »

Coyote a disparu en ricanant et son rire sarcastique a raisonné longtemps dans les canyons.

Les jeunes hommes, après avoir erré longtemps ont fini par trouver le petit esprit noir du feu. Celui-ci leur a tourné le dos ostensiblement, mais ils ne se sont pas découragés. Ils lui ont parlé de la maladie des enfants et lui ont demandé de venir au village pour les soigner. Puis ils ont ouvert les sacs contenant les poteries magnifiquement décorées.

Le petit esprit noir du feu a daigné jeter un coup d'œil derrière lui, il a pris un air agacé et a fait signe aux jeunes hommes qu'ils devaient remballer leurs cadeaux et repartir avec.

C'est la tête basse de déception et de tristesse que les jeunes hommes sont retournés au village.

Deux fois encore les jeunes hommes sont retournés voir le petit esprit noir du feu sous le rire sarcastique de Coyote : une fois avec des bijoux d'argent et de turquoise, une autre avec des tissus délicatement brodés.

Mais à chaque fois le petit esprit noir du feu se renfrognait davantage !

Un jour, une jeune fille qui était allée chercher du bois pour cuisiner croisa le chemin de Coyote.

Celui-ci lui demanda :

-« pourquoi as-tu l'air si triste ? »

-« parce que les enfants du village sont malades et que personne ne sait comment les soigner. Les jeunes hommes sont même allés voir le petit esprit noir du feu avec des cadeaux somptueux mais il est trop exigeant et... »

-« somptueux pour qui ? » l'interrompit Coyote

-« que veux-tu dire ? »

-« Rien d'autre que ce que j'ai dit ! »

Et Coyote disparut dans un grand éclat de rire joyeux.

La jeune fille ramena le bois chez elle, alluma le feu, prépara le repas en silence, puis elle sortit sans manger au grand étonnement de ses parents qui commencèrent à s'inquiéter sérieusement pour elle, bavarde et gourmande comme elle l'était habituellement.

Une fois dehors, elle sortit du village et elle se mit à rassembler diverses choses ramassées ici et là dans un grand tissu noir qu'elle avait emporté.

Une fois le tissu rempli elle se dirigea vers l'endroit où habitait le petit esprit noir du feu. Celui-ci lui tourna le dos ostensiblement mais elle ne se laissa pas décourager :

-« Je te salue petit esprit noir du feu et je t'apporte des présents en gage d'amitié »

-« on est déjà venu me faire des cadeaux grogna le petit esprit noir du feu, cela ne m'intéresse pas, laisse-moi me reposer en paix »

-« Oui, mais les miens sont différents dit la jeune fille d'une voix douce, jette juste un œil sur eux, je t'en prie et s'ils ne te conviennent pas, je ne te dérangerai pas davantage »

- « tu m'as parlé d'amitié, c'est pour cela que je t'ai répondu : souhaites-tu vraiment devenir mon amie ? » demanda le petit esprit noir du feu en se soulevant légèrement.

-« je serais heureuse que tu acceptes mes offrandes et d'être ton amie »

Le petit esprit noir du feu se retourna et aperçut alors le contenu du tissu. Son œil s'illumina d'une joie enfantine

-« Oh ! Tu m'as apporté tout ce que j'aime le mieux ! »

Il regardait avec jubilation les bouts de bois, les morceaux de tourbe, les herbes sèches, les pierres à feu et poussait des « Oh ! Comme c'est beau ! Oh ! Quelle merveille ! Vraiment somptueux ! »

On aurait dit qu'il ne pouvait se détacher de la contemplation des plus splendides créations de la terre. Cependant, il finit par se calmer et regarder la jeune fille d'un air ravi :

-« Des nombreuses personnes qui sont venues ici me faire des offrandes tu es la seule qui a pensé non à ce qui te plaît à toi mais à ce qui me ferait plaisir à moi ! J'accepte ton amitié de bon cœur ! Y a-t-il quelque chose qui te ferait plaisir à toi ? Ce serait une joie pour moi de te l'offrir ! »

-« J'aimerais rester un peu en ta compagnie, te connaître un peu mieux.... »

-« Quelle merveilleuse idée ! » Et il se mit à sauter de joie en tapant dans ses mains.

Ils sont restés trois jours et trois nuits à faire connaissance et la jeune fille a découvert quel merveilleux enfant était le petit esprit noir du feu : drôle, espiègle, taquin, aimant rire, danser et chanter, ne restant jamais en place, se mettant en colère lorsqu'il n'arrivait pas à se faire comprendre puis riant de plaisir quand elle le comprenait, très attentif à sa dignité personnelle, se renfrognant quand il croyait qu'elle ne faisait pas attention à lui et explosant de joie quand il s'apercevait qu'il s'était trompé.

Au matin de la quatrième journée la jeune fille annonça au petit esprit noir du feu qu'elle devait repartir sinon les siens allaient trop s'inquiéter.

Il se mit alors à pleurer à chaudes larmes et elle lui dit :

-« je sais que c'est dur pour toi que je parte parce que c'est dur pour moi aussi de te quitter. Je vois ton chagrin et mon cœur se serre. Mais je te promets que je reviendrai te voir souvent parce que je ne pourrai pas supporter de rester longtemps loin de toi »

-« Je vais venir avec toi, tu ne m'as rien demandé mais je sais ce que ton cœur désire. Je vais t'accompagner jusqu'à ton village et soigner les enfants »

Le petit esprit noir du feu entra dans le village avec la jeune fille, il demanda à voir chaque enfant individuellement et à chaque enfant il chanta une chanson différente. Les enfants semblaient alors comme émerger d'un mauvais rêve et un sourire illuminait leur visage.

Le petit esprit noir du feu rassembla alors les parents et leur dit :

-« Si vous voulez que vos enfants n'attrapent plus la maladie de la tristesse laissez-les se comporter comme des enfants et ne cherchez pas à en faire prématurément les adultes que vous-mêmes n'êtes pas capables d'être. Chaque enfant est unique et c'est pour cela qu'il est précieux. Respectez-le dans ce qu'il est et non dans ce que vous voudriez qu'il soit. Ainsi en va la loi de la vie : il y a un temps pour l'enfance, un temps pour la maturité, un temps pour la sagesse. »

Puis il disparut dans un nuage de fumée non sans avoir murmuré à la jeune fille : - « souviens-toi de ta promesse »

bunni


L'histoire de Petit Jean

Il y a bien longtemps, dans un pays tellement éloigné dans le temps et l'espace que nul n'en garde plus aucun souvenir, excepté quelques rares grands enfants, vivait Petit Jean.

C'était le fils dernier né d'un humble couple, si pauvre et misérable que la famille entière vivait au fin fond  d'une grotte en un lieu de broussailles ignoré de tous. Cette grotte était sombre et humide : le jour n'y pénétrait que par l'entrée fort étroite donnant sur un long couloir de granite, difficile à travailler. Mais là, demeuraient six personnes. Les parents et leurs quatre enfants. Vint à mourir le père. La mère Jacquine n'avait pour faire vivre ses enfants, trois jolies filles et un garçonnet rêveur et débrouillard, que le maigre résultat de son métier à tisser. Le chanvre ne se cultive pas facilement pour une femme seule et voyez-vous le coton était encore ignoré en ces contrées, quant à la soie, elle n'était  que le vague rêve d'un papillon ne devant éclore que quelques décennies plus tard.

Une nuit que Petit Jean s'était sauvé de la grotte familiale et qu'il rêvassait au bord de l'eau, s'imaginant vivre sur la lune dorée, il vit voltiger quantité de lucioles brillantes et pleines de gaieté dans leur sarabande effrénée. En son cerveau aussitôt une idée vit le jour « et si je ramenais ces lumières dans la grotte afin que l'on y voit et que maman et les sœurs puissent filer et tisser pendant que je ramasse le bois, les champignons et que je pêche ». Et voilà notre Petit Jean, plein d'entrain, chercher à nouer de longues herbes souples afin d'un faire une cage à mailles serrées. Il se voyait déjà tout fier ramener de la lumière et espérait-il un peu de chaleur et de gaieté dans la triste demeure.

La cage fut vite prête, mais une fois tissée, et la petite porte nouée, Petit Jean eut beau courir et sauter, les lucioles ne se laissaient pas piéger. Il courut et sauta aussi longtemps qu'il le put et les lucioles, semblant se prendre au jeu formaient autour de lui un nuage de lumière voltigeant joliment  avec lui. Au matin, les premières lueurs chassèrent les étincelles de la nuit et Petit Jean fatigué, mais toujours décidé se coucha sur la mousse. Il sombra dans le sommeil et dormit ainsi une bonne partie de la matinée. Ce furent les cris inquiets de sa mère et de ses sœurs qui le ramenèrent à la conscience. En pleurs il raconta son idée et sa vaillante poursuite nocturne. Aussitôt les filles et leur mère voyant les pieds ensanglantés et les griffures innombrables sur les bras, l'entourèrent, le consolèrent et essayèrent, en vain, de lui faire croire qu'il ne fallait pas s'inquiéter, et que « allez, on va s'en sortir et après tout on est heureux, non ? puisqu'on est tous ensemble. ».

Malgré toutes les cajoleries et les recommandations de la mère, Petit Jean retourna, la nuit suivante, au bord de l'eau guetter les lucioles. En chemin il croisa une petite araignée grise, les pattes engluées dans une sorte de résine et qui se débattait furieusement. Il lui sembla se voir se débattre dans son combat pour ramener les lucioles à la maison, les pieds collés au sol, incapable de bondir assez haut. Pris de pitié, il cueillit un brin d'herbe  et délicatement dégagea la prisonnière. Celle-ci peu farouche grimpa aussitôt sur sa main et escalada ses cheveux pour se jucher sur son oreille.

Amusé Petit Jean voulut reposer la singulière cavalière quand celle-ci se mit à parler d'une voix semblable au vent dans la prairie « Nous t'avons vu la nuit dernière »

« Oh ... » fit - il, car, que dire d'autre dans ces cas-là ?

«Je veux te remercier, ramène moi chez moi et mes sœurs et moi te tisserons un filet  léger et solide que tu jetteras sur les lucioles. Je ne sais si cela suffira, mais c'est le mieux que je puisse faire ». Petit Jean sur les indications de Chalima (et oui, les araignées aussi ont des noms !) S'enfonça dans la forêt et au cœur de celle-ci, dans un taillis impénétrable il découvrit la forteresse des araignées : un enchevêtrement argenté de toiles épaisses et presque infranchissable. À  l'orée de ces murs de toiles, il s'endormit pour la nuit pendant que les tisseuses préparaient un filet à lucioles. Au matin il fut réveillé par le chatouillis de petites pattes qui posaient devant son nez un rouleau argenté. Ravi il le déplia, fin comme une dentelle, léger comme un souffle d'air, solide comme l'acier et grand comme quatre mains : son piège était parfait.

La nuit suivante une grosse grenouille, grasse et l'œil mauvais partageait la veille de Petit Jean, blottie entre les roseaux, elle se tenait cachée de tous. Quand la danse lumineuse recommença, Petit Jean s'invita au milieu des lucioles et le jeu –qui n'en était pas un pour Petit Jean- reprit comme la veille. Les lucioles, ignorant la présence attentive de leur ennemie voltigeaient en tous sens et Petit Jean sautait, mais le filet ratait toujours les proies convoitées.  Petit Jean déçu s'assit et regarda le ballet aérien. Puis d'un coup, le nuage passa au dessus des roseaux et une longue langue suivie du bond gigantesque d'une grenouille monstrueuse captura trois lucioles. Les autres se précipitaient sur le corps de la grenouille, le bombardant de leurs petits corps, mais la grenouille narquoise ne bougeait pas et contrairement à ses congénères, ne se hâtait pas pour gober ses petites proies, semblant bien au rebours les admirer tout à loisir avant que d'en faire son repas. 

Petit Jean, sans trop bien savoir pourquoi, sinon qu'il n'était pas juste que la grenouille mange ces jolies lumières alors que lui qui les voulait seulement admirer et ramener chez lui, ne les pouvait attraper, se jeta sur la goulue. Sur un Crôâââ indignée, probablement dû au fait que Petit Jean en lui sautant dessus lui comprima l'estomac, elle se sauva, libérant les petites prises. Sonnées celles-ci tombèrent au sol, mais au lieu de les capturer, Petit Jean se mit à les regarder de plus près. Et là ! Stupeur, maintenant que les lumières étaient éteintes il put enfin les voir, pour de vrai. Il s'agissait de minuscules petits êtres semblables à des enfants avec quatre ailes transparentes. 

Décidément, rien donc dans ce monde n'était ce qu'il paraissait ? Les araignées parlaient et avaient des forteresses, les lucioles étaient des ... des quoi au fait ? Ou  qui ?

« Des fées, Petit Garçon, nous sommes des fées »

« Oh ! » Fit - il car il n'avait pas trop de conversation, ce n'était qu'un petit garçon après tout !

« Et tu viens de sauver une de mes filles, Muguet,  avec ses deux suivantes »

« Ah » Fit - il, car il n'avait toujours pas plus de conversation.

« Nos enfants sont trop faibles pour affronter la lumière du Soleil et ne peuvent sortir que la nuit, mais les dangers sont grands. »

« Euh ? .. » Toujours ce problème de conversation. Je suis sûre qu'une fille s'en serait mieux tirée.

Mais Liriandra, la reine, semblait comprendre ces sons.

« Alors, comment te remercier ? »

« Lumière ... euh, je voulais de la lumière, mais pas faire de mal. »

« Oooh .... » là, c'était la reine et elle semblait songeuse.

« .. Chalima m'a donné le filet, il est joli » dit-il passant du coq à l'âne. « Je vais le donner à maman. Je ne chercherai plus à vous capturer, c'était pour éclairer la grotte »

« Une grotte ? ?? » Liriandra semblait affolée « Malheureux, les chauves souris, sauve-toi, elles sont dangereuses !!!!!! »

« Pas pour des humains, pis, y'en a pas, alors ..., des chauves souris je veux dire. Y en a pas de chauves souris. »

Liriandra semblait intéressée au plus haut point.

« Parle-moi de cette Chalima petit garçon. »

Et Petit Jean raconta tout ce qu'il savait du peuple araignée et de la forteresse construite pour repousser tous les animaux gloutons d'araignées et de la gentillesse de Chalima.

« Rentre chez toi petit d'homme, une de mes filles te suivra pour connaître ta grotte et demain je viendrai parler à ta mère, à la tombée de la nuit »

Petit Jean rentré chez lui réveilla ses sœurs : Lizyna, Bellusine et Kossimette, ainsi que sa mère. Il leur raconta toute son histoire, l'araignée et la forteresse, et la grenouille, et les fées, et la promesse. Les quatre étaient inquiètes : et si les fées voulaient leur prendre la grotte, ou si elles estimaient que Petit Jean connaissait un secret qu'il aurait dû ignorer, et si les araignées venaient aussi. Ou si les fées venaient et trouvaient que la grotte était sale et que les humains étaient des dégoutants, ou si , ... ou si ..., ou si ...

Toute la journée, à la faible lueur venue de la fente servant à évacuer la fumée lorsqu'on faisait un feu dans la grotte,  la famille s'activa, chassant la poussière, rangeant les trois affaires, briquant les écuelles, rangeant dans un sens, puis dans l'autre, déplaçant là pour mettre ailleurs les paillasses d'herbe, puis les remettant, cueillant des roseaux pour joncher le sol, ramassant quelques coucous pour faire un bouquet.

De tout ce temps,  la mère et les sœurs ne purent filer ou tisser tant leurs mains tremblaient. Et à la tombée de la nuit, Jacquine,  Lizyna, Bellusine, Kossimette et Jean attendaient devant l'entrée de la grotte. Quand un son à la fois lointain et tout proche retentit, un peu comme une légère brise dans la prairie, accompagné de quelques tintements de clochettes. Puis vint une lumière, des milliers et des milliers de lucioles dansaient, chantaient, au sol un tapis d'araignées en mouvement ondoyait vers la grotte. Mais la petite famille ne bougea pas, car que faire sinon ?  Puis Liriandra parla, longtemps et sa voix et son discours apaisa toutes les craintes. Puis Chalima aussi parla et sa courtoisie séduisit Jacquine.

De ce jour-là, dans les grottes les plus reculées à la suite de la demeure humaine, se construisit la forteresse de Chalima, dans les autres, les lucioles/fées enfants s'installèrent, attendant d'être assez grandes pour affronter la lumière du jour. En guise de bons échanges, les tisseuses apprirent aux fillettes comment tisser une toile semblable à un voile avec les fils d'araignées. Et les fées donnèrent leur belle lumière dans les grottes, ainsi toutes ces toiles devinrent de la couleur de l'or. Ces magnifiques étoffes devinrent célèbres dans toute la contrée, apportant richesse et renommée et personne n'en connut jamais le secret, hormis vous et moi, bien sûr. La famille s'agrandit avec le mariage des filles, et des grottes furent creusées toujours plus loin, toujours baignées de lumières et toujours parées de voiles diaphanes. Et pour ce que j'en sais, il en est toujours ainsi. 

Petit Jean ? Il ne voulut pas grandir et les fées lui apprirent à voler, on le voyait souvent en compagnie de Muguet, voler de nuit, riant comme un enfant heureux. Certains savants écrivirent des histoires à son sujet et commencèrent à l'étudier. Certains même, prétendirent que son nom fut transformé au fil des temps et que Petit devint Peter : Peter Jean, mais qu'un copiste maladroit se serait trompé et aurait transformé le Je de Jean en P. Quelle drôle d'idée, vraiment !

bunni


La Mère des arbres.

Les runes... leur nom veut dire "secret"... utilisées par mes frères Vikings, elles sont synonymes de mystère et de magie...

"Secret","magie" ces mots sont depuis toujours associé au monde de Féerie, le pays secret...

Lorsque l'on regarde attentivement les runes, on remarque immédiatement que leur forme évoque celle des branches...Telles branches croisées forment Gebo , la rune du partage...Telles autres, entrelacées, forment Berkano ou Beorc, la rune de la naissance, celle qui donna vie à ce conte...

Regardez...Ouvrez les yeux... Le peuple de Féerie... parle à travers les runes... alors... Venez entendre ce que les fées veulent nous apprendre ...
Approchez... Ecoutez... ce que le vent a chuchoté... Approchez... Ecoutez.... Ce que les arbres m'ont murmuré ... Une histoire étrange... venue des abysses du temps...

Car... Il y a longtemps... Très, très longtemps... Tout au Nord des terres, s'étendaient de grandes terres arides et sèches. Seules, par ci, par là, se dressaient quelques touffes d'herbes courtes et brûlées par le vent glacial soufflant du Nord.
Hors, ce jour là, un cri étrange déchira le silence de la lande, habituellement seulement troublé par le sifflement du vent.
Quel animal égaré pouvait pousser ces cris épouvantables?
C'était un bébé... Un petit d'homme arrivé là on ne sait comment...
Il était là, couché, au milieu de ses langes, à hurler comme un jeune loup! Que faisait-il perdu au milieu de nulle part, à la merci du brûlant soleil de midi, des pluies froides descendues des glaces du Nord et du vent glacial de la nuit, sans rien pour l'abriter?
Venus de toutes parts, attirés par ses hurlements, les habitants de dessous la terre se pressaient autour de lui et cherchaient une solution afin de protéger cet enfant!
Las, il était bien trop grand pour se faufiler dans les couloirs du monde souterrain et les premiers humains vivaient à mille lieues de là...
Ils étaient tous là, lutins, nains et fées à chercher quelle potion, formule magique ou incantation allait pouvoir apporter la solution à ce problème...

L'enfant, elle, car c'était une fille, continuait de pleurer... Rien ne semblait pouvoir la calmer, ni le lait de taupe que lui apportaient les lutaines, ni les grimaces et les cabrioles de Plume le lutin qui avait pourtant fait éclater de rire l'entourage de nombreux rois de par le monde!! Elle inondait la terre de ses larmes...
Quand, tout à coup, quelqu'un s'écria: "La terre!... Regardez notre Mère la terre!..."
En effet, le sol, gorgée des larmes de l'enfant, se mettait à bourgeonner, à se soulever, se craqueler... pour laisser apparaître des dizaines de jeunes pousses qui se dressaient vers le ciel!
Et les frêles pousses se changèrent en rameaux puis en tronc, toujours plus grands et forts...
Quand, leur écorce, soudain, sembla se couvrir de givre, comme on le voit, quelques fois, les matins d'hiver. "Ces jeunes arbres sont perdu" dit l'un... "Oui, le gel les a pris" renchérit un autre... Mais, au lieu de mourir, le bosquet sorti de terre continua de s'étoffer pour devenir un bois... puis une forêt entière! Bientôt, les branches se couvrirent de bourgeons, puis des feuilles vertes, argentées et luisantes apparurent et se mirent à danser sous la brise glaciale.
-"Quels sont donc ces arbres étranges qui se couvrent de feuilles alors que l'hiver règne encore ?" s'écria le roi des lutins.
-"On les nomme Bouleaux!" répondit une voix douce derrière eux.
Perchée sur les branches du plus haut des arbres, se tenait une jeune fille, à la peau aussi laiteuse que l'écorce des arbres et aux cheveux si blonds qu'on les eût dit faits de fils d'argent. Elle semblait ne faire qu'un avec la forêt...
Occupés, qu'ils étaient, à contempler les arbres pousser, ils en avaient oublié l'enfant, qui, elle, en avait profité pour grandir et devenir cette belle et étrange jeune fille.
Car le temps ne s'écoule pas de la même façon qu'en notre monde, au pays de Féerie.
-"Je suis la Mère des arbres, la gardienne de la forêt! Je protègerai tout être au cœur pur, poussé par la peur, qui cherchera refuge en ce lieu... Mes amis, les bouleaux, les abriteront de leurs feuilles alors que les autres arbres de la forêt seront nus encore... Tout enfant, couché dans un berceau fait de leur blanche écorce, sera protégé des frayeurs de la nuit. Le chant du vent dans leur feuillage apportera paix et sérénité à qui l'écoutera.Il en est ainsi et en sera ainsi tant qu'il restera un bouleau sur la terre..."

Ces paroles, emportées par la brise, de feuille en feuilles, d'arbre en arbres, flottent encore de nos jours... chuchotées par le vent.... Murmurées par les arbres... Car les bouleaux dressent encore leurs blanches silhouettes dans nos forets, nos bosquets et même au cœur des parcs de nos villes...
Ils sont toujours les premiers à se couvrir de feuilles... à la sortie de l'hiver
Et la Mère des arbres, me demanderez-vous? Elle est toujours là...Vous pouvez la rencontrer parfois... en ces grands-mères à la peau et aux cheveux blanchis par l'âge qui calment, tendrement, les pleurs d'un enfant effrayé...

(Rune de la naissance, idée de création, de nouveauté. Le bouleau, arbre de la régénérescence, pour les peuples du Nord de l'Europe. -Valeurs symboliques : le bouleau, le commencement.)

bunni

#594

L'HISTOIRE DE PIERROT DE LA LUNE

Qui n'a pas contemplé un soir de pleine lune, un personnage, tantôt sciant du bois, tantôt faisant de la musique ou encore dansant avec les étoiles.

On l'appelle Pierrot ...

Cette légende a donné naissance à ce refrain que nous avons tous chanté un jour ou l'autre ...

" Au clair de la lune, mon ami Pierrot.

Prête moi ta plume, pour écrire un mot ..."


Il y a très longtemps, Pierrot n'était qu'un rêveur. Il a quitté la terre pour se réfugier derrière le masque des rêves.

Mais voilà, un jour, il rencontre une jeune rêveuse.

Pierrot enlève son masque, transgressant la vie des rêves.

Ils n'ont plus le choix. Ils doivent revenir sur la terre ...

Ils partent sur des rayons à la faveur d'une éclipse ...

La grande Aiguilleuse de l'espace décale par erreur, les rayons qui les emmènent, et nos deux amis sont séparés ...

Pierrot rêve à la lune. Il écrit et soupire à la lune.

Il est l'incarnation même du lunatique.

Il est issu de la lune et ne songe qu'à y retourner...

Pierrot, le lunatique ne se plaît pas sur la terre ...

Il semble qu'il en soit tombé ...

Toute sa vie, il restera dans la lune.

Sa tête est simplement ailleurs ...

Pierrot est mélancolique, méditatif, solitaire.

il est poète, musicien, météorologue ...

Pierrot erre entre ciel et poussière, dans la solitude et le silence ...

Il a le regard perdu dans les étoiles.

Cela durera des siècles ...

Même si c'est tiré de l'imaginaire, c'est une histoire fabuleuse.

Elle Laisse la place à beaucoup de rêves.

L'imagination peut vagabonder à travers les mondes réels et irréels.

bunni


Le costume d'Arlequin

Aux environs de Venise, cette belle cité qu'on a si justement appelée la reine de l'Adriatique, vivait, il y a plusieurs siècles, un écolier modèle, qui se nommait Arlequin.
Il était l'orgueil de ses parents et donnait l'exemple à ses camarades par sa bonne tenue et son excellente conduite. Il avait toujours les meilleurs places dans toutes les compositions, et les premiers prix dans les concours. Personne ne songeait à en être jaloux, parce que le brillant élève demeurait modeste au milieu de ses succès, autant qu'il se montrait obligeant pour chacun.
L'usage alors était de donner un vêtement neuf à tous les enfants, à l'occasion du Carnaval, cette fête joyeuse par excellence, qui est, à Venise, particulièrement brillante.
Les écoliers attendaient ce jour avec impatience pour réaliser les petits rêves de vanité qu'ils avaient pu caresser pendant toute une année. On était fier de parler à l'avance de ce costume nouveau, et d'en discuter la forme et la couleur avec ses camarades .
Seul, quand ses camarades s'entretenaient de tous ces heureux projets, Arlequin gardait le silence.
A la fin, un de ses amis, étonné de ce mutisme, lui demanda :
"Et toi, Arlequin, tu ne nous dis pas quelle sera la couleur de ton habit !
- Moi, répondit l'enfant simplement, je n'en aurai  pas cette année ; nous ne sommes pas assez riches, et mes parents trouvent que cela coûterait trop cher.
- Ah ! pauvre Arlequin !" s'écria l'écolier.
Aussitôt, il lui vint une généreuse idée qu'il s'empressa de communiquer à tous ses petits compagnons, à l'insu d'Arlequin.
"Ne trouvez-vous pas, dit-il, que ce serait triste pour nous si, dans cette belle fête du Carnaval, nous voyions notre meilleur camarade se tenir à l'écart et ne pas prendre part à nos jeux, sous le prétexte qu'il n'a pas d'habit ?"
Tous furent de son avis.
"Eh bien ! continua le jeune garçon, je propose que chacun prenne un morceau au costume qu'on doit lui faire, pour l'apporter à Arlequin. Il aura ainsi ce qu'il faut pour qu'on lui en confectionne un.
- Oui ! Oui !" s'écrièrent tous les petits Vénitiens. Le projet était accepté.
Le lendemain, tous les écoliers arrivaient, rayonnants de bonheur, présenter leur offrande à Arlequin.
Or on sait que dans les pays du chaud soleil, on aime non seulement les étoffes légères, mais aussi les couleurs voyantes. Le peuple de Venise ne faisait pas exception à cette règle ; mais les écoliers, agissant dans tout l'élan de leur coeur, n'avaient pas songé à cette diversité de nuances. Qu'on juge de leur confusion en voyant combien tous ces morceaux dissemblables rendaient leur cadeau bizarre.
Arlequin touché jusqu'aux larmes du sentiments qui les avait guidés, et devinant leur embarras s'écria :
"Rassurez-vous, mes bons camarades, aucun présent n'aurai pu me faire un plus vif plaisir. Vous vous chagrinez du nombre des pièces qui formeront mon costume, et je trouve, moi, que plus il en contiendra, plus il devra m'être précieux, puisque chacune d'elles me représentera un ami."
En effet, le jour du mardi gras, Arlequin endossa avec un bonheur sans pareil ce vêtement bariolé, qui fut compété par un chapeau de feutre gris, orné d'une queue de lapin.
Alors, armé d'un sabre de bois, et le visage couvert d'un masque noir, il parcourut les rues de la ville, en sautant et en dansant, laissant déborder sa joie par toutes sortes de gentillesses et d'aimables saillies, dont il gratifiait tous ceux qu'il rencontrait.
Aucun déguisement ne recouvrit jamais un coeur plus joyeux que celui-là.
En est-il beaucoup, parmi les imitateurs d'Arlequin, qui savent au moins quel trait d'amitié touchante à perpétué la bigarrure de son costume ?

bunni


Le papillon aux grands yeux

Tout au long du jour il reste immobile, bien sage, sans le moindre frémissement des ailes. Les yeux grands ouverts, il repose sur la feuille blanche où la petite fille l'a dessiné. Elle a mis tout son cœur à créer ce beau papillon qu'elle voulait riche en couleurs, imposant par sa taille, étonnant par ses formes. Elle ne se doutait pas, la petite fille, que par son talent créateur elle allait également lui insuffler une envie de découvrir le monde.

    Durant toute la journée le papillon, sans en avoir l'air, était très attentif aux compliments nombreux décernés à la créatrice et qu'il prenait à son compte : " Quel papillon merveilleux ! Comme il est beau ! Et spécial avec ses grands yeux ! Et quelles couleurs chatoyantes ! " Et lui, le beau papillon, se gonflait de fierté par ces nombreuses louanges. Il fut un peu vexé lorsqu'il fut envoyé par fax à l'oncle auquel il était destiné. Par fax ! Pfut... ! Quelle idée ! Quel manque de savoir-vivre ! Il eût préféré être expédié par des voies plus conventionnelles, dans une belle enveloppe protectrice. Cependant il était assez fier d'avoir sa photo accrochée sur un mur du salon, chez le tonton Dany.

    Le soir venu le beau papillon attend patiemment le coucher de sa maîtresse. Il observe avec ferveur (avouons-le, il a un faible pour elle) la petite fille qui se prépare pour la nuit. Ce n'est que lorsqu'elle pose sa jolie tête sur l'oreiller et qu'elle sombre dans un profond sommeil, que notre beau papillon se permet quelques mouvements. Il déploie précautionneusement ses ailes ankylosées, lasses de leur rigidité, les replie puis les ouvre plusieurs fois de suite. C'est sa petite gymnastique du soir avant son envol vers l'aventure de la nuit.

    Il a ses habitudes et commence immanquablement sa tournée nocturne en se posant délicatement sur le front de sa créatrice, si celle-ci ne frémit pas c'est donc qu'il peut s'éloigner tranquillement, il a devant lui plusieurs heures de liberté. Il bat des ailes avec délectation, savoure le frôlement de l'air sur sa petite tête, s'enivre de l'humidité de la nuit. Son premier arrêt est pour le jardin de la voisine, il virevolte de-ci de-là, se prélasse sur le gazon fraîchement tondu, réveille les fleurs déjà endormies, se gave de leurs délices, respire à pleins poumons, s'enivre du lourd parfum de la nuit. Il reprend sa route vers un bosquet d'eucalyptus, c'est là qu'il fait toilette. Il se baigne dans l'humidité bienfaisante, étire ses ailes chatoyantes, aiguise ses antennes de velours... il se sent complètement ravigoté.

    C'est alors qu'il se dirige vers la place du village; c'est sous le grand lampadaire que se réunissent à une heure tardive, les papillons nocturnes des environs. Lorsqu'il arrive la fête bat son plein, les frottements d'ailes font un chahut incroyable, les papillons blanchâtres sont nombreux autour de l'auréole lumineuse. Un silence complet se fait à la vue de cet intrus aux couleurs vives, la curiosité s'éveille et les chuchotements vont bon train. " Mais qui est-il, celui là ? D'où vient-il ? Pour qui se prend-il avec ses ailes de carnaval ? "

     On le questionne, il répond timidement, il a si peu l'habitude d'être en société.
" Comment te nommes-tu ? "
" Mon nom est Parpar"
" Personne n'a jamais entendu un nom de papillon pareil!"
"Peut-être, mais c'est mon nom."
" Et d'où viens-tu ? "
" D'une feuille de bristol " alors là... les ricanements fusent de tous côtés.
" Et qui sont tes parents ? "
" Une petite fille et ses crayons de couleurs " ça c'est le comble !
      C'est un fou, un hurluberlu, un mégalomane, un fabulateur...
et tous ces papillons ternes et fades se détournent de lui.

    Notre beau papillon en est bien triste, il sait bien qu'il n'est pas comme les autres. Souvent il ne comprend pas leur langage, lorsqu'ils parlent de chrysalides, chenilles et cocons... c'est de l'hébreu pour lui ! Pourtant il espère encore pouvoir se faire des amis, être accepté par ses confrères. C'est pourquoi il revient chaque nuit savourer une liberté amère. A l'aube il rentre sagement, réintègre sa feuille de dessin et observe avec joie le réveil de sa créatrice. Il sent qu'il est à sa place, cependant le soir venu il repart avec de nouveaux espoirs.
     Mais un matin, alors qu'il rentre de sa randonnée nocturne, toute la maisonnée est réveillée, c'est le branle-bas de départ! C'est la fin des vacances. Les valises sont bouclées, les gorges sont serrées, les recommandations et les souhaits s'enchevêtrent, les promesses sont nombreuses, les bisous sont tendres. Les portières de voiture claquent, la clé tourne dans la serrure, le silence est complet, la petite fille est repartie chez ses parents.
     Sa grand-mère, attendrie de découvrir l'œuvre oubliée, prend avec précaution la feuille de dessin, la lisse afin de la défroisser, la contemple avec un sourire au cœur. Elle lui cherche une place d'honneur, un endroit où elle pourra l'admirer souvent jusqu'aux prochaines vacances. C'est dans la cuisine, sur la porte du frigidaire que notre beau papillon est accroché, soutenu par quatre petits aimants décoratifs, parmi d'autres nombreux dessins. Depuis ce jour, plus de sorties, plus de randonnées, plus d'évasions... il est pris au piège d'une grand-mère affectueuse. Petit à petit ses couleurs vives vont passer, il va se fondre avec les œuvres des autres petits-enfants. Et la petite fille, lorsqu'elle viendra pour les prochaines vacances, dira en faisant la moue: "qu'il est rigolo! c'est moi qui l'ai dessiné?"

     Notre papillon se souviendra toujours de ces belles nuits d'été durant lesquelles il a appris une chose importante : il ne suffit pas d'être beau pour être accepté, encore faut-il être comme tout le monde et s'en contenter!

      Il restera là, un peu délaissé et triste, gardera à tout jamais son rêve de liberté et son désir d'être aimé. Eh! oui les papillons aux grands yeux ont un coeur mais ils sont d'une espèce rare.

bunni

#597

Le carnaval des animaux

Ce soir là comme tous les soirs ,le jardin des plantes ferme ses portes , les gardiens s'en vont et verrouillent les grandes grilles qui grincent un peu . Le silence est total .Mais au centre de ce jardin dans la ménagerie une étrange ardeur semble régner .Et au centre de cette agitation un lion  s'avance royal, majestueux  son poil luit dans la nuit, sa crinière  entoure sa belle tête distinguée . Puis dans un énorme rugissement , la tête bien droite  car l'instant est solennel ,il proclame : moi le roi je décrète que le carnaval  des animaux peut commencer. Alors tous les occupants du parc s'agitent et se pressent .
Les poules et les coqs  énervés caquettent   à qui mieux mieux :
-Cocoriquoi! Cocoriquoi ! dit le coq dressé sur ses ergots , Messire roi , nous ne sommes point prêts!!!
-cot ahah ! cot ahah! Cot ahaha ! Gloussent les poules en joie , quel idiot ! Il est déjà si bariolé , qu'il n'a point besoin de se déguiser. AH!AH!Ah!Cot!Cot! Cot!Quel  dandy ridicule!
Le coq courroucé  leur vole dans les plumes :
-Cocorico quoi quoi quoi! Gourgandines  rentrez au poulailler, vous êtes privées de fête.
Ce fut un beau tintamarre au milieux des plumes.
Les hémiones ,chevaux légers , dont les sabots brillent de mille feux , arrivent au galop pour faire cesser la querelle. La poussière se soulève sous leur pas  en grosse volute, ils s'arrêtent net devant le  coq et les poules , les aspergeant de terre  .Bientôt devant leur air déconfit  tous les animaux éclatent de rire .Le coq ayant perdu de sa superbe,, toussotant , la gorge prise quitte donc la fête suivi de sa cour.
Les chevaux hennissent ironiques.
Pour le coup les tortues sortent leur tête de dedans leur carapace , s'étirent péniblement  en demandant :
-mais que se passe-t-il donc ? Est-ce un tremblement de terre? quel est ce bruit?
Elles baillent à s'en décrocher les mâchoires, tout en contemplant  les animaux assemblés  d'un air ébahi.
Leur carapace luit sous les étoiles et les dessins  sur leur dos prennent vie  comme autant de kaléidoscopes.
Les éléphants se balancent  d'un pied sur l'autre,  comme s'ils dansaient ,leurs trompes entament un va et vient comique et ils répètent à qui veut l'entendre:
-c'est la fête! C'est la fête! C'est la fête!
Se tenant par la queue il font toutes sortes de pitreries et galipettes ,tant ils ont le coeur en fête .N'y tenant plus ils entament  une valse lente et heureuse  qui fait sourire même jusqu'au noble lion.
tant et si bien que les poissons du lac s'approchent de la rive . Entre deux eaux ils s'écrient:
-Nous aussi! Nous aussi!
Quelques uns sautent hors de l'eau  ,claquent des nageoires , envoient des gerbes d'eau qui éclaboussent les participants .Bientôt c'est  un balai de couleurs et de formes qui s'élance et retombe dans l'eau .Et sur le bord les animaux s'écrient:
oH! La belle bleue!Oh! La belle rouge! En battant ,qui des mains, qui de la trompe qui du sabot , même le lion dans sa souveraine majesté daigne émettre un grognement de royale satisfaction.
L'âne  sur le bord de l'eau contemple ce balai et  brai à gorge déployée  , rit si fort  qu'il en tombe sur le derrière, se tient les côte de rire, alors  le fou rire devient général.
Hihihan!hihihan ! ....
Tout le monde semble heureux de la fête , quand au fond du bois raisonne le chant du coucou , il semble si triste et solitaire , que tous les autres s'arrêtent de rire .Et bientôt le silence règne  dans l'assistance. La fête serait elle donc déjà finie ? c'est alors que les perruches , perroquets et autres oiseaux exotiques aux riches couleurs , l'appellent :
Viens donc! Viens donc t'amuser avec nous Monsieur coucou! Ta solitude nous rend triste  viens et amusons nous!oublions pour une nuit nos différences et entrons dans la danse. Rions , le carnaval n'attend pas
alors du fond du bois , on entend le bruissement timide du coucou  qui s'approche , tentant d'imiter le gazouillis charmant de la volière  et n'y parvenant pas ,  monte et descend la gamme comme un pianiste apprenti , mal adroit et balourd. Il entrecoupe ses essaies de :

Zut ! Scrogneugneux !retentissant à chaque essai manqué alors tous les os  des fossiles n'y tenant plus  et voulant faire partie de la fête  accourent , et entraînent tous les animaux , coucou compris, dans une farandole endiablée. Chacun se tenant la main,  tournant autours des points d'eau, des ménageries et des cages  en Chantant toutes les chansons qui leur passent par la tête .Ce fut une belle sarabande. Les chevaux sautillent comme à la parade ,les éléphants semblent voler , le coq cabotine ,les poissons frétillent et les tortues vacillent. Ah! La belle pagaille que voilà!!!Mais,sur l'eau le cygne les appelle  et bientôt tous s'arrêtent devant sa beauté   étalée au soleil levant .

-La fête est finie , leur dit le cygne, le jour se lève et les visiteurs vont arriver .

Le cygne est si beau sur l'eau que personne ne proteste, il tourne orgueilleusement, vire et virevolte .Aussitôt les spectateurs  applaudissent devant la délicatesse de ses mouvements et la beauté de sa danse .Le cygne clos décidément la fête avec grâce et élégance . Mais l'on se rend bien à l'évidence la fête est  terminée , alors ils décident tous de faire une parade finale et joyeuse . Et les uns avec les autres ,le loup avec l'agneau , le coq avec le renard  , l'âne et le cheval .Ils dansent , tournent et se mêlent dans une sarabande endiablée qui les laissent essoufflés et heureux.
Chacun y va de son talent . Puis ils regagnent leur cage ,remplit de bonheur , se promettant , de recommencer chaque année ce carnaval  sautillant et joyeux . Pour une nuit, ils oublient leurs différences  pour entrer dans la danse.

Demain les soigneurs ,les trouveront fatigués ,et alors? ils se seront bien amusés ma foi et se reposeront jusqu'à la prochaine fois.


bunni

#598

Le Dragon Elfique

Il était une fois, dans une contrée éloignée et en un temps incertain, un pays qui avait connu les affres de la guerre. Ses habitants étaient bien malheureux, sa terre était pauvre, son paysage était désolant. Il pleuvait tout le temps et il faisait tout le temps froid.

Le pays était ainsi depuis une centaine d'années, l'horreur des guerres qui s'étaient déroulées en cette terre avait dépeint sur le pays tout entier. C'était comme si la terre voulait faire regretter aux gens toute leur haine et toute leur violence.

Dans une petite maison vivaient une mère et ses deux enfants, le père s'était fait tuer lors de la guerre. La mère et les enfants avaient beaucoup pleuré leur malheur, leur vie était difficile, d'autant plus que tous leurs voisins étaient dans la misère. Ils devaient travailler tout le jour dans les champs qui ne donnaient rien, ils n'avaient presque rien à manger. Et cette pénible situation s'étendait à tout le pays.

Les deux enfants étaient un grand frère et sa petite sœur, et tout deux bien braves, ils aidaient beaucoup leur mère. Pour échapper à leur dur quotidien et à leur peine, ils aimaient à se promener dans la forêt . En cette forêt ils avaient un endroit fétiche, c'était un merveilleux lieu lorsqu'il était vu par des yeux d'enfants, de nombreux buissons et arbres entouraient une souche d'arbre centenaire qui avait été abattu lors d'une guerre. Ils appelaient cet endroit "la vieille Souche".

La fillette s'asseyait sur la souche et écoutait son grand frère qui lui racontait des histoires de chevaliers et de Dragons, de Princesses et de fées. La petite fille imaginait des mondes merveilleux dans sa tête. Grâce aux contes que son frère lui inventait, la petite fille oubliait pendant quelques instants la misère de leur vie.

Un jour, le frère raconta à sa sœur l'histoire du Dragon Elfique, il lui dit que partout où il passait, il faisait repousser la végétation, qu'il apportait chaleur et bonheur dans les coeurs les plus froids. Le Dragon Elfique a aussi le pouvoir d'exhausser le vœu le plus cher des gens, et ainsi rendre leur vie meilleure encore.

Le soir même, la petite fille repensa au Dragon Elfique dont lui avait parlé son frère. Elle se disait que si le Dragon Elfique existait, et qu'il venait dans leur pays, ça serait la meilleure chose qui pourrait arriver à sa maman, à son frère, et à tout les gens. Elle voulait que tout redevienne comme avant, comme aux temps dont lui avait parlé son frère, bien avant les guerres, où régnait la prospérité, la paix et le bonheur.

Depuis ce jour, la petite fille n'avait qu'une seule pensée, c'était de rencontrer un jour le Dragon Elfique pour que son rêve se réalise. Rien n'était plus pur que cette enfant, elle souhaitait le bien de son pays en entier et de tous les gens qu'ils l'habitent.

Un soir, alors que la fillette dormait, elle rêva qu'elle rencontrait réellement le Dragon Elfique et qu'elle parlait avec lui. Ils étaient tout les deux à côté de "la vieille Souche" dans la forêt. Le Dragon Elfique semblait malheureux et la petite fille lui demanda ce qu'il avait. Le Dragon la regarda et lui dit : « Il y a deux cent ans, j'habitais ici, prés de cet arbre. Nous étions amis. Mais les hommes l'ont abattu pour fabriquer des machines de guerre. Maintenant il n'est plus qu'une souche sans vie. La haine des hommes est la cause de tant de malheurs, le paysage de ce pays est dévasté, les habitants sont malheureux. » La fillette eu de la peine, mais durant le reste de son rêve elle s'amusa avec le Dragon, qui paraissait de moins en moins triste d'avoir trouvé une amie.

Le lendemain matin la petite fille fut réveillée par un minuscule rayon de soleil. Jamais les deux enfants n'avaient vu le soleil. Il était toujours caché par de gros nuages noirs. Cependant, ce jour-là les nuages semblaient s'être écartés... La fillette et le garçon adoraient le soleil, il caressait doucement la peau de ses rayons et il réchauffait leur cœur. C'était une sensation nouvelle pour eux, et ça leur plaisait beaucoup.

Soudain, le frère regarda au loin et fit remarquer à la fillette que le paysage semblait un peu plus vert que d'habitude. Ils pouvaient distinguer de chez eux la forêt où ils aimaient à se promener, et de là ils pouvaient distinguer que quelques arbres avaient quelques feuilles vertes. D'habitude, les arbres ne possédaient aucune feuille, ou alors celles qu'ils possédaient étaient oranges.

Depuis fort longtemps, la fillette et le garçon n'avaient pas vu leur mère sourire, elle avait la larme à l'œil.

Après avoir aidé leur maman dans les champs et la maison, le frère et sa petite soeur partirent se promener dans la forêt. Sur le chemin, ils remarquèrent qu'un peu de gaieté c'était installé dans le cœur de leurs voisins.

Une fois arrivés la vieille Souche", la fillette se remémora son rêve et demanda à son frère de lui en dire plus sur le Dragon Elfique . Le frère dit à sa sœur : « Il serait bien commode de connaître un Dragon Elfique . J'ai souvent rêvé que j'en rencontrais un ici même, à "la vieille Souche". Mais mon rêve se finissait toujours avant que je n'aie pu prononcer mon vœu au Dragon. Dis-moi soeurette , quel serait ton vœu si tu en avais un à formuler au Dragon ? » La petite fille répondit simplement que ce qu'elle souhaitait, c'est que tout le monde soit heureux, que ça soit les gens de leur pays, leur maman ou bien le Dragon Elfique , car elle savait qu'il était tout seul et bien malheureux. Elle souhaitait le bonheur de tous.

La nuit, la fillette rêva qu'elle rencontrait le Dragon Elfique à "la vieille Souche" qui cette fois-ci était toute recouverte de lierre, les arbres et les buissons avaient des feuilles et plusieurs fleurs illuminaient le sol. Le Dragon remercia la petite fille qui ne savait pas exactement pourquoi, puis ils s'amusèrent encore beaucoup ensemble, le Dragon semblait avoir retrouvé sa gaieté.

Le lendemain, quand la fillette et son frérot se réveillèrent, leur mère était en pleurs, et ils lui demandèrent pourquoi. La mère répondit : « Mes chers enfants, les Dieux nous ont bénis, après avoir vécu tant de souffrances, le bonheur revient enfin dans nos contrées. Les nuages ont disparu, le soleil resplendit à l'extérieur. Nos champs regorgent de cultures, tous les arbres sont verts, l'eau coule à flots dans la rivière. » Les enfants et la mère s'étreignirent, ils étaient tous heureux.

Pendant cette nuit, un certain Dragon s'était rendu dans les rêves d'une petite fille. Elle avait été la seule à vouloir s'amuser avec lui, d'habitude, les gens qui rêvaient de lui demandait toujours qu'il exhausse un vœu. La fillette était pure, elle ne désirait que le bonheur des gens qui l'entourent. Le Dragon se sentait moins seul, il était heureux.



bunni


Le grand bal du printemps

Dans le jardin c'est l'aurore, toutes les fleurs sont en coulisses derrière le rideau de gazon, elles lissent leurs sépales et déploient leurs corolles, se pomponnent, font étinceler leurs boutons, l'excitation est à son comble !
Ça chuchote, ça rigole en se caressant le chapeau, les roses se parent de rosée, petits diamants posés sur leurs pétales de satin.
Le narcisse met ses jupons à la blancheur immaculée, les crocus groupés dans un coin, s'habillent de nuances vives.
Les violettes se motivent, les primevères s'ensoleillent et les tout petits myosotis rosissent de joie leurs fleurettes !
Ha! Voici le soleil qui parait en pâles rayons sur le bord du ruisseau . Le grand bal peut commencer!

S'avancent alors les primevères avec leurs chapeaux assortis, elles courent à toute queue et se positionnent en couronne sur l'herbe fraiche de la berge, elles penchent leurs jolies têtes puis une à une se relèvent chantant les notes de la gamme !
Puis vient le tour des pâquerettes, qui arrivent en file indienne et font de savants entrechats, dans leurs mini robes nuptiales, elles se donnent, s'abandonnent, petits tapis immaculés s'agitant sous les clairs rayons.
Les crocus ont pris leurs violons pour accompagner les mignonnes qui font avec les primevères des pas de deux époustouflants !
Voici qu'arrivent les violettes en duos avec les pervenches, petits tableaux mauves et parmes, illuminant tout le massif où elles valsent, si jolies, sous le soleil qui monte, monte !
Alors à l'appel du coucou, les tulipes font leur entrée, s'élancent, agitant en cadence leurs têtes aux belles couleurs sur un air de salsa endiablé et les mésanges sur leurs branches bougent au rythme chaud de la danse !
De rose, de jaune et de rouge elles habillent le décor et virevoltent dans la lumière !
Viennent ensuite les narcisses accompagnés par le hautbois des linottes qui chantent dans le grand sapin ,la tige serrée dans leurs feuilles, ils passent en couples enlacés sur le vert tendre du gazon, sautent avec les pâquerettes et saluent bien bas les violettes !
De beaux iris bientôt entrent aussi, majestueux, tandis qu'un concert d'oiseaux dans la ramée trille et pépie avec entrain, accompagnant les sifflets des merles !
Tout le jardin est un ballet et tous les instruments se mêlent tandis qu'arrivent les jonquilles avec leurs robes de soleil !
Elles tournoient en flammes d'or, leurs corolles sont des ombrelles sous les chauds rayons qui éclairent tous leurs pétales !

Les toiles d'araignées en travers de l'allée sont des bijoux étincelants, couverts de perles de rosée !
Tout danse, tourne, se touche les corolles et la symphonie printanière emplit l'air pur et parfumé, tout chante et rit dans le matin, les papillons, fous de bonheur, ne savent où donner de la trompe, ils batifolent en arabesques irisées sur les buissons de romarin qui embaument tout le jardin !

Et c'est ainsi chaque printemps, si vous savez bien regarder, vous apercevrez la danse des fleurs, mais il faut pour cela avoir conservé de l'enfance une petite part d'imagination...